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L'Ennemi (poème)
Pour les articles homonymes, voir L'Ennemi.L'Ennemi est un des poèmes les plus connus des Fleurs du mal de Charles Baudelaire publié en 1857.
Baudelaire expose donc une nouvelle fois le thème littéraire traditionnel du temps dans ce sonnet, forme classique composée de deux quatrains et de deux tercets, dixième poème de son recueil Les Fleurs du mal. La disposition des rimes des quatrains dudit sonnet trahit toutefois une volonté du poète de se dégager des règles strictes du sonnet marotique.
Sommaire
Le « Temps, c'est l'ennemi »
Baudelaire met en évidence le temps qui passe par une progression passé-présent dans le premier quatrain : « ne fut » v.1 = passé « ont fait », v.3 = passé proche avec répercussion sur le présent, « reste » v.4 = présent
L'arrivée de l'automne, c'est-à-dire de la vieillesse (c'est une métaphore poétique employée afin d'éviter d'utiliser le mot "« vieillesse ») est mise en valeur par le présentatif « Voilà » qui marque aussi l'aboutissement de la progression évoquée auparavant.
L'utilisation de l'image du jardin joue sur la polysémie du mot « temps » : Baudelaire montre les conséquences du temps météorologique : celui-ci « fait un tel ravage » (v.3) qu'il ne reste après « qu'un sol lavé comme une grève » (c'est-à-dire rien du tout, une absence totale de matière) ; Cette métaphore filée (c'est-à-dire cette métaphore qui s'étend sur plusieurs vers) du jardin et du temps météorologique est à mettre en rapport avec l'esprit du poète (voir paragraphe suivant) et le temps humain celui qui passe...
Ce « Temps » (v.12) est personnifié comme le suggère la majuscule et l'utisation d'un vocabulaire normalement adapté à un homme "« mange » (v.12) « ronge » (v.13) pour être finalement assimilé à un « Ennemi » (v.13), carnassier et très vorace.
Ce temps qui dévore les hommes peut-être assimilé à Chronos (en grec ancien Χρόνος / Khrónos), dieu mythologique grec qui dévora ses enfants pour éviter que ceux-ci l'assassinent pour prendre le pouvoir ; cet « Ennemi » qui « ronge le cœur » (v.13) est également une référence à Prométhée (en grec ancien Προμηθεύς / Promêtheús, « le Prévoyant »), titan de la mythologie grecque qui fut condamné par les dieux à se faire dévorer chaque jour le foie (nous rappelons que le foie est le seul organe humain capable de se regénérer s'il est ôté de l'organisme) par un aigle ; enfin la référence à Dracula ou dumoins au vampire avide de sang est une image moderne (inventée au début du XIXe siècle) qui actualise ce poème et lui donne une tonalité quasi-fantastique... Les images mythologiques et de faits à la mode (vampire...) permettent d'engloger toute l'espèce humaine et de dire à chaque Homme qu'il est condamné à se soumettre au temps qui passe...
Comment lutter ? Par la création littéraire
Le métaphore filée du jardin représente donc l'esprit du poète (on peut faire le lien avec la morale du dernier chapitre de Candide de Voltaire « Il faut cultiver son jardin » qui peut être interprétée comme « Il faut cultiver son esprit »)... Les « fruits vermeils » (v.4) et les « fleurs nouvelles » (v.9) sont des images qu'il faut comprendre comme l'inspiration poétique, la production artistique du poète. Ainsi le poète voit son esprit dans l'impossibilité de créer, « ravag[é] » (v.3) par le temps qui passe
Parallélement, il donne à ces « fleurs nouvelles », c'est-à-dire à cette inspiration un côté presque divin, transcendental : il a besoin d'un « mystique aliment » (v.11) pour créer
Pour comprendre d'où vient cette inspiration tant attendue il faut avoir notion d'un schéma simple en tête : Baudelaire considère l'existence de deux mondes :
- LE MONDE DES HOMMES où règne la souffrance, des choses laides et l'angoisse
- LE MONDE DES IDEES, monde des esprits, c'est l'Idéal de Baudelaire auquel il aspire ; il y règne la justice, la beauté, l'harmonie et la paix éternelle
Pour Baudelaire, le poète, en créant est le seul être humain à pouvoir communiquer avec le monde des Idées ; Baudelaire y trouve du plaisir et présente dans ce poème une peur de ne pas être inspiré, de ne pas réussir à composer des vers, ce qui l'obligerait à se contenter du monde des hommes... La souffrance, l'angoisse de la page blanche est omniprésente dans les Fleurs du mal : c'est le SPLEEN.
La peur du temps qui passe chez Baudelaire est donc fondée puisque si la mort arrive trop vite, il n'aura pas le temps d'atteindre ce monde transcendantal...
En restant concret, ce monde des Idées que developpe Baudelaire est en fait l'immortalité littéraire qui ne peut être atteinte (c'est logique) que par une production artictique riche et variée : créer c'est donc pour Baudelaire lutter contre ce temps qui passe et qui conduit à la mort, c'est plus généralement lutter contre la mort en devenant immortelle : Baudelaire semble avoir réussi, en effet le fait de lire ses vers, d'évoquer sa personne ne le font pas tomber dans l'oubli : il vit encore contrairement à la majorité des hommes du XIXe siècle, tombés dans l'oubli pour l'éternité...
Victoire du spleen
Le spleen, angoisse du poète est mis en évidence par les antithèses : « orage » (v.1), « tonnerre et pluie » (v.3) qui s'opposent aux « brillants soleils » (v.2) Ce spleen est cette « eau » qui creuse des « trous grands comme des tombeaux ».
Comme dans la plupart des poèmes de Baudelaire, le spleen l'emporte sur la recherche de l'Idéal :
- les instruments du fossoyeur « pelle et rateaux » (v.6) sont mis en valeur par la rime avec « tombeaux »
- le dernier tercet, que l'on nomme chute du sonnet est empreinte de mort : « mange » « ronge » ou encore « sang » donnent à ce sonnet une tonalité tragique et dénoncent le temps mortifère.
Baudelaire aspire à un Idéal mais il est sans cesse confronté au monde des hommes plein de souffrance et de peine ; cette angoisse de la page blanche, d'où nait paradoxalement ce texte montre la modernité de Baudelaire qui dit avoir perdu son énergie créatrice de jeunesse alors que cette angoisse, ce spleen permet l'écriture de ce sonnet...
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Catégorie : Œuvre poétique de Charles Baudelaire
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