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Communauté morale
L'expression Communauté morale n'use pas du mot moral par opposition à immoral. Elle est utilisée par Jean-Marc Ferry dans une interview donnée à la revue TOUDI [1] et qui est résumée ici [3], pour distinguer le libéralisme politique de quelqu'un comme John Rawls de la position de ceux qu'on appelle les communautariens (Charles Taylor par exemple, Michael Walzer).
Sommaire
Communauté morale et communauté légale
Comment des individus différents (culture, valeurs, intérêts, religions) pourraient-ils s’accorder à une structure qui fonde le cadre d’une société juste ? Pour Rawls, des individus, des peuples qui ont des principes (cultures, valeurs etc.), différents pourraient s‘arranger sur des normes communes sans pour cela former une communauté substantielle de valeurs et de visions partagées (ou une communauté morale). Le libéralisme politique (à distinguer clairement du néolibéralisme ou du libéralisme économique) propose des communautés politiques permettant à des personnes de s’entendre sur des normes sans partager les mêmes valeurs, soit en formant seulement une communauté légale et en ne formant pas une communauté morale.
L'individualisme de Rawls
Pour Rawls, nos sociétés sont caractérisées par l’individualisme - surtout les sociétés d’Occident - et l’individualisme c’est le droit de choisir d’avoir différents intérêts conflictuels et opinions contradictoires, qui doivent toutefois coexister de manière coodonnée à travers une même société. Il part du fait du pluralisme, du conflit des valeurs et des cultures, vieux problème mais qui, avec le fait du multiculturalisme qui se généralise, connaît une formidable résurgence.
La position des communautariens
Les communautariens, eux, sont partisans d’une république substantielle. Ils considèrent qu’il n’y a pas de communauté politique digne de ce nom si la communauté légale de Rawls (où seules les normes sont communes), n’est pas recoupée largement (ou même coïncide avec...), par une communauté morale de valeurs partagées. Mais les communautariens (la plupart) ne sont pas à ranger dans le camp du communautarisme. Pour eux, les problèmes de justice politique sont inséparables des problèmes d’identité morale et culturelle.
Pour les communautariens, l’individu ne se réalise qu’au sein d’une communauté morale. On ne peut pas partir d’individus abstraits (comme chez les libéraux politiques). Le Juste n’est pas une question qui se décide abstraction faite de nos appartenances. Il présuppose le Bon, des conceptions du Bon qui se déclinent différemment selon les sociétés, leur histoire, leurs conflits, leurs cultures. La nation est par excellence une communauté morale qui permet de résoudre les conflits sur un fonds commun de valeurs partagées (communauté morale). À défaut d’une telle communauté morale il ne saurait y avoir de communauté politique, de réalisation effective, concrète de la Justice. La plupart des communautariens ne sont pas antimodernes et sont acquis à la liberté moderne, à l’idéal moderne de réalisation de soi individuelle, mais la communauté a, à leurs yeux, un primat de fait et de droit sur l'individu.
Les deux thèses renvoyées dos à dos
On ne peut pas, selon Ferry, contester la nécessité d’une communauté morale, d'une substance éthique des sociétés politiques. Mais ce qui est contestable c’est que cette communauté de valeurs partagées (communauté morale) ne puisse et ne doive transcender les limites définies par l’histoire et par les cultures. L’intérêt de la communauté pour sa conservation culturelle (notamment), ne doit pas prévaloir sur la liberté individuelle, le libre-arbitre des individus qui la composent.
Quant au libéralisme politique, il peut ne pas oublier la communauté morale – Rawls fait fond sur un sens commun démocratique-libéral – mais (c’est ce que lui reproche Habermas), ces valeurs et convictions restent privées. C’est par un “ heureux recoupement ” que chacun peut, à partir de ses valeurs et convictions privées, trouver matière à adhérer à des normes communes. Or cette adhésion ne résulte absolument pas d’une discussion publique mettant en jeu des valeurs qui se confronteraient. Pour le libéralisme, il ne faut pas que les convictions morales, religieuses, métaphysiques, puissent jamais s’opposer, car si elles venaient à se confronter entre elles dans un débat public, elles ne manqueraient pas de s’imposer les unes aux autres. Il y aurait un risque d’hégémonie doctrinale qui irait nuire au politique.
Rawls se prononce pour une conception strictement politique, par opposition aux conceptions “ métaphysiques ” ou philosophiques. Il se réclame d’un libéralisme proprement “ politique ”, purement pragmatique, non idéologique ou doctrinal, c’est-à-dire justifié par le seul “ Raisonnable ”, soit, le point de vue intéressé à ce que les hommes puissent coexister et coopérer. On peut très bien s’accorder sur des principes libéraux sans être un libéral (de conviction).
Vers le postnational pour une mondialisation démocratique
Il y a donc des lacunes des deux côtés : la situation actuelle nous met face à un dilemme tout à fait concret: ou bien on prend le risque d’un élargissement postnationaliste de nos communautés morales et légales d’appartenance ; on prend le risque d’une communauté politique transversale ou transnationale, même si elle n’est pas pour autant universelle ou mondiale ; et il faut alors décentrer nos mémoires, nos convictions et les valeurs qui y sont associées. C'est ce à quoi, selon Ferry invite (notamment) l'Union européenne qu'il ne voit pas comme un État, même pas comme un État fédéral, mais comme une Communauté politique supérieure aux nations, ne reproduisant cependant pas, à son niveau, la coïncidence entre l'État et la Nation qu'exprime l'expression État-nation. Le thème du postnational est ici associé à la thèse de l'identité reconstructive[4], soit les réparations symboliques effectuées au nom des États pour les crimes du passé (Willy Brandt s'agenouillant devant le mémorial aux morts du Ghetto de Varsovie).
Il le faut pour mettre en cause le fait apparemment accompli d’un système pseudo-naturel au-dessus des individus mais aussi des nations, le Diktat des marchés mondiaux et de leurs organisations (G7, FMI etc.). Car ce serait renoncer à la démocratie qui exige une recoupement de la communauté morale et de la communauté légale [2]
La revendication nationaliste en Europe, lui semble aveugle au fait que l’on ne peut, en tant que peuple, sauver l'autonomie démocratique de la communauté des citoyens (ce qui peut être une allusion à Dominique Schnapper)que tout en laissant se stabiliser un système mondial qui n'est pas directement démocratique. La démocratie exige que les règles qui nous gouvernent puissent être influencées et rejetées ou contrôlées par la communauté des citoyens. En refusant l’échelle politique métanationale, on renoncerait par principe à l’autonomie démocratique, soit, à une valeur qui commande la liberté individuelle elle-même. Le repli communautariste et nationaliste fait ironiquement le jeu des multinationales, en ouvrant les portes à un “ nouveau contrat social ”, éminemment pervers où certains contrôlent l'économie, tout en laissant à chaque citoyen du monde ses libertés individuelles.
Notes et liens
- ↑ Conversation avec Jean-Marc Ferry Comment articuler Mondialisation, Europe, États-nations et idéaux républicains, in TOUDI n° 36-37, mars-avril, 2000 dont on peut lire l'intégralité ici: [1]
- ↑ En général, la « communauté morale » désigne une communauté de valeurs partagées, une communauté éthique considérée comme le milieu dans lequel se forme, chez les ressortissants, un sentiment d’appartenance en tant que citoyens. Plus que, par exemple, l’école, la communauté morale ou éthique représente le milieu de formation du citoyen, par imprégnation quasi naturelle. Conventionnellement, le thème, volontiers incantatoire, de la communauté morale, est associé à la réclamation de valeurs « chaudes et épaisses » (M. Walzer). C’est-à-dire que la communauté morale est interprétée alors de façon concrétiste (ou « communautariste »), et invoquée de façon souvent polémique ou critique à l’encontre des tentations idéologiques (d’instrumentalisme, d’utilitarisme, d’égoïsme possessif, etc.) qui accompagnent les tendances objectives de la modernisation. D’où une connotation conservatrice, voire, réactionnaire et antimoderne, et en tout cas hostile aux orientations cosmopolitiques ou postnationalistes. Voir [2]
Bibliographie
- Jean-Marc Ferry: Les Puissances de l’expérience. Essai sur l’identité contemporaine, t.1, Le Sujet et le verbe, t.2, Les Ordres de la reconnaissance, Paris, 1991, Éditions du Cerf, Collection "Passages", 470 pp.
- Jean-Marc Ferry : La Question de l’État Européen, Paris, 2000, Éditions Gallimard, Collection "NRF-essais".
- Jean-Marc Ferry : Europe, la voie kantienne. Essai sur l’identité postnationale, Paris, 2005, Éditions du Cerf, Collection "Humanités". Présentation succincte du livre [5]
- Voir aussi du philosophe Emmanuel Kant Vers la paix perpétuelle.
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Catégorie : Philosophie politique
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