- Multiréférentialité
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Sommaire
Nécessité du concept et de la pratique
Dans la pratique moderne de la science il y avait un cloisonnement entre les disciplines et entre les différentes écoles dans les disciplines. Ceci amenait le chercheur à présenter soit des points de vue homogènes soit un triptyque thèse, antithèse, synthèse. Les pratiques de recherche dans l’hypermodernité, comportent plusieurs « nouveautés » qui amènent des changements profonds :
- naissance de disciplines « multiples » (Sciences de l'éducation et de la formation (SEF), sciences de l’information et de la communication (SIC), gérontologie, psychosociologie etc.)
- systémologie, regard sur les objets de recherche comme complexes,
- regards transverses – entre dimensions, etc.
Deux manières nouvelles de faire de la science apparaissent :
- la multidimensionnalité,
- la multiréférentialité.
L'approche multiréférentielle dans le prolongement des travaux de Jacques Ardoino
Dans le cadre des travaux animés dès le tournant des années 1950-60 par Jacques Ardoino la multiréférentialité apparait comme une approche de pensée et d'organisation partagée par des acteurs mobilisant ou relevant de référentiels socio-cognitifs différents, voir : Communications et Relations Humaines (1966). Jacques Ardoino développant ses activités universitaires en Sciences de l'éducation, le concept s'y est trouvé attaché ensuite, mais l'approche multiréférentielle s'est construite au départ dans le contexte des travaux de l'Association Nationale pour le Développement des Sciences Humaines Appliquées (ANDSHA) (à partir de 1956) qui réunissaient des Chercheurs et Praticiens de l'industrie, du management, des sciences sociales, de l'action sanitaire, sociale et éducative. L'approche multiréférentielle anticipe les approches et modèles actuels de recherche collaborative multidisciplinaire.
Discours positif
Lorsqu’un chercheur multiréférentiel explore un objet de recherche vu comme complexe, il est comme l’ethnographe, ou le géographe, son travail est d’abord descriptif avant d’être un discours compréhensif ou un discours explicatif.
Michel Foucault – Les mots et les choses (1966) – souligne que ce que produit ce chercheur a « à peine » le statut de savoir et qu’il convient de le dire « discours positif ».
Remarque : Le terme « positif » a ici le sens donné par Michel Foucault. Est positif ce qui n’est « ni croyance, ni idéologie » mais discours issu du travail critique lui-même défini comme « défi aux allant de soi ».
Construire un îlot de discours positif
L’exemple pris est celui d’un chercheur qui a pour objet de recherche le projet Wikipédia.
Pour les nécessités de la schématisation, cet objet de recherche est représenté par un carré
Phase holistique
Dans un premier temps, le chercheur embrasse l’objet de recherche dans son ensemble (posture holistique).
Phase multidimensionelle
Ensuite, le chercheur fait le choix de considèrer un certain nombre de dimenions de l'objet de recherche.
Par exemple, les dimensions D1 humaine, D2 discursive et Dn technique du projet Wikipédia.
Phase de choix des référentiels
Dans sa tentative de produire du savoir, le chercheur multiréférentiel a recours à des référentiels (nommés aussi modèles conceptuels). Dans notre schématisation, la pluralité de regards qui découle de la multiréférentialité est représentée par des bandes orthogonales aux bandes représentant les dimensions. constitue une découpe de l’objet de recherche.
Croisement des dimensions et des référentiels
En particulier pour des raisons de volume, le chercheur multiréférentiel va procéder à un croisement entre un choix de dimensions et un choix de référentiels.
Ce qu'il obtient par ce croisement est nommé îlot de discours positif.
L’îlot de discours positif D1 R1 c’est par exemple la dimension humaine du projet Wikipédia « décodée » à l’aide d’un référentiel de psychologie ou de psychosociologie.
Un îlot de discours Dn Rn considèrerait par exemple le projet Wikipédia en 2000 en regard du référentiel dit Web 2..
Incomplétude, incertitude, hétérogénéité
La pratique multiréférentielle est nettement différentiée des habitudes de l’épistémè de la science moderne.
En effet, contrairement au principe de la Méthode de René Descartes, le chercheur ne cherche pas à couvrir tout l’espace de son objet de recherche. Il est dans une dynamique dite « modeste » qui laisse entre les îlots de savoir des « fentes d’incertitude ».
L’ensemble d’îlots de discours positif produit à partir de référentiels (R1 … Rn) empruntés à différents auteurs ne cherche pas artificiellement une homogénéité des points de vue. Dans notre exemple, un même chercheur multiréférentiel pourra dire dans le même travail : - Îlot 1 : le projet Wikipédia en 2000 s’inscrit parfaitement dans le référentiel Web 2 à partir de l'auteur A1, - Îlot 2 : le projet Wikipédia en 2000 est mal inscrit dans le référentiel Web 2 tel que compris par l’auteur A2.
Comme le souligne Peter Sloterdijk - après les travaux de Michel Foucault en particulier, mais aussi ceux de Jacques Ardoino – la recherche hypermoderne ne cherche pas à produire de synthèse. Le mot synthèse étant compris comme moyen terme, arbitrage, compromis, consensus entre une thèse et une antithèse.
La tension entre plusieurs visions d’un même problème est maintenue au niveau de la recherche.
La conséquence en est que le choix entre thèse et antithèse est souvent reporté au niveau du politique qui s’attend à être éclairé par le travail du chercheur.
Références
- Ardoino, Jacques, Communications et Relations Humaines (thèse de Doctorat de spécialité), cahier numéro 12 de la collection "Travaux et Documents" de l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université de Bordeaux, Bordeaux 1966,( 4e 1.000).
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