Essais (Montaigne)

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Essais

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Michel de Montaigne

Cest vers 1572 que Michel Eyquem de Montaigne (1533-1592) entreprend de dicter les Essais, qui loccupent jusquà sa mort. Deux ans plus tôt, il a vendu sa charge de conseiller au Parlement de Bordeaux et sest retiré en son château du Périgord, dans sa bibliothèque qu'il nomme "librairie". Non qu'il se consacre exclusivement aux Essais : tout en administrant son domaine, Montaigne joue son rôle de gentilhomme catholique dans divers épisodes militaires ou politiques des guerres de religion. Il voyage, est élu puis réélu maire de Bordeaux, sert enfin dintermédiaire entre le roi Henri III et le chef protestant Henri de Navarre (futur Henri IV). Les Essais se nourrissent autant de cette expérience que des lectures de lhumaniste dans la « retraite » de sa « librairie ». Montaigne publie les livres I et II à Bordeaux en 1580, puis les augmente et leur adjoint le livre III dans lédition parisienne de 1588. Il continue ensuite denrichir son texte en vue dune nouvelle édition. De ce travail subsistent deux témoins parfois divergents : un exemplaire des Essais couvert dadditions de la main de Montaigne (dit exemplaire de Bordeaux) et lédition posthume de 1595.

Sommaire

Une écriture fragmentaire

À limitation du Grec Plutarque (46-120), Montaigne conçoit ses Essais comme une « marqueterie mal jointe », et revendique leur désordre comme gage de sa liberté et de sa « bonne foi ». Ce désordre vient aussi de la façon même dont les Essais sont écrits : Montaigne pense à haute voix, un scribe (il y en eut trois successifs) prend sa dictée[1]. Préférant à lorganisation didactique et à la rhétorique des pédants une « allure poétique, à sauts et à gambades », il mise sur la bigarrure et la diversité. Les cent sept Essais frappent donc par leur variété et par les contrastes qui les animent. Si les plus courts (notamment au livre I) ne sont guère que des notes de lecture, juxtaposant en une ou deux pages quelques anecdotes brièvement commentées, dautres forment de véritables essais philosophiques, dinspiration stoïcienne (« Que philosopher cest apprendre à mourir », I, 20) ou sceptique (« Apologie de Raimond Sebond », II, 12), de plus en plus nourris de confidences personnelles (« De la vanité », III, 9 ; « De lexpérience », III, 13). À la variété des formes répond celle des sujets : Montaigne, affectant de « parler indifféremment de tout ce qui se présente à sa fantaisie », passe sans transition des « cannibales » (I, 31) aux « ordonnances divines » (I, 32), des « senteurs » (I, 60) aux « prières » (I, 61). Quelques titres trompeurs masquent les chapitres les plus audacieux : « Coutume de lîle de Céa » (II, 3) discute de la légitimité du suicide ; « De la ressemblance des enfants aux pères » (II, 37) attaque les médecins ; « Sur des vers de Virgile » (III, 5) recèle les confessions de Montaigne sur son expérience de lamour et de la sexualité ; « Des coches » (III, 6) dénonce la barbarie des conquistadors... Non moins diverses sont les sources innombrables que Montaigne fait dialoguer, confrontant les autorités traditionnelles de lhumanisme à son expérience individuelle : si Plutarque et Sénèque restent ses auteurs de prédilection, historiens et poètes ne sont guère moins sollicités : des centaines de citations en prose ou en vers, en français et en latin, souvent plaisamment détournées, composent un texte à plusieurs voix. Loin de constituer un ornement gratuit ou une autorité paralysante, cet intertexte omniprésent illustre ou sollicite toujours une réflexion personnelle : « Je ne dis les autres, explique Montaigne, sinon pour dautant plus me dire. »

« Connais-toi toi-même »

Lunité des Essais réside dans la démarche originale qui fait de lenquête philosophique le miroir de lauteur : « Cest moi que je peins. » Quel que soit le sujet traité, le but poursuivi est la connaissance de soi, lévaluation de son propre jugement, lapprofondissement de ses inclinations : « Dernierement que je me retirait chez moi, délibéré autant que je pourrais, ne me laisser dautre chose que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie : il me semblait ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oisiveté, sentretenir soi même, et sarrester et rasseoir en soit » (I, 8). Au-delà de ce projet sans précédent, qui nous dévoile les goûts et les opinions dun gentilhomme périgourdin du XVIe siècle, comme ses habitudes et ses manies les plus secrètes, le génie de Montaigne est déclairer la dimension universelle dun tel autoportrait : dans la mesure « chaque homme porte la forme entière de lhumaine condition », la mise en œuvre du précepte socratique « Connais-toi toi-même » débouche sur une exploration vertigineuse des énigmes de notre condition, dans sa misère, sa vanité, son inconstance, sa dignité aussi.

Humaniste par son goût des lettres antiques, Montaigne lest plus encore au sens philosophique, par sa haute idée de la personne humaine et du respect qui lui est . Sa pédagogie non violente, misant sur le dialogue et la curiosité, ses dénonciations courageuses du colonialisme naissant ou de la chasse aux sorcières opposent à toutes les formes de bêtise, dasservissement, de fanatisme ou de cruauté une ouverture à lautre et un esprit de tolérance qui font parfois de cet « honnête homme » notre contemporain. Ce relativisme justifie la relation exempte de dogmatisme que Montaigne inaugure avec son lecteur : remettant lui-même en question ses propres dires, soulignant la contingence de ses « humeurs et opinions », sujettes au « branle » et à luniverselle vicissitude (« je ne peins pas lêtre, je peins le passage »), Montaigne nous laisse une œuvre ouverte, dont linachèvement semble une invitation à poursuivre lenquête et le dialogue.

Voir aussi

Liens externes

Notes et références

  1. Michel Onfray. Le christianisme hédoniste, tome 2 de Contre-histoire de la philosophie. Paris : Grasset, 2006. § Une parole couchée, p 211-213
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