- Emilia Galotti
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Emilia Galotti est une pièce de théâtre en cinq actes de Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781) qui fut représentée pour la première fois à Braunschweig le 8 mars 1772. L’œuvre est un exemple du drame bourgeois allemand, illustré aussi par Cabale et Amour de Friedrich von Schiller et Maria Magdalena de Friedrich Hebbel. L’intrigue est inspirée de l’histoire mythique de Verginia.
Emilia Galotti est un drame datant du Siècle des Lumières qui ne suit pas exactement le modèle français de la même époque. Même si l’amour en est le thème central, Emilia Galotti est en réalité une œuvre politique. Le style de vie aristocratique, parfaitement arbitraire, est opposé avec force à celui de la bourgeoisie éclairée. La conception féodale de la place de l’amour dans le mariage entre en conflit avec celle du mariage par amour plutôt que par obéissance à la tradition et au pouvoir. Cette opposition est le ressort du drame.
Sommaire
Résumé
Hettore Gonzaga, titré prince de Guastalla, est un souverain absolutiste. La beauté éblouissante de la jeune Emilia Galotti l’a ensorcelé et a fait éclore en son for intérieur la volonté incontrôlable de nouer une liaison extraconjugale avec la roturière. Pour pouvoir arriver à ses fins, il ordonne à son servant Marchese Marinelli, un maquignon aux manières artificieuses et matoises, de déjouer les épousailles imminentes de la belle Emilia avec le comte Appiani. Marinelli ourdit un complot machiavélique qui conduit à l’assassinat du comte lorsque celui-ci est sur le point de gagner l’église où la cérémonie nuptiale est censée avoir lieu. Le carrosse qui transporte Appiani et sa fiancée tombe dans un guet-apens et les passagers sont assaillis par une escouade de truands qui tuent le comte. Les meurtriers sont des spadassins soudoyés par Marinelli.
Sous prétexte qu’elle doit fuir le danger qui n’a pas encore été conjuré, Emilia est voiturée vers le château du prince, où elle sera, selon Marinelli, en sécurité. À l’opposé de sa mère Claudia, elle ne parvient néanmoins pas à discerner la cabale et les turpitudes que Marinelli a manigancées. La comtesse Orsina, l’ancienne maîtresse du prince, apparaît alors au sein du château. Elle est furieuse depuis que le prince l’a éconduite, et essaie de convaincre le père d’Emilia de venger le comte en poignardant le prince. Odoardo Galotti hésite, préférant que Dieu lave cet affront à sa place. Entre-temps, Marinelli persuade Emilia de ne pas quitter le domicile princier en prétextant que la juridiction locale doit d’abord examiner le meurtre de son fiancé. Désespérée, elle convainc son père de l’occire, craignant de ne pas pouvoir résister en permanence aux flagorneries envoûtantes du prince qui s’ingénie à la subjuguer. Elle s’avilirait si elle cédait à ses gâteries. Finalement, Odoardo consent à suriner sa fille, mais il déplore aussitôt l’homicide qu’il a commis.
Le drame clôt avec la déclaration d’Odoardo qu’il se soumettra volontiers aux juges du prince. Celui-ci accuse Marinelli d’avoir fomenté cette calamité et se résout à le bannir de sa cour. Odoardo assure à ses proches qu’il ne considérera personne à part le Seigneur lui-même comme étant la dernière instance.
Les personnages
Emilia Galotti, le personnage principal de l’histoire, est une jeune roturière dotée d’une beauté magnétique. Elle est émotive, déterminée, probe, expansive et dévote ; sa piété se manifeste dans ses fréquentations assidues de l’église. Sa famille est empreinte par la structure patriarcale, c’est-à-dire qu’Emilia et sa mère vivent en ville afin que la première y reçoive une éducation digne de son extraction sociale et que la seconde y puisse frayer avec des personnes du même échelon. Par contre, le père de la famille réside à la campagne. Emilia est la fiancée du comte Appiani sur qui elle avait jeté son dévolu bien avant que les fiançailles ne soient annoncées, de sorte qu’un amour réel a pu germer entre les deux fiancés.
Hettore Gonzaga, prince de Guastalla, joue lui aussi un rôle primordial dans le drame. Homme esseulé qui n’a jamais noué des relations amicales avec quiconque, il semble éprouver une commisération outrancière à l’égard de sa personne. Sa propension aux décisions primesautières est mise en évidence par sa souscription à l’exécution de l’un de ses sujets, action fatale qui est précédée par une étude de cas très superficielle. C’est en effet de manière abusive que le prince utilise son pouvoir absolutiste, il est « aveugle ». Quoique ses rencontres avec Emilia Galotti n’aient pas été fréquentes, il s’est enamouré de la jeune femme et est possédé par le désir de faire d’elle sa concubine. Par contre, la passion qu’il a jadis ressentie pour la comtesse Orsina s’est rapidement estompée.
Marchese Marinelli agit comme servant, bras droit et confident du prince. Il s’agit d’un homme madré et cauteleux qui parvient à ses fins en dupant son entourage avec des manières patelines et finaudes. Par exemple, c’est en employant des paroles melliflues et benoîtes qu’il réussit à attiédir l’anxiété qui supplicie Emilia depuis le décès du comte. Or, Marinelli échoue dans sa tentative de lénifier Claudia Galotti lorsque celle-ci commence à manifester son ire et ses soupçons. Ses relations avec le prince sont quelquefois tendues. Marinelli trouve que le prince garde trop ses distances vis-à-vis de lui et que les moments où il sollicite son concours sont trop éphémères et sporadiques. Il arrive régulièrement que Marinelli reçoive des ordres inexorables de la part du prince sans que celui-ci lui demande son avis. En plus, le prince oblige Marinelli de servir comme médiateur entre lui et les différentes femmes qu’il coudoie. Cette dernière fonction permet à Marinelli de passer au prince des informations précieuses sur sa maîtresse.
La comtesse Orsina a naguère été la maîtresse du prince. Au début du récit, elle ignore cependant que celui-ci a fini par se lasser d’elle et qu’il a rompu toute relation. C’est une femme moqueuse, prétentieuse et outrecuidante que le doute n’effleure pas. Son aura est glaciale, et l’effet pétrifiant de son regard est comparable à celui de la Méduse. Contrairement au prince, Marinelli trouve la comtesse amène et chaleureuse.
Claudia Galotti est la mère de la jeune Emilia. Elle est prévenante et pleine de sollicitude envers cette dernière et agit comme arbitre entre son mari et sa fille. Moins candide qu’Emilia, elle discerne les machinations que Marinelli a tramées et les vilenies qu’il a fait commettre par la brigue.
Thèmes
Lessing dépeint les conflits entre la noblesse et les roturiers. L’exemple du prince peut être interprété comme une critique de la vénalité de ceux qui sont au pouvoir. L’auteur gourmande aussi l’attitude des familles plus modestes qui ont elles adhéré à des notions morales civiles. C’est l’aristocratie terrienne qui lui sert comme exemple dans ce dernier contexte. Dans l’univers de l’aristocratie terrienne, la volonté de l’enfant et son désir de développer librement ses propres instincts et capacités sont relégués à l’arrière-plan. L’obligation d’obtempérer à ses besognes est plus importante. En plus, Lessing persifle le manque d’indépendance de la bourgeoisie. Emilia est incapable de prendre des décisions cruciales elle-même. L’éducation qu’elle a reçue de la part de ses parents lui a ôté la volonté d’accumuler le courage nécessaire dans des situations décisives. Depuis sa prime enfance, Emilia a été choyée et protégée par son entourage sans jamais devoir s’occuper d’elle-même seule. Ainsi, elle sait que sa volonté est fragile et manifeste une méfiance permanente à l’égard du bien-fondé des jugements et des décisions qu’elle pondère.
La conduite d’Odoardo exemplifie les changements qui affectaient la bourgeoisie au XVIIIe siècle. Il est sur le point d’adopter des idées modernes et plus rationnelles que celles que la pression sociale lui a inculquées, mais il cède finalement aux convictions obsolescentes et illogiques qui surplombent l’époque en se résolvant à immoler sa fille. En agissant ainsi, il obvie à ce que l’honneur de sa famille soit outragé, une ambition qui dénote l’étroitesse d’esprit prévalente dans son monde.
Lessing a mis un accent palpable sur les changements de personnalité que subissent les caractères au long du récit. En leur faisant subir une telle évolution, il a tacitement exprimé son désir que la société change elle aussi. Il voulait aussi créer une distance entre la bourgeoisie et la noblesse :
« Die Namen von Fürsten und Helden können einem Stücke Pomp und Majestät geben; aber zur Rührung tragen sie nichts bei. Das Unglück derjenigen, deren Umstände den unsrigen am nächsten kommen, muß natürlicher Weise am tiefsten in unsere Seele dringen. », Lessing dans Hamburgische Dramaturgie. 14. Stück – (« Les noms des princes et des héros peuvent donner à une pièce théâtrale de l’éclat et un brin majestueux ; néanmoins, ils ne servent point à émouvoir le public. Le martyre que souffrent ceux vivant dans des conditions matérielles qui ressemblent le plus aux nôtres nous touchera forcément le plus. »)
Adaptation au cinéma
- Emilia Galotti, film est-allemand de Martin Hellberg, réalisé en 1958
Anecdotes
- Dans Les Souffrances du jeune Werther, un exemplaire d'Emilia Galotti est ouvert sur le bureau près duquel Werther se suicide.
« Le drame d’Émilia Galotti était ouvert sur son bureau[1]. »
Notes et références
Catégories :- Pièce de théâtre allemande
- Pièce de théâtre du XVIIIe siècle
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