- Clameur de haro
-
La clameur de haro est un terme qui désignait une protestation légale et suspensive ayant cours autrefois en Normandie, et de nos jours aux îles Anglo-Normandes, par laquelle on sommait quelqu’un de comparaître sur-le-champ devant un juge pour se plaindre en justice par action civile du dommage que l’on affirmait avoir souffert.
Sommaire
Histoire
Appelée quiritatio Normanorum par le juriste Dumoulin, la clameur de haro était une plainte verbale et clameur publique de celui à qui on avait fait quelque violence ou injustice et qui implorait la protection de son prince ou qui, ayant trouvé sa partie voulait la mener devant le juge, en sorte que cette clameur contenait une assignation verbale.
Plusieurs étymologies ont été données pour expliquer le terme de « haro », la plus usitée étant que le terme de haro aurait été une corruption de « ha Rollo », une invocation du nom de Rollon, premier duc de Normandie, qui se rendit respectable à son peuple, tant par ses conquêtes que par l’amour qu’il avait pour la justice. Comme, de son vivant, on implorait sa protection par une clameur publique, en l’appelant et en proférant son nom et qu’après sa mort, sa mémoire fut en vénération à son peuple, on aurait continué d’utiliser la même clameur et le terme de « haro ». Cette étymologie a cependant été révoquée en doute.
Cette coutume de la clameur de haro témoigne de l’attachement séculaire de la Normandie au respect du droit. Le premier exemple le plus mémorable de l’usage qui en a été fait est celui qui eut lieu à l’occasion de la mort à Rouen au mois de septembre 1087 de Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d'Angleterre. Le corps de ce dernier avait été transporté dans l’église de Saint-Étienne de Caen qu’il avait fait bâtir lorsqu’un pauvre homme de la ville de Caen, du nom d’Asselin, osa arrêter la pompe funèbre du prince par une clameur de haro en déclarant que l’église avait été bâtie sur un terrain volé à son père et qu’il s’opposait à ce qu’on enterre le Conquérant. Cette clameur de haro interrompit les funérailles, le temps pour les évêques et les seigneurs présents de faire une enquête et de reconnaître le bien-fondé de la réclamation d’Asselin auquel fut payé la somme demandée pour prix du terrain.
De même, lorsque Henri V mit, au cours de la guerre de Cent Ans, le siège devant Rouen en 1417, un prêtre fut député pour lui faire cette harangue : « Très-excellent prince et seigneur, il m’est enjoint de crier contre vous le grand haro ». Henri V ne déféra pas à la clameur et, qu’après un siège de six mois il se rendit maître de la ville par composition, mais cela prouve l’usage qui avait été fait de cette clameur dans tous les temps.
Lors de la réunion de la Normandie à la couronne, la Normandie avait stipulé que la clameur de haro serait maintenue avec tous ses effets juridiques, d’où vient que les rois de France ajoutèrent dans toutes leurs ordonnances, édits, déclarations et lettres patentes, la clause, « nonobstant charte normande et clameur de haro », ce qui montre que cette clameur paraissait avoir assez d’autorité pour faire obstacle à l’exécution des nouvelles lois s’il n’y était pas dérogé par une clause expresse. Cet usage ne cessa qu’avec la Révolution.
L’ancien coutumier de Normandie contenait un chapitre de haro, dont Terrien a fait mention dans son commentaire, liv. XII. ch. XVIII[1]. La même chose se trouve dans l’ancien style de procéder qui est à la fin de ce coutumier, rapporté par Terrien, liv. VIII. ch. XI.
Suivant l’ancienne coutume de Normandie, le haro ne pouvait être interjeté que pour une cause criminelle, tel que pour un feu, un larcin, un homicide ou un autre péril évident, mais le style ancien de procéder montre que l’usage avait changé et que la pratique du haro s’était déjà étendue aux cas où il s’agissait de conserver la possession des immeubles et même des meubles. Pour cette raison, lors de la rédaction de la nouvelle coutume qui commença d’être observée au 1er juillet 1583, les commissaires nommés par le roi et les députés des trois états insérèrent dans le cahier de la réformation l’article 54 stipulant que le haro peut être intenté, non seulement pour maléfice de corps et pour chose où il y aurait péril imminent, mais pour toute introduction de procès possessoire, encore que ce soit en matière bénéficiale ou concernant le bien de l’église.
Sous le terme de maléfice de corps étaient compris en cet endroit toutes sortes de délits, tels que vols, larcins, incendies ; et ainsi présentement la clameur de haro pouvait être intentée pour toutes sortes de délits et de contestations civiles, bénéficiales, possessoires et provisoires, même pour meubles : mais lorsqu’il s’agissait du pétitoire, il fallait prendre la voie ordinaire des actions et observer les formalités prescrites pour les demandes. Il en allait de même pour le recouvrement d’un effet mobilier, lorsque celui qui le possédait était un homme domicilié et que son évasion n’était pas à craindre.
Il n’était pas absolument nécessaire que la clameur soit intentée contre les coupables ou défendeurs à l’instant même que l’action dont on se plaignait avait été commise ; la clameur pouvait être intentée etiam ex intervallo, surtout lorsqu’il s’agissait d’un délit et que l’accusé était un homme non domicilié.
Le ministère d’un officier de justice n’était pas requis pour intenter le haro ; il suffisait que celui qui crie haro le fasse en présence de témoins et somme sa partie de venir devant le juge, celui qui lançait la clameur étant investi à lui seul d’une sorte de fonction momentanée lui donnant le même pouvoir qu’aux officiers de justice.
Suivant l’ancien coutumier, lorsqu’on criait haro, chacun devait sortir et, si le délit paraissait digne de mort ou de mutilation de membre, chacun devait aider à retenir le coupable ou crier haro après lui sous peine d’amende. Ceux qui avaient pris le malfaiteur ne pouvaient le garder qu’une nuit, après quoi ils devaient le rendre à la justice, à moins qu’il n’y eût un danger évident. Par la suite, il resta de cet ancien usage que quand quelqu’un criait haro, s’il s’agissait d’empêcher quelque violence publique ou particulière faite avec armes ou sans armes comme contre quelqu’un qui voulait en outrager un autre, commettre un vol ou un viol, tout le peuple devait assister le plaignant ; il n’était pas même nécessaire que ce soit l’offensé qui interjette le haro, un tiers pouvait le faire et il lui était également dû assistance tant pour protéger les innocents, que pour faire châtier les coupables[2].
La clameur de haro ne pouvait être intentée qu’en Normandie, mais elle pouvait l’être par toutes personnes demeurant dans cette province, qu’elles en soient originaires. À l’inverse, les Normands ne pouvaient en user dans un autre pays, même entre eux.
Les femmes pouvaient intenter cette clameur : les impubères pouvaient également y avoir recours, même sans être assistés de tuteur ou de curateur. Elle pouvait être intentée contre des ecclésiastiques, sans qu’ils puissent décliner la juridiction séculière, mais elle ne pouvait être intentée contre le Roi, ni même contre ses officiers pour les empêcher de faire leurs fonctions et notamment contre les commis, huissiers et sergents employés pour les droits du Roi. L’ordonnance des aides, tit. X. art. 38. défend à tous huissiers de recevoir de telles clameurs et aux juges d’y statuer. Godefroy excepte néanmoins le cas où un juge interviendrait sur la juridiction d’autrui et celui où un officier abuserait de son pouvoir, comme si un sergent emportait les meubles par lui exécutés sans laisser d’exploit ; dans ces cas, il y aurait lieu de crier au haro. Les officiers de la basoche ou régence du palais de Rouen, ont été autorisés par divers arrêts à intenter la clameur de haro contre les solliciteurs qui se trouvent en contravention aux règlements concernant la discipline du palais.
L’effet du haro était qu’à l’instant qu’il était crié sur quelqu’un, celui-ci était fait prisonnier du Roi ; et s’il s’absentait, il était toujours réputé prisonnier en quelque endroit qu’il aille ; et quoiqu’il ne soit pas resséant de la juridiction du lieu où le haro avait été crié, il pouvait être poursuivi et pris en quelque juridiction qu’il soit trouvé, pour être amené dans les prisons du lieu où le haro avait été crié. Toute entreprise devait cesser de part et d’autre, sous peine d’amende contre celui qui aurait fait quelque chose au préjudice et d’être condamné à rétablir ce qu’il aurait emporté ou défait.
Les deux parties étaient tenues de donner caution ; savoir, le demandeur de poursuivre sa clameur et le défendeur d’y défendre ; et ces cautions étaient tenues de payer le juge. C’était au sergent à recevoir ces cautions, de même que les autres cautions judiciaires. Si les parties refusaient de donner caution, le juge devait les emprisonner.
Après que les cautions étaient données, la chose contentieuse était séquestrée, jusqu’à ce que le juge ait statué sur la provision.
L’ancien coutumier dit que le duc de Normandie avait la court du haro, c’est-à-dire la connaissance de cette clameur et qu’il devait faire enquête pour savoir s’il a été crié à droit ou à tort.
La connaissance du haro appartenait au juge royal, sans néanmoins exclure le seigneur haut justicier. Quand on procédait devant le juge royal en matière civile, la connaissance du haro appartenait au vicomte entre roturiers et au bailli entre nobles et au lieutenant criminel, en matière criminelle, entre toutes sortes de personnes.
Si le demandeur ou le défendeur n’intentaient pas leur action sur le haro dans l’an et jour qu’il avait été interjeté, ils n’y étaient plus recevables ; et si après avoir l’un ou l’autre formé leur action, ils restaient pendant un an sans faire de poursuite, la clameur de haro tombait en péremption.
Le juge du haro devait prononcer une amende contre l’une ou l’autre des parties ; seule la quotité de l’amende était arbitraire. Les parties ne pouvaient transiger dans cette matière ; c’est par cette raison qu’on leur faisait donner caution, l’un de poursuivre, l’autre de défendre[3].
Existant encore, sous différentes formes, dans les îles de l’archipel normand toujours régies par la coutume de Normandie, la clameur de haro permet toujours à quiconque d’obtenir la cessation immédiate de toute action qu’il considère enfreindre ses droits.
Dans le bailliage de Guernesey:
- En Sercq, le plaignant doit, en face du témoin, se découvrir la tête, s’agenouiller, réciter « Haro, haro, haro ! Au nom de Dieu et de la Reine, laissez ce travail… », et le Notre Père (en français). La plainte doit être ensuite enregistrée à l’office du greffe dans les vingt-quatre heures. Toutes les actions contre la personne doivent alors cesser jusqu’à ce que l’objet du différend soit entendu par la cour de justice. La dernière « clameur » enregistrée a été prononcée en juin 1970 pour empêcher la construction d’un mur de jardin.
- À Guernesey on doit réciter et s’écrier (en français également) : « haro, haro, haro ! À mon aide mon Prince, on me fait tort ! » et le Notre Père. Il faut deux témoins, et on peut lever la clameur devant la Cohue sur les lieux de l’offense.
Dans le bailliage de Jersey :
- Le lésé se met à genoux sur les lieux de l’offense, devant deux témoins, et récite « Haro ! Haro ! Haro ! À l’aide mon Prince, on me fait tort ». Le Notre Père n’est pas obligatoire[4].
Début juin 2010 une nouvelle clameur de haro a été officiellement enregistrée à Guernesey, dans la paroisse (commune) de St. Andrews, relativement à un problème foncier.
Notes
- Chartre aux Normans, la Chartre au Roy Philippes faicte à l’Isle-Bonne & autres ordonnances royales publiees és Eschiquier & Cour de Parlement dudit pays, modifications de ladite Cour, arrests desdits Eschiquier & Cour de Parlement donnez par forme d’Ordonnance, coustume dudit Duché, tant redigee par escrit, que non escrite : vsage, style de proceder és Cours & iurisdictions de Normandie, & style de ladite Cour : le tout en textes & en gloses, Paris, Iacques du Puys, 1578 Commentaires dv droict civil tant public que priué, obserué au pays & duché de Normandie : dressez & composez des Chartre au roy Loys Hutin, ditte la
- Jacques Godefroy, La coutume reformee du pais et duche de Normandie, anciens ressorts et enclaves d’iceluy, Rouen, Veuve Maurry, 1684
- Louis Froland, Memoires concernans l’observation du senatusconsulte Velleien dans le duché de Normandie et diverses questions mixtes qui en dependent, avec les arrests qui les ont decidées, Paris, Michel Brunet, 1722
- Jersey Citizens Advice Bureau - Home
Bibliographie
- Louis Vincent Guillouard, Les Origines de la clameur de haro, Paris, 1872
- Ernest-Désiré Glasson, Étude historique sur la clameur de haro, Paris, L. Larose et Forcel, 1882.
- Ernest-Désiré Glasson, Les Origines de la Clameur de haro, Fontainebleau, E. Bourges, 1882
- Ernest-Désiré Glasson, Une Vieille Forme de procédure, la clameur de haro, Paris, [S.n.s.d.]
- Hippolyte Pissard, La Clameur de haro dans le droit normand, Caen, L. Jouan, 1911
- Charles Tancrède, La Clameur de haro, Rouen, Veilleur de proue, 1999 ISBN 291236325X
Source
- Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et D’Alembert, vol. 3, p. 501
Référence
- Amable Floquet, Histoire du parlement de Normandie, 7 volumes, Rouen, Édouard Frère, 1840-1842
Articles connexes
Catégories :- Normandie médiévale
- Coutume de Normandie
- Droit normand
Wikimedia Foundation. 2010.