Gouvernement wallon séparatiste

Gouvernement wallon séparatiste

Le 26 juillet 1950, peu de temps avant l'épilogue de la Question royale, le leader syndicaliste André Renard fit une déclaration à la presse indiquant que les mots « insurrection » et « révolution » revêtiraient un sens pratique. Malgré l'opposition violente à son retour le roi Léopold III et le Gouvernement belge ne voulaient pas céder à la pression populaire. Une grève générale paralysa le lendemain tout le Sillon Sambre-et-Meuse. Le président du Congrès national wallon, Joseph Merlot déclara qu'il y avait lieu de convoquer les États Généraux de Wallonie. Le 30, la gendarmerie tua dans une échauffourée trois manifestants sur les hauteurs de Liège, à Grâce-Berleur (un quatrième décédant quelques jours plus tard de ses blessures), dont trois anciens résistants.

Sommaire

Au lendemain de Grâce-Berleur

Selon le témoignage d'Hubert Rassart (33), au lendemain de la Fusillade de Grâce-Berleur, une réunion a lieu place Saint-Paul à Liège à l'immeuble de la FGTB de Liège réunissant le comité liégeois de grève (Rassart, Schugens, Latin, Masset, Lambion, Gillot, André Renard) (34). Ensuite, ces syndicalistes sont rejoints par des représentants d'autres partis politiques comme les libéraux avec Auguste Buisseret, les communistes avec Jean Terfve; des membres de mouvements wallons comme Rénovation wallonne (de tendance chrétienne) avec Levaux, des membres de Wallonie libre avec Fernand Schreurs. Un véritable gouvernement est envisagé dont André Renard revendique le poste de ministre de la Défense nationale. Renard exige aussi que le gouvernement wallon, dès qu'il sera formé, convoque les États Généraux de Wallonie aux Écoles techniques de Seraing "sous la protection de syndicalistes armés".

La version d'André Schreurs qui recueille ici les confidences de son père Fernand Schreurs et de sa mère est différente. Selon lui, une première réunion s'est tenue le 28 juillet 1950 au cabinet d'avocat de Fernand Schreurs. Y assistaient Joseph Merlot, Ministre d'État et président du Congrès national wallon, François Van Belle, vice-président de la Chambre, président du Groupe parlementaire wallon et de Wallonie Libre, André Renard, président de la Fédération liégeoise de la FGTB, Simon Paque, député socialiste de Liège, Georges Thone, président de l'association "Le Grand Liège", Paul Gruselin, député-bourgmestre de Liège, Strauven commissaire de police en chef. Une deuxième réunion eut lieu le lendemain 29 juillet au café La Bécasse derrière le théâtre royal, avec les mêmes personnes sauf A.Renard, mais avec en plus Fernand Dehousse revenant d'une réunion du Conseil de l'Europe à Strasbourg. La troisième réunion se tint au domicile privé des parents d'A.Schreurs et le Consul général de France, Jules Daniel Lamazière qui avait rang de ministre plénipotentiaire y participa..

Ce Gouvernement wallon provisoire était chargé de proclamer l'indépendance de la Wallonie. C'est à cette période que l'indépendantisme wallon prend sa tournure la plus violente qui se concrétisera dans le fédéralisme belge.

L'intervention de la France?

Dans un document manuscrit signé de la main de son père et daté de l'année 1964. Ce document précise : « en 1950, au moment de l'affaire royale, il fut envisagé de constituer un gouvernement provisoire wallon, chargé de convoquer les Généraux de Wallonie. Le président devait être Joseph Merlot, le ministre de l'intérieur Fernand Schreurs, le ministre des Affaires étrangères Fernand Dehousse [...] Le consul général de France, Jules-Daniel Lamazière avait, d'ordre de son ambassadeur, promis le concours de deux régiments français pour soutenir le nouveau gouvernement wallon..."

Cette tentative a été longuement expliquée dans l'Encyclopédie du Mouvement wallon. Le texte de cet article est disponible (avec l'autorisation de l'Encyclopédie qui ne le publie pas en ligne) et précise ce que l'on peut appeler le Gouvernement wallon de 1950. On notera aussi que selon le témoignage écrit de Fernand Schreurs, des contacts avaient été pris avec Paris pour que deux divisions françaises soutiennent ce Gouvernement.

Les déclarations d'Arthur Gailly à Charleroi

Robert Moreau[1] rapporte le discours suivant d'Arthur Gailly à Charleroi. À la tribune à laquelle sont accrochés d'immense panneaux reproduisant l'article 35 de la Déclaration des droits de l'an I de la République : "Quand le gouvernement viole les droits du peuple, ou d'une portion du peuple, l'insurrection est pour le peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs:

- Le sang a coulé dans toute la Wallonie ! Des camarades ont été assassinés à bout portant ou mitraillés dans le dos ! Les nouveaux martyrs sont morts pour la défense de la liberté! Mes amis, ferons-nous le serment de les venger ?

Et la foule électrisée de crier :"Oui, nous le jurons!"

- Bientôt les États Généraux de Wallonie seront réunis (applaudissements unanimes); il en sortira sans doute un Directoire. Il adressera si nécessaire un appel à l'ONU ...

Léopold III se retire, fin de la tentative séparatiste

Dans l'après-midi du 31 juillet, le lendemain de Grâce-Berleur donc, les trois partis traditionnels (PSC, Libéraux et PSB) se mirent d'accord pour que le roi prononce ces paroles: J'ai décidé de demander au gouvernement et au parlement de faire voter [...] une loi assurant l'attribution de mes pouvoirs à mon fils le Prince Baudouin (27) .

Le roi modifie unilatéralement l'accord des trois partis

Ce texte devait être lu par le Premier Ministre Jean Duvieusart à la radio à 22 heures. Mais celui-ci, ne recevant pas le texte de l'accord, se rend à LaekenLéopold III lui annonce qu'il a modifié le texte unilatéralement :J'ai [...] décidé de demander au gouvernement et au parlement de faire voter, comme je l'avais suggéré dans mon message du mois d'avril, une loi introduisant dans notre système législatif la délégation des prérogatives royales dans certaines circonstances. Dès que la loi sera votée, je déléguerai mes pouvoirs au Prince héritier pour une période à déterminer, à l'issue de laquelle j'examinerai avec le gouvernement responsable la solution qui s'imposera à ce moment(28). Il s'agissait donc d'un retrait conditionnel. Léopold III fait valoir à Duvieusart qu'il craint les menées de la Flandre restée fidèle au roi (72% de oui en Flandre en mars 1950 contre 58 et 51% de non en Wallonie et à Bruxelles). Pendant toute la nuit, le roi va hésiter.

Le roi veut former un autre gouvernement belge puis accepte de se retirer

Parallèlement au conseil officiel du roi - le gouvernement - se tiennent des réunions d'une sorte de gouvernement parallèle composé de P.Delmarcelle, J.Pirenne et d'autres ministres. Léopold III a songé à révoquer le gouvernement Jean Duvieusart et à en former un autre. Lorsqu’il reçoit Duvieusart, il suspend l'entretien à un moment donné, le laissant seul - il s'agit du Premier Ministre dont le roi exclut la présence de son propre "conseil"! - pendant, écrit Duvieusart, "que les heures passaient et que peut-être les événements évoluaient". Finalement, le roi renonce à former un autre gouvernement - c’était son droit selon Duvieusart -, et accepte de se retirer conformément au premier texte parlant d'un retrait plus inconditionnel. Le compte rendu que fournit Jean Duvieusart de ces séances donne une idée de la tension des acteurs. Une marche sur Bruxelles allait déferler. Des éléments étaient déjà présents à Bruxelles. Marcel Laloire évoque des manifestations violentes de séparatisme wallingant, - nous en avons eu le spectacle à Bruxelles au passage de camions de grévistes agitant d’immenses drapeaux au coq wallon. (Marcel Laloire, Le droit de grève, in La Revue Nouvelle, Tome XII no 10 septembre 1950, pages 197-204).

Ce n'est qu’après 6h.30, le 1er août, au matin, que le ministre de l'instruction publique lut à la radio l'accord originel conclu par les trois grands partis politiques belges (Libéraux, Catholiques et socialistes). Cette déclaration rendait inutile la tentative séparatiste de Liège comme moyen de pression sur le roi et fit d'ailleurs tomber toute agitation.

Notes

  1. Combat syndical et conscience wallonne, FAR, EVO et IJD, Charleroi, Bruxelles, Liège, 1984

Sources et Bibliographie

  • Jean DUVIEUSART, La question royale. crise et dénouement, CRISP, Bruxelles, 1975.
  • Paul Theunissen "Ontknoping van de Koningkwestie, De Nederlandse Boekhandel, Anvers, 1984, Tr. fr. Le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986.
  • Fernand SCHREURS, Contribution à l'histoire d'une insurrection in Nouvelle Revue Wallonne, tome III, 1950-1951.
  • R. Arango, Leopold III and the Belgian question, The Johns Hopkins Press, Baltimore, 1961.
  • Velaers et Van Goethem, Leopold III. De Koning. Het Land. De Oorlog, Lannoo, Tielt, 1994.
  • Rapports de la Sûreté de l'État de septembre 50 cité par Jean Duvieusart, La question royale. Crise et dénouement, juin, juillet, août 1950, CRISP, 1975.
  • Témoignage d'Hubert Rassart cité in extenso dans De Morgen du 27 juin 1980 pages 17–18 sous le titre Toen Wallonië, bijna een republiek was.
  • Robert Lambion (ancien secrétaire généal de la FGTB de lIège) confirme le témoignage sur ces réunions à H. Theunissen 'Le dénouement de la question royale, Ed. Complexe, Bruxelles, 1986.
  • Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne, FAR, IJD, EVO, Liège, Bruxelles, Charleroi, 1984, témoigne que le 29 juillet Renard était à Pont-à-Lesse (au Castel des syndicats), pour rédiger une déclaration d'autonomie de la Wallonie avec d'autres dirigeants syndicaux.
  • Manuscrit de Fernand SCHREURS intitulé Quelques figures d'ancêtres, la famille Schreurs, Tome II, Liège, 1964, p. 118.
  • Sur l'ambition d'André Renard dans le Gouvernement wallon de 1950, il existe une déclaration de Willy Schugens à la RTBF 27 septembre 1978.
  • Manuel Dolhet, Le dénouement de la question royale, juillet, août 1950, Mémoire de licence, janvier 2001, Louvain-la-neuve (manuscrit).
  • Encyclopédie du Mouvement wallon, article Gouvernement wallon

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