- Hétérotopie
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L'hétérotopie (du grec topos, « lieu », et hétéro, « autre »: « lieu autre ») est un concept forgé par Michel Foucault dans une conférence de 1967 intitulée « Des espaces autres »[1].
Il y définit les hétérotopies comme une localisation physique de l'utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l'imaginaire, comme une cabane d'enfant ou un théâtre. Ils sont utilisés aussi pour la mise à l'écart, comme avec les maisons de retraite, les asiles ou les cimetières. Ce sont donc des lieux à l'intérieur d'une société qui en constituent le négatif, ou sont pour le moins en marge. Michel Foucault dégage alors six principes permettant une description systématique des hétérotopies[2] :
- les hétérotopies sont présentes dans toute culture,
- une même hétérotopie peut voir sa fonction différer dans le temps,
- l'hétérotopie peut juxtaposer en un seul lieu plusieurs espaces eux-mêmes incompatibles dans l'espace réél,
- au sein d'une hétérotopie existe une hétérochronie, à savoir une rupture avec le temps réel,
- l'hétérotopie peut s'ouvrir et se fermer, ce qui à la fois l'isole, la rend accessible et pénétrable.
- les hétérotopies ont une fonction par rapport aux autres espaces des sociétés : elles sont soit des espaces d'illusion soit des espaces des perfections.
Une autre définition de l'hétérotopie est une anomalie congénitale de la situation d'un organe ou d'un tissu qui se retrouve à un endroit du corps où il ne devrait pas se trouver normalement.Sommaire
Présentation
Ainsi, Michel Foucault donne comme exemple d'hétérotopie le cimetière, qui est le lieu des morts par opposition aux vivants. Au contraire de l'utopie, qui est un modèle idéal, l'hétérotopie est concrète. Ainsi, les utopies sont des « emplacements sans lieu réel (...) qui entretiennent avec l'espace réel de la société un rapport général d'analogie directe ou inversée. C'est la société elle-même perfectionnée ou c'est l'envers de la société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels. » Au contraire, il y a « dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l'institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l'on peut trouver à l'intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables »: c'est ce que Foucault appelle « hétérotopies ». Selon lui, toute culture présente des hétérotopies: « C'est là une constante de tout groupe humain. » Elles prennent pourtant des « formes variées »: il n'y a pas « d'hétérotopie qui soit absolument universelle ». Michel Foucault s'est inspiré de la géographie adrienne pour mettre en place ce concept philosophique.
Exemples et principes de l'hétérotopie
Michel Foucault donne d'abord comme exemple le miroir, qui serait à la fois une hétérotopie et une utopie. Il parle ensuite des « hétérotopies de crise », particulièrement présentes dans les sociétés dites « primitives » (« des lieux privilégiés, ou sacrés, ou interdits, réservés aux individus qui se trouvent, par rapport à la société, et au milieu humain à l'intérieur duquel ils vivent, en état de crise. Les adolescents, les femmes à l'époque des règles, les femmes en couches, les vieillards, etc. »). Aujourd'hui, ces hétérotopies de crise seraient progressivement remplacées par des « hétérotopies de déviation »: « celle dans laquelle on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée. Ce sont les maisons de repos, les cliniques psychiatriques; ce sont aussi les prisons et il faudrait sans doute y joindre les maisons de retraite, qui sont en quelque sorte à la limite de l'hétérotopie de crise et de l'hétérotopie de déviation, puisque, après tout, la vieillesse, c'est une crise, mais également une déviation, puisque, dans notre société où le loisir est la règle, l'oisiveté forme une sorte de déviation. » Foucault prend aussi comme exemple le cimetière, qui, au cours du XIXe siècle, se mettent à constituer « l' « autre ville » , où chaque famille possède sa noire demeure. »
Selon lui, « l'hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles. » Ainsi le théâtre est-il une forme d'hétérotopie, ou le jardin traditionnel des Persans (de même que les tapis, qui étaient à l'origine des reproductions de jardins): « Le jardin, c'est, depuis le fond de l'Antiquité, une sorte d'hétérotopie heureuse et universalisante (de là nos jardins zoologiques). »
En outre, les hétérotopies sont souvent liées à des « hétérochronies », là où les hommes sont en rupture par rapport au temps traditionnel. Ainsi les bibliothèques et les musées, qui, par leur accumulation d'objets et de livres de tous les temps, constituent un « lieu de tous les temps qui soit lui-même hors du temps ». Il y a aussi les hétérotopies non pas éternelles, mais chroniques, c'est-à-dire temporaires: les foires ou les centres de villégiature, par exemple du Club Méditerranée.
Enfin, Foucault oppose les maisons closes, hétérotopies illusoires qui dénoncent « comme plus illusoire encore tout l'espace réel », à certaines formes de colonies, telles que les misiones jésuites du Paraguay, qui créent « un autre espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon. » « Hétérotopies d'illusions » contre « hétérotopies de compensation ». Foucault conclut son texte en parlant des bateaux, établissant ainsi un lien transversal avec sa description de la Nef des fous dans L'Histoire de la folie, espace du dehors par excellence: « Le navire, c'est l'hétérotopie par excellence. Dans les civilisations sans bateaux les rêves se tarissent, l'espionnage y remplace l'aventure, et la police, les corsaires. »
Notes et références
- Conférence de 1967 « Des espaces autres » Michel Foucault, Dits et écrits (1984), T IV, « Des espaces autres », n° 360, pp. 752 - 762, Gallimard, Nrf, Paris, 1994 ; (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. M. Foucault n'autorisa la publication de ce texte écrit en Tunisie en 1967 qu'au printemps 1984.
- Jean-François Staszak et Michel Lussault, Hétéropie, dans Jacques Lévy et Michel Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Belin, Paris, 2003, pages 452 et 453 (ISBN 978-2-7011-2645-6)
Voir aussi
Concepts connexes
- Les zones d'autonomie temporaire, exprimé par Hakim Bey.
- Les non-lieux de Marc Augé
Bibliographie
- Michel Foucault, Les Hétérotopies - Le Corps Utopique, Paris, Éditions Lignes, 19 juin 2009, 64 p. (ISBN 978-2-35526-033-9)
Liens externes
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