Musique concrete

Musique concrete

Musique concrète

La musique concrète (aussi appelée musique pour bande ou art acousmatique) est une musique créée à la fin des années 1940 en France par Pierre Schaeffer. Ce genre se développera dans les pays francophones (France, Belgique, Canada), en Amérique du Sud, au Royaume-Uni…

Certains voient les prémisses de la musique concrète chez les bruitistes italiens (comme Luigi Russolo), mais la différence fondamentale entre le bruitisme (manifestant, certes, une écoute du monde des bruits comme musique mais se réalisant par la fabrication de bruiteurs...) et la musique concrète est : l'enregistrement (la fixation des sons), puis le travail du son permis par les supports, d'abord sur disque souple, puis sur bande magnétique, K7, enfin CD, mini disc, disque dur, DAT… et, surtout, son écoute au travers des haut-parleurs considérés, dans ce genre musical, comme un écran acoustique ou vont se mettre en scène les images sonores.

Tout d'abord, les œuvres ont été composées sur disques souples. Le compositeur préparait ses disques sur lesquels il enregistrait ses sons et ses séquences, puis les plaçait sur plusieurs platines (Pierre Henry parle de huit plateaux[1]), jouant avec des systèmes de clefs. Ainsi il pouvait démarrer et stopper à volonté chaque platine, commencer le son ou la séquence à l'endroit de son choix, faire des variations d'intensité, de vitesse ou encore inverser le sens de rotation du plateau pour lire le son « à l'envers », etc. Chaque plateau était équipé de manivelles permettant glissandos et transpositions. Tous ces plateaux tournaient, contrôlés par celui qui était tout à la fois le compositeur et l'instrumentiste interprète de sa propre musique en train de se faire, pendant qu'une autre platine gravait le résultat, qu'on appelait mixage. Le temps de réalisation, pour ces compositeurs qui avaient acquis tout le savoir faire propre à la musique contemporaine, n'était ni plus long ni plus coûteux que pour ceux qui composaient sur partition et faisaient jouer leurs œuvres par des formations instrumentales.

Le magnétophone va faciliter la création concrète en apportant une plus grande précision dans le travail de montage, puisqu'on peut couper la bande et recoller les morceaux, et du mixage car on peut préparer sur plusieurs magnétophones des voies de mixage synchronisées entre elles en mesurant les longueurs de bande magnétique. Toutes les opérations possibles sur platine disque se retrouveront sur magnétophone : variation de vitesse, rotation des plateaux à la main, lecture des sons à l'envers (en retournant le morceau de bande magnétique et non plus en inversant le sens de rotation du moteur), etc. Cet outil va également permettre de mieux prévoir le temps et la forme de la composition fixée sur support, même si les « trouvailles » dues aux expérimentations et au goût du créateur pour le détournement des machines de la radio à des fins artistiques continueront de jouer un rôle important dans ce qu'on appelle la « démarche concrète »[2]. Parallèlement naît l'idée, qui ne cessera de se développer, d'un jeu en direct sur le paramètre de l'espace (spatialisation) lors des concerts de musique concrète (ou musique acousmatique), qui donnera lieu à la réalisation de dispositifs variés de haut-parleurs en plus ou moins grand nombre.

C'est après avoir écouté, entre autres expériences, un disque souple rayé (1948) que Pierre Schaeffer, homme de radio, s'est rendu compte du changement de perception à l'écoute d'un fragment sonore répété indéfiniment, ainsi que de la capacité de l'oreille à décontextualiser un son.

Le terme de « musique concrète » s'opposera à celui de « musique abstraite », musique qui nécessiterait le concours d'un médium (comme la partition) et d'interprètes pour concrétiser l'œuvre conçue par son auteur, alors que le compositeur de musique concrète travaille directement sur le son même (en l'écoutant au travers des haut-parleurs) afin de réaliser et finaliser lui-même sa création. Pierre Schaeffer rend public les premiers résultats de ses recherches en 1952 dans son ouvrage intitulé À la recherche d'une musique concrète. Cette musique consiste alors pour lui à enregistrer des sons (sur disque ou, plus tard, sur bande magnétique) puis à monter ces « objets sonores » de telle sorte que, organisés en phrases et en structure par le moyen du montage, des transformations et du mixage, selon un projet précis et clairement défini, ils acquièrent le statut d'« objets musicaux ».

Sommaire

Historique

C’est grâce à l'arrivée des techniques d'enregistrement, d'abord le disque souple puis le magnétophone (1939) et la bande magnétique, puis la généralisation de l’utilisation des procédés magnétiques dans l’industrie phonographique (1945), que les tenants de la musique concrète pourront commencer l’exploration du phénomène sonore. Situé à Paris et succédant au Studio d’essai, le Club d'essai de Pierre Schaeffer, rejoint en 1949 par Pierre Henry, deviendra le Groupe de Recherche de Musique Concrète (G.R.M.C.) en 1951, installé à la Radiodiffusion-télévision française (R.T.F.). Pierre Schaeffer se servira de l’étude et du classement des sons pour bâtir ce qu’il nommera les objets musicaux[3]. Plusieurs compositeurs, parmi lesquels Olivier Messiaen, Pierre Boulez, Henri Sauguet, Darius Milhaud, Karlheinz Stockhausen ou Jean Barraqué… passeront au G.R.M.C. effectuer quelques études concrètes.

En 1958, après trois ans passés à l’écart du groupe, Pierre Schaeffer le reprend en main et met en place sa réorganisation administrative, esthétique et morale. Le G.R.M.C. devient le G.R.M.. Pierre Henry s'en va et Luc Ferrari, Iannis Xenakis, François-Bernard Mâche, Bernard Parmegiani, etc. se joignent à Pierre Schaeffer qui voulait poser les postulats de la recherche qu’il nommait déjà « l’expérience musicale ».

Il définira grâce à cette expérience la notion d'acousmatique, mot emprunté à Pythagore qui signifie « perception des sons dont la source est cachée ». En 1948, Pierre Schaeffer compose sa première oeuvre : les Cinq études de bruits. Elle sera créée sur la radio R.T.F. le 5 octobre 1948 dans un « concert de bruits » présenté par Jean Toscane. Ce concert comprenait les pièces suivantes :

  • Étude n° 1 Déconcertante ou Étude aux tourniquets ;
  • Étude n° 2 Imposée ou Étude aux chemins de fer ;
  • Étude n° 3 Concertante ou Étude pour orchestre ;
  • Étude n° 4 Composée ou Étude au piano ;
  • Étude n° 5 Pathétique ou Étude aux casseroles.

Pierre Schaeffer sera rejoint quelques mois plus tard en 1949 par Pierre Henry. A eux deux, ils sont en France les fondateurs et les exemples de ce mouvement qui durant toutes les années 1950 marquera plusieurs générations. La Symphonie pour un homme seul (1950) restera le concert le plus célèbre de leur collaboration et la première grande œuvre de musique concrète. Plusieurs versions de l'œuvre existent. La première qui comprend 22 titres fut créée à l'École Normale de Musique le 18 mars 1950. Une version plus courte, 11 titres, fut ensuite donnée le 27 mai 1951. Mais c'est la version ballet, créée en collaboration avec Maurice Béjart le 31 juillet 1955 au Théâtre des Champs-Elysées qui donna à l'œuvre son retentissement mondial.

On retrouvera ensuite les influences de cette démarche en musique électronique et en informatique musicale, et chez d'autres théoriciens de la musique du XXe siècle. Edgar Varèse (1950), fut un grand partisan de ces recherches sur le sonore et les utilisera dans son Poème électronique. Le travail des Beatles ou des Pink Floyd dans les années 60 et, encore récemment, le goût des musiciens électroniques pour le son d'origine acoustique capté par microphone (tel qu'il est réalisé en musique concrète) ont favorisé une renaissance de la musique électronique : Christian Fennesz et Francisco Lopez, entre autres, utilisent beaucoup de techniques empruntées à la musique concrète.

Aujourd'hui, le travail de composition de Michel Chion, qu'il nomme encore très volontairement « musique concrète », manifestant par là son attachement à un genre musical toujours plus que vivace (Requiem, La Tentation de Saint Antoine, L'Isle Sonante…), de François Bayle (L'Expérience acoustique, Toupie dans le ciel, La Main vide…), de Lionel Marchetti (La Grande Vallée, Dans la Montagne (ki ken taï), Adèle et Hadrien (le livre des vacances), Noord five atlantica…) ou de Denis Dufour (Bocalises, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Bazar punaise, Chanson de la plus haute tour, Voix Off…) et de Pierre Henry, bien sûr, tout comme le travail très poétique de Bernard Parmegiani, Luc Ferrari, Christian Zanési, Bernard Fort, Michèle Bokanovski, Marc Favre, Jean-Marc Duchenne, Francis Dhomont, Patrick Ascione… est un bon exemple de la vigueur sans cesse renouvelée de la musique concrète, tant chez des compositeurs de haute maturité que chez d'autres, plus jeunes, qui élèvent habilement cet art du haut-parleur à la hauteur des ambitions de Pierre Schaeffer…

Notes et références

  1. Journal de mes sons, Pierre Henry, 2004, Editions Actes Sud.
  2. « Démarche où la composition est fondée sur l'écoute directe du résultat, en un constant aller retour du faire à l'entendre, à partir de sons créés ou captés et transformés. » Denis Dufour et Thomas Brando, À propos du genre acousmatique, 1997, Livre-CD MotusAcousma M197003 Gabriele/Perséphonie, éditions Motus.
  3. Le Traité des objets musicaux, ouvrage fondamental et somme théorique des recherches de Schaeffer et son équipe du GRM, est publié aux éditions du Seuil (1966).

Bibliographie

  • Pierre Schaeffer, À la recherche d’une musique concrète, Paris : Seuil, 1952
  • Pierre Schaeffer, De la musique concrète à la musique même, Québec : Mémoire du Livre, 2002
  • Michel Chion, La Musique électroacoustique, Paris : PUF, 1982, coll. « Que sais-je ? »
  • Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux, Paris : Seuil, 2/1976
  • Pierre Schaeffer, Vers une musique expérimentale, Paris : Richard-Masse, 1957
  • Pierre Schaeffer et Guy Reibel, Solfège de l’objet sonore, Paris : INA-GRM, C2010/11/12, 1998. (comporte trois Cds)
  • Lionel Marchetti, La Musique concrète de Michel Chion, Metamkine, 1998

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