Opération “Turquoise”

Opération “Turquoise”

Opération Turquoise

GÉNOCIDE AU RWANDA

Rwanda
Histoire du Rwanda
Populations des Grands Lacs
Ethnisme au Rwanda

Introduction
Événements initiaux
Causes du génocide
Acteurs rwandais
Communauté internationale
Institutions religieuses
Particularités du génocide
Conséquences du génocide
Justice internationale (TPIR)
Médias
Négationnisme

Glossaire et compléments
Bibliographie

L’opération Turquoise est une opération militaire organisée par la France au Rwanda à la fin du génocide au Rwanda. Elle était dirigée par le général français Jean-Claude Lafourcade. C'est une opération de l'ONU décidée par la résolution n° 929 du Conseil de sécurité qui précise :

« ...donne son accord à ce qu'une opération multinationale puisse être mise sur pied au Rwanda à des fins humanitaires jusqu'à ce que la MINUAR soit dotée des effectifs nécessaires. » Elle doit être « ...une opération temporaire, placée sous commandement et contrôle nationaux, visant à contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda. »

Opération de l'ONU comme la Minuar, le statut de l’opération Turquoise lui donne plus de moyens militaires puisqu'il se réfère au chapitre VII [1] de la Charte de l'ONU (Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression), contrairement à la Minuar qui relève du chapitre VI [2] (Règlement pacifique des différends).

Sommaire

La genèse

Médecins sans frontières avait lancé dans le Monde du 18 avril 1994 un appel célèbre : « On n'arrête pas un génocide avec des médecins ».[3]

Après avoir voté la réduction des effectifs de la Minuar le 21 avril 1994, la France devint très active à l'ONU dans les discussions sur le renforcement de la Minuar en mai 1994. Les Tchèques et les Néo-zélandais notamment souhaitaient renforcer la Minuar. Mais l'ONU ne parvenait pas à se mettre d'accord pour que cette Minuar 2 se mette rapidement en place. Devant ce qu'elle qualifie comme une inertie de la communauté internationale, la France obtint difficilement[4] l'aval du Conseil de Sécurité de l'ONU, pour conduire l'opération Turquoise, du 22 juin au 21 août 1994, date prévue du renforcement de la Minuar tant demandé par son commandant depuis le début du génocide. La difficulté de l'obtention de cette mission était liée à la perception que de nombreux pays avaient de la politique de la France au Rwanda et de ses intentions réelles ou supposées, compte tenu de son implication au Rwanda depuis plusieurs années, de son opposition au FPR, et du fait qu'elle ait été le seul pays à reconnaître le Gouvernement intérimaire rwandais, responsable du génocide[5]. Ce débat existait également au sein de l'Etat français. Face aux tenants[6] d'une intervention militaire pour s'opposer au FPR, Édouard Balladur, alors premier ministre, précisait par écrit le 21 avril au Président François Mitterrand qu'une des conditions de réussite de l'opération nécessitait de « limiter les opérations à des actions humanitaires et de ne pas nous laisser aller à ce qui serait considéré comme une expédition coloniale au cœur même du territoire du Rwanda »[7]. En outre, la présence française était limitée à deux mois.

La France rédigea elle-même la résolution 929 du Conseil de sécurité[réf. nécessaire]. Quelques pays africains[8] acceptèrent de se joindre à la France dans cette opération.

Le déroulement de l'opération

Le lancement, le 22 juin 1994

Cette opération fut conduite à partir du Zaïre. L'ordre de mission de Turquoise du 22 juin 1994 dispose que l'armée française doit pénétrer au Rwanda à partir de Gisenyi, au nord-ouest du Rwanda, et par Cyangugu au sud-ouest du Rwanda.

L'objectif affirmé est de protéger, dans une "zone humanitaire sûre", les « populations menacées » aussi bien par le génocide que par le conflit militaire entre le FPR et le gouvernement intérimaire rwandais. Aucune hiérarchie n'est établie entre les personnes menacées par le génocide et celles qui sont menacées par les effets collatéraux du conflit armé . Elles étaient assimilées aux deux parties d'un conflit militaire. Le génocide était donc perçu comme un phénomène collatéral de la guerre. Il était ordonné de rester neutre entre ces parties. En particulier, il n'était pas question de procéder à des arrestations de responsables du génocide. La mission avait pour but de faire cesser les massacres en incitant les Forces armées rwandaises (responsables du génocide) à rétablir leur autorité[9]. La neutralité de l'intervention fut critiquée en particulier par Jean-Hervé Bradol, responsable de programme à Médecins sans Frontières, une opération simplement humanitaire lui paraissant largement insuffisante pour stopper un génocide[10].

La composition de la force Turquoise

La force comptait 2 550 militaires de l'armée française et 500 autres venus de sept pays d'Afrique (Sénégal, Guinée-Bissau, Tchad, Mauritanie, Égypte, Niger et Congo). Elle a bénéficié d'une couverture satellitaire de l'Union de l'Europe occidentale qui lui a permis de localiser les camps de réfugiés et les colonnes en mouvement. La flotte d'Antonov du trafiquant d'armes Viktor Bout a pour l'occasion été utilisée par l'armée française pour le transfert du matériel et des troupes [11].

Unités françaises engagées :

Les premières interventions

Un commando explore le nord du Rwanda jusqu'aux environs de Kigali

Les Tutsi du camp de Nyarushishi

Sauvetages de populations diverses

Massacre de Tutsis à Bisesero

Article détaillé : Bisesero (1994).

Bisesero est une chaine de collines de l'ouest du Rwanda, au sud de Kibuye, où 65 000 Tutsis sont enterrés dans un mémorial. Ils ont été massacrés pendant le génocide.

Bisesero faisait partie de la zone nord de l'opération Turquoise. Au début de l'opération Turquoise, les commandos du COS avaient reçu des informations fausses des autorités rwandaises selon lesquelles des infiltrés du FPR seraient concentrés à Bisesero. En réalité il s'agissait de rescapés affaiblis par trois mois de résistance au génocide. Alertés par des journalistes, un détachement du COS découvre le 27 juin 1994 quelque dizaines de ces réfugiés et constate la réalité. Trois jours plus tard le 30 juin 1994, un autre détachement retrouve ces rescapés et leur porte secours. Mais la moitié d'entre eux a été massacrée entre temps, soit environ un millier sur les deux mille restant. Ces événements donneront lieu à une vive polémique en 1998 : Pourquoi l'armée a-t-elle attendu trois jours pour porter secours à ces rescapés ? Les informations du premier détachement ont-elles bien été transmises à sa hiérarchie ? Celle-ci en a-t-elle tiré les conséquences ? Le deuxième détachement a-t-il découvert les rescapés par hasard ? A-t-il reçu l'ordre de les secourir ? A-t-il agi de sa propre initiative ? Cette polémique sera ravivée en 2005 par des plaintes de Rwandais devant le tribunal aux armées de Paris.

L'affrontement avec l'armée du Front patriotique rwandais

Selon le mandat attribué par l'ONU, tout contact militaire hostile entre militaires de l'Opération Turquoise et FPR devait être évités. Cependant, des affrontements militaires ont eu lieu avec les soldats du FPR de Paul Kagame autour du 2 juillet 1994.

La création de la Zone Humanitaire Sûre

Une zone humanitaire sûre fut créée au sud-ouest du Rwanda, visant à empêcher les affrontements entre les Forces armées rwandaises du gouvernement génocidaire et le Front patriotique rwandais qui gagnait du terrain. Cette zone servit alors de refuge à plusieurs responsables du gouvernement intérimaire rwandais qui purent ensuite passer au Zaïre. En particulier, le 17 juillet 1994, un convoi des FAR s'arrête dans une villa de Cyangugu, dans le sud de la ZHS contrôlée par les Français. Le commandant du secteur, le lieutenant-colonel Jacques Hogard, s'assure de l'identité des membres du convois, avec un groupe de commandos du 2e REP (Régiment étranger parachutiste), et identifient deux génocidaires: le président de la République, Théodore Sindikubwabo, et le ministre des Affaires étrangères, Jérôme Bicamumpaka. Bien que la Convention de l'ONU sur le génocide permettait leur arrestation, les militaires français leur donnent 24 heures pour « foutre le camp », et demandent des ordres à Paris. Le lendemain, les ordres tombent, mais le convoi d'une centaine de personnes est déjà passé au Zaïre [12].

Le repli des forces génocidaires au Zaïre

Désarmement symbolique et non-arrestation des génocidaires

Le rapport parlementaire français montrera de nombreux éléments qui attestent que le désarmement des génocidaires fut insuffisant, et qu'aucune arrestation de génocidaires n'a eu lieu. Lors de son audition, M. Juppé, ministre des affaires étrangères en 1994, arguera que « compte tenu des effectifs affectés à l’opération Turquoise, il n’a pas été possible d’y procéder à l’arrestation de probables criminels de guerre, le Conseil de Sécurité de surcroît n’ayant jamais accordé un tel mandat »[13].

D'après la Commission d'enquête citoyenne[14], les autorités françaises auraient fourni des passeports à plusieurs membres du gouvernement interimaire rwandais, aujourd'hui tous jugés ou en attente de jugement devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Le choléra dans les camps de réfugiés au Zaïre

Les militaires de l'Opération Turquoise furent confrontés à une grave épidémie de choléra qui se déclara dans les camps des réfugiés Hutus à Goma, au Zaïre. Près de 100000 consultations médicales et 25000 vaccinations furent effectuées[15].

Médecins sans frontières quitta les camps de réfugiés au Zaïre en novembre 1994 devant le constat de la mainmise des génocidaires sur les camps. Selon Médecins sans frontières :

les camps [...] sont transformés en base arrière pour la reconquête du Rwanda via les détournements massifs de l'aide, la violence, les recrutements forcés, la propagande et les menaces contre les candidats au rapatriement.

Le départ du Commando des opérations spéciales

Le départ de la force Turquoise le 21 août 1994

Les controverses soulevées par cette opération

La classe politique française fut presque unanimement en faveur de cette opération. Valéry Giscard d'Estaing fut l'un des rares hommes politiques français à critiquer ouvertement l'existence même de cette opération, le 7 juillet 1994 par des propos rapportés par le journal Le Monde : « ...Qu’est-ce qu’on va faire ?, s’est interrogé l’ancien Président de la République. Il y a des Tutsi qui avancent. Est-ce qu’on va s’opposer à leur avance, de quel droit ?, s’est-il exclamé. Actuellement on a les Tutsi qui avancent, c’est-à-dire les victimes et on a derrière nous une partie de ceux qui ont procédé aux massacres... ».

Les réticences des ONG

Les ONG ne s'associèrent pas tout de suite au rôle humanitaire que l'armée attendait d'elles.

Les relations entre les responsables de la Minuar et ceux de Turquoise

Les articles de Patrick de Saint-Exupéry dans le Figaro

Après ceux de 1994, les articles Patrick de Saint-Exupéry relancèrent en 1998 la controverse sur la politique de la France au Rwanda, l'opération Turquoise et plus particulièrement les événements de Bisesero dont il fut un des témoins principaux. En 2004, il reprit son analyse dans un livre[16]. Il est généralement reconnu que le travail de Patrick de Saint-Exupéry est à l'origine de la création de la Mission d'information parlementaire sur le Rwanda en 1998.

L'attitude française à l'égard des génocidaires

Procédure judiciaire en France

En juin 2004, selon leurs avocats qui se sont exprimés lors d'une conférence de presse le 3 février 2005, trois femmes Tutsi ont porté plainte contre X pour viol par des militaires français devant la justice française.

Une seconde série de plainte pour "complicité de génocide et complicité de crimes contre l'humanité" a été déposée en février 2005 par six survivants (cinq hommes et une femme de l'ethnie tutsie) des massacres de 1994 au Rwanda. Ils accusent de complicité dans le génocide des soldats français engagés dans l'opération Turquoise, menée entre juin et août 1994 au Rwanda sous mandat de l'ONU. Selon les plaignants, des soldats français auraient aidé les miliciens "Interahamwe", principaux auteurs du génocide, à débusquer leurs victimes et ont commis eux-mêmes des exactions.

Cette plainte donne lieu à une controverse politique et judiciaire car le gouvernement français a toujours nié tout rôle dans le génocide.

Une instruction est en cours au Tribunal militaire aux armées de Paris (TAP).

Le 29 mai 2006, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a validé cette plainte[17] Elle a ainsi rejeté une requête du parquet de Paris qui estimait que quatre de ces plaignants n'avaient pas qualité à agir car ils n'avaient pas subi de préjudice direct.

Le 3 juillet 2006 une seconde décision de la Cour d'appel de Paris a débouté le parquet de sa demande d'annulation des auditions des six plaignants rwandais, faites à sa demande au Rwanda fin 2005 par le juge d'instruction Brigitte Raynaud.

La juge Florence Michon a pris la suite de Brigitte Reynaud en 2007 [18].

Des témoignages de Rwandais connus en 2004

Voir aussi

Liens internes

Liens externes

Notes et références

  1. Chapitre VII de la Charte des Nations unies
  2. Chapitre VI de la Charte des Nations unies
  3. Appel de MSF On n'arrête pas un génocide avec des médecins
    Le 14 juin 1994, François Mitterrand dira au personnel de MSF à propos du Gouvernement intérimaire rwandais : « C’est une bande d’assassins. D’ailleurs, j’ai eu Agathe Habyarimana à la maison. C’est une folle qui voulait lancer un appel à la continuation du génocide sur les radios périphériques françaises. On a eu du mal à la calmer. Maintenant on en a marre, on va intervenir, on va essayer de mettre de l’ordre dans tout ça et de sauver des gens. » Ensuite, le président de la République leur annonce l’opération Turquoise et Jean-Hervé Bradol commente : « Il y a un changement de la position française. […] De ce que j’ai vécu comme une position de neutralité bienveillante vis-à-vis du gouvernement intérimaire, on passe à une position humanitaro-hostile. Ces gens là deviennent beaucoup moins fréquentables qu’avant. En France, on commence à comprendre qu’il va y avoir un problème politique international majeur pour la France et on se lance dans l’opération Turquoise . » Rapport Commission enquête citoyenne l'Horreur qui nous prend au visage Karthala, page 413.
  4. Cinq membres du Conseil de Sécurité choisirent de s'abstenir. cf Rapport de la mission d'information sur le Rwanda
  5. « C’est en partie en raison de son attitude par rapport au gouvernement intérimaire qu’il lui fut difficile de faire accepter le caractère strictement humanitaire de l’opération Turquoise, puisque certains y voyaient une intention cachée de soutien au régime qui organisait le génocide. », Rapport de la mission d'information sur le Rwanda, p.362. Voir aussi [1], fichier auditio1.rtf, p.212-214
  6. Dans son audition par la mission parlementaire d'information sur le Rwanda, M. Balladur ne précise pas qui est partisan d'une telle intervention, et la mission parlementaire ne le lui demande pas. M. Juppé, alors ministre des Affaires Etrangères, précise que le gouvernement était unanimement de l'avis d'une intervention humanitaire. cf [2], fichier auditio1.rtf, p.85, p.107, p.111
  7. Rapport de la Mission d’information sur le Rwanda, annexe 9-Turquoise, p.373, [3], cité également par Patrick de Saint-Exupéry, L'inavouable, la France au Rwanda, Les Arènes (2004) (ISBN 2-912485-70-3), p.101
  8. le Sénégal, la Mauritanie, le Niger, l’Egypte, le Tchad, la Guinée Bissau et le Congo, cf Rapport de la mission d'information sur le Rwanda, [4], p.312
  9. extrait de l'ordre des opérations de Turquoise, en date du 22 juin 1994 : « Affirmer, auprès des autorités locales rwandaises, civiles et militaires, notre neutralité et notre détermination à faire cesser les massacres sur l'ensemble de la zone contrôlée par les forces armées rwandaises en les incitant à rétablir leur autorité ». Cité par Patrick de Saint-Exupéry, L'inavouable, la France au Rwanda, Les Arènes (2004), p.143-144. Au vu de cette ordre, Patrick de Saint-Exupéry jugera l'opération Turquoise comme une mystification.
  10. Rapport de la mission d'information sur le Rwanda, [5], p.312
  11. Laurent Léger, Trafic d’armes, Bout Turquoise, Bakchich, 20 septembre 2006
  12. David Servenay, Quand la "France officielle" parle du génocide rwandais, Rue 89, 7 avril 2008
  13. cf [6], fichier auditio1.rtf, p.94
  14. initiée par les associations Survie, Aircrige, la Cimade, l'Obsarm et des personnalités universitaires françaises
  15. Audition de M. Léotard, ministre de la défense en 1994, par la mission d'information sur le Rwanda. M. Léotard précisa que « l’opération Turquoise pouvait se résumer à la formule : “ un million de réfugiés protégés par un millier d’hommes”», semblant oublier que ces réfugiés étaient pour beaucoup les auteurs du génocide. cf [7], fichier auditio1.rtf, p.95
  16. « L'inavouable, la France au rwanda » Les arènes - 2004
  17. Validation des plaintes visant l'armée française au Rwanda, dépêche Reuters, 29 mai 2006.
  18. Dépêche AFP 20 février 2006 citée par Pressafrique.com


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