- L'Herbe
-
Pour les articles homonymes, voir Herbe (homonymie).
L'Herbe Auteur Claude Simon Genre Roman Pays d'origine France Éditeur Éditions de Minuit Date de parution 1er février 1958 Nombre de pages 261 ISBN 2707303526 L'Herbe est un roman de Claude Simon publié le 1er février 1958 aux éditions de Minuit.
Résumé
« Toujours debout, l’herbe, les minces langues d’herbe le long de ses jambes nues mollement balancées, non par la brise mais l’air tiède en paresseux remous, les hautes graminées, leurs têtes arachnéennes oscillant, flexibles, léchant ses chevilles, les multiples et vertes langues de la terre, et autour d’elle cette molle vibration de chaleur s’apaisant par degrés …».
C’est ainsi que l’herbe accompagne Louise, personnage central, dans sa marche vers le lieu de rendez-vous secret où elle retrouvera son amant.
Louise, femme jeune et mal mariée, découvre l’amour que lui portait Marie, tante de son mari, vieille femme, «vieille dame, vieille fille, petite poupée fripée et noire », en train de mourir, et qui, comme le rappelle sa belle-mère, « ne lui est rien ». Cette révélation se fait alors que Louise a le projet de quitter la maison familiale où elle vit avec son mari et ses beaux-parents, pour fuir avec cet amant; et elle va précéder – causer peut-être - sa décision d’y renoncer. Autour de cette trame, l’auteur évoque l’histoire d’une famille de paysans, parvenue à un sommet de réussite exemplaire avant de décliner et d’être prête à s’éteindre. Le sacrifice de deux sœurs, Marie, la mourante, et Eugénie, déjà morte, a permis d’extraire leur petit frère Pierre, de 15 ans plus jeune, à son destin de travailleur de la terre, et d’en faire un professeur. Mais son propre fils ne suivra pas la voie qu’il a tracée, il retournera à la terre, échouera dans ses entreprises, trompera Louise, sa femme, et sera trompé par elle. La guerre en 1940, l’exode, les malheurs du pays, la beauté de la nature qui les environne accompagneront et enrichiront le récit, fragmenté comme l’était celui de « Le vent », préparant les accomplissements d’ « Histoire ».
L’auteur multiplie les interrogations : pourquoi Louise est-elle malheureuse, est-ce uniquement d’être mariée à un raté, révolté contre lui-même et sa famille ? Pourquoi son beau-père Pierre est-il constamment en butte aux récriminations de sa femme Sabine ? L’a-t-il réellement trompée tout au long de leur vie commune ? Pourquoi Marie, « qui n’a jamais rien demandé aux autres, pas même qu’ils l’aiment, pas même la permission de les aimer » n’a-t-elle pas été mariée ? Où a-t-elle trouvé la force morale de mener toute sa vie dans l’oubli et la pureté, respectueuse d’autrui dans tous les moments de sa vie, même lorsqu’elle est volée, « comme si l’escroquerie, le vol lui-même, éhonté, déclaré, étaient impuissants à modifier tant soit peu cette indéfectible confiance, cette indéfectible foi dans son semblable, écartant, repoussant comme une chose malpropre, malodorante, dégradante en elle-même, l’idée, le soupçon seul de vol » ?
Claude Simon ne répond pas, fidèle en cela à la ligne romanesque suivie tout au long de la construction de son œuvre, et résumée lors de son discours de Stockholm : « non plus démontrer, mais montrer ». Il place quelques indices, laissant au lecteur le soin d’en tirer ce qu’il veut- ainsi de la photo découverte à la fin de l’histoire, où Louise comprendra –peut-être - que Marie devait se marier. Et les personnages, les situations, les paysages qu’il montre, balayent l’anecdote, les « petits tas de secrets » bourgeois, et prennent la densité d’une ode et d’une tragédie. Les fragmentations de phrase, les morcellements du rythme, les ruptures chronologiques s’affirment, moins prononcés que dans les œuvres majeures qui suivront, avec l’effet d’une mosaïque harmonieuse, et la construction d’une intrigue progressivement dessinée, où la tension narrative s’affirme avec force. L’évocation apparaît des photos, comme autant d’«écailles arrachées à la surface de la vaste terre », dont l’usage sera largement étendu dans « Histoire ».
L’obsession de l'exactitude du détail, le travail musical de la phrase, la capacité à passer sans effort du plus petit détail à la vision universelle subliment la banalité des situations, le stéréotype des personnages, et font passer un souffle d’une grande puissance, qui s’affermira encore dans les œuvres qui lui succèderont. La perspective de l’Histoire, les tragédies perçues ou vécues, la marque de l’implacable Destin traversent le récit, avec le souci permanent de la précision qui marque l’œuvre de Claude Simon : « …comme si leurs rives buissonneuses, leurs hauts peupliers, leurs ponts de pierre rongés et piqués de mousse noire n’avaient été imaginés et créés de toute éternité que pour cela, que pour constituer la dernière vision imprimée sur la rétine des adolescents destinés à mourir, regardant l’eau paresseuse et lente, attendant dans la verte paix d’un soir de défaite et le silence des campagnes désertées, la chair haletante, le bref éclair, la brève brûlure de leur mort ».
Et le peintre, accompagnant le photographe passionné qu’a été l’auteur, livre au fil des pages quelques croquis, comme autant d’évocations de la beauté qui l’entoure : « …l’éclatante, l’orageuse lumière de l’été moribond – l’été donc qui allait peu à peu ainsi s’épuiser, par degrés, d’orage en orage, comme si chacun emportait, lui enlevait un peu de sa substance – cette épaisse et opaque matière, comme la pâte d’un pinceau trop chargé, dans laquelle il semble être coulé tout entier : les lents ciels lourds, la lourde et verte senteur des foins coupé, d’herbe tiède, de terre tiède, de fruits tièdes, mûrissants, pourrissants -, les orages (comme celui de l’avant-veille) d’abord aussitôt épongés, bus par la terre velue, la molle et grise poussière, puis, peu à peu, attaquant l’été, le lavant, le détrempant, le trouant d’ombres transparentes, s’allongeant, puis, plus tard encore, l’entraînant, l’emportant, ni plus ni moins qu’une aquarelle se délayant, glissant, s’abîmant parmi l’humide, brun et silencieux froissement des feuilles qui se détachent, tombent, ne laissent plus à la fin que le noir entrelacs des branches nues et raides s’entrechoquant, oscillant avec raideur dans la virginale et métallique pluie d’hiver ».
Éditions
- L'Herbe , éditions de Minuit, 1958 (ISBN 2707303526).
Catégories :- Roman de Claude Simon
- Roman français
- Roman paru en 1958
Wikimedia Foundation. 2010.