Offense au chef de l'État (droit français)

Offense au chef de l'État (droit français)
Icône de paronymie Cet article possède un paronyme, voir : Outrage à chef d'État.

L'offense au chef de l'État est régie en France, par les articles 23, 26, 36 et 37 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, dans le but de réprimer les offenses envers des personnalités, protégées en raison des fonctions qu'elles occupent :

Pour ces derniers délits, la loi du 15 juin 2000 a supprimé les peines d’emprisonnement (mais une amende de 300 000 F subsiste : 45 734,71 €). Le délit d'offense au chef de l'État est considéré par ses détracteurs comme une survivance tardive du crime de lèse-majesté.

Sommaire

L'offense aux chefs d'État et de gouvernements étrangers

Loi

Article 36 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

Abrogation

Le délit d'offense à chef d'État étranger a été supprimé par l'article 52 de la loi Perben II du 9 mars 2004, suite à une condamnation de la France par un arrêt du 25 juin 2002 devant la Cour européenne des droits de l'homme (affaire Colombani et autres contre France) [1]. La 17e Chambre correctionnelle de Paris avait déjà déclaré ce délit contraire à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme défendant le droit à la liberté d'expression, constatant par conséquent sa désuétude, et déboutant les chefs d'Etat Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo, à l'occasion de la sortie du livre Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ? (F.-X. Verschave, les Arènes, 2000) [2],[3].

L'offense au président de la République

L'offense au président de la République est un délit prévu par l'article 26 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881[4], défini par le fait d'offenser le président de la République.

Peines

Initialement puni de trois mois à un an d'emprisonnement et/ou de 300 à 300 000 francs d'amende, les peines planchers ont été supprimées par la loi du 16 décembre 1992[5], puis la loi du 15 juin 2000 a supprimé la peine de prison pour ne laisser que l'amende[6], qui a ensuite été convertie à 45 000 euros par l'ordonnance du 19 septembre 2000[7].

Jurisprudence

Sous la présidence du général de Gaulle, les nombreuses poursuites engagées sur la base de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 ont permis de définir plus précisément le délit d'offense au président de la République et les conditions d'application de ce texte.

Le délit a été défini de manière constante comme « toute expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire qui, à l'occasion tant de l'exercice de la première magistrature de l'État que de la vie privée du président de la République antérieure à son élection, sont de nature à l'atteindre dans son honneur ou dans sa dignité »[8].

L'offense peut se trouver constituée par des écrits ou des paroles dès lors qu'ils sont publics, mais également par un dessin ou un photomontage. Les mobiles du délit étant indifférents, une condamnation peut être prononcée à raison d'une controverse politique, voire d'une simple critique historique.

Le général de Gaulle a fait usage plus de 500 fois de ce chef d'accusation et Georges Pompidou une fois. Le dernier cas d'usage de l'offense date de 2008 sous Nicolas Sarkozy (affaire « Casse toi, pov' con ! », août 2008[9]). Par un arrêt rendu le 4 novembre 2009, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par Hervé Eon. Ce dernier a donc vu sa peine de 30 euros d'amende avec sursis pour "offense au chef de l'Etat" confirmée.

Critique

Le 19 novembre 2008 une proposition de loi visant à abroger le délit d'offense au Président de la République - « transposition dans le droit républicain du crime de lèse-majesté d'ancien régime » - a été déposée par le sénateur Jean-Luc Mélenchon[10] :

« L'ambiguïté qui entoure le délit d'offense au Président est illustrée par l'utilisation pénale très fluctuante qui en a été faite depuis sa création. L'essentiel des poursuites pour offense ont été engagées au début de la Ve République par le Général de Gaulle dans un contexte complètement révolu aujourd'hui où la vie du chef de l'État avait été menacée à plusieurs reprises. Hormis cette période troublée, l'utilisation de cette incrimination est restée extrêmement marginale et arbitraire, ce qui traduit à la fois sa faible utilité et justification juridique. Il n'a ainsi été utilisé que 6 fois en 59 ans sous la IIIe République et n'a entraîné aucune poursuite sous les présidences successives de MM. Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac qui ont refusé d'y avoir recours. »


La légalité du délit d’offense au chef de l’état

DMI n°5: L’article 10, § 2, de la Convention européenne exige que toute ingérence étatique dans la liberté d’expression soit prévue par la loi. Il s’agit là du nécessaire respect du principe de légalité qui sous-tend toute immixtion dans de nombreux droits et libertés protégés par la Convention. Et, dans le cadre de la protection du droit au respect de la vie privée, la France a fait l’objet de plusieurs constats de violation de l’article 8 de la Convention au motif que l’ingérence étatique n’était pas prévue par la loi (notamment en matière d’interceptions de télécommunications : CEDH, 24 avril 1990, Kruslin c/ France)

Pour ce qui concerne le délit d’offense au président de la République, celui-ci est prévu par l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Or, en application d’une jurisprudence européenne établie, la loi de 1881 représente un fondement juridique indiscutable au regard de l’exigence de légalité (CEDH, 7 novembre 2006, MAMERE c/ France).

Toutefois, il convient de souligner qu’au-delà de sa dimension formelle, l’exigence de légalité impose des obligations matérielles. Il ne suffit pas qu’une norme préalable existe pour considérer que la première condition relative aux ingérences étatiques est nécessairement satisfaite. Encore faut-il que, dans une dimension matérielle de la légalité, la norme en cause soit précise et prévisible. En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme exige « une infraction ... clairement définie par la loi » pour que le « justiciable puisse savoir à partir du libellé de la clause pertinente […] quels actes et omissions engagent sa responsabilité » (CEDH, 22 novembre 1995, C.R. et S.W. c/ Royaume-Uni). Le législateur ne saurait donc avoir recours à une définition large des infractions consistant à employer des expressions génériques afin de décrire les comportements prohibés. Or, le délit d’offense au président de la République, tel que prévu par l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881, ne fait l’objet d’aucune définition, contrairement à la diffamation, définie comme « toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne […] » (article 29, al 1, de la loi de 1881), et à l’injure, comprise comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d’aucun fait » (article 29, al 2, de la loi de 1881). Faute de définition, le délit d’offense, apparaît donc susceptible de fonder la poursuite d’un grand nombre de comportements, y compris de simples opinions critiques à l’égard du pouvoir politique.

Il convient, toutefois, de noter que, dans l’arrêt COLOMBANI c/ France, la Cour de Strasbourg a insisté sur le fait que « c'est le régime dérogatoire de la protection accordée par l'article 36 aux chefs d'Etat étrangers qui est attentatoire à la liberté d'expression, et nullement le droit pour ces derniers de faire sanctionner les atteintes à leur honneur, ou à leur considération, ou encore les propos injurieux tenus à leur encontre, et ce, dans les conditions de droit communes à toute personne ». En d’autres termes, la Cour européenne des droits de l’homme considère que la fonction présidentielle mérite protection, mais pas à n’importe quel prix. En particulier, selon la Cour, il faut attribuer au prévenu des moyens de défense équivalents à ceux dont il aurait disposé en matière de diffamation ou d’injure. Or, le bénéfice de l’exception de vérité ou de l’excuse de provocation ne peut être appliqué hors les hypothèses où la loi de 1881 le prévoit (articles 33, alinéa 2, et 35). Reste alors l’exception de bonne foi qui s’applique, hors de toute prévision légale, en matière de diffamation (Civ. 2, 8 avril 2004). DMI n°5

Références

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