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Interprétation de verbes figurés du français à la LSQ
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Sommaire
L’emploi figuré des verbes d’action… quelques pièges dans l’interprétation du français à la LSQ
Cet article traite des différences entre le français et la LSQ en ce qui a trait à l’utilisation figurée de certains verbes d’action. Il démontre que l’interprétation de ces verbes comporte un certain nombre de difficultés qu’il vaut mieux analyser de près afin d’éviter les pièges des correspondances inexactes d’une langue à l’autre. Les verbes « donner » et « trouver » sont analysés en particulier.
1. Observations générales
Le français se sert à profusion des verbes d’action au sens figuré. C’est-à-dire que ces verbes se trouvent utilisés selon des acceptions autres que celle de leur sens premier. Par exemple, le verbe « manger » dans la phrase « ses yeux lui mangent le visage » n’est pas utilisé au sens premier : « avaler pour se nourrir ». La LSQ n’emploie pas toujours les verbes d’action dans des contextes ou en suivant des acceptions identiques au français. Il ne s’agit pas ici d’un problème de termes qui seraient présents dans une langue et non dans l’autre. Le verbe « manger » a une entrée lexicale en LSQ. Or, dans cette langue, l’emploi de « manger » au sens de « faire disparaître en recouvrant, en débordant », n’est pas valide. Il faut employer d’autres termes pour rendre cette idée.
Des exemples de la sorte sont légion. Certains peuvent faire sourire tellement l’emploi du verbe paraît incongru lorsqu’on imagine l’allure de la phrase LSQ si on utilisait le même verbe qu’en français. Prenons l’exemple du verbe « courir ». En LSQ, « courir » (nous faisons référence au verbe impliquant les deux poings fermés, en excluant les formes avec classificateur) n’est employé que dans le sens de « se déplacer rapidement, en se servant d’un pied à la fois / faire une course ». D’autres stratégies d’énonciation que l’emploi figuré du verbe « courir » sont donc nécessaires pour traduire ces phrases du français à la LSQ : la plume court sur le papier ; elle court à sa perte ; le temps court ; il court après son souffle ; courir entre le boulot et la maison ; courir les occasions ; ta fille court un danger.
Certains feront remarquer que plusieurs de ces exemples sont des expressions idiomatiques et que, de toute façon, l’interprète doit analyser l’expression entière pour en rendre le sens. Voyons donc des exemples plus terre-à-terre où l’interprète n’a d’autres choix que de s’éloigner du verbe utilisé dans le message initial pour rendre une phrase correcte en LSQ. Vous conviendrez avec moi qu’aucune des phrases qui suivent ne peut être interprétée en choisissant le même verbe du français à la LSQ : les faits parlent d’eux-mêmes, les affaires marchent bien ; battre les œufs : le temps tourne à l’orage ; le commentateur s’étend sur son sujet. Ces exemples montrent bien comment le français utilise des verbes d’action au figuré, dans de nombreux contextes et selon des acceptions variées qui sont différentes de celles de la LSQ. Les risques sont plutôt faibles qu’un interprète se trompe dans l’usage grammatical de la LSQ à la suite d’une mauvaise appréciation de l’emploi figuré des verbes ci-haut. Ce n’est pas toujours le cas.
2. Le cas des verbes « donner » et « trouver »
Cette réflexion sur l’emploi figuré des verbes d’action a pris naissance pendant notre interprétation d’un cours de mathématiques alors que, par habitude ou par paresse, la phrase du professeur était bêtement reprise : « racine septième de x à la 4 donne x exposant 4 sur 7 ». À bien y penser, il apparaît que le verbe « donner » en LSQ ne comprend pas dans ses acceptions l’idée d’un résultat, d’une transformation. Il y avait confusion et, observant des étudiants en interprétation et d’autres collègues, nous avons remarqué que cette difficulté était partagée.
C’est particulièrement vrai pour les verbes « donner » et « trouver ». Ces verbes sont si fréquents dans le langage courant en français que le danger est grand de se laisser prendre au piège des correspondances directes et de reprendre le verbe tel quel. C’est souvent la conséquence d’un décalage trop court ; pour peu que le destinateur parle lentement, l’interprète a déjà commencé à signer « il court… », quand le premier poursuit : « … une étrange rumeur ». Cela peut aussi être le fait d’une inattention, voire d’un manque de connaissances des particularités de chacune des langues de travail. Parfois, les interprètes se rendent compte de leur méprise un peu tard et ils se voient obligés de perdre un temps fou à rétablir la cohérence de leur discours. Parfois, aussi, les interprètes n’ont pas conscience de leur faute et introduisent des expressions françaises dans leur interprétation. Les erreurs concernant « donner » et « trouver » sont tellement répandues qu’il en devient presque difficile de départager les formes acceptables en LSQ de celles qui représentent des emprunts au français. Les points suivants proposent une analyse détaillée des emplois de ces deux verbes.
2.1 L’interprétation des énoncés avec « donner »
Le verbe « donner » peut être utilisé dans plusieurs contextes en LSQ. En tout premier lieu, on peut, évidemment, produire des énoncés avec le verbe « donner » pour signifier l’action de transmettre des objets concrets: donner un livre, un chapeau, un numéro de téléphone. On peut également « donner » des sensations ou des objets immatériels : donner des problèmes, donner faim, donner chaud, donner des inquiétudes. Toujours en LSQ, on peut « donner » dans le sens d’assigner ou d’attribuer un nom, un signe, une note. On peut donner du travail, donner une pause, donner un horaire. Ainsi, le verbe « donner » en LSQ s’utilise aussi bien avec des objets concrets qu’abstraits. L’observation indique cependant que plusieurs acceptions en français ne se retrouvent pas en LSQ.
Dans l’interprétation du français à la LSQ de certaines phrases construites avec le verbe « donner », plusieurs cas seront résolus en retirant tout simplement l’idée de « donner quelque chose » :
- donner un coup de peigne → peigner ;
- donner un coup de balai → balayer ;
- donner un coup de main → aider ;
- donner une couche de vernis → vernir;
- donner sa signature → signer ;
- donner des signes d’approbation → approuver ;
- donner la permission → permettre ;
- donner des explications → expliquer ;
- donner un cours → enseigner ; * donner une gifle → gifler ; etc.
Souvent, le verbe « dire » produira des énoncés plus naturels pour interpréter, du français à la LSQ, des phrases ayant le verbe « donner »:
- donner son opinion → dire son opinion ;
- donner la marche à suivre → dire ce qu’il faut faire ;
- donner des nouvelles → dire /annoncer une nouvelle.
Veuillez vous assurer que vos modifications ne violent aucun copyright En LSQ, on ne peut pas « donner » dans le sens de « considérer quelque chose comme étant ?x- » :
- je le donne pour coupable → je pense qu’il est coupable ;
- elle le donne vainqueur → elle pense qu’il sera vainqueur.
On ne peut pas non plus utiliser « donner » dans sa forme pronominale :
- Marie se donne entièrement à son travail → Marie s’implique, s’investie… ;
- le spectacle s’est donné à la salle … → le spectacle a eu lieu …
L’emploi du verbe « donner » en LSQ ne comprend pas le sens de « consentir, concéder, accorder, promettre, dénoncer », comme dans les phrases :
- il donne son accord → il est d’accord,
- France a donné sa parole → France a promis ;
- son frère l’a donné à la police → son frère l’a dénoncé.
On ne peut pas davantage « donner » dans le sens de « fournir l’occasion, la chance de… » :
- cela donne à penser que … → cela veut peut-être dire que… ;
- il ne lui a pas été donné de prendre la parole → il n’a pas pu parler.
Enfin, « donner » en LSQ n’est pas utilisé pour signifier « avoir pour résultat » :
- 2 + 3 donne 5 → 2 + 3 totalise 5 ;
- des blancs d’œuf et du sucre donnent de la meringue → des blancs d’œufs et du sucre deviennent de la meringue.
Finalement, la langue française comprend diverses expressions idiomatiques avec le verbe « donner ». Nous nous sommes amusée à en retracer quelques unes:
- donner le ton / fixer la norme dans un groupe ;
- se donner en spectacle / attirer l’attention sur soi de façon déplacée ;
- donner sa tête à couper / affirmer avec énergie ;
- donner prise à quelque chose / s’exposer à quelque chose ;
- donner signe de vie / se manifester, faire parvenir des nouvelles ;
- donner froid dans le dos / faire peur ;
- donner du cœur au ventre / rassembler son courage ;
- donner corps à quelque chose / procurer à quelque chose un aspect concret ;
- donner du fil à retordre / causer des difficultés ;
- donner le bon Dieu sans confession / accorder une confiance absolue ;
- donner l’heure juste / dire les choses telles qu’elles sont ;
- donner sa langue au chat / renoncer à deviner.
donner du… à quelqu'un : s'adresser à lui d'une certaine façon (exemple !lui donner du vous )
2.2 L’interprétation des énoncées avec « trouver »
Le verbe « trouver » s’emploie en LSQ pour signifier « être en présence de quelqu’un ou de quelque chose que l’on cherche » :
- j’ai trouvé mes clés ;
- je trouve encore des fautes dans ton texte. Il désigne aussi l’action de faire une découverte : j’ai trouvé où se cachait le chat ; mon garçon a trouvé un nid de guêpes .
Ce verbe n’est pas uniquement utilisé pour des objets tangibles. En effet, on peut également y avoir recourt s’il s’agit de découvrir par l’imagination ou la réflexion :
- Luc a trouvé la solution ;
- elle a trouvé la meilleure réponse.
Comme pour la plupart des verbes d’action, « trouver » ne s’utilise pas en LSQ dans toutes les acceptions retenues en français. Par exemple, on ne peut l’employer dans le sens de « penser, être d’opinion que… ». Une façon simple d’interpréter ce type d’énoncé est de retirer tout simplement le verbe « trouver » :
- je trouve que cela te va bien → ça te va bien (sous-entendu : c’est ce que je dis ou pense) ;
- je trouve ça beau/bon/bien → c’est beau, c’est bon, etc.
Passant du français à la LSQ, on peut souvent remplacer le verbe « trouver » par « penser » ou « ressentir » :
- ma sœur trouve que tu es gentil → ma sœur pense/dit que tu es gentil ;
- trouves-tu que c’est difficile → sens-tu que c’est difficile ;
- ceux qui trouvent que c’est suffisant, levez la main → ceux qui pensent…
Le sens figuré « avoir à sa disposition » ne peut être exprimer en LSQ avec le verbe « trouver » :
- j’ai trouvé la force de me lever → j’ai fait l’effort de me levé ;
- Jacques a trouvé le moyen de s’y rendre → Jacques a réussi à s’y rendre ;
- elle a trouvé le temps de venir → elle a pu venir/ elle a eu le temps de venir.
On ne l’emploie pas davantage pour signifier « aller à la rencontre de » :
- il est allé trouver son patron → il a rencontré son patron.
La forme pronominale de « trouver » n’est pas employée en LSQ :
- je me trouve au premier étage → je suis au premier étage ;
- où se trouve la Slovénie ? → où se situe/où est Slovénie ? ;
- elle se trouve grosse → elle se sent grosse ;
- cette opinion se trouve chez les extrémistes → cette opinion appartient aux extrémistes.
On n’emploie pas non plus « trouver » dans une forme impersonnelle :
- il se trouve que vous avez tort → en vérité, vous avez tort.
Le verbe « trouver » est employé fréquemment mais son usage est beaucoup plus restreint en LSQ qu’en français. Pour terminer, voici quelques expressions françaises comprenant ce verbe :
- trouver le temps long / s’ennuyer ;
- trouver chaussure à son pied / rencontrer une personne qui nous convient ;
- trouver son compte / reconnaître où est son avantage, son intérêt ;
- trouver porte close / aller quelque part où les gens sont absents ;
- trouver grâce au yeux de quelqu’un / plaire à quelqu’un, être pardonné ;
- trouver à redire / chercher des moyens de critiquer ;
- se trouver nez à nez / être à égalité dans une compétition ;
- se trouver sur son chemin / créer un obstacle pour un autre ;
- se trouver dans de beaux draps / être dans une situation gênante ;
- se trouver mal / sentir un malaise.
Conclusion
Nous avons relevé un grand nombre de cas illustrant les manières de construire des énoncés français avec les verbes « donner » et « trouver » en faisant valoir quelques pistes dans l’interprétation de ces derniers pour éviter de produire des phrases agrammaticales en LSQ. Il va sans dire que cette analyse est conduite sur la base de nos intuitions personnelles et que des recherches sérieuses avec des informateurs sourds auraient l’avantage de présenter des données plus formelles. Néanmoins, nos observations devraient ouvrir le champ à un processus d’auto-analyse de vos propres pratiques. Posez des questions autour de vous, consultez les personnes sourdes que vous connaissez, vos collègues, vos amis. L’essentiel, à nos yeux, est de chercher à améliorer la qualité de notre interprétation. Lorsque l’on désire devenir interprète, on cherche en premier lieu à « régler le cas » des mots usuels. Comment signer « se mériter », « réprouver », « confondre » ? Il faut vite en venir à se demander : « comment se signe, de façon naturelle dans la langue, l’idée de … ».
Références
La version originale de cet article a été rédigée et publiée dans le site sur l'interprétation en langue des signes québécoise (désormais fermé) par Danielle-Claude Bélanger, interprète, enseignante et conseillère pédagogique au cégep du Vieux Montréal (Québec), actuellement chargée de cours au Département de linguistique et de didactique des langue à l'Université du Québec à Montréal UQAM et conseillère pédagogique au Collège de Maisonneuve.
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