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Matérialisme historique
Le matérialisme historique est une conception matérialiste de l'histoire, inspirée des écrits du philosophe Karl Marx. On entend par "conception matérialiste de l'histoire" l’idée que les évènements historiques sont influencés par les rapports sociaux, en particulier les rapports entre classes sociales, donc par la situation réellement vécue par les êtres humains plus que par les idéologies[1].
Sommaire
Concept
La conception matérialiste de l'histoire cherche à analyser les causes des développements et des changements qui s'opèrent dans les sociétés. Une importance est notamment portée aux conditions d’existence réelle des êtres humains, aux rapports entre les classes sociales, et à leur influence sur les évolutions historiques. Il s'agit d'un « instrument de connaissance et d'explication de la réalité sociale et historique. »[2]
Marx n'a jamais employé le terme de « matérialisme historique », il a parlé de « nouveau matérialisme », et plus tard de « conception matérialiste de l'histoire ». Le terme est considéré comme impropre, voire comme une trahison de la pensée de Marx, par plusieurs marxologues (en particulier Maximilien Rubel).
« Le nouveau matérialisme se situe au point de vue de la société humaine, ou de l’humanité sociale »— Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845 (La Pléiade, Œuvres tome 3, p. 1033)
Critiques
Le philosophe des sciences Karl Popper s'est attaqué plus tard au matérialisme historique dans Conjectures et Réfutations et dans La Société ouverte et ses ennemis. Popper souligne d'une part l'intérêt de la démarche visant à s'intéresser aux conditions économiques et sociales pour comprendre l'histoire. Il écrit ainsi, parlant de l'aspect « économisme » du matérialisme : « On peut dire de l'économisme de Marx qu'il représente une avancée de grande valeur dans la méthode des sciences sociales »[3]. Néanmoins, il critique fortement la partie historiciste du matérialisme historique, sa dimension de « prophétie historique ». L'économisme doit être utilisé avec modération, sans prétention d'explicitation de tous les évènements. Sinon, en croyant pouvoir tout expliquer par les conditions économiques, la méthode ne passe pas le critère de réfutabilité qui est la pierre de touche de la pensée de Popper.
L'Histoire
Doctrine marxiste de l'Histoire
Le matérialisme historique a conduit à l'édification d'une doctrine marxiste de l'Histoire. Schématiquement, cette doctrine repose sur les principes suivants[4] :
- Le moteur de l'Histoire est l'évolution des forces productives matérielles, c'est-à-dire des instruments, ou techniques, de production (c'est la "structure économique" de la société).
- A chaque situation des forces productives correspond une certaine situation des rapports de production, c'est-à-dire de mode de propriété, ou de répartition de la propriété, des instruments de production (terre, matières premières, machines, moyens de transport et de communication, etc.). Soit l'existence d'une classe de propriétaires/exploitants et d'une classe d'exploités.
- A chaque situation des rapports de production correspond une "superstructure juridique et économique" à laquelle correspondent "des formes de conscience sociale déterminées"[5](religion, art, philosophies, théories politiques). Ces dernières sont mises en place par la classe dominante afin de légitimer leur domination.
- Tandis que les forces productives matérielles évoluent en permanence sous l'effet du progrès technique, les rapports de production ainsi que la superstructure (institutions et théories dominante) ont une tendance à la conservation. Le maintien de ces rapports devient une "entrave" à la marche naturelle de l'Histoire.
- La contradiction entre l'évolution des forces productives et le maintien de rapports de production et d'une superstructure inchangés ne peut se résoudre que par la lutte des classes et plus précisément l'action consciente de la classe qui devrait bénéficier du nouveau rapport de production. Cette action volontariste comporte une part de violence, la Révolution.
- La Révolution permet d'adapter les rapports de production (modes de propriété) et les superstructure de la société à l'état des forces productives matérielles.
La lecture marxiste de l'Histoire
A la lumière du matérialisme historique, l'Histoire humaine (ici à travers l'exemple de l'Europe) peut être divisée en cinq grandes phases correspondant chacune à une certaine étape du développement des force productive et des rapports de production.
- Dans la préhistoire, appelée "communisme primitif", le travail se fait en commun, ce qui conduit à la propriété commune des moyens de production ainsi que des fruits de la production. Il n'y a donc pas de classe sociale.
- Le progrès technique (agriculture et élevage, métallurgie et céramique, commerce, division du travail) permet l'accumulation de richesse aux mains de certaines personnes et donc l'apparition d'une classe sociale de propriétaires. Ceux-ci deviennent propriétaire de la principale force de production, les Hommes, sous la forme de l'esclavage. C'est l'antiquité, ou "régime de l'esclavage".
- Le progrès technique (fonte, fer et charrues, métier à tisser) exige plus d'intelligence et de motivation de la part du travailleur, ce qui conduit le nouveau propriétaire, le seigneur féodal, à lui accorder plus d'autonomie en transformant son statut d'esclave en celui de serf. Le christianisme, qui a milité en ce sens au haut Moyen Âge, n'est qu'un des éléments de la superstructure de la société au service de la classe dominante. C'est le moyen-âge, ou "régime féodal".
- Le progrès technique (machines agricoles et industrielles) exige ensuite des travailleurs à la fois cultivés et libres pour comprendre et piloter efficacement les machines. Les révolutions bourgeoises libérales (telle la Révolution française de 1789) vont accomplir cette libération juridique (formelle). Les propriétaires vont abandonner la propriété sur les hommes pour conserver celle sur les forces productives : les machines. Par conséquent, le lien de subordination économique des travailleurs demeure. C'est le "régime capitaliste", ou capitalisme.
- A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la progrès technique a permis la mise en place de forces de production collectives (les grandes entreprises, les usines géantes) tandis que la propriété des moyens de production est restée privée. Le prochain développement de l'Histoire doit donc être le renversement du rapport de production et de la superstructure) capitaliste et son remplacement par des rapports de production collectif. Compte tenu de la résistance opposée par la superstructure capitaliste (l'Etat), ce renversement doit s'effectuer par une Révolution comportant une part de violence. Le prolétariat devient la classe sociale dominante et la phase transitoire de dictature du prolétariat va "arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie"[6]. Cette période est classiquement appelée la "phase socialiste" ou la première phase du communisme.
- L'Histoire de l'Humanité va prendre alors un tournant nouveau. La bourgeoisie va disparaître et la disparition de toute classe exploitée va, selon les mots d'Engels, "libérer en même temps, et pour toujours, la société tout entière de l'exploitation, de l'oppression et des luttes de classes..."[7]. L'Etat, instrument de domination, peut alors naturellement se dissoudre, laissant la place à la société communiste.
Voir aussi
Bibliographie
- Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845
- Karl Marx et Friedrich Engels, L'Idéologie allemande, 1846
- Karl Marx, Contribution à la critique de l'économie politique, 1859
- Antonio Labriola, Essai sur la conception matérialiste de l'histoire, 1896
- Émile Durkheim, La conception matérialiste de l'histoire, 1897 (article critique de l'ouvrage de Labriola précédemment référencé : [1])
- Georgi Plekhanov, La conception matérialiste de l'histoire, 1897
- Anton Pannekoek, Le matérialisme historique, 1919
- Karl Korsch, Au cœur de la conception matérialiste de l'histoire, 1923
- Karl Kautsky, La conception matérialiste de l'histoire, 1927
- Maximilien Rubel, Karl Marx, essai de biographie intellectuelle, 1957
- Marta Harnecker, Les concepts élémentaires du matérialisme historique, 1974
- Ernest Mandel, Introduction au marxisme, 1983
Articles connexes
Notes
- ↑ « Le matérialisme historique retourne aux causes d’où proviennent ces idées : les besoins sociaux qui sont déterminés par les formes de la société ». Anton Pannekoek, Le Matérialisme historique, 1919.
- ↑ Maximilien Rubel, Karl Marx, essai de biographie intellectuelle, Rivière, 1957, p. 171.
- ↑ Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, chapitre 15
- ↑ Karl Marx, Préface de la Critique de l'économie politique, 1859 Karl Marx y écrit : "Le résultat général auquel j'arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel - qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse - des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production. Une formation sociale ne disparaît jamais avant que soient développées toutes les forces productives qu'elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s'y substituent avant que les conditions d'existence matérielles de ces rapports soient écloses dans le sein même de la vieille société. C'est pourquoi l'humanité ne se pose jamais que des problèmes qu'elle peut résoudre, car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours, que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d'une contradiction individuelle, mais d'une contradiction qui naît des conditions d'existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève donc la préhistoire de la société humaine."
- ↑ Karl Marx, Contribution à la critique de l'économie politique, 1859.
- ↑ Marx et Engels, Manifeste du parti communiste
- ↑ Friedrich Engels, préface de l'édition allemande de 1883 du Manifeste du Parti communiste, édition allemande de 1883.
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