La Vie de Tolstoï

La Vie de Tolstoï
La vie de Tolstoï
Auteur Romain Rolland
Genre Biographie
Pays d'origine Drapeau de France France
Éditeur Albin Michel
Hachette en 1921 et 1928
Date de parution 1978
Couverture Tolstoï à Iasnaïa Poliana
Nombre de pages 213
ISBN 2-226-00690-7
Chronologie
La fin du voyage : les amies
La fin du voyage : . le buisson ardent

La Vie de Tolstoï est une biographie critique de Léon Tolstoï écrite par Romain Rolland, prix Nobel de littérature 1915, publiée pour la première fois chez Hachette en 1921, en une version revue et augmentée en 1928 à loccasion du centenaire de la naissance de Tolstoï puis rééditée en 1978 et en 2010 aux Éditions Albin Michel[1],[2].

Sommaire

Présentation

Cette biographie est dabord un hommage de Romain Rolland à un auteur quil a aimé et estimé. « Cette grande âme » disait-il en lévoquant. En trois ans, de 1885 à 1887, les grandes œuvres de Tolstoï sont traduites en français et publiées à Paris. « Jamais, sexclame-t-il, une voix pareille à celle de Tolstoï navait encore retenti en Europe. »

Il va exercer alors une grande influence sur la jeune génération des intellectuels français, aussi bien pour l'originalité de ses idées que pour les fresques qu'il brosse de l'histoire russe à travers les deux œuvres maîtresses de la maturité que sont Guerre et paix et Anna Karénine.

Résumé

Tolstoï en 1908

Les débuts

Léon Tolstoï est un homme torturé qui ne saime pas. Déjà dans ses récits autobiographiques sur lenfant et le jeune homme, « Adolescence » et surtout « Jeunesse », il se dépeint souvent de façon négative, se plaignant davoir « le nez si large, les lèvres si grosses, les yeux si petits[3], davoir un visage sans expression, des traitssans noblesse. » [4] Il se juge sévèrement : « Mon grand défaut : lorgueil. Un amour-propre immense, sans raison », avoue-t-il dans son Journal[5].

Écartelé, il joue tout à tour au stoïcien quand il sinflige des tortures physiques et à lépicurien quand il sadonne à la mavouer. « [6] En 1850, son rôle lui pèse et ses créanciers le harcèlent : il décide de rejoindre dans larmée son frère Nicolas dans le Caucase. Il note dans son « Journal » les trois vices qui lobsèdent :

1) Passion du jeulutte possible
2) Sensualitélutte très difficile
3) Vanitéla plus terrible de toutes

Il reste un être profondément religieux, le Caucase lui révélait « les profondeurs religieuses de son âme. » [7] En novembre 1854, il arrive à Sébastopol en Crimée pour faire la guerre à la Turquie, écrit le premier récit de « Sébastopol », une épopée sublime sur cette guerre, que les souverains goûtèrent fort dit-on. Deux autres récits suivront lhéroïsme cédera la place à la peur des hommes et à lhorreur de la guerre. Le retour à la vie civile à Saint-Pétersbourg est difficile. Il éprouve du mépris pour ses confrères, Tourgueniev lirrite. Ils se brouillèrent et Tolstoï mit vingt ans pour lui pardonner leur dernière dispute.

De Guerre et paix à Anna Karénine

Bataille de Borodino

Il retourne dans son domaine à Iasnaïa Poliava soccuper de ses paysans sans se faire beaucoup dillusions sur la nature humaine, « sur ses faiblesses et sa cruauté. » [8]

En 1859, il écrit « Bonheur conjugal », « cest le miracle de lamour » : il épouse la jeune Sophie Behrs. Ce roman « se passe dans le cœur dune femmeAvec quelle délicatesse », sextasie Romain Rolland. Sa jeune femme est un soutien précieux, laide dans son travail de création, « elle réchauffait en lui le génie créateur. » Elle lui sert de modèle pour le personnage de Natacha dans Guerre et paix et celui de Kitty dans Anna Karénine. Cest dans cette ambiance paisible et familiale quil va écrire Guerre et paix (1864-69) puis Anna Karénine (1873-77).

Durant ces quelque douze années de sérénité conjugale, il donne ses meilleures productions. Même si pendant cette période, il est parfois pris de violents dangoisse, comme cette nuit quil racontera dans « Le journal dun fou » (1883). Dans Anna Karénine, écrit Romain Rolland, Tolstoï a procédé de la même façon que pour Guerre et paix en disposant autour dune histoire centrale, « tragédie dune âme que lamour consume », les romans dautres vies. Son intérêt réside aussi dans le portrait de Constantin Lévine qui est son incarnation.Tolstoï se projette dans son personnage, lui prête ses idées contradictoires, « son anti-libéralisme daristocrate paysan qui méprise les intellectuels, lui prête aussi sa vie à travers ses premières années de mariage et la mort de son frère Dimitri.

Léloignement

Vue de St Pétersbourg

« Je navais pas cinquante ans, écrit Tolstoï, jaimais, jétais aimé, javais de bons enfants, un grand domaine, la gloire, la santé, la vigueur physique et moraleBrusquement, ma vie sarrêta. » [9] Les crises dangoisse reviennent, qui le laissent dans un état de désespérance extrême, sans forces. Mais « un jour, la grâce vintIl était sauvé. Dieu lui était apparu. »

Le mystique quil sera toute sa vie sest imposé et, malgré sa condamnation du rôle de lÉglise, il fait sien le message de lÉvangile. En 1882, il est à Saint-Pétersbourg pour le recensement et lui, laristocrate provincial, découvre la misère ouvrière de la grande ville. Il relatera cette expérience dans un essai au titre éclairant « Que devons-nous faire ? » (1884-86) qui rejette loin derrière lui ses tourments métaphysiques. Ce tournant de sa vie, le retour du désespoir quil entraîne, léloigne de sa femme qui supporte de plus en plus difficilement ses difficultés, sa prostration. Pourtant, ils saiment toujours et elle lui écrit : « Jai senti un tel accès de tendresse pour toi ! (Tout ce) quil y a en toiéclairé par une lumière de compassion pour tous, et ce regard qui va droit à lâmeEt cela nappartient quà toi seul. » Belle preuve damour mais ils sont déjà trop loin lun de lautre pour quils puissent se rejoindre.

Sa vision de lart et de lartiste

Dans Que devons-nous faire ? Tolstoï livre sa vision de lartiste guidé par une force, un besoin intérieur, et son amour des hommes. Pour lui et dans le monde quil a sous les yeux, ils sont complices de linégalité du système actuel et de sa violence. Malgré les outrances dues à sa fougue, à ses certitudes, son essai Quest-ce que lart ?, paru en 1897-98, il soutient que les savants et les artistes forment « une caste privilégiée comme les prêtres ». Pour être objectif, « pour voir clair », il faut sen affranchir, mettre en cause ses privilèges, « se mettre dans létat dun enfant. » Iconoclaste, il attaque un écrivain comme Shakespeare, publiant en 1903 un essai « Sur Shakespeare et le drame ».

Mais prévient Romain Rolland, « quand Tolstoï parle de Shakespeare, ce nest pas de Shakespeare quil parle, cest de lui-même : il expose son idéal ». Tolstoï déplore que son époque dissocie lart décadent des privilégiés et lart populaire. Pour lui, le grand art doit tendre à réconcilier les hommes, « combattre par lindignation et le mépris ce qui soppose à la fraternité. » Il donne lexemple en écrivant ses Quatre livres de lecture, largement diffusés dans les écoles russes et ses « Premiers contes populaires. » [10]

Vers « Résurrection »

Á partir de 1884, Tolstoï va non seulement aligner nombre dœuvres majeures[11], mais aussi changé de style. Il abandonne « leffet matériel et le réalisme minutieux » et passe à une « langue imagée, savoureuse, qui sent la terre. » Son attirance pour le peuple lui fait goûter la beauté de la langue populaire, il aime parler avec ses paysans, « enfant il avait été bercé par les récits des conteurs mendiants. » En 1877, un conteur passe par Iasnaïa Poliana récitant des contes dont deux deviendront sous sa plume De quoi vivent les hommes ? et Les trois vieillards. (1881 et 1884)

Il écrit un drame La puissance des ténèbres nous dit Romain Rolland, « les caractères et laction sont posés avec aisance»[12].

La mort dYvan Iliitch est lhistoire dun européen moyen de cette époque, un homme « vide de religion, didéal et presque de pensée, absorbé par sa fonction, dans sa vie machinale jusquà lheure de sa mort il saperçoit avec effroi quil na pas vécu. » Il découvre le mensonge qui lenvironne, pleure son isolement et légoïsme des hommes. Sa vie aussi na été quun mensonge quil veut réparer avant quil ne soit trop tard. Petit rayon de soleil juste avant la fin.

La Sonate à Kreutzer est la confession dune brute, un meurtrier taraudé par la jalousie. Cest une œuvre noire il fustige lhypocrisie, son héros Posdnichev sélève contre lamour et le mariage. Dans sa postface à La sonate à Kreutzer, tolstoï écrira : « je ne prévoyais pas du tout quune logique rigoureuse me conduirait je suis venu. »

Les années 1900

Gandhi en 1930

D'après Romain Rolland[13], Maître et serviteur (1895) est une œuvre de transition entre ses drames antérieurs et Résurrection. C'est l'histoire « d'un maître sans bonté et d'un serviteur résigné » qui sont surpris dans la steppe par une nuit de tourmente de neige et qui finissent par s'égarer. Le maître Vassili fuit d'abord, abandonnant Nikita son serviteur puis, pris de remords, il revient, se jette sur lui pour le réchauffer et le sauve. « Nikita vit, s'exclame-t-il ; je suis donc vivant, moi. » Il découvre ainsi la liberté dans la mort[14].

De son livre Résurrection, il se dégage « le sentiment de l'écrasante fatalité » pesant sur tous, victimes et bourreaux. Tolstoï prête ses idées à son héros Nekhludov, prince riche et considéré, devant épouser une jeune femme qui l'aime et qui ne lui déplaît pas. Mais il rejette cette vie toute tracée, sa position sociale, abandonnant tout pour épouser une prostituée. Il continuera à se mortifier, même quand il apprend que sa femme, la Maslova, continue à se livrer à la débauche. Il veut à tout prix réparer une faute ancienne mais « Nekhludov n'a rien d'un héros de DostoïevskiCe n'est qu'un homme ordinaire et médiocre, « le héros habituel de Tolstoï. »

À partir des années 1900, Tolstoï combat les évolutions qu'il constate dans la société russe. D'abord les libéraux dont les idées lui paraissent dangereuses[15], qui parlent du peuple san rien en savoir, « peuple, volonté du peuple. Eh, que savent-ils du peuple ? » Le socialisme n'est pas mieux loti, son but étant « la satisfaction des besoins les plus bas de l'homme : son bien-être matériel. » [16]

Lui croit à un nouveau christianisme « basé sur l'égalité et la vraie liberté. (La fin d'un monde) » Il se bat pour ses idées, pour que la terre appartienne à ceux qui la travaillent, défend ce qu'il nomme 'le principe de non résistance', « ne t'oppose pas au mal par le mal » écrit-il à un ami en 1900. Cette conception chrétienne le rapproche de Gandhi qui prône une non violence active[17]. Il souffre pour ceux qui mettent en pratique ce précepte et sont persécutés par le pouvoir tsariste[18].

Tolstoï quitta brusquement Iasnaïa Poliana le 28 octobre 1910 vers cinq heures du matin avec le docteur Makovitsky. Il passe au monastère dOptina puis va voir sa sœur Marie au monastère de Chamordino. Ils en repartent pour se diriger vers Keselsk mais à la gare dAstapovo. Cest quil mourut en répétant : « Il y a sur terre des millions dhommes qui souffrent ; pourquoi êtes-vous tous à vous occuper du seul Léon Tolstoï ? »

Notes et références

Romain Rolland à Vézelay
  • Cahiers Romain Rolland n°24, Monsieur le comte, Romain Rolland et Léon Tolstoï, textes présentés par Marie Romain Rolland
  • Le journal de Valentin Boulgakov, dernier secrétaire de Tolstoï, Les œuvres libres, Éditions Arthème Fayard, 1924
  • Tolstoys Flucht und Tod sur les derniers jours de Tolstoï, Eckstein-Fuelloep, Bruno Cassirer, 1925
  • Tolstoï, Henri Troyat, Paris, Hachette, collection Génies et Réalités, 1965
  • Confession, Léon Tolstoï, traduction Luba Jurgenson, Éditions Pygmalion, 1998, (ISBN 285704559X)
  • Les Tolstoï : journal intime, Alexandra Devon, traduction Valérie Latour-Burney, Éditeur Lentretemps, 11/2006, (ISBN 2-912877-47-4)
  1. (ISBN 2-226-00690-7)
  2. (ISBN 978-2-226-21863-6), avec une préface de Stéphane Barsacq
  3. Enfance (XVII)
  4. Jeunesse (I)
  5. Journal de Tolstoï, traduction de JW Bienstock
  6. Adolescence (XXVII)
  7. Lettre à sa tante Alexandra Tolstoï (3 mai 1859)
  8. Voir son Journal du prince D Nekhludov
  9. Extrait des « Confessions » (1879), tome XIX des Œuvres complètes.
  10. Voir Sur linstruction du peuple(1862 et 1874), Quatre livres russes de lecture et Nouveau syllabaire (1875), Légendes pour limagerie populaire et Récits populaires (1885-86) Pour sa conception de lart populaire, voir page 108 de cette biographie
  11. La mort dYvan Iliitch (1884-86), La puissance des ténèbres (1886), La sonate à Kreutzer(1889), Maître et serviteur(1895) et Résurrection
  12. Des caractères très fouillés : « Le bellâtre Nikita, la passion emportée et sensuelle dAnissia, la bonhomie cynique de la vieille Matriona qui couvre maternellement ladultère de son fils et la sainteté du vieux Akim à la langue bègue… »
  13. Voir biographie page 128
  14. « Et il sent qu'il est libre, écrit Romain Rolland, que rien ne le retient plus... Il est mort. »
  15. « La volonté collective d'une nation de plusieurs millions d'habitants par le suffrage universel, ne peut exister. (La fin d'un monde 1905-06) »
  16. Lettre au japonais Izo-Abe (1904)
  17. Voir Romain Rolland Mahâtmâ Gandhi pages 53 et suivantes
  18. Voir lettres à Ténéromo juin 1894 et à Gontcharenko 19 janvier 1905

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article La Vie de Tolstoï de Wikipédia en français (auteurs)

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