Mariage pluriel

Mariage pluriel

Mariage plural (mormonisme)

Le mariage plural est le nom donné par l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours à la pratique de la polygamie parmi les saints des derniers jours jusqu'en 1889. Avec l'autorisation du président de l'Église, les mariages pluraux étaient célébrés uniquement dans les premiers temples de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Seules les femmes membres de l'Église et seuls les hommes détenteurs de la prêtrise de Melchisédek pouvaient accéder au mariage au temple.

Selon la doctrine mormone, le mariage plural avait pour fondement la révélation moderne et comme toile de fond la pratique biblique de la pluralité des épouses. Le rétablissement du mariage plural faisait partie du rétablissement de toutes choses prédit par les anciens prophètes et fut temporairement rétabli par Dieu à la fois pour mettre son peuple à l'épreuve et l'accroître.

Le mariage plural fut pratiqué par 2% à 3% de la population masculine de l'Église.

Le 7 avril 1889, Wilford Woodruff, président de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, mit fin au mariage plural.

Les minorités, localisées aux Etats-Unis, pratiquant aujourd'hui la polygamie, interdite par la loi du pays, (voir Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours) n'ont aucun lien avec l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours.

Sommaire

Croyance mormone

Les mormons croient que, de même que la pratique du mariage plural fut le résultat d’une révélation à Joseph Smith, son abandon fut également l’application d’une révélation divine donnée au président de l’Église de l’époque, Wilford Woodruff.

Wilford Woodruff déclara lui-même : « J'aurais laissé tous les temples nous échapper, je serais allé moi-même en prison et aurais laissé tous les autres hommes y aller, si le Dieu du ciel ne m'avait pas commandé de faire ce que j'ai fait ; et lorsque vint l'heure où il me fut commandé de faire cela, c'était tout à fait clair pour moi. J'allai devant le Seigneur, et j'écrivis ce que le Seigneur me dit d'écrire ».[1]

Pour les mormons, la loi du mariage plural a constitué une mise à l’épreuve de leur foi. Le Livre de Mormon enseigne que la loi divine est la monogamie, sauf lorsque Dieu en décide autrement :

« C'est pourquoi, mes frères, entendez-moi, et écoutez la parole du Seigneur : car aucun homme parmi vous n'aura plus d'une épouse ; et de concubines il n'en aura aucune ; car moi, le Seigneur Dieu, je fais mes délices de la chasteté des femmes. Et la fornication est une abomination devant moi ; ainsi dit le Seigneur des armées. C'est pourquoi, ce peuple gardera mes commandements, dit le Seigneur des armées, sinon le pays sera maudit à cause de lui. Car si je veux, dit le Seigneur des armées, me susciter une postérité, je le commanderai à mon peuple ; autrement ils observeront ces choses »

— Jacob 2:27-30 (gras ajouté)

Ce concept fut confirmé par Joseph Smith le 5 octobre 1843 : « J'ai constamment dit que personne n'aura plus d'une femme à la fois, à moins que le Seigneur n'en décide autrement ».[2]


Histoire

Origine

En 1831, Joseph Smith, le fondateur de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, affirma avoir eu une révélation sur le mariage plural et en parla à un petit nombre d'associés intimes. Elle ne fut toutefois pas mise par écrit à l’époque, ni pratiquée de façon générale ni même annoncée publiquement. En 1840, la doctrine du mariage plural fut enseignée à un petit nombre de dirigeants de l'Église qui, avec Joseph Smith, épousèrent secrètement d'autres femmes l'année suivante. Ce caractère secret ne put pas être gardé longtemps, néanmoins la doctrine ne fut pas discutée ouvertement. Cet état de choses fut particulièrement responsable de la persécution qui s'abattit sur l'Église jusqu’à l’abrogation de cette pratique en 1890.

Révélation sur le mariage

Le 12 juillet 1843, Joseph Smith fit mettre par écrit et lire au grand conseil de Nauvoo la « révélation relative à la nouvelle alliance éternelle, y compris l’éternité de l’alliance du mariage, ainsi que la pluralité des épouses » (Doctrine et Alliances, chapeau de la section 132). Aucune doctrine, sans doute, de la jeune Église ne causa autant de dissensions dans et en dehors de l'organisation.

Pendant des années, après la révélation de cette doctrine, Joseph ne put se résoudre à la pratiquer ni à enseigner à d'autres de le faire. La société anglo-saxonne tout entière était opposée au mariage plural, quoique celui-ci n'eût jamais été interdit, que ce fût par l'État ou par la Constitution fédérale. Même après s'être installé à Nauvoo, lorsque le prophète dit avoir reçu du Seigneur le commandement de mettre la loi du mariage plural en vigueur, il hésita à le faire. Soir après soir, il fit les cent pas le long des berges du Mississippi, accompagné parfois par son frère Hyrum, en se débattant avec le problème. Il était convaincu de ce que la pratique de cette doctrine attirerait sur l'Église de violentes persécutions et l'amènerait finalement à perdre la vie.

Les rapports historiques montrent que ni Joseph Smith, ni Brigham Young, ni l'un quelconque des dirigeants de l'Église n’accueillirent avec joie la doctrine du mariage plural. Brigham Young dit plus tard :

« Si on m'avait demandé ce que j'aurais choisi lorsque Joseph Smith révéla cette doctrine (la pluralité des épouses), j'aurais dit, à condition que cela ne diminuât pas mon salut : ‘ Je ne veux avoir qu'une seule femme… Je ne désirais pas reculer devant aucun devoir, ni manquer si peu que ce fût de faire ce qu'il m'était commandé, mais c'était la première fois de ma vie que j'avais souhaité la mort et pendant longtemps j'eus du mal à surmonter ce sentiment »

— Discours prononcé le 14 juillet 1855 à Provo ; voir Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 2, p. 102

John Taylor, qui devint le troisième président de l'Église, ajoute :

« J'avais toujours nourri des idées strictes concernant la vertu, et j'estimais, en temps qu'homme marié, que c'était là pour moi, en dehors de ce principe, une chose affreuse à faire. L'idée d'aller demander à une jeune fille de m’épouser alors que j'avais déjà une femme ! Voilà bien une chose propre à émouvoir les sentiments au plus profond de l'âme humaine. J'avais toujours entretenu la chasteté la plus stricte... Avec les sentiments que j'avais nourri, rien moins que la connaissance de Dieu et les révélations de Dieu et leur véracité n'aurait pu m'inciter à obéir à un tel principe »

— Roberts, The Life of John Taylor, p. 100

Pour Heber C. Kimball et sa femme, Vilate, le commandement du prophète que Heber prenne une autre femme fut une épreuve extraordinairement difficile. Ce commandement fut caché pendant un certain temps à la femme de Heber. Vilate remarqua qu'il était extrêmement soucieux. Elle affirma qu'en réponse à sa prière concernant ce qui causait tant de soucis à son mari, elle reçut une vision du monde éternel. Personne ne sait ce qu'elle vit, mais par la suite elle devint partisane convaincue de la doctrine du mariage plural.[3]

Si la doctrine du mariage plural causa une telle crise chez les hommes les plus fermes de l'Église, il n’est pas étonnant qu'un grand nombre d'hommes la refusèrent. Seul le secret qui entoura sa pratique empêcha une apostasie générale dans l'Église en 1844. Lorsque la doctrine fut publiquement proclamée dans les champs de mission, l'opposition à l'Église s'accrut considérablement et eut souvent recours à la violence.

Le caractère secret qui entourait l'introduction de la pratique produisit de grossiers mensonges et des accusations d'adultère. Ce fut un facteur extrêmement important qui contribua à rendre tant les mormons que les non mormons hostiles à Joseph Smith. Aucun des enseignements de l'Église ne se heurtait d'une manière aussi directe à l'ordre social de l'époque ni ne suscitait une hostilité aussi violente.

Circonstances de l'introduction du mariage plural

Joseph F. Smith, ses épouses et ses enfants vers 1900

Dans les premiers temps de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, un nombre plus grand de femmes que d'hommes étaient devenues membres de l'Église. C'était le cas de la période de Nauvoo et cela resta le cas pendant un certain nombre d'années après l'arrivée des saints en Utah.[4]

Cette disproportion persista tant que les convertis constituèrent la masse des membres de l'Église. Les saints des derniers jours étaient un peuple aussi isolé que s'ils avaient été dans une île au milieu de l'océan. Les mariages en dehors de l'Église étaient déconseillés. Il n'y avait pas suffisamment d'hommes. Beaucoup de femmes devaient vivre et mourir célibataires, privées de la vie maritale, de la maternité et d'une famille.

Le mariage plural ne fut jamais à aucun moment une loi générale pour l'Église tout entière, et ne fut jamais à aucun moment pratiqué par plus de deux pour cent de la population masculine. Le président de l’Église détenait la clef de la pratique de ce mariage, et seuls ceux qui étaient censés être capables de vivre la loi dans la justice avaient la permission de le contracter. C’est ainsi que les femmes excédentaires de l'Église furent absorbées dans la vie de famille. Cependant, un petit nombre d'entre ceux qui vécurent cette loi abusèrent de cette loi et de la confiance qui leur était donnée et alimentèrent les calomnies et les railleries contre l'Église.

En dépit des raisons sociales avancées pour justifier le mariage plural, celui-ci était directement opposé aux traditions tant dans l'Église qu'en dehors. Le caractère secret même qui s'y attachait empêchait que toute explication fût donnée au public, ce qui créait un terrain favorable aux rumeurs les plus nourries.

Mesures en prévision de la crise

Joseph Smith savait que l'ordre social qu'il envisageait susciterait une opposition violente en Illinois. Les expériences de l'Église en Ohio et dans le Missouri l'avaient bien montré. La présence des mormons en grand nombre dans une partie quelconque de l'Amérique colonisée de l'époque aurait produit un résultat semblable. Et ceci non parce qu'il était difficile de s'entendre avec les mormons, ni parce que leurs voisins eussent été des gens mauvais, mais parce que les enseignements de l'Église et l'ordre social existant étaient directement opposés. C'était pour se préparer à cette inévitable opposition et peut-être dans une certaine mesure pour l'éviter que Joseph Smith avait écrit la charte de Nauvoo et en avait assuré le passage. C'est pour se préparer contre les arrestations illégales qu'il tint absolument à ce qu'il y eût un tribunal municipal indépendant à Nauvoo. Ce fut pour protéger son peuple de l'inévitable violence de l'opposition populaire qu'il organisa et forma la Légion de Nauvoo.

Il ne croyait d'ailleurs pas non plus que même ces précautions protégeraient longtemps son peuple. Il prévoyait une opposition écrasante inévitable. Dès 1842, il commença à rechercher une partie non colonisée de l'Amérique où son peuple pourrait réaliser sa « Sion » sans conflit. Son attention se tourna nécessairement vers l'Ouest, et, cette année-là, il prononça une prophétie à un groupe de saints des derniers jours à Montrose (Iowa). Le 6 août, il écrivit dans son journal intime : « Je prophétisai que les saints continueraient à subir de nombreuses afflictions et seraient chassés dans les Montagnes Rocheuses, que beaucoup apostasieraient, que d'autres seraient mis à mort par nos persécuteurs ou perdraient la vie par suite de l'exposition aux intempéries ou à la maladie, et certains d'entre vous auront l'occasion d'aller aider à installer des colonies et bâtir des villes et voir les saints devenir un peuple puissant au milieu des Montagnes Rocheuses ».[5]

Mariage plural

À une conférence qui eut lieu les 28 et 29 août 1852 à Salt Lake City, la doctrine du mariage plural fut annoncée pour la première fois en public. La révélation fut lue, et Orson Pratt fit un discours du point de vue de la Bible. Les limites et les restrictions de la loi énoncées par la révélation moderne furent expliquées. Un certain nombre des dirigeants pratiquaient déjà cette doctrine. Après cette conférence, d'autres personnes reçurent de Brigham Young, qui détenait les clefs de cet ordre du mariage, l'autorisation de le pratiquer. Dans certains cas, le président de l'Église exhorta les dirigeants de l'Église à épouser et à ouvrir leur foyer aux femmes dignes de la communauté qui n'avaient pas trouvé de mari.

À la fin de la première année de migration en Utah, le nombre de femmes dépassait le nombre d'hommes.[6] Cet excès de la population féminine persista pendant un demi-siècle. Dans la pratique mormone du mariage plural, ces femmes étaient absorbées dans la vie familiale de diverses communautés. La pratique était nécessairement limitée, deux pour cent des hommes éligibles pour le mariage seulement ayant plus d'une femme. La loi n'était pas non plus applicable à la population générale du territoire ni même aux membres en général de l'Église. Seuls les hommes qui obtenaient l'autorisation du président, lequel considérait la personnalité et la dignité de l'individu, pouvaient épouser une deuxième femme, et ce, uniquement avec le consentement de la première.

Un recensement[7] fait en 1858 porte à 3617 le nombre de maris polygames en Utah. Ce chiffre se décompose ainsi :

  • Maris ayant 7 femmes et plus : 387
  • Maris ayant 5 femmes : 730
  • Maris ayant 4 femmes : 1100
  • Maris ayant plus d’une femme et moins de 4 : 1400
  • Total : 3617

Éveil de l’opposition

La pratique du mariage plural produisit des remous considérables dans la presse et fut combattue par les opposants à la polygamie. Comme l'Utah était un territoire des États-Unis et que les lois des territoires sont déterminées par le Congrès, la question du mariage plural fut portée devant cette institution et devint l'argument principal contre l'admission de l'Utah comme État.

Les attaques contre cette pratique prirent une telle importance que le Congrès, sous l'influence de politiques et de la presse, passa en 1862 une « loi contre la bigamie », dont le but était de mettre un terma à la « polygamie » chez les mormons.

Le 8 juillet 1862, le président Abraham Lincoln signa l'acte et rendit le fait de contracter un mariage plural punissable d'une amende de 500 dollars ou de cinq ans de prison ou les deux.

Dans l'ensemble, le président et les membres du Congrès n'étaient pas hostiles aux mormons, mais étaient opposés à la pratique de la polygamie. Le programme politique sur lequel Lincoln fut élu, contenait un point condamnant la pratique de la polygamie.

Par amitié pour les mormons, dont il avait fait la connaissance en Illinois, le président Lincoln négligea de nommer des officiers pour imposer l'application de la loi contre la bigamie.

Les opposants à la polygamie ne se contentèrent pas de laisser tomber le problème. La loi contenait une disposition interdisant à un groupement religieux dans un territoire de détenir des biens fonciers dont la valeur dépasserait 50.000 dollars. Ceci avait pour objectif direct l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours. Une tentative du gouverneur Harding d'Utah en 1863 de faire punir Brigham Young en vertu de cette loi échoua, la constitutionnalité de la loi tout entière étant douteuse.

L'agitation contre la polygamie augmenta au cours des années, mais ce ne fut qu'en 1874 que la constitutionnalité de la « loi contre la polygamie » fut mise à l'épreuve et que l'on tenta de l'appliquer. Les mormons étaient certains que la loi était anticonstitutionnelle et que si un procès était porté devant les instances supérieures, elle serait proclamée anticonstitutionnelle et cela éclaircirait l’affaire. En conséquence, George Reynolds, secrétaire privé de Brigham Young, se porta volontaire pour mettre la loi à l'épreuve. Les officiers fédéraux du territoire semblaient tout aussi désireux d'éclaircir l'affaire par un procès amical. En conséquence, Reynolds fut inculpé. Il se présenta volontairement devant le tribunal et fournit la preuve des faits par lesquels il avait enfreint la loi. Il fut estimé coupable condamné à un an de prison et reçut l'ordre de payer une amende de 500 dollars. Appel fut fait à la Cour Suprême du territoire où il fut refusé sous prétexte que la Chambre des mises en accusation qui avait inculpé Reynolds était illégale.

Constitutionnalité des lois contre la bigamie

La constitutionnalité de la loi n'étant toujours pas décidée, un deuxième procès eut lieu en 1875 devant Alexander White, juge suprême d'Utah. La nature amicale du procès précédent était tout à fait absente, l'accusation devenant violente vis-à-vis de l'accusé, et l'accusé à son tour refusant de fournir les éléments permettant de prouver qu'il y avait eu violation de la loi. Toutefois une condamnation fut obtenue, et Reynolds reçut la condamnation de 500 dollars d'amende et deux ans de travaux forcés au pénitencier. La Cour Suprême d'Utah confirma le décret et appel fut fait à la Cour Suprême des États-Unis, qui, à la surprise de l'Église et de nombreux juristes experts en constitution, confirma la constitutionnalité de la loi. Ce fut un coup terrible pour l'Église. La décision ne tomba toutefois que le 6 janvier 1879. Entre temps, Brigham Young était mort, et le collège des douze apôtres devenait l'autorité présidente de l'Église. Une tentative de rouvrir le procès de George Reynolds et une pétition pour que le pardon lui fût accordé échouèrent. Il fut mis en prison le 16 juin 1879.

En octobre 1880, la Première Présidence fut de nouveau organisée avec John Taylor comme président de l'Église. Sous son administration, la campagne contre « la bigamie » s'intensifia. Après la mort de Brigham Young et surtout après la décision de la Cour Suprême dans le cas Reynolds, les opposants à cette pratique oeuvrèrent pour obtenir la fin de la polygamie. Leur action eut pour résultat le passage d'une nouvelle législation ayant pour but de supprimer les pratiques polygames. En mars 1882, le Congrès passa le « Edmunds' Bill » qui amendait la « loi contre la bigamie » de 1862. Cette mesure ajoutait à l'offense punissable des mariages pluraux ou « vie polygame », ce que l'on définissait comme « une cohabitation illégale ». La loi privait du droit de vote ou de détenir des offices publics tous ceux qui vivaient dans la polygamie. De plus, la possibilité de faire partie des jurés était refusée non seulement aux polygames, mais à toute personne qui seulement professait croire en la doctrine du mariage plural.

De plus, cette loi déclarait vacants tous les postes clés du territoire et prévoyait des officiers fédéraux à leur place. La loi Edmunds privait virtuellement l'Utah des droits d'autogouvernement qui étaient devenus un facteur caractéristique du gouvernement des territoires. La loi fut rendue rétroactive du point de vue des droits civiques, de sorte que quiconque avait vécu la loi du mariage plural était privé du droit de vote, même s’il ne la vivait plus.

Une campagne de procédures judiciaires commença contre les mormons polygames. Cette campagne dura pendant toute l'administration de John Taylor. Des centaines de domiciles furent violés, les maris et pères envoyés au pénitencier. Parce qu'elles refusaient de témoigner contre leur mari, des femmes furent envoyées en prison pour « insulte au tribunal ». Après la sévère condamnation prononcée contre Rudger Clawson en octobre 1884, se développa la « législation discriminatoire ». Cette décision des tribunaux permettait de prononcer des condamnations séparées contre un homme pour chaque journée où on le trouvait coupable de vivre avec une femme plurale.

Cette décision des tribunaux eut pour conséquence l'exil des dirigeants de l'Église, car elle revenait à proclamer qu'un homme qui pratiquait la polygamie, ou même essayait de pourvoir aux besoins de ses diverses épouses, pouvait, par une accumulation de condamnations séparées, être envoyé en prison à vie.

Cette « politique discriminatoire » fut condamnée par la Cour Suprême des États-Unis dans le cas de Lorenzo Snow, qui se présenta devant elle en février 1887.

Loi Edmunds-Tucker

En mars 1887, le Congrès passa une mesure encore plus draconienne pour supprimer la polygamie, mesure appelée la « loi Edmunds-Tucker ». Cette loi permettait la dissolution de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, qui enseignait la doctrine, et de la Compagnie du fonds perpétuel d'émigration. Les biens de ces corporations reviendraient au gouvernement fédéral et seraient utilisés au profit des écoles du territoire. Seuls étaient exemptés de la loi les cimetières et les bâtiments et terrains à fonction exclusivement culturelle. Cette loi fut dénoncée au Congrès par beaucoup de non mormons notables, mais le mouvement populaire contre la polygamie en assura le passage.

Le United States Marshal Dye se chargea des biens fonciers et personnels de l'Église. Pour conserver l'usage des bureaux de la dîme et du bureau de l'historien, l'Église paya au gouvernement un loyer annuel de 2400 dollars. L’Église paya 450 dollars par mois pour conserver l'usage de la Guardo House et une somme élevée pour obtenir l'usage de Temple Square.

Pendant cette période, l'Église eut de grosses difficultés financières. Elle ne pouvait pas emprunter le moindre dollar. Seul le paiement des dîmes par ses fidèles lui permit d'affronter cette situation. Des lieux de cachette, généralement appelés « underground », la Première Présidence exilée dirigeait les affaires de l'Église. John Taylor mourut en exil le 25 juillet 1887 à Kaysville en Utah.

Après la mort de John Taylor, la croisade contre la polygamie continua, mais avec une grande tolérance de la part des officiers. Le président Grover Cleveland pardonna à un certain nombre d'hommes qui avaient reçu de lourdes condamnations, parmi lesquels Charles Livingston, Rudger Clawson et Joseph H. Evans.

En Idaho et en Arizona, l’opposition contre la polygamie devint intense. En 1885, la Législature de l'Idaho passa une loi qui privait de leurs droits électoraux tous les membres de l'Église qui enseignaient pareille doctrine, ce qui privait tous les mormons du droit de voter ou de détenir des offices, qu'ils soient ou non polygames. Bien que mise en doute, la constitutionnalité de la loi fut maintenue par la Cour Suprême des États-Unis dans une décision rendue le 3 février 1890. Un projet de loi du même genre, appelé le « Stubble Bill », fut introduit au Congrès pour le territoire d'Utah. Même des non mormons éminents d'Utah s'y opposèrent, et il fut rejeté.

Fin du mariage plural

Le Manifeste

Le 7 avril 1889, au sein de ces difficultés, Wilford Woodruff, président de l'Église , suspendit le « mariage plural ».

Les lois contre la polygamie avaient imposé aux membres de l'Église un dilemme. Ils devaient désobéir, soit à la loi divine, soit à la loi du pays. La décision fut pour eux un soulagement. Le 25 septembre 1890, le président Woodruff proclamait son célèbre « Manifeste » qui mettait fin à la célébration des mariages pluraux dans l'Église et demandait aux saints d'obéir à la loi du pays. À la conférence générale d'octobre, le « Manifeste » fut soutenu et devint ainsi obligatoire pour l'Église.

À cette conférence, le Wilford Woodruff déclara : « Je tiens à dire à tout Israël que la mesure que j'ai prise en publiant ce Manifeste ne l'a pas été sans prière fervente devant le Seigneur… Je n'ignore pas les sentiments qui ont été suscités par ce que j'ai fait… Le Seigneur ne me permettra jamais, ni à moi, ni à aucun autre qui remplit le poste de président de cette Église de vous conduire dans l'erreur. Ce n'est pas dans le programme. Ce n'est pas dans la volonté de Dieu. Si je devais l'essayer, le Seigneur m'ôterait de ma place ».[8]

Le résultat du Manifeste fut un changement notable dans l'attitude vis-à-vis de l'Église. Le 4 janvier 1893, le président Harrison fit une déclaration d'amnistie à ceux qui avaient contracté des « mariages polygames » avant le 1er novembre 1890. Les restrictions contre le droit de vote furent supprimées en 1893 et les biens personnels de l'Église furent rendus à leurs propriétaires. Trois ans plus tard, lorsque l'Utah reçut le statut d'État, les biens fonciers qui avaient été confisqués furent de même rendus à l'Église.

Au cours des années qui suivirent le Manifeste, des mariages pluraux furent célébrés en dehors des États-Unis avec l'accord de la Première Présidence de l'Église. Le second Manifeste de 1904 marqua l'abandon définitif des mariages pluraux dans le monde entier.[9]

Mouvements pratiquant la polygamie de nos jours

Certains mouvements issus du mormonisme pratiquent encore de nos jours une forme de mariage plural. Ils sont souvent désignés sous le terme de « mormons fondamentalistes ».

Ces mouvements ne sont cependant pas affiliés à l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours qui ne les reconnaît pas comme « mormons ». En 1998, Gordon B. Hinckley a déclaré que :

« l'Église n'a absolument rien à voir avec les personnes qui pratiquent la polygamie. Ils ne sont pas membres de notre Église... Si l’on apprend que l’un de nos membres pratique le mariage plural, il est excommunié, la peine la plus grave que l’Église puisse appliquer. Non seulement il enfreint les lois du pays, mais il enfreint aussi les lois de notre Église [10]. »

En 2006 suite à l'arrestation de Warren Jeffs (dirigeant d'un mouvement fondamentaliste), l'Eglise a publié une dépêche affirmant que le terme « mormon » ne devrait pas être utilisé pour désigner ces groupes polygames afin d'éviter la confusion.[11]

Fiction

En 2006, la série télévisée américaine "Big Love" raconte l'histoire d'un polygame, Bill, fondamentaliste mormon indépendant.

Pour éviter tout amalgame de cette fiction avec le mormonisme classique, l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours a publié ce qui suit :

« L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours a officiellement mis un terme à la polygamie en 1890. Tout membre de l’Église qui la pratique aujourd’hui est excommunié. Les groupes qui continuent de la pratiquer en Utah et ailleurs n’ont aucun lien avec l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ; la plupart des gens qui la pratiquent n’ont jamais compté parmi ses membres. L’Église est depuis longtemps préoccupée par la poursuite de la pratique illégale de la polygamie, en particulier par les rapports de sévices à l’encontre des conjoints et des enfants émanant aujourd’hui de communautés polygames. Il serait regrettable que ce feuilleton, en faisant de la polygamie un sujet de divertissement, minimise la gravité du problème des sévices. Les représentants de l’Église ont demandé aux producteurs de HBO d’envisager de publier au début de l’émission un démenti dissociant l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours de la pratique actuelle de la polygamie. »

— La Première Présidence, le 17 février 2006

Notes et références

  1. « Discours du président Wilford Woodruff concernant le Manifeste », Déclaration officielle n°1, Doctrine et Alliances, p. 353 de l’édition de 1998
  2. History of the Church 6:46
  3. William E. Berrett, The Restored Church, Deseret Book, Salt Lake City, 1961, chapitres 23 et 35.
  4. Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 3, pp. 291, 488
  5. History of the Church, Periode 1, Vol. 5, p. 85
  6. Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 3, p. 291
  7. Louis Auguste Bertrand, Mémoires d’un mormon, Collection Hetzel, Paris, 1862, p. 206
  8. Conference Report, octobre 1890
  9. Van Wagoner, Mormon Polygamy : A History, Signature Books, Salt Lake City, 1999
  10. L’Etoile, janvier 1999, p. 84
  11. http://www.sdj-mormons.net/article117.html

Voir aussi

Bibliographie

  • B. H. Roberts, Comprehensive History of the Church, vol. 2, pp. 92-110 ; vol. 5, pp. 287-294 ; 295-301 ; 471-474 (notes 29, 30) ; 541-545 (notes 7, 8) ; vol. 6, pp. 226-229
  • John R. Young, Memoirs, pp. 242-263, 305-317
  • William E. Berrett, The Restored Church, Deseret Book, Salt Lake City, 1961 chapitres 23 et 35
  • Carter E. Grant, The Kingdom of God Restored, Salt Lake City, Deseret Book, 1955, chapitre 49
  • Louis Auguste Bertrand, Mémoires d’un mormon, Collection Hetzel, Paris, 1862, chapitre 6
  • Gregory L. Smith, Polygamie, prophètes et esquives, FAIR
  • Notre patrimoine, Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, Salt Lake City, 1996, chapitre 8

Articles connexes

Liens externes

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