Orderic Vitalis

Orderic Vitalis

Orderic Vital

Orderic Vital[1] (16 février 1075[2], Atcham, Angleterre1141/1143[3], abbaye de Saint-Évroult, Normandie, France), est un moine anglo-normand connu comme l'un des plus importants historiens du Moyen Âge central. Sa principale œuvre est l’Historia ecclesiastica qui retrace notamment l'histoire du duché de Normandie et du Royaume d'Angleterre au XIe et XIIe siècle.

Sommaire

Biographie

La vie d'Orderic Vital est assez bien connue car il la raconte lui-même dans le livre 4 de son Historia ecclesiastica. Il naît en 1075, près de Shrewsbury en Angleterre. Odelarius, son père, est un Français[4] venu trouver fortune dans le royaume anglo-saxon qui vient de tomber aux mains des Normands. Clerc érudit, il fait partie de la maison de Roger II de Montgommery, l'un des lieutenants de Guillaume le Conquérant[5]. La mère d'Orderic est anglaise mais les historiens n'en savent pas plus. Vital passe sa petite enfance dans le Shropshire dont Roger II est le comte. À l’âge de dix ans, son père le confie au monastère de Saint-Évroult en Normandie. Cette abbaye, fondée au VIIe siècle et restaurée vers 1050, jouit d'une bonne réputation dans le domaine de l'enseignement. Entré comme oblat, Orderic passe les différentes étapes de la carrière d'un moine : en 1090, il prononce probablement ses vœux, en 1091 il devient sous-diacre, en 1093 diacre et, en 1107/1108 reçoit la prêtrise[6].

Dans le même temps, le jeune moine apprend à Saint-Évroult la grammaire et le latin sous la direction de Jean de Reims[7]. Son travail à l'abbaye se spécialise dans la lecture et la copie d'ouvrages[8]. À partir de 1095 ou environ, Orderic rédige les Annales du monastère puis se consacre à interpoler l'œuvre de Guillaume de Jumièges, les Gesta Normannorum Ducum (Geste des ducs de Normandie). L'abbé Roger lui demande alors d'écrire une histoire du monastère. C'est le point de départ de l’Historia ecclesiastica, le travail le plus fameux de Vital[9].

L’Historia ecclesiastica

Une source narrative majeure

Marjorie Chibnall considère la principale œuvre d'Orderic Vital, l’Historia ecclesiastica[10], comme « un des travaux historiques les plus valables et agréables à lire du XIIe siècle[11] ». C'est une source de premier ordre pour l'histoire de la Normandie ducale et de l'Angleterre normande. Elle a peu de succès au Moyen Âge mais depuis sa publication au XVIIe siècle, les érudits et les historiens l'utilisent beaucoup. Son intérêt dépasse le simple apport de dates et d'événements. L’Historia ecclesiastica renseigne sur la société féodale, sur les coutumes sociales et sur la culture monastique. Elle fournit une série de portraits des puissants de l'époque, roi, reines, évêques ou barons.

Au départ, pourtant, le travail du moine doit se limiter à écrire l'histoire de l'abbaye de Saint-Évroult. Puis le projet s'élargit temporellement et géographiquement. Dépassant le cadre du monastère, Orderic Vital s'intéresse à la Normandie, à l'Angleterre, à l'Italie du Sud et à la France. Il remonte à la naissance du Christ. L'œuvre aboutit à une chronologie universelle dans la lignée de celle de Bède le Vénérable. De 1114 à 1141, le moine se consacre à cet énorme travail de recherche et d'écriture, n'hésitant pas parfois à réviser certains passages. Il le termine peu avant sa mort en 1141/1143, à plus de 66 ans.

Composition

L’Historia ecclesiastica se compose de treize livres que l'on peut regrouper en plusieurs thématiques[12] :

  • Livres I et II - Histoire des débuts de la Chrétienté ;
  • Livres III à V - Conquêtes de l'Angleterre et de l'Italie du sud ;
  • Livre VI - Histoire du monastère de Saint-Evroult. C'est en fait le premier livre rédigé par le moine ;
  • Livre VII à XIII - Histoire de la Chrétienté à partir de 1083.

Principales éditions de l’Historia ecclesiastica

L’Historia ecclesiastica en ligne

Accès direct sur Gallica2 (comprend moteur de recherche plein texte): Tome I, Tome II, Tome III, Tome IV.
Accès direct sur Google Livres (moteur de navigation et moteur de recherche plein texte différents de celui de Gallica): Tome I, Tome II, Tome III, Tome IV.

Son travail d'historien

Les historiens tant français que britanniques saluent le travail d'Orderic Vital. Pour François Neveux, le moine de Saint-Evroult est « le plus grand historien de la période ducale[14] ». Pour Kathleen Troop, c'est « un des plus importants historiens anglo-normands » avec Guillaume de Malmesbury[15]. Il n'est toutefois pas exempt de défauts.

Style

Dans ses Interpolations aux Gesta Normannorum Ducum ou dans l’Historia ecclesiastica, Orderic Vital pratique le récit. Il ne consigne pas une succession d'événements. Il raconte et explique. Sa prose est rythmée ; son style éloquent et expressif[16]. Pour rendre encore plus vivant ses écrits, il prête à ses personnages des dialogues et des discours qu'il a en fait lui-même inventés.

Des sources multiples

L’Historia ecclesiastica repose sur une documentation très large. Le moine utilisa plus de 100 sources narratives[17]. Parmi celles-ci, les œuvres de ses prédécesseurs normands : Dudon de Saint-Quentin, Guillaume de Jumièges et Guillaume de Poitiers. Marjorie Chibnall a aussi deviné que Vital s'est appuyé sur des chartes, des annales ou des vies de saints. De plus, il s'est entretenu avec les protagonistes des événements, qui se sont arrêtés au monastère. Bérold, seul survivant du naufrage de la Blanche-Nef, lui raconta par exemple la tragédie navale de 1120.

Orderic Vital profita de ses voyages en dehors du monastère pour élargir ses sources d'informations. Il visita des bibliothèques et interrogea des témoins. Marjorie Chibnall a établi que le moine de Saint-Evroult se rendit dans d'autres abbayes normandes (le Bec), en Angleterre (à Worcester et à Crowland) et en France (il est à Maule en 1106, à Cluny en 1132)[18].

Une lecture particulière de l'histoire

Les erreurs factuelles et les nombreuses digressions de l’Historia ecclesiastica nuancent la bonne impression laissée par le travail d'Orderic Vital. Surtout, sa vision de l'histoire et de son rôle d'historien appelle à la prudence. Formée à l'école monastique, Orderic propose une histoire orientée, plus précisément une histoire théologique. Dieu en est le principal acteur et la Parousie l'ultime objectif. Les catastrophes naturelles témoignent du courroux divin. Le récit des misérables obsèques de Guillaume le Conquérant est là pour rappeler que même le plus puissant des rois a une gloire bien éphémère. Volontiers moralisateur, Orderic Vital dénonce ou magnifie les multiples actions de ses contemporains afin de fournir aux hommes des exemples à suivre ou à éviter[19]. Sa lecture de l'histoire est du coup subjective. Il justifie la conquête de l'Angleterre par la nécessité d'une réforme du clergé anglo-saxon. Il décrit comme des monstres certains personnages (par exemple Robert II de Bellême) parce qu'ils ne respectent pas l'Église[20].

Notes et références

  1. En latin, Ordericus Vitalis. Orderic est connu comme un nom saxon. Vital est un surnom qui lui fut donné après son entrée au monastère de Saint-Évroult.
  2. Marjorie Chibnall, « General Introduction » in The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, vol. 1, Oxford, 1969, p. 2.
  3. 1141/1142 selon François Neveux, la Normandie des ducs aux rois. Xe-XIIe siècle, Rennes, Ouest-France, 1998 ; 1142/1143 selon Christopher Tyerman, « Orderic Vitalis », dans Who's Who in Early Medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 109, ou Kathleen Troup, « Orderic Vitalis » dans Kelly Boyd, Encyclopedia of Historians and Historical Writing, Taylor & Francis, 1999, p. 883.
  4. Il vient probablement d'Orléans.
  5. Christopher Tyerman, « Orderic Vitalis », dans Who's Who in Early Medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 109. (ISBN 0856831328).
  6. Marjorie Chibnall, ibid, p.23 et 29.
  7. Véronique Gazeau, « Orderic Vitalis » dans André Vauchez, Richard Barrie Dobson, Adrian Walford, Michael Lapidge, Encyclopedia of the Middle Ages, Routledge, 2000, p. 1050.
  8. il reproduisit en particulier l’Historia ecclesiastica de Bède le Vénérable.
  9. François Neveux, ibid, p. 344.
  10. En français, l’Histoire ecclésiastique.
  11. Marjorie Chibnall, ibid, p. 1.
  12. François Neveux, ibidem, p. 344 et Véronique Gazeau, ibidem.
  13. Pour se guider dans cette imposante œuvre de près de 2000 pages, voir [pdf] cette table des matières.
  14. François Neveux, ibid, p. 343.
  15. Kathleen Troop, ibid, p. 884.
  16. Véronique Gazeau, ibidem.
  17. Kathleen Troop, ibid, p. 883.
  18. Marjorie Chibnall, ibid, p. 25.
  19. Kathleen Troop, ibidem.
  20. Kathleen Thompson, « Orderic Vitalus and Robert of Bellême », dans Journal of Medieval History, 20, 1994, p. 131-144.

Bibliographie

  • Léopold Delisle, Notice sur Orderic Vital, 5e et dernier volume de l'édition de l’Historiae ecclesiasticae d'Orderic Vital, publiée par Auguste Le Prévost pour la Société de l'histoire de France, 1855.
  • Christopher Tyerman, « Orderic Vitalis », dans Who's Who in Early Medieval England, 1066-1272, Éd. Shepheard-Walwyn, 1996, p. 109-110. (ISBN 0856831328).
  • François Neveux, la Normandie des ducs aux rois. Xe-XIIe siècle, Rennes, Ouest-France, 1998
  • Kathleen Troup, « Orderic Vitalis » dans Kelly Boyd, Encyclopedia of Historians and Historical Writing, Taylor & Francis, 1999, p. 883-884
  • Véronique Gazeau, « Orderic Vitalis » dans André Vauchez, Richard Barrie Dobson, Adrian Walford, Michael Lapidge, Encyclopedia of the Middle Ages, Routledge, 2000, p. 1050
  • Marjorie Chibnall, « General Introduction » in The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, vol. 1, Oxford, 1969
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