- Le plan de sauvegarde du patrimoine écrit
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Plan de sauvegarde du patrimoine écrit
Au cours de l’année 1978, Alice Saunier-Seité, ministre des Universités (actuel ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) a constitué une commission afin d’étudier l’état des collections de la Bibliothèque nationale et de proposer les mesures nécessaires à leur sauvegarde. Cette commission fut mise en place en octobre 1978 et la présidence en fut confiée à Maurice Caillet, inspecteur général honoraire des bibliothèques. Le 14 mai 1979 M. Caillet a remis au ministre des Universités un rapport détaillé qui précisait les observations contenues dans une note antérieure du 26 février 1979, et préconisait un plan de sauvegarde des collections.
La commission a fait porter son enquête sur les collections de huit départements : Livres imprimés, Périodiques et Publications officielles (déménagés en 1998 sur le site François-Mitterrand) ; Musique, Manuscrits, Cartes et Plans, Estampes et Photographie et Arts du Spectacle (demeurés sur les sites Richelieu et Louvois).
Ses conclusions étaient et sont restés très alarmantes : « si une action énergique n’est pas entreprise, une part considérable des documents entrés à la Bibliothèque nationale depuis cent ans disparaîtra : au département des Livres imprimés, les deux tiers des deux millions de livres français publiés entre 1875 et 1960 sont ou seront bientôt dans un état critique ; 90 000 volumes se trouvent déjà hors communication. Or, la Bibliothèque nationale est la seule collection publique à posséder, du fait du dépôt légal, la quasi-totalité des œuvres imprimées en France. Une partie d’entre elles ne se trouvent dans aucune autre bibliothèque : c’est donc une part de notre mémoire culturelle qui est menacée. ».
Sommaire
Autodestruction du papier moderne
Cette situation s’explique essentiellement par la mauvaise qualité du papier que l’on a utilisé au cours des dernières décennies. Certes le papier a toujours été un matériau relativement fragile, sensible à la lumière, à l’humidité et à la chaleur. Mais pendant longtemps il a présenté une résistance très suffisante. Jusqu’en 1700, en effet, on l’a obtenu à partir de chiffons et par des procédés artisanaux semblables à ceux qu’utilisaient les Chinois et les Arabes. Les livres du XVe, du XVIe et du XVIIe siècle, qui sont souvent protégés par de fortes reliures de cuir, paraissent d’une solidité à toute épreuve. À partir du début du XVIIIe siècle les conditions de fabrication se transforment et la qualité du papier en souffre quelque peu : on emploie, peu après 1700, des battoirs à roues ferrées, d’origine hollandaise, qui brisent la fibre cellulosique et laissent dans la pâte à papier des particules de fer, sources des jaunissements et des piqûres que l’on constate dans les livres et imprimés de cette époque ; au XIXe siècle, vers 1830, on réalise l’encollage du papier par addition de cellophane et d’alun dans la pâte et on y introduit de ce fait une forte acidité. Mais, dans l’ensemble, le papier conserve encore une qualité satisfaisante.
C’est peu après 1830 qu’apparaît ce qui constitue la faiblesse du papier contemporain : l’utilisation de la pâte de bois, qui devient prédominante à partir de 1875. Cette pâte de bois est produite par des procédés entièrement mécaniques, qui provoquent la désagrégation de la fibre cellulosique ; elle ne contient plus, ou presque plus, de cellulose noble, mais presque uniquement de la lignine, ainsi que de la pectine, matière gélifiante. Or, la lignine, et la pectine sont instables et en elles-mêmes acides. Leur désagrégation est accélérée par les autres acides que l’on ajoute à la pâte, notamment pour la blanchir. Il se produit donc un phénomène d’autodestruction du papier, qui explique pourquoi les feuillets des livres contemporains jaunissent, deviennent cassants et se fractionnent en menus morceaux.
Cette autodestruction peut être plus ou moins lente : un livre conservé dans une bibliothèque privée, bien relié, consulté peu fréquemment et chaque fois avec précaution, restera longtemps en bon état. Mais dans une grande bibliothèque, le même livre, parce qu’il peut ne pas être relié comme il convient, parce qu’il est souvent communiqué, parce qu’il suit un long trajet entre le rayon et le lecteur et qu’il est manié avec moins d’égards, risque de tomber en poussière au bout de quelques années.
Une autodestruction planétaire
La situation décrite dans le rapport Caillet n’est pas spéciale à la France, mais concerne toutes les collections modernes des bibliothèques occidentales et dès 1900, des observateurs avaient déjà compris l’immense destruction lente et quasi invisible qui se mettait en route. Tous les pays ont en effet adopté vers la même date le même papier de qualité inférieure. Une conférence réunissant les responsables de la Library of Congress, de la British Library, de la Bayerische Staatsbibliothek de Munich et de la Bibliothèque nationale s’est tenue à Paris en septembre 1978 et a montré que les principales bibliothèques nationales avaient à résoudre des difficultés analogues en ce qui concerne la conservation du papier. Disons seulement que c’est probablement en France, pendant les deux guerres et dans les années qui les ont immédiatement suivies, que le papier a été le plus médiocre.
Le plan de sauvegarde du patrimoine imprimé
Le rapport Caillet, après avoir constaté la réalité des faits, proposait un plan de sauvegarde de notre patrimoine imprimé contemporain. Il préconisait deux actions immédiates, l’une liée au transfert des informations, l’autre liée à la matérialité des documents : soit la photographie des documents en péril, qui, dans l’usage courant, devait remplacer la consultation des originaux par celle de microfilms ou de microfiches ; soit la consolidation ou la restauration des originaux, pour que nous disposions toujours d’un recours en matière d’authenticité et leur reliure systématique. Cependant, des doubles traitements de type consolidation en doublant des feuillets avant les prises de vues étaient souvent nécessaires. Le rapport Caillet insistait également sur la nécessité de mettre au point un procédé de désacidification de masse du papier, qui en éliminerait le ferment destructeur.
Mise en œuvre du plan : première étape, 1980-1998
Robert Poujade, président du conseil d’administration de la Bibliothèque nationale, a fait connaître le 21 juin 1979, dans une conférence de presse, quelles étaient les intentions du gouvernement : à partir de 1980, le ministre des Universités attribua une subvention annuelle de dix millions de francs à la Bibliothèque nationale jusqu’à ce que cette dernière ait pu mettre hors de danger et maintenir à la disposition des chercheurs la production imprimée française des cent dernières années.
La réalisation du plan de sauvegarde démarra en partie à Paris, dans les nouvelles installations du service restauration du site Richelieu, pour les manuscrits, les estampes, les cartes et plans, les imprimés musicaux, mais aussi à Sablé-sur-Sarthe et à Provins, où le ministre des Universités a décentralisé deux unités de travail de la Bibliothèque nationale. Le château de Sablé accueille le centre technique Joël Le Theule, dont les installations sont destinées au traitement du livre imprimé, et le couvent des cordelières de Provins est consacré jusqu’aux années 2000 au traitement des collections de la presse.
En même temps qu’elle s’efforce de sauver les documents déjà existants, la Bibliothèque nationale se préoccupe, avec l’aide des imprimeurs et des éditeurs, d’obtenir pour les publications actuelles une meilleure qualité de papier. Des contacts ont été pris avec le Syndicat national des éditeurs et le Cercle de la librairie : de nouvelles rencontres auront lieu cet automne.
Mise en œuvre du plan : deuxième étape, 1993-2006
Projet EPBNF et BN
Mise en œuvre du plan : troisième étape, depuis 2006
Bascule numérique
Rapports
- Maurice Caillet, Rapport préliminaire sur les objectifs et les moyens du plan de sauvetage des collections de la Bibliothèque nationale, 26 février 1979
- Maurice Caillet, Deuxième rapport sur les objectifs et les moyens du plan de sauvetage des collections de la Bibliothèque nationale, 14 mai 1979
Ces rapports peuvent être consultés au centre de documentation de la direction du Livre et de la Lecture du ministère de la Culture.
Bibliographie
- Jean-François Delmas, « Le rapport Caillet », dans Bulletin des bibliothèques de France, vol. 54, no 3 « Les bibliothèques au rapport », 2009, p. 22–27 [texte intégral]
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