- Antigone (Anouilh)
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Antigone est une pièce en un acte de Jean Anouilh représentée pour la première fois dans une mise en scène, des décors et des costumes d'André Barsacq au théâtre de l'Atelier à Paris le 4 février 1944, en pleine Occupation allemande.
Elle fait partie des Nouvelles pièces noires avec Jézabel (1932), Roméo et Jeannette (1946) et Médée (1953).
L’Antigone d’Anouilh est inspirée du mythe antique, en rupture avec la tradition de la tragédie grecque. « L'Antigone de Sophocle, lue et relue, et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges[1]. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre »[2].
Le personnage d’Antigone est l'allégorie de la Résistance s'opposant aux lois édictées par Créon / Pétain et qu'elle juge iniques. Elle refuse la facilité et préfère se rebeller, ne voulant pas céder à une prétendue fatalité... Créon pour sa part, revendique de faire un « sale boulot » parce que c'est son rôle et qu'il faut bien que quelqu'un le fasse. Anouilh s’inspire du geste de Paul Collette, un résistant français qui avait tiré sur Pierre Laval, chef du gouvernement de Vichy, le 27 août 1941.
Sommaire
Résumé
Antigone est la fille d'Œdipe et de Jocaste, souverains de Thèbes. Après le suicide de Jocaste et l'exil d'Œdipe, les deux frères d'Antigone, Étéocle et Polynice se sont entretués pour le trône de Thèbes. Créon, frère de Jocaste et – à ce titre – nouveau roi, a décidé de n'offrir de sépulture qu'à Étéocle et non à Polynice, qualifié de voyou et de traître. Il avertit par un édit que quiconque osera enterrer le corps du renégat sera puni de mort. Personne n'ose braver l'interdit et le cadavre de Polynice est abandonné à la chaleur et aux charognards.
Seule Antigone refuse cette situation. Malgré l'interdiction de son oncle, elle se rend plusieurs fois auprès du corps de son frère et tente de le recouvrir avec de la terre. Ismène, sa sœur, informée de sa décision, refuse de la suivre, craignant sa propre mort.
Très vite, Antigone est prise sur le fait par les gardes du roi. Créon est obligé d'appliquer la sentence de mort à Antigone. Après un long débat avec son oncle sur le but de l'existence, celle-ci est condamnée à être enterrée vivante. Mais au moment où le tombeau va être scellé, Créon apprend que son fils, Hémon, fiancé d'Antigone, s'est laissé enfermer auprès de celle qu'il aime. Lorsque l'on rouvre le tombeau, Antigone s'est pendue à sa ceinture et Hémon, crachant au visage de son père, s'ouvre le ventre avec son épée. Désespérée par la disparition du fils qu'elle adorait, Eurydice, la femme de Créon, se tranche la gorge.
Personnages principaux
- Antigone : fille d'Œdipe, sœur d'Étéocle, Polynice et Ismène, cette jeune fille est l'héroïne de l'histoire qui porte d'ailleurs son nom. Elle est décrite comme « pas assez coquine » par son entourage. Mais cela ne l'empêche pas d'avoir une volonté de fer (ce qui la poussera à affronter son oncle Créon en enterrant son frère) et d'irradier la joie de vivre.
- Créon : frère de Jocaste (la femme d'Œdipe), légitime roi de Thèbes après la mort des deux princes ennemis, Créon est un souverain âgé, réfléchi et courageux. Il nous est décrit comme étant seul : « Créon est seul » se consacrant ainsi entièrement à son règne. Dont il assume les sacrifices nécessaires comme la punition de Polynice ou l'exécution d'Antigone.
- Ismène : sœur d'Antigone qu'elle aime beaucoup « Si vous la faites mourir, il faudra me faire mourir avec elle ! », mais qui n'est pas très courageuse jusque vers la fin de l'histoire. Néanmoins, elle reste une belle jeune fille « coquette » et raisonnable « J'ai raison plus souvent que toi ! ».
- Hémon : fils de Créon et d'Eurydice, fiancé d'Antigone à laquelle il est très fidèle « Oui Antigone, je t'aime comme une femme », fidélité qui le conduira au suicide lorsque cette dernière meure sous ordre de Créon. Ce fait le poussera également à mépriser son père, qu'il admirait beaucoup auparavant.
- Le Prologue/Chœur : issue des pièces de théâtre de la Grèce antique, cette « entité » intervient au début du texte pour nous narrer le contexte de la pièce et nous présenter les personnages qui y évoluent. Il réapparait par la suite tout au long de la pièce pour faire avancer le récit ou amener un personnage à la réflexion.
Personnages secondaires
- La Nourrice : vieille dame également appelée « Nounou » par les filles dont elle s'occupe.
- Eurydice : femme de Créon qui passe ses journées à tricoter des habits pour les pauvres de Thèbes. Ces derniers « auront froid » à la fin de la pièce car elle se tranche la gorge en apprenant la mort de son fils.
- Les trois gardes : chargés de surveiller le cadavre de Polynice.
- Le page du roi
- Le messager
Distribution originale
- Mise en scène, décors et costumes d'André Barsacq
- Antigone : Monelle Valentin
- Créon : Jean Davy
- Hémon : André Le Gall
- Ismène : Suzanne Flon
- La Nourrice : Odette Talazac
- Le Chœur : Auguste Boverio
- Le garde : Beauchamp
- Les gardes : Matos et Sylver.
Analyse de la pièce
Le Chœur
Dès le prologue, le Chœur antique qui commente la pièce tout au long, annonce la couleur : on sait très bien qui va mourir, qui survivra, qui jouera un rôle, qui ne servira à rien, et les personnages sont alors répartis en deux grandes catégories : ceux qui « savent » et ceux qui « ne savent pas ».
Créon, Antigone, le Messager font partie de ceux qui savent tout, sans aucun doute. Créon, inconsciemment, sait très bien le risque qu'il prend en décrétant cette interdiction, et il se doute bien qu'elle sera transgressée. Il sait aussi que ses actes ne sont pas justifiés, il le reconnaîtra même plus tard dans la pièce. Il l'a simplement fait pour donner une leçon, un exemple à la population. Antigone, elle, sait très bien ce qu'elle a l'intention de faire, contre le gré de tous, pour ensevelir Polynice malgré l'interdiction, et elle sait qu'elle va mourir, qu'elle doit mourir. « Elle aurait bien aimé vivre. Mais il n’y a rien à faire. Elle s’appelle Antigone et il va falloir qu’elle joue son rôle jusqu’au bout. » Le Messager lui, sait déjà aussi. « C'est lui qui viendra annoncer la mort d'Hémon tout à l'heure. C'est pour cela qu'il n'a pas envie de bavarder ni de se mêler aux autres. Il sait déjà... »
La nourrice d'Antigone, les gardes, le page, Eurydice, ne savent rien. Ils sont complètement ignorants et se contentent de jouer bêtement leur rôle. La Nourrice est seulement là pour apaiser, les gardes pour accomplir le destin d'Antigone, le page pour accompagner Créon, et Eurydice quant à elle, n'a pas d'autre rôle que de mourir.
Hémon et Ismène quant à eux, sont assez ambigus, car aucun d'eux ne sait vraiment tout ce qui se trame, Ismène ne se doute pas que sa sœur ira au bout, Hémon ne se doute pas que sa fiancée va se rebeller jusqu'à la mort, mais ils savent et comprennent la situation, et au fur et à mesure que l'histoire avance, ils comprennent, et savent alors qu'Antigone va vraiment mourir.
Le Chœur commentera alors ironiquement toute la pièce : « C'est cela qui est commode dans la tragédie. On donne un petit coup de pouce pour que cela démarre... C'est tout. Après on n'a plus qu'à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul ».
Débats
- Débat Créon / Antigone : Créon se retrouve seul face à Antigone, venant de commettre son crime, ayant tenté à deux reprises d'ensevelir son frère Polynice. S'étant fait arrêter pour avoir été prise sur le fait, il tente de la sauver. Il lui propose de faire accuser un garde, un complot, de faire mourir quelqu'un d'autre à sa place, et il essaie de la « ramener à la raison ». Mais elle reste sourde et impassible à ses arguments, elle « ne veut pas comprendre ». Il s'emporte alors, et fait ressortir ses propres défauts et ses faiblesses. Selon lui, il ne fait qu'accomplir son devoir, il n'a rien demandé... « Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m'appelle seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds sur terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches, et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible. »
Il lui reproche également de choisir la facilité, de dire non... On pourrait penser, nous, lecteurs, que ce n'est pas facile de dire non, mais Créon, lui, pense le contraire. Il pense que ça n'est pas facile de dire oui... De savoir que parfois ces lois sont injustes, ou stupides, mais de devoir dire oui... Ou d'avoir un rôle et un impact trop important pour se permettre de dire non à la légère, de se rebeller, par principe... Mais une fois de plus, Antigone repousse son argument. « Qu'est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux encore dire « non » encore à tout ce que je n'aime pas et je suis seule juge. » dit-elle, ou encore « Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont faits aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine. » Créon la traite alors d'« orgueilleuse. Petite Œdipe »... Il aborde alors le sujet de sa famille. Il reproche à Œdipe tout son orgueil qui a déteint sur Antigone... Et il dévoile la véritable personnalité d'Étéocle et de Polynice, deux voyous, ne valant pas mieux l'un que l'autre, n'aimant d'ailleurs même pas leurs sœurs, ni leur père, n'étant ni l'un un héros, ni l'autre un traître, mais tous deux des crapules, avides et cupides, s'étant bêtement entretués pour le pouvoir. Il avoue alors n'avoir aucune conviction que l'un est un héros ou l'autre un traître, c'est seulement pour le peuple... pour donner un bon et un mauvais exemple, le peuple a besoin d'un héros et d'un traître... Il avoue aussi qu'il ne sait même pas si le corps qui croupit là-dehors est bien celui de Polynice. Il reconnaît l'avoir pris tout à fait au hasard.
Devant l'absurdité de la religion, des rites, de tout cela, devant la stupidité de tant de conviction pour des choses que Créon lui prouve sans importance, Antigone est prête à céder... Mais Créon lui parle alors du bonheur qu'elle est si prête d'atteindre si elle refuse de mourir pour son frère. Un bonheur avec quelques concessions, mais un bonheur tout de même... Mais Antigone se rétracte aussitôt, par fierté et par principe. Elle témoigne alors de son rejet de cette société qu'elle n'a jamais accepté... « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu'il faut aimer coûte que coûte... Moi, je veux tout, tout de suite, et que ce soit entier, ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et de me contenter d'un petit morceau, si j'ai été bien sage. »
Créon est à court d'arguments et devant l'emportement grandissant de sa nièce qui menace d'ébruiter l'affaire, il cède... Antigone veut mourir, eh bien, elle mourra... Malgré les supplications de son fils qui l'implore de gracier sa fiancée, la sentence est appliquée. Antigone se pend dans la grotte où Créon l'a fait emmurer vivante. Hémon perd alors l'admiration qu'il avait pour son père qu'il considérait comme un homme puissant et juste. Non préparé à tant de désillusions et rendu fou de chagrin par la disparition d'Antigone, il la rejoint dans la mort en se poignardant avec son épée. Eurydice, apprenant le décès de son fils, se suicide à son tour. Sa famille décimée, Créon, abandonné de tous, continue de gouverner les hommes en attendant sa propre mort comme une délivrance.
- Débat Ismène / Antigone : cette confrontation n'est pas idéologique, mais plutôt modale, avec d'un côté Ismène, avec son tempérament passif « Il est plus fort que nous, Antigone » sa peur de la souffrance, de la mort et son envie de vivre normalement. Puis de l'autre côté, il y a Antigone, au tempérament actif. Elle connait son rôle dans cette histoire et veut l'accomplir jusqu'au bout, sans se plier à la « sagesse humaine » : « Je ne veux pas avoir raison », « Je ne veux pas comprendre un peu ». Sa foi en l'absurde lui fournit une forme d'égoïsme, qu'elle emploie même contre elle-même.
- Outre ces deux principales confrontations, nous avons également des divergences Nourrice / Ismène et Hémon / Créon. Mais elles n'ont pas d'impact sur le récit. Il n'y a pas contre aucune opposition Étéocle / Polynice, car, même s'ils se sont entretués, ils étaient sur la même longueur d'onde.
Comparaison avec l'Antigone de Sophocle
Article connexe : Antigone (Sophocle).L'adaptation de Jean Anouilh ne diverge pas, en somme, du texte d'origine écrit par Sophocle vers 441 avant J.C. Mais certains détails font que nous avons à faire à deux styles différents. Et ce particulièrement en la personne de Créon : tandis qu'Anouilh le fait paraître comme un homme victime de sa souveraineté, Sophocle, lui, le représente plus comme un dictateur. Il existe également une différence au niveau du fond, alors qu'Anouilh n'appuie pas trop son texte sur le caractère religieux, ce dernier constitue un moteur essentiel dans la version originale de Sophocle. Le message que veut passer le mythe grec serait donc « Il ne faut pas déshonorer la loi qu'imposent les dieux ». Enfin, on peut constater certains anachronismes dans la version d'Anouilh (lorsqu'il parle de cigarettes, de voitures et de bars) probablement pour rendre l'histoire plus actuelle.
Productions récentes
- 2003 : Mise en scène de Nicolas Briançon au Théâtre Marigny avec Barbara Schulz (Antigone) et Robert Hossein (Créon). Il existe une captation du spectacle réalisée par Moustapha Sarr en mai 2003 (ISBN 978-2-240-01959-2)
Notes et références
- Affiche rouge - commette une erreur de chronologie : en effet, celle-ci n'a été placardée, selon les historiens, qu'après le 10 février 1944. De plus, certaines sources indiquent que l'essentiel de la pièce avait été écrit dès 1942, suite à l'« affaire Collette ». Il semble qu'Anouilh - s'il fait bien référence à l'
- 4e de couverture de la première édition, La Table Ronde, 1946.
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