Médéric Lanctôt

Médéric Lanctôt

Médéric Lanctot (7 décembre 1838 - 30 juillet 1877) est un avocat, un journaliste et un homme politique canadien.

Dans le mois de novembre 1838, Hippolyte Lanctot, notaire de Saint-Rémi, l'un des plus ardents patriotes de cette époque, était arrêté pour avoir pris part à l'insurrection. Le huit décembre suivant, sa femme, qui s'était transportée à Montréal pour être plus près de lui, mettait au monde un fils qu'on baptisa sous le nom de Médéric. Quelque temps après, le père était déporté en Australie, où il subissait un long et cruel exil. Madame Lanctot, restée seule et presque sans ressources, trouva dans l'amour maternel la force dont elle avait besoin pour élever ses enfants, et s'attacha d'une manière spéciale à celui qui venait de naître dans des circonstances si émouvantes.

La naissance de cet enfant, à la porte, en quelque, sorte, de la prison où son père attendait l'issue d'un procès qui allait peut-être le conduire à l'échafaud, excita la sympathie publique et donna lieu à toute espèce de conjectures. Il semblait que le nouveau-né devait nécessairement porter l'empreinte de cette époque tourmentée, avoir dans le sang et le caractère quelque chose des ardeurs et des violences de ces temps néfastes et glorieux. On s'aperçut bientôt, en effet, que ce n'était pas un enfant ordinaire; on était surpris de voir dans ce petit garçon à la tête blonde, à la peau fine, aux traits et aux membres délicats, qui ressemblait à une petite fille tant de volonté, de pétulance et de hardiesse. " C'est un petit diable," disaient les gens. Sa mère, qui l'adorait, souriait, ne voyant que le bon côté de cette riche nature qui se dilatait avec tant de force et s'épanouissait comme une gerbe de feu.

À neuf ans, il entrait au Collège Antoine-Girouard, et se faisait bientôt remarquer; personne n'apprenait plus vite, mais aucun élève aussi n'était plus dissipé, plus insoumis ; il était de tous les complots, de toutes les révoltes contre l'autorité', de toutes les équipées. 11 poussa les choses jusqu'à mettre le feu au collège. C'était un peu fort, il reçut ordre de faire son paquet. Il s'en alla, et entra, en qualité de commis, chez M. Cuvillier, de Montréal. Une grande discussion s'étant, un jour, élevée dans le bureau, M. Cuvillier remarqua la vivacité et la force d'esprit de son commis, et ne put s'empêcher de lui dire qu'il n'était pas à sa place, qu'il devait se faire avocat. Lanctot saisit la balle au bond ; mais sur l'avis de M. Doutre, qui avait déjà remarqué quelques-unes des compositions du jeune Médéric, il prit la rédaction du Courrier de St-Hyacinthe, qui était alors l'un des organes du parti libéral. Pendant deux ans, il fit la polémique dans ce journal avec une vigueur et une habileté qui le firent considérer comme une étoile naissante du parti libéral.

En 1858, il allait à Montréal étudier le droit sous MM. Doutre et Daoust, et se signalait bientôt à l'attention publique, en jetant des pierres dans les vitres du cabinet de lecture paroissial, fondé en opposition à l'Institut canadien. À peu près dans le même temps, il succédait à M. Dessaulles comme rédacteur du Pays. Il n'avait pas vingt ans, et on l'appelait à remplacer le journaliste le plus redoutable que le Canada ait probablement produit. Lanctot se jeta, tête baissée, dans la lutte, fit quelquefois des avancés et des expositions de principes qui, aujourd'hui, soulèveraient des tempêtes formidables, mais montra généralement assez de modération.

Il parut en même temps sur les hustings et prouva qu'il avait en lui non-seulement l'étoffe d'un écrivain, mais encore celle d'un orateur. En 1860, il se faisait recevoir avocat et quittait, peu de temps après, la rédaction du Pays pour se consacrer exclusivement à sa profession. Son amour du travail, son activité, son esprit perspicace, fertile en expédients, et sa parole vigoureuse et argumentative, lui firent en peu de temps une belle clientèle. Il est malheureux qu'il ne se soit pas consacré exclusivement au barreau, au moins pendant plusieurs années ; il y aurait trouvé la fortune et la renommée qu'il convoitait, et ce joug salutaire des lois dont son esprit aventureux avait-tant besoin. Mais tous les freins, toutes les contraintes répugnaient à ce caractère fougueux, à cet esprit indomptable.

Après un voyage en Europe, qu'il fit pour refaire sa santé sérieusement affectée, il voulut avoir un journal à lui, et fonda la Presse. Il était heureux ; journaliste et avocat, il avait de quoi satisfaire son activité intellectuelle, son besoin d'agitation ; il plaidait et il écrivait sans cesse, interrompant souvent un article de journal pour aller à la cour continuer une enquête ou une plaidoirie. Pour conserver sa clientèle à laquelle il enlevait une trop grande partie de son temps, il forma une société avec M. Laurier.

En 1864, Sir John A. Macdonald et Sir Georges-Étienne Cartier, ne pouvant plus se maintenir au pouvoir, s'allièrent aux chefs anglais du parti libéral pour faire la Confédération. Ce coup surprit le pays et jeta l'inquiétude dans le Bas-Canada; il y eut un moment où le parti conservateur menaça de se diviser : la Minerve elle même hésita. Lanctot crut que l'occasion était bonne pour frapper un grand coup ; il se fit habilement l'écho des craintes et des mécontentements que soulevait le projet ministériel, arbora le drapeau de l'union et invita la jeunesse canadienne, dans ses écrits enflammés, à s'y rallier pour combattre le danger qui menaçait la patrie. La jeunesse conservatrice s'assembla pour délibérer sur la situation ; la discussion fut vive parfois, mais la majorité ne voulut pas se séparer de ses chefs ; les autres s'unirent à Lanctot et à quelques-uns de ses amis libéraux pour fonder l'Union Nationale, qui eut pour rédacteurs : MM. Lanctot, Ludger Labelle, Henri-Benjamin Rainville (le juge), Louis-Amable Jetté, D. Girouard, Laurent-Olivier David, J.-X. Perreault, J.-M. Loranger, Chs de Lorimier, Audet, Longpré et Letendre.

Le programme de ces jeunes gens, unis par un sentiment patriotique, était de combattre, par la plume et la parole, le changement de constitution proposé, de démontrer que ce régime politique, suggéré par Lord Durham pour anglifier le Bas-Canada, finirait par mettre le peuple à la merci d'une majorité antipathique des droits religieux et nationaux du Canada français. Ils dénoncèrent surtout l'intention qu'avait le gouvernement de changer la constitution sans consulter le pays, convoquèrent des assemblées publiques et firent signer des pétitions demandant l'appel au peuple. Lanctot déploya dans cette croisade une énergie, une activité, un esprit d'organisation et un talent d'écrivain et d'orateur qu'on ne pouvait se lasser d'admirer.

Ses collaborateurs le croyaient sincère, et il l'était autant qu'il pouvait l'être ; il avait la conviction intime que le droit de veto et le pouvoir accordé aux provinces anglaises d'augmenter leur représentation proportionnellement à leur population, pendant que le Bas-Canada était condamné à garder toujours le même nombre de députés, nous mettraient sous la dépendance d'une majorité qui irait toujours grossissant, et que tôt ou tard il surgirait des conflits où nous serions écrasés. Il pensait et disait que la Confédération était une œuvre prématurée, que la nation n'était pas assez riche pour acheter les territoires qu'elle offrait et construire les chemins de fer qu'on demandait, qu'avant de tant allonger aux deux extrémités, il fallait renforcEr au centre.

Aux événements de dire jusqu'à quel point nous avions raison. Dans tous les cas, les peines des rouges furent perdues, leur croisade ne servit à rien, et ils ne purent pas même obtenir l'appel au peuple ; la Confédération fut votée par une grande majorité. Lanctot n'eut plus dès lors qu'une pensée, un but, celui de se présenter aux prochaines élections générales de 1867, dans la division est de Montréal. Il commença par se faire élire au Conseil-de-Ville, et, dans l'hiver de 1867, il entreprit, au sein des classes ouvrières, un travail d'organisation gigantesque. Dans le printemps, il avait sous la main la plus puissante association qu'on eût encore vue dans le pays ; chaque corps de métier avait son organisation spéciale, son bureau de direction et ses officiers, et se reliait à une administration centrale.

On ne peut se faire une idée de ce qu'il fallut d'énergie et d'habileté à Lanctot pour obtenir ce résultat; tous les soirs, pendant trois ou quatre mois, il tint des assemblées dans toutes les parties de la ville, faisant chaque fois trois ou quatre discours. Un soir, dans le mois de juin, une immense procession aux flambeaux parcourait les rues de Montréal; le coup d'œil était magnifique, tout le monde était sur la rue ou dans les fenêtres. En tête de la procession brillait un soleil dont les rayons illuminaient le portrait du héros du jour, puis venait Lanctot lui-même dans un carrosse tiré par quatre chevaux et suivi de plusieurs milliers d'ouvriers portant des insignes, des inscriptions de toutes sortes, et criant : " Vive Lanctot ! " Jamais on n'avait vu pareil triomphe.

Si les élections avaient eu lieu quelques jours après, Lanctot aurait été élu par 1 000 à 1 200 voix de majorité. Mais toute sa vie, faute de tact et de modération, il perdit en un instant le fruit de ses luttes et de ses travaux ; il était à peine au capitole, qu'il avait un pied sur la roche tarpéienne. Pour achever d'enlever le peuple, il s'était mis dans la tête d'établir des magasins à bon marché, où tous les membres de l'association, pouvaient se procurer au prix coûtant le thé, le sucre, le riz, tous les objets de consommation domestique. C'était absurde ; il aurait fallu des capitaux énormes pour soutenir une pareille entreprise, et il n'avait pas un sou ; lorsque les élections arrivèrent, les magasins à bon marché étaient fermés.

Ce n'est pas tout ; comme il lui fallait de l'argent pour mettre à exécution tous ses plans gigantesques, il résolut de faire fortune : il acheta des carrières et des mines de toutes sortes, et, comme il ne doutait de rien, il crut réellement que sa fortune était faite. Mais ayant refusé, dans un moment d'impatience ridicule, de donner à un nommé Sinotte une misérable somme de $150.00, Sinotte exaspéré vendit aux conservateurs des lettres compromettantes qui lui firent perdre le contrat qu'il avait obtenu de la corporation et lui enlevèrent au moins deux cents votes.

Voici le bouquet. Se promenant, un jour, autour de la montagne avec un ami, celui-ci remarqua sur le bord du chemin des rochers dont la vue le frappa. Il descendit de voiture et s'écria : " Lanctot il y a ici une mine de fer, venez voir." Lanctot s'élança de la voiture, examina les rochers que son ami lui montrait, et fut convaincu que c'était bien vrai. Nos deux amis, enthousiasmés, poussèrent leurs explorations plus loin, chargèrent leur voiture de cailloux et s'en retournèrent chez eux avec la certitude que la montagne de Montréal était pleine de fer.

Quels rêves Lanctot fit cette nuit-là ! Ce n'est pas seulement du fer qu'il vit dans ces rêves, mais de l'or, de l'or en quantité infinie. Son ami, qui était chimiste, analysa les cailloux qu'ils avaient emportés et constata bel et bien la présence du fer. Deux jours après, Lanctot était aux États-Unis, en conférence avec de grands capitalistes ; un chimiste était envoyé à Montréal pour visiter les lieux, un rapport favorable était fait, Lanctot achetait la moitié de la montagne de Montréal, et en vendait une partie à un Américain de New York. Lanctot avait été mystérieux jusque-là, il ne parlait que par monosyllabes; il ne marchait plus, il volait; ses voyages aux États-Unis, ses visites à la montagne, le soir, la nuit même, piquèrent la curiosité de ses amis ; on lui demandait s'il avait trouvé la pierre philosophale : " Mieux que cela," répondait-il d'un air triomphant. Enfin, il éclata un jour, on lut dans l'Union Nationale que M. Lanctot aurait besoin bientôt de 500 à 600 ouvriers pour travailler dans les mines de fer que la montagne de Montréal recelait. Un grand nombre le crurent et préparèrent leurs piques et leurs pelles, les autres hochèrent la tête et crurent que les mines de fer de la montagne ne tourneraient pas mieux que les carrières et les magasins à bon marché.

Tout cela se passait dans les huit jours qui précédèrent la votation ; jusqu'au dernier moment, l'opinion du peuple avait paru favorable à Lanctot ; le jour de la nomination, les deux partis en étaient venus aux mains et les partisans de Lanctot étaient restés maîtres du terrain; toutes les assemblées qui avaient eu lieu avaient été chaque fois des ovations pour le candidat des ouvriers. Mais M. Cartier avait, en reculant le plus possible l'élection, prévu ce qui arriverait. Malgré tout, Lanctot aurait peut-être été élu si, dans son exaltation, il n'avait pas promis à ses comités tout l'argent dont ils auraient besoin. Plusieurs de ces comités passèrent une partie de la première journée de l'élection à attendre vainement l'argent promis. Le deuxième jour, quand Lanctot eut annoncé qu'il n'avait pas un sou, les ouvriers se mirent à l'œuvre avec un tel dévouement, qu'ils réduisirent la majorité de M. Cartier à 230 voix.

Lanctot ne vit pas sans émotion s'évanouir les rêves de gloire et de fortune qui le berçaient depuis des mois. Il parut vouloir tenir tête à la mauvaise fortune, changea le nom de l'Union Nationale en celui de l'Indépendance, et se mit à prêcher en faveur de la rupture du lien colonial. Mais ses paroles ne trouvèrent plus parmi le public l'écho qu'elles avaient autrefois ; il eut beau se tourner sur tous les sens, il ne put reprendre sa popularité et surtout faire face à ses affaires. Il était ruiné. Au lieu de se remettre tranquillement à la pratique de sa profession et d'attendre les événements, il partit pour les États-Unis, parcourut les divers groupes canadiens-français, semant partout des journaux qui ne vivaient guère que l'espace d'un, matin. À bout de ressources, ne sachant plus de quel côté tourner la tête, il eut la mauvaise pensée, dans un moment de désespoir et de révolte, de changer de religion et de fonder, avec l'or protestant, un journal destiné à combattre le catholicisme.

Il pensa que c'était le moyen de faire son chemin dans la grande république ; il fit des rêves encore, s'imagina qu'il avait enfin frappé la bonne veine. Mais il y en a bien d'autres aux États-Unis qui cherchent et exploitent les veines de la popularité. Au bout de quelques mois, la caisse du journal était vide, le prosélytisme religieux ne payait pas. Cette fois, il reprit la route du Canada et se remit à pratiquer sa profession en société avec un de ses frères. C'était absurde, mais il aurait pu vivre peut-être si, au lieu de chercher à faire oublier ses écarts, il ne s'était pas mis sottement dans la tête qu'il pouvait encore paraître en public devant une population catholique comme la nôtre et même briguer ses suffrages.

C'est pourtant ce qu'il fit. Il se présenta en 1871 contre Féchevin David ; il eut trois ou quatre cents voix. L'année suivante, en 1872, que vit-on ? . . . Lanctot soutenir l'homme qu'il avait dénoncé toute sa vie comme l'ennemi de son pays, Sir George-Étienne Cartier. Il choisissait mal son temps ; le peuple supportait en masse M. Jetté, qui était élu par 1 300 de majorité. Ce pauvre Lanctot n'était plus qu'une feuille morte à la merci de tous les vents. Il céda enfin au sentiment de réprobation qui l'écrasait, comprit la folie de sa conduite et rentra dans le giron de l'Église. Mais il avait perdu la confiance publique, il ne pouvait plus la reprendre. En 1875, il était obligé de repartir poulies États-Unis, suivi de sa femme et de ses enfants. Cette fois, il eut presque de la misère, et sa famille souffrit.

En 1875, il revenait au Canada comme agent d'une machine admirable qu'un Canadien des États-Unis, M. Lefebvre, avait inventée pour prévenir les accidents sur les chemins de fer. Étant allé à Ottawa, il vit M. Lusignan et lui fit connaître sa situation ; M. Lusignan toujours prêt à rendre service à quelqu'un, même à son détriment, lui conseilla de prendre la rédaction du Courrier d' Outaouais, à raison de $15 par semaine. Lanctot accepta, et quelques mois après, grâce aux efforts de M. Lusignan et à la protection de M. le Dr St. Jean, il était nommé rapporteur ou sténographe de la chambre à raison de $45 par semaine. Il se plaisait à dire, dans ce temps-là, à ses amis, qu'il savait bien qu'il finirait par entrer dans la Chambre.

Après la session, il achetait le Courrier d'Outaouais, le transportait à Hull, entreprenait une guerre à mort contre certains employés et membres du conseil municipal de cette ville, et devenait l'homme le plus populaire de Hull. Encore une fois, il avait frappé la veine populaire ; on ne jurait que par Lanctot ; il faisait mettre à la porte les conseillers et employés municipaux, les remplaçait par des hommes qui lui étaient dévoués ; était nommé avocat de la corporation, et imposait en toutes choses ses volontés. Malheureusement, là comme ailleurs, il perdit tout en abusant de son influence, en montrant au peuple que l'ambition personnelle plus que l'intérêt public le faisait agir ; il persécuta tellement ceux qu'il avait renversés, qu'il en fit des victimes et tourna contre lui le sentiment public. Bientôt, il fut abandonné par ses plus chauds partisans ; ses adversaires revinrent au pouvoir, le destituèrent comme avocat de la corporation, et il perdit même la plus grande partie de sa clientèle. La santé lui manquait en même temps ; le feu qui le dévorait avait fini par le consumer ; la machine était usée.

Au printemps de 1877, il se rendit, avec sa femme, sur une terre qu'il avait achetée dans les montagnes, à dix lieues de Hull, dans le but de refaire sa santé. Il avait loué sa maison, à Hull, à son ami M. Lusignan ; il était là depuis trois semaines, lorsque tout-à-coup son état empira gravement ; il voulut se rendre chez lui et partit, accompagné du père de M. Lusignan ; plusieurs fois il fut obligé de descendre de voiture pour se reposer, pour ne pas mourir en chemin. Il arriva chez lui, à huit heures du soir, se coucha et se réveilla vers deux heures avec le râle de la mort ; il appela sa femme, lui demanda de préparer quelques médicaments, et expira pendant qu'elle lui parlait. Il fut transporté à Montréal, où il fut inhumé sans bruit au milieu de l'indifférence générale. Quelle étrange destinée ! Quelle existence tourmentée ! Quels efforts gigantesques, et quels tristes résultats !

Il est mort à 39 ans, et, cependant, il en avait vécu au moins soixante ; il avait déployé plus de talent, plus d'énergie et d'activité que beaucoup de grands hommes qui ont fondé des empires. Il n'est pas nécessaire de l'avoir connu, il suffit de savoir ce qu'il a fait pour être convaincu que Lanctot avait de grandes qualités, des aptitudes remarquables, une intelligence des plus vigoureuses et des plus brillantes, un esprit ingénieux, fort et souple, un caractère de fer et d'acier, capable d'entreprendre et de mettre à exécution les entreprises les plus difficiles et les plus dangereuses.

Avocat distingué, journaliste redoutable, orateur politique de premier ordre, il semblait posséder tous les talents. A un esprit capable de sonder les questions les plus abstraites du droit, il joignait une imagination qui s'élevait sur les sommets les plus élevés du monde intellectuel. Il était terrible dans la polémique ; maniait le sarcasme sans peur et sans pitié, mettait tant d'enthousiasme, de colère et d'indignation dans son style, qu'on aurait cru qu'il écrivait avait un fer rougi au feu. Violent, implacable dans ses écrits, il montrait dans ses discours une modération qui étonnait tout le monde ; ce n'était plus le même ; il parlait avec une grande véhémence, mais dans un langage généralement poli et modéré.

Il a été certainement l'un des orateurs politiques les plus remarquables de son temps ; il n'avait pas la chaleur, l'influence magnétique de Chapleau, le genre imposant de Morin, l'éloquence raffinée de Laurier, ni la parole pénétrante et la repartie redoutable de Mercier, mais il était de taille à lutter avec ces orateurs distingués sur les hustings, et il savait mieux qu'eux frapper l'esprit d'une population de ville, peut-être parce qu'il était plus démagogue. Son langage était correct, sa phrase longue, mais généralement bien faite, sa voix forte et sympathique, son débit un peu monotone et trop solennel parfois pour le husting, mais énergique et animé. Il avait bien la colère, l'indignation, mais il manquait d'émotion, de véritable émotion ; il était incapable de pleurer et de faire pleurer un auditoire . Il n'était ni grand, ni gros, comme se l'imaginaient tous ceux qui le jugeaient de loin par le bruit qu'il faisait ; il était petit, grêle, mais il avait une belle tête blonde, un front haut, droit, artistique, le regard expressif, une jolie figure blanche qu'encadraient admirablement une chevelure abondante et bouclée, une barbe épaisse et ondulée. Il se plaisait à rappeler qu'un phrénologiste lui avait dit qu'il avait du lion dans le haut de la figure.

Au moral, il offrait de singuliers contrastes à l'œil de l'observateur, un mélange de qualités et de défauts, de diamants et de scories, de bonnes et de mauvaises herbes, véritable kaléidoscope où tout changeait de forme et de couleur dans un clin-d'œil. Sobre, moral, laborieux, aimant, généreux, charitable, patriote, religieux même à ses heures, il était aussi parfois, rude, violent, intraitable, injuste dans ses emportements et ses vengeances, extrême en tout. Mais son grand défaut, la cause de tous ses écarts de jugement, la source de toutes les erreurs qui ont marqué sa vie, c'était son ambition, cette fièvre de pouvoir, de fortune et de popularité qui obscurcissait son intelligence, émoussait son sens moral, faussait sa conscience, et lui faisait croire tout ce qu'il avait intérêt à croire. Il avait fini par identifier tellement l'idée qu'il voulait faire triompher avec son intérêt personnel, à ses projets d'avenir et d'avancement, qu'il ne pouvait les séparer ; élevait à hauteur d'un principe certain ce qui n'était bien souvent au fond qu'un rêve de son ambition, et prenait pour une conviction arrêtée ce qui n'était que l'exaltation de son amour-propre.

On s'expliquait, en voyant Lanctot, comment certains hommes peuvent, en temps de révolution, sous l'empire de convictions passagères et d'une exaltation d'esprit et de caractère dangereuse, commettre tant d'excès. Lanctot était né agitateur ; s'il eût vécu en France en 1793, il eût rivalisé avec Camille Desmoulins en fait de fougue révolutionnaire ; si, au lieu de naître, il eût été homme fait en 1837 et 38, sa nature révolutionnaire autant que le patriotisme en aurait fait un héros; il serait monté sur l'échafaud, en criant, comme Hindelang : " Vive la liberté ! "

Références


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Médéric Lanctôt de Wikipédia en français (auteurs)

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