Fernand Dumont (Sociologue)

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Fernand Dumont (1927 à Montmorency, Québec - 1997, Québec) est un écrivain, sociologue et philosophe québécois. Il a reçu de nombreux prix et distinctions en sciences humaines et philosophie et est considéré comme une référence de son domaine. Il reste une figure marquante pour la sociologie, la philosophie et l'épistémologie des sciences sociales.

Sommaire

Biographie

Titulaire d'une maîtrise en sciences sociales de l'Université Laval, il a également étudié la psychologie à la Sorbonne et obtenu son doctorat en sociologie à Paris ainsi qu'en théologie à l'Université Laval en 1986.. Il est l'auteur du rapport Dumont, qui diagnostique un état de crise religieuse en 1968. Il a aussi participé à la création de la loi 101 avec le Gouvernement Lévesque en 1977. Professeur titulaire au Département de sociologie de l'université Laval, il est également le président fondateur de l'Institut québécois de recherche sur la culture.

Conception de la culture

Les écrits sociologiques de Fernand Dumont peuvent être abordés à la lumière dune théorie générale de la culture. Cest notamment dans des œuvres comme Dialectique de lobjet économique (1970), Les idéologies (1974), Lanthropologie en labsence de lhomme (1981), mais surtout dans Le lieu de lhomme (1968) que Fernand Dumont expose sa théorie générale de la culture. La sociologie de la culture de Fernand Dumont se construit directement sur la «crise de la culture» que nous vivons plus intensément depuis lavènement de la modernité. Le point de départ du raisonnement dumontien tente de répondre à cette question triviale, centrale pour une sociologie de la culture : «comment nos sociétés réussissent-elles à sortir de limpasse les a laissées la liquidation de lunanimité des valeurs jadis traduites en un discours culturel cohérent?» (Le lieu de l'homme, édition 2005, p. 44) Pour tenter dy répondre, Dumont va y engager une ontologie de la culture qui prend acte de cette crise de la culture qui semble être aux fondements de la société moderne. Cette ontologie de la culture se fonde dans la distance que se donne lindividu dans sa culture et dans le dédoublement de celle-ci. Selon Fernand Dumont, la culture «existe seulement de manière dialectique, en opposition constante avec elle-même, comme la lumière se mêle à lombre pour que les objets nous apparaissent.» (GAGNÉ, Gilles et WARREN, Jean-Philippe, «Fernand Dumont (1927-1997dans Sociologie et valeurs, Montréal, PUM, 2003, p. 204.) Dans ce dédoublement de la culture, Fernand Dumont conçoit ainsi une solidarité «initiale» qui se réalise dans une médiation dialectique qui s'oppose directement au positivisme moderne.

Distance et dédoublement de la culture

La culture est en soi dialectique selon Fernand Dumont car elle se comprend à la lumière dun dédoublement entre la culture dite «première» et la culture dite «seconde». Ce dédoublement dans la culture est un constat ontologique chez Dumont, «parce que lhomme a besoin de se donner une représentation de ce quil est en se mettant à distance de lui-même.» (Le lieu de l'homme, édition 2005, p. 55) La culture première, Dumont le dit directement, est un donné. Cependant, lindividu qui est submergé par la culture première a besoin deffectuer une synthèse, de bien comprendre la distance quil peut construire avec cette culture, pour se révéler à lui-même dabord et au monde ensuite, quil appartient à une culture singulière. Dumont le dit carrément : «il me serait impossible de dresser linventaire et de dégager la synthèse de cette culture première. Cest la culture elle-même qui, sans se livrer dans sa transparence mais en créant des objets seconds privilégiés, me permet à la fois de prendre distance vis-à-vis delle et davoir conscience de sa signification densemble.» (Ibid, p. 75) Pour Dumont, alors que la culture première est un donné et semble être «solidarité de la conscience avec elle-même et avec le monde», la culture seconde est un construit et «sinfiltre [, pour sa part,] par les fissures que la première veut masquer, elle suggère que la conscience ne saurait être enfermée ni dans le monde ni en elle-même; de ce malaise, elle fabrique les fragments dun autre monde.» (Ibid, p. 87) Entre ces deux cultures va ainsi se créer une distance dans laquelle est possible, pour Dumont, le processus de stylisation. En dautres termes, «la stylisation, cest donc aussi, en définitive, le rapport essentiel des deux cultures que nous avons distinguées.» (Ibid, p. 86) Dans la conception dumontienne de la culture, cette distance est surtout envisageable par des «objets» insérés entre lindividu et le monde. La conception de deux mondes, de deux cultures est clarifiée dans ce passage: «si le journal mapporte de l’"information", comme on dit, ce nest pas parce quil est le reflet du monde, mais parce quil est un objet inséré entre ma conscience et le monde et que, par , il devient générateur dun autre monde.» (Ibid, p. 78) Désormais, cette distance entre les deux cultures permet de concevoir la pratique significative, soit en tant quévénement, en sinscrivant dans cette distance, soit en tant quavènement, en accentuant ou en rompant la distance. Dailleurs, cette distinction entre événement et avènement est centrale pour la théorie générale de la culture de Dumont. Suivons-le un moment : «le mythe se masquait, comme la société il [lhomme archaïque] régnait, la portée de laction et de lévénement : il croyait recevoir dun ailleurs le sens du monde. Désormais lhistoire est brisée en deux, selon les deux voies par lesquelles son sens peut lui advenir, et cest sans doute pourquoi les avènements sont aussi pluralistes que les événements.» (Ibid, p. 105) Au final, nous comprenons que la conception de la culture chez Fernand Dumont nous engage directement vers une pensée dialectique qui se construit dans la distance entre la culture première et la culture seconde; cest dailleurs quest le fondement de la théorie de la culture chez ce sociologue.

La mémoire collective comme solidarité ontologique

Une des manières daborder le concept de mémoire collective chez Fernand Dumont est certainement de le faire par le biais de sa conception de la culture développée dans Lavenir de la mémoire (1995). Engageant une véritable visée synthétique, cet ouvrage écrit à la fin de sa vie permet daborder la culture directement dans la distance, de même que par la solidarité initiale entre lindividu et le monde qui en découle. Suivons-le dans cette étonnante page de ce petit livre : «Quen est-il de la culture? Celle-ci, tout au moins, de devrait-elle pas être le lieu lhistoire prend un sens pour les hommes? De soi, elle est un héritage; delle, nous recevons des moyens dexpression et daction, un imaginaire et des croyances nous nous reconnaissons une identité en même temps quune appartenance à la commune humanité. La culture est un legs qui nous vient dune longue histoire et un projet à reprendre; en un certain sens, elle nest rien dautre quune mémoire.» (L'avenir de la mémoire, 1995, p. 40) La mémoire collective pour Dumont est un véritable projet de la culture, qui sappuie sur la «magnifique distance» de celle-ci, tout en assurant la pérennité de la solidarité ontologique de lindividu avec son monde. Lidée de mémoire comme projet à «reprendre» fait appel également à la notion de transcendance, qui est pour la pensée dumontienne dune importance manifeste. Que se soit dans Le lieu de lhomme, ou bien dans Raisons communes (1995), la transcendance est, pour Dumont, la condition même de lexistence de la mémoire collective, qui interpelle directement la distance dans la culture. En tant que projet à reprendre, la mémoire collective permet de boucler la boucle du projet de la culture de Dumont en récapitulant les médiations entre la culture première et la culture seconde. Effectivement, «ce qui fait défaut à la culture actuelle, cest un ensemble de médiations neuves, tissées dans la vie quotidienne, entre la culture première et les extraordinaires produits de la culture seconde. Des médiations qui ne se proposeraient pas dabolir la distance qui constitue la liberté de lart et de la connaissance, mais de la récapituler.» (Le lieu de l'homme, édition 2005, p. 260) Bref, Dumont ne parle pas dautre chose que de la mémoire collective lorsquil incite à récapituler la distance, à faire vivre et revivre la solidarité ontologique de lindividu avec son monde.

Études sur la société québécoise

La Vigile du Québec (1971)

La signification dumontienne de la Révolution tranquille

Le passage de la société duplessiste à la Révolution tranquille illustre certainement pour la société québécoise, selon Fernand Dumont, les contours dune rupture évidente et peut-être même radicale. Demblée, arrêtons-nous à ces mots de Dumont qui résument bien le climat politique et sociale des années 1960 : «En si peu de temps, passer de lunanimité religieuse au moins apparente à la déchristianisation rapide, de lignorance à la scolarisation massive, de M.Duplessis à lindépendantisme, des contestations de Cité libre au magistère de M. Trudeau, cen était assez pour éprouver le sentiment de se perdre dans une époque tout est brouillé.» (La Vigile du Québec, édition 2001, p. 17) La vision dune «rupture» semble bien présente dans les écrits de Dumont, particulièrement lorsquil est question du regard que lon pose sur la conception de lhistoricisme qui est dégagé à lintérieur des changements sociaux vécus lors de cette période. Effectivement, Dumont tend à présenter, pour y dégager une certaine critique, la vision du passé québécois que le mythe de la Révolution tranquille a illustré dès ces tout premiers agissements. En ce sens, il semble pour Dumont que pour se donner en quelque sorte une légitimité, la dynamique politique qui opérait des changements sociaux a justifier ceux-ci par une relative destruction du passé québécois; lequel serait marqué désormais par une «grande noirceur». Du moins, cest en ce sens que Dumont nous raconte que «dune longue histoire, que lon appelait jadis du mot déjà dangereux de miracle, nous étions apparemment sortis comme on surgit dun long sommeil. Frais et dispos comme aucun autre peuple de lOccident, hantés par les rêves accumulés dune longue nuit, nous avons empilé les projets dans une maison hâtivement balayée. Ce fut lextraordinaire matin de la Révolution tranquille.» (Ibid., p. 18) De plus, nous pouvons constater que la signification dumontienne la plus fondamentale de la Révolution tranquille, au niveau historique, réside peut-être dans la volonté manifestée de la part des Canadiens-français, puis des Québécois, de sapproprier «leur» société, de sapproprier leur «nous». Dans cette optique, cette réflexion de Fernand Dumont nous éclaire : «Avec une terrible angoisse, la génération de Saint-Denys Garneau [la génération juste avant celle de la Révolution tranquille] a pris conscience quelle appartenait à un peuple confronté depuis toujours à son obscurité et incapable de la nommer. Nous avons traditionnellement emprunté un autre langue que la nôtre.» (Ibid., p. 32) La Révolution tranquille aurait ainsi permit le développement dune conscience historique à même de guider les grandes transformations et mutations que la société québécoise a connu.

Le terrain idéologique sur lequel se déploie la Révolution tranquille se comprend pour Fernand Dumont comme étant un délaissement progressif des traditions et des valeurs communes. Bien que certains changements sociaux, tels que la démocratisation de léducation et le développement chez les francophones dune conscience historique, soient dune certaine manière salués chez Dumont, comme chez Dion dailleurs, il nen reste pas moins que ses écrits produits dans les années 1960-1970 sont largement marqués par des inquiétudes. À ce titre, lanalyse dumontienne touchant à la transformation de la place des traditions et des valeurs communes témoigne dun profond questionnement sur labandon, engendré par la critique radicale de la société conservatrice duplessiste, des valeurs traditionnelles et historiques. En ce sens, «ce qui constituait auparavant une tradition un peu vivante devenait un ensemble de déductions abstraites.» (Ibid., p. 41) Les mutations idéologiques de la Révolution tranquille ont eu le mérite de critiquer et débranler fortement la dynamique idéologique de la société duplessiste, cependant, elles nont pas suscité, selon Dumont, la construction de nouvelles bases idéologiques précises et communes sur lesquelles la société québécoise aurait pu sappuyer pour continuer son parcours politique et historique. Du moins, on est en mesure dadmettre une telle chose au regard de la pensée qui dit que «si le vide idéologique constituait une belle gageure, celle-ci était impossible à tenir. La science nindique que des points de repères; elle ne saurait dégager les lignes de force qui doivent animer la recherche dun destin, pour les sociétés comme pour les individus.» (Ibid., p. 41) Le Fernand Dumont qui écrit la Vigile du Québec en pleine crise doctobre semble expliquer celle-ci comme étant en ligne directe avec les conséquences des mutations idéologiques découlant de la Révolution tranquille. Dailleurs, ces années 1960-1970 étaient à ce point troublées et brouillées selon lui que la société québécoise semblait être à un carrefour à la fois idéologique, politique et sociale. En dautres mots, Dumont dit que «nous en sommes . À la recherche dune société nouvelle.» (Ibid., p. 43) Les années 1960 marquent de façon brutale le choix que la société québécoise a faire concernant son avenir idéologique; choix qui par ailleurs le plaçait dans un vide en termes politiques et historiques. Plus directement, nous pourrions dire que lorsqu’«une société hésite autant entre le passé et lavenir, quand elle est tentée par le vide idéologique et lobjectivité, alors lindividu se trouve provisoirement libéré de ses racines; il est renvoyé aux angoisses les plus personnelles.» (Ibid., p. 45) Fernand Dumont met en place une réflexion qui semble sinscrire dans la constatation dune crise sociale à laquelle les mutations et les transformations idéologiques de la Révolution tranquille en constituent les fondements et les causes. En critiquant leffondrement des valeurs communes, Dumont semble observer labsence de médiations symboliques à même de sexprimer à travers une Mémoire et une Politique. Telle est, selon Dumont, lincapacité politique à laquelle la Révolution tranquille semble faire preuve : labsence de vision commune autre que celle qui est basée sur une déconstruction du passé québécois.

Raisons communes (1995)

Un constat

Raisons communes est avant tout un constat. Pour mieux aborder la société québécoise contemporaine, Fernand Dumont sinterroge dans un premier temps sur les interprétations que cette société produits sur elle-même. Comment la société se représente-elle ? Comment sest-elle représentée ? Il le dit directement : «voici donc un bon point de départ : selon quelles conditions, héritées du passé, remaniées au cours des trente dernières années, la société québécoise comprend-elle son cheminement ?» (Raisons communes, édition 1997, p. 17) À cette question, le détour par la Révolution tranquille semble inévitable. Si lon peut admettre que celle-ci a été précédée par des idées de contestation et de création, il convient de dire quelle a été avant tout une production étonnante de «projets collectifs» et surtout, dinterprétations radicalement nouvelles. Dailleurs, ce regard sur la nature de la Révolution tranquille fait surtout prendre conscience à Fernand Dumont que celle-ci semble bel et bien terminée. Du moins, cest ce que lon comprend lorsquil mentionne que «linterruption de cette production danalyses et de projets est maintenant lindice le plus patent de la fin de la Révolution tranquille.» (Ibid., p. 18) Ce qui paraît être le plus frappant lorsque lon observe la société québécoise contemporaine, ce nest pas seulement cette «interruption» flagrante de projets collectifs, cest particulièrement lincapacité pour cette société de se représenter elle-même, non seulement à travers des projets, mais également par le biais de linterprétation collective. Dumont est clair : «la société québécoise est en panne dinterprétation.» (Ibid.) Ainsi, lidée de crise revient souvent dans son constat : crise scolaire, crise des objectifs et des ressources ; constat qui est à ce titre assez direct : cest «toute notre politique sociale est en cause.» (Ibid., p. 19.) Quelle est donc la différence majeure entre la société de la Révolution tranquille et la société québécoise contemporaine ? Dabord, le projet de la Révolution tranquille sest réalisé par le détour nécessaire de lÉtat, qui sest fait le porte-parole des projets, des idées et des rêves dune population sortant dune longue hibernation marquée par le conservatisme duplessiste. Ce qui nous semble ainsi manifeste, cest que «dans les années 1960, lÉtat a pu exercer une responsabilité jusqualors inédite parce que la population lappuyait.» (Ibid.) La population entretenait pour elle-même des desseins et un projet collectif, qui passait par lentremise de lÉtat. Quen est-il aujourdhui ? Selon Dumont, nous pouvons comprendre quil y a eu certainement une transformation de ce rôle de lÉtat dans la société québécoise. En dautres mots, «les politiques et les idées ne tournent-elles pas un peu partout autour de la gestion, du corporatisme, de la bureaucratie ?» (Ibid., p. 20) Alors que les institutions étaient reliées, dans les années 1960, autour de projets et de significations qui légitimaient ses politiques, elles ne semblent aujourdhui quêtre guidées par un idéal gestionnaire qui évacue les fondements idéologiques à lorigine de leur création. «Pourquoi les projets se sont-ils taris ?» nous demande directement Dumont. Parce que nous pouvons voir dans la société actuelle, selon lui, un décalage entre les intentions de la population et les raisons idéologiques qui ont engendré la création des institutions sociales. Pour le dire plus clairement, les projets de société se font rares aujourdhui, parce que «par-dessous la marche des institutions officielles, et à mesure que celles-ci se replient sur leurs régulation internes, la transformation des genres de vie et des mœurs déroute les interprétations qui y ont donné naissance.» (Ibid., p. 20)

Une lecture de la société actuelle

Après avoir effectué un constat qui peut paraître assez froid de la société québécoise quant au fait que la Révolution tranquille et le foisonnement dinterprétation qui laccompagnait semblait terminée, Dumont ouvre la porte à une lecture actuelle de la société québécoise. Que se passe-t-il actuellement ? Dans un premier temps, la question des institutions semble être primordiale pour Dumont, car pour lui, des questions essentielles devraient être posées au regard des nouvelles réalités concernant la langue, la famille et limmigration. Alors que la question de la langue ne fait que confirmer que «depuis le XIXe siècle, au Québec, il ny a pas que deux langues, le français et langlais ; deux sociétés y coexistent» (Ibid., p. 21), la question de limmigration, pour sa part, nen est que plus reliée : «limmigrant sait fort bien quil na pas seulement à choisir une langue, mais lune des deux sociétés.» (Ibid.) De plus, la famille semble elle aussi être en crise ; crise démographique majeure pour sa part, ce qui confirme selon Dumont la mutation notable des mœurs et des idéaux qui sest fait depuis la Révolution tranquille. Dailleurs, cette lecture des institutions se double dune lecture sur les inégalités sociales : se sont deux lectures entremêlées, complémentaires. Cest justement la question des inégalités sociales qui avait donné naissance à ces institutions au cours de la Révolution tranquille, celles-ci étant alors «animée[s] par un incontestable désir de justice sociale.» (Ibid., p. 22) Les inégalités sociales se sont transformées certes, mais elles sont toujours présentes selon Dumont. Déterminées par des classes sociales rigides au cours des années 1960, cest davantage sous la forme de césure quelles se concrétisent aujourdhui. Césure régionale premièrement, entre des «régions du Québec [qui] senfoncent dans le sous-développement pendant que dautres connaissent la croissance» (Ibid.), mais également césure qui sévit surtout entre deux populations : «celle qui, pourvue de privilèges et de mécanismes corporatifs de défense, représente le progrès et les conceptions de vie qui laccompagnent ; celle qui, menacée par linvasion du chômage, sans abri syndical, ne concorde pas avec le visage officiel que les nantis imposent, à notre société.» (Ibid.) Comme nous le voyons, cette césure fait évidemment appel à la question délicate des classes sociales. Dumont admet un peu froidement que la question des classes sociales semble aujourdhui être pratiquement absente. Il prend comme exemple le mouvement syndical qui parle aujourdhui au nom des travailleurs, «supposant une homogénéité préexistante», étouffant par les inégalités sociales entre ceux-ci, tout comme ceux qui brandissent les droits de la personne sans tenir compte «des inégalités de situations qui ont des causes collectives.» (Ibid., p. 23) La question des classes sociales est aussi marquée par la montée de classes moyennes, auxquelles une dentre elles semble avoir émergée récemment. Comportant des gens ayant une scolarité élevée et «profitant dune prospérité économique de longue durée, la nouvelle classe moyenne a développé ces aspirations à la promotion sociale, ce culte du moi qui caractérise lindividualisme contemporain.» (Ibid., p. 24) Au final, cette lecture faite par Fernand Dumont de la société québécoise contemporaine le pousse à interpréter celle-ci comme étant une société qui retourne aux visées conservatrices. Il nous annonce sans détour : «il marrive à penser que la société québécoise redevient conservatrice.» (Ibid., p. 22) Ce conservatisme, qui sagence avec un idéal gestionnaire sous le signe dune «logique opérationnelle et décisionnelle», tend à paralyser les institutions sociales et «engourdir» la société tout entière. Bref, nous sommes en présence dune société qui a grandement besoin dun projet de société, dun projet pour la Cité pour la collectivité québécoise.

Un projet pour la Cité

Linfluence de la Révolution tranquille reste toujours centrale dans la construction dun projet collectif québécois. Celle-ci, qui marque «une étape capitale de notre cheminement», a surtout permis un renouvellement «de notre poétique collective.» (Ibid., p. 25) Il ne faut pas revenir au passé pour le reproduire intégralement, selon Fernand Dumont, mais il faut plutôt y retourner pour comprendre les questions essentielles et les idéologies qui ont animé et soutenu les projets et les idées collectives. Il nous le dit directement : «ce sont les questions posées par la Révolution tranquille quil faut reprendre au ras du sol.» (Ibid.) La question incontournable du statut de la nation refait ainsi surface. Bien que cette question nationale est engendrée bon nombre de réflexions et de déchirements sociaux, tant politiques que culturels, elle ne reste quand même tout simplement pas «réglée». À ce titre, il paraît clair que le référendum de 1980 na rien tranché, la question nationale reste encore hautement actuelle pour Dumont. Il ne sempêche toutefois pas de critiquer la place que celle-ci occupe dans les préoccupations politiques et culturelles de la société québécoise. En effet, il nhésite pas à admettre quil na «jamais cru à semblable fadaise [le fait] que lindépendance [puisse constituer] lunique espérance offerte à notre société ou encore [quelle puisse englober] toutes les autres.» (Ibid., p. 26) Dumont expose les deux choix possibles pour la collectivité québécoise : ou bien elle acquiesce à lindépendance, mettant fin aux «malentendus historiques» ; ou bien elle refuse, continuant la lutte bien connue pour lautonomie. Dans les deux cas, un détour par le biais de la culture est nécessaire. Pour le premier choix, la question est triviale : la culture québécoise est-elle prête à mettre fin à son désir dautonomie historique ? Pour le deuxième choix, elle reste entière : «pendant combien de temps notre culture pourra-t-elle trouver encore dans des symboles politique de plus en plus fatigués le sentiment de sa valeur ?» (Ibid., p. 28) Ces questions rejoignent une autre préoccupation pour la construction dun projet collectif : celle de la culture. Au cours de la Révolution tranquille, la collectivité québécoise, pour «dépasser» son passé désormais qualifié de «grande noirceure», a construit une poétique collective qui sest efforcée de déconstruire les significations et les acquis dune culture populaire ancienne. Plus précisément, «pour qualifier ce grand ménage [de la Révolution tranquille], on a parlé de déculturation. Le mot nest pas si mal choisi : image du vide ; désignation dune absence.» (Ibid.) Cette déculturation a certes entraîné un foisonnement de «bricoleurs» de culture, mais la société québécoise na pas réussi selon Fernand Dumont à construire une culture populaire qui répondrait aux exigences dune nouvelle réalité sociale ; la déconstruction na été suivie daucune construction. On ne peut être plus clair : « nous avons quitté lancienne culture ; nous nen avons pas édifié une autre qui soit à la portée du peuple.» (Ibid., p. 29) La tâche principale concernant la culture se situe selon Dumont, soit dans la nécessité de construire un projet de la culture qui a une dimension politique, «parce que la quête de soi nest pas dissociable de la quête commune.» (Ibid.) Le projet politique est ici, nous le voyons, indissociable du projet de la culture. Pour paraphraser le fil conducteur de la réflexion amorcée dans Raisons communes, la construction dun projet politique, lédification dune culture et le renouveau dune démocratie représentent les «trois tâches [qui] se rejoignent dans une même quête de raisons communes.» (Ibid.) Tel est, nous semble-t-il, lessentiel du propos de Dumont dans cette œuvre de philosophie politique.

Publications

  • 1952, LAnge du matin
  • 1962, Situation de la recherche au Canada français - Collaboration Yves Martin
  • 1963, LAnalyse des structures sociales régionales - Collaboration Yves Martin
  • 1964, Littérature et Société canadiennes-françaises - Collaboration Jean-Charles Falardeau
  • 1966, Pour la conversion de la pensée chrétienne
  • 1966, Le Pouvoir dans la société canadienne-française - Collaboration Jean-Paul Montminy
  • 1968, Le Lieu de l'homme
  • 1969, Initiation bibliographique à létude de la sociologie de la connaissance - Collaboration Pierre Saint-Arnaud
  • 1970, La Dialectique de l'objet économique
  • 1970, Parler de septembre
  • 1971, L'Église du Québec
  • 1971, Les Idéologies du Canada-français (1850-1900)
  • 1971, La Vigile du Québec
  • 1973, Chantiers. Essais sur la pratique des sciences de lhomme
  • 1974, Les Idéologies
  • 1981, L'Anthropologie en l'absence de lhomme
  • 1982, Les Cultures parallèles
  • 1982, Imaginaire social et Représentations collectives
  • 1982, Situation et Avenir du catholicisme québécois
  • 1985, Traité d'anthropologie médiales: l'institution de la santé et de la maladie
  • 1986, Une société des jeunes?
  • 1986, Scolarisation et Socialisation: pour un modèle général d'analyse en sociologie de l'éducation
  • 1987, L'institution de la théologie
  • 1987, Le Sort de la culture
  • 1993, Genèse de la société québécoise
  • 1995, Raisons communes
  • 1995, L'Arrière-Saison
  • 1996, La part de l'ombre, (Poèmes 1952-1995)
  • 1997, Récit d'une émigration (Mémoires)
  • 1997, Une foi partagée

Traductions

  • 1974, The Vigil of Québec (traduction anglaise de La Vigile du Québec)
  • 1978, Ideologias (traduction espagnole de Les Idéologies)

Honneurs

Voir aussi

Article connexe

Liens externes

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