Borne milliaire

Borne milliaire
Borne milliaire d'une voie romaine d'Ardèche datée de 145 ap. JC. et conservée au MAN
Borne romaine In situ sur la Route des patriarches à Alon Shvut, Israël


Dans la Rome antique, les bornes milliaires[1] (en latin miliaria au plur., milliarium au sing.) étaient des pierres généralement en forme de colonne portant une inscription et destinées à marquer les distances sur le tracé des principales voies romaines d'Italie et des provinces. Comme leur nom l'indique, les distances étaient mesurées en milles romains, soit environ 1 460 mètres[2]. Toutefois dans les provinces gauloises les distances peuvent parfois être exprimées en lieues ; on parle alors de borne leugaire.

Sommaire

Description générale

Les milliaires, le plus souvent, se présentent comme des colonnes cylindriques ou ovalisées, parfois parallélépipédiques, de calcaire, de grès, de granit ou de basalte, dont la base est cubique et en saillie pour permettre un enracinement plus solide, et dont la hauteur varie de 2 à 4 m, le diamètre de 0,5 à 0,8 m. Mais les milliaires peuvent également être accolés contre un rocher ou une construction ; ils peuvent aussi correspondre à un pilier d’une villa, à de simples poteaux indicateurs, à des pierres destinées à aider les cavaliers à se mettre en selle, à des troncs d’arbres… On retrouve pour les bornes modernes et contemporaines les mêmes utilisations.

Usage et aspect

Dans les provinces, les bornes milliaires étaient élevées non pas de mille en mille mais simplement pour rappeler les travaux d’entretien des voies romaines, ordonnés par l’Empereur ou placé sous son autorité. Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser croire, elles n'étaient pas disposées de mille en mille. Elles portaient une inscription mentionnant le nom du magistrat, ou de l'empereur ayant fait réparer la route, ainsi que la date. Sous l'empire c'est la titulature de l'empereur qui indique la date, rédigée souvent au datif elle transforme la borne en un monument à l'honneur de l'empereur.

Les bornes indiquaient en plus les distances à parcourir pour atteindre les villes les plus proches. Elles indiquaient les distances selon des mesures variées : milles romains (environ tous les 1 460 mètres), lieue gauloise, ou leurs subdivisions.

Elles peuvent donc paraître plus proches des panneaux routiers que des bornes kilométriques, mais il est douteux que ce soit leur rôle premier, leur répartition ne correspondant pas nécessairement à cette fonction. Le rôle exact des bornes milliaires a fait l'objet de discussion. Elles assuraient incontestablement un rôle de représentation du pouvoir, dont elles manifestaient l'action. On les a parfois assimilées à des moyens de propagande. Pour Benjamin Isaac si les bornes milliaires ne sont pas des objets utilitaires leur fonction de communication doit être replacée dans le contexte de monarchie autocratique qu'était l'empire. Ainsi dans la partie orientale de l'empire les bornes milliaires portent la titulature de l'empereur en latin, alors que les indications de distance sont souvent en grec : cette dernière partie peut donc bien être lue par la population à la différence de la première qui n'est donc pas destinées à être lue par la population provinciale. Cette dernière en effet ne connaît pas en général le latin, langue de l'armée et de l'administration impériale. Mais selon lui, le message n'était pas tant destiné aux soldats qu'utilisé par leur hiérarchie pour manifester sa loyauté envers l'empereur[3].

Une borne de la Via Romana XVIII

Toujours selon Benjamin Isaac, dans plusieurs provinces, en Bretagne, en Judée et en Pannonie, les premiers milliaires datent du voyage d'Hadrien dans ces régions : l'armée et ses officiers manifestant ainsi leur fidélité au souverain et la bonne administration des territoires placés sous leur autorité. Les bornes n'illustreraient alors pas tant la volonté de l'empire de manifester sa puissance envers ses sujets que le rapport liant l'empereur et les responsables des provinces[4]. La disposition des bornes le long des routes n'obéirait pas à une logique particulière et l'accumulation de bornes en un même lieu ne signalerait que la répétition mécanique d'un bornage servant à donner des gages de fidélité. Benjamin Isaac note toutefois la possibilité que les bornes aient aussi eu un rôle plus concret indiquant sur le terrain des assignations fiscales.

Th. Kissel a récemment approfondi cette idée et soutient que les bornes avaient un rôle institutionnel et fiscal important. En effet, l'entretien régulier des routes romaines était à la charge des communautés riveraines et sans possibilité d'immunité[5]. Les conditions concrètes de cet entretien sont très mal connues, mais il est certain que le coût était très lourd[6] et certains milliaires portent la mention des communautés ayant participé à la construction ou à l'aménagement de la route[7] même si le plus souvent ils mentionnent l'action de l'empereur, responsable en dernier lieu des routes de l'empire. Ce dernier pouvait parfois financer les travaux ou les confier à ses soldats. On sait que les milliaires servaient à donner des informations territoriales : dans une dispute territoriale en Phrygie, les milliaires servent de référence pour définir les responsabilités de chacun face aux exigences de l'administration[8], les milliaires délimitaient donc les différentes sections de routes qui devaient être construites ou entretenues par les provinciaux[9].

Chaque réfection ou chaque redéfinition des exigences fiscales pouvait entraîner un rebornage, une nouvelle borne s'ajoutant à l'ancienne. Il est donc assez courant de trouver plusieurs bornes milliaires d'époque différente en un même lieu. Ainsi à Rijswick, non loin de La Haye, on a retrouvé en 1997 quatre milliaires datant des règnes d'Antonin le Pieux, Caracalla, Philippe l'Arabe et Trajan Dèce[10].

Description de quelques bornes

Borne placée chez les Nerviens sous Antonin le Pieux (138-161)

Sur certaines d'entre elles, on peut encore lire l’inscription permettant de les dater.

Cette borne est située sur l'actuelle commune de Paudex (Suisse) et porte :

IMP(eratori) CÆS(ari) T(ito) ÆLIO ANTONIN(o) AUG(usto) PIO P(ontifici) M(aximo) TRIB(unicia) POT(estate) CO(n)S(uli) III P(atri) P(atriae). AVENT(ico) M(illia) P(assuum) XXXVIII.
« Sous l'empereur César Titus Ælius Antoninus Auguste, le Pieux, grand pontife, revêtu de la puissance tribunicienne, alors qu'il était consul pour la troisième fois, père de la patrie. 38 000 pas d'Avenches. »

De nombreuses bornes ont été réutilisées par la suite, comme support de fontaine, de croix ou comme colonne. Le remploi d'un milliaire de la via Agrippa dans le déambulatoire du chœur de la cathédrale Saint-Apollinaire en est un bon exemple.

Cette borne se trouve à Vaas sur l'ancienne voie romaine Tours - Le Mans.

Elle est en grès roussard. Le texte gravé est inspiré de la carte de Peutinger dont la transcription remonte au IVe siècle.

Ancienne voie romaine au passage du Loir à XVI lieues de Caesarodvnvm (Tours) et Vindinvm (Le Mans).

Borne trouvée près de Rom

Borne milliaire de la commune de Rom, située sur la voie romaine Bordeaux-Saintes-Poitiers-Tours. Elle est aujourd'hui visible dans une salle du donjon de Niort (Deux Sèvres) et porte l'inscription :

IMP(eratore) CAES(are) MAR(co) CLAV(dio) TACITO INV(icto) PIO F(elici) AVG(usto) PONT(ifice) M(aximo) P(ater) P(atriae) TRIB(uniciae) P(otestatis) CON(sule) II Ad C(ivitatem) P(ictavorum) L(imonum) L(eugae) XVI Ad F(ines) L(eugae) XX

qui signifie :

Sous l’empereur César Marc Claude Tacite invaincu, pieux, heureux, auguste, grand pontife, père de la patrie, revêtu de la puissance tribunitienne pour la première fois, consul pour la seconde fois, seize lieues de Limonum, capitale des Pictons, vingt lieues de la frontière

Notes et références

  1. Définitions lexicographiques et étymologiques de « milliaire » du CNRTL.
  2. De façon plus précise, leur nom (mil(l)iarim) vient de celui du mille, le module qui sert à jalonner les voies, soit mille pas romains ou 1478,50 m. Le double pas (passus ; gradus = le pas) était en effet égal à 1,48 m, soit 5 pieds ou 1 perche.
  3. B. Isaac, The Limits of Empire. The Roman Army in the East (revised edition), Oxford, 1993, pp. 304-309« it is conceivable that the imperial titulature appeared on milestones to convince the monarch and his entourage of the loyalty of the provincial governor and his army »
  4. B. Isaac, The Limits of Empire. The Roman Army in the East (revised edition), Oxford, 1993,p. 308 : « they are the symptoms of a system that makes any official suspect who does not produce mechanical declaration of obedience »
  5. Digeste 50, 4, 1 et 12 et 18 cité par Th. Kissel, "Road-Building as a munus publicum" dans P. Erdkamp dir., The Roman Army and the Economy, Amsterdam, 2002, p. 135-136
  6. Th. Kissel, op. cit., p. 130-133
  7. CIL III, 199 et 7195 et VIII, 10322 et 10327
  8. Th. Kissel, op. cit., p. 140-141
  9. Th. Kissel, op. cit., p. 159
  10. De vier mijlpalen van het Wateringse Veld : site présentant la découverte

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Bibliographie

Principal corpus


Exemples de manuels en français
Sur les voies
  • Gérard Coulon, Les voies romaines en Gaule, Paris, 2007, nouv. éd. 2009 (ISBN 978-2-87772-386-2).
  • Jean-Michel Desbordes, Voies romaines en Gaule, la traversée du Limousin, Limoges, 2010, suppl. num. 8 à Travaux d'Archéologie Limousine et num.19 à Aquitania.
  • Raymond Chevallier, Les voies romaines, Paris, 1972 ; nouv. éd. 1997 (ISBN 2-7084-0526-8).
  • Pierre Fustier, La route : voies antiques, chemins anciens, chaussées modernes, Paris, 1968.


Exemples de travaux
  • René Rebuffat, Joëlle Napoli, « Les milliaires ardéchois d'Antonin le Pieux », dans Gallia, 49, 1992, p. 51-79 (en ligne).
  • Pierre Salama, Bornes milliaires et problèmes stratégiques du Bas-Empire en Maurétanie, dans Comptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, 1959, p. 346-354 (en ligne).

Voir aussi

Articles connexes




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