Tête d'otage 1945

Tête d'otage 1945
Tête d'otage 1945
Artiste Jean Fautrier
Année 1945
Technique Huile
Dimensions (H × L) 32 cm × 27 cm
Localisation Centre Georges Pompidou, Paris

Tête d'otage 1945 est une peinture à l'huile sur papier marouflé de Jean Fautrier qui fait partie d'une série de peintures exposées en 1945 lors de l'exposition Les Otages : Peintures et sculptures de Jean Fautrier.

Sommaire

Introduction à l'œuvre

Du 26 octobre au 17 novembre 1945, Jean Fautrier expose « Les Otages : Peintures et sculptures de Jean Fautrier » à la Galerie Drouin à Paris. Cette exposition comprend 46 peintures et trois sculptures. Elle se situe dans le contexte de l'après guerre. Le travail de Fautrier débute à la fin de lannée 1943 ou au début de l'année 1944, période pendant laquelle il a été retenu par la Gestapo, et les otages qu'il représente sur ses tableaux s'inspirent de ceux dun charnier des environs et des photographies témoins de fusillés.

Les têtes et les corps des otages sont très variés : de profils, de face, discernables ou méconnaissables. On a limpression de se trouver face a des masques plutôt grotesques par leur simplicité et hideux, balafrés, effrayants. Les visages, les corps semblent nous rappeler latrocité et la barbarie de la guerre. Cest la première fois que le public découvre les empâtements de Fautrier, comme autant de traces laissées dans la matière.

En ce qui concerne la technique et la matière, Fautrier utilise du papier marouflé sur toile il pose un enduit épais à base de blanc d'Espagne et de colle. Cette pâte ne recouvre pas toute la surface du support mais elle permet de délimité un champ sur lequel lartiste peut appliquer dautres couches de pâte. Cette dernière est travaillée à laide dune spatule. Des poudres de couleur sont également disposées sur lenduit et ses alentours. Elles peuvent être retravaillées au pinceau et servir de tracés ou de contours.

Description

La tête d'otage de 1945 représente un visage ovale de couleur rose pastel. Ce visage est entouré dun trait noir. Il est divisé en deux par un autre trait noir qui traverse verticalement le visage. De chaque côté de ce trait sont rattachés plus ou moins parallèlement des yeux noirs en amande. Cette tête dotage a pour arrière plan une couche de peinture marron avec quelques taches noires.

Un art informel ?

Dans Tête dotage de 1945, on peut retrouver certains aspects de l'art informel. En effet, larrière plan de couleur marron doré nous présente une certaine liberté. Fautrier semble navoir rien prémédité mais au contraire sêtre laissé porté par ses pulsions. Des taches plus sombres sont jetées çà et au hasard, sous la spontanéité de lartiste. On retrouve alors cet art de la tache, laccident, linattendu. Cela rend un fond irrégulier, la peinture semble avoir été mutilée. Cela se remarque également sur le visage au centre de la toile. Il est de couleur rose pastel, plus ou moins vif à certains endroits. On remarque davantage ici les différentes couches de peintures, Fautrier a à laide dune spatule laisser libre court à ses pulsions. Lœuvre apparaît alors plus comme une peinture au sens matériel ; pigments mêlés et superposition de couches. Il ny a pas de spatialité dans cette œuvre mais des aplats de couleurs.

Jean Dubuffet, après avoir vu lexposition insiste sur ce fait : « Je ne voyais pas dotages dans tout cela, il ne me paraissait pas du tout utile de mêler des otages à tout cela, mais que cétait une manie de peintre. » [1]. De plus, Fautrier a peint en se rappelant les détonations des fusils qui tuaient ces otages. Il sagit donc dun acte intuitif lexpérience a joué un rôle important.

On pourrait même penser que cette œuvre na pas de réel sujet et que seulement lexercice pictural a de limportance. Quil sagirait en fait dun art formel qui répondrait à toutes les exigences requises. En effet, on retrouve une réalité et une représentation figurative. Les lignes au centre de cette œuvre représentent bien une tête humaine justifiée par la présence dyeux reconnaissables (même sils sont dun nombre surnaturel). De plus, le sujet est celui des otages tués par la Gestapo. Le sujet nest donc pas oublié ou inexistant au profit de lexploitation du matériau.

Alors quon considère Fautrier comme pionner de cet art informel, lui-même se justifie et doute de cet art purement informel, il refuse les étiquettes :

« L'irréalité d'un informel absolu n'apporte rien. Jeu gratuit. Aucune forme d'art ne peut donner d'émotion s'il ne s'y mêle pas une part de réel. Si infime qu'elle soit, si impalpable, cette allusion, cette parcelle irréductible est comme la clef de lœuvre. Elle la rend lisible, elle en éclaire le sens, elle ouvre sa réalité profonde, essentielle, à la sensibilité qui est l'intelligence véritable. »[2]

Ainsi il exprime que toute référence au réel nest pas écartée. La part de réel lui semble indispensable pour comprendre une œuvre, lui donner un sens.

L'ambiguïté des Otages : Entre horreur et beauté

Lœuvre Otage en général a été critiquée. On lui reproche dassocier une matière belle à lhorreur. Cette esthétisation de l'horreur qui concilie le beau et le laid a été dautant plus remarquée lors de la première exposition de ces peintures à la galerie Drouin en 1945, car les pièces étaient alignées sur des cimaises noires, insistant sur leffet de répétition des figures claires sur fond de ténèbres. Cette mise en scène et la beauté de la matière picturale a valu à Fautrier dêtre accusé dinconséquence en conciliant la séduction avec lhorreur.

La matière meurtrie représente un visage souffrant, tous ces yeux ouverts, presque exorbités nous montrent la douleur, lhorreur. On semble reconnaître des plaies dans cette matière tourmentée. Ce visage dotage ici étudiée, exemple parmi les autres, est le témoin de la violence de lhomme sur lhomme. Cest une violence obscène qui allie lhorreur du sujet à la beauté plastique de la matière la peinture. Lobscénité se retrouve dans ce paradoxe de lhorreur et de la fascination, du dégoût et de lesthétique.

Jean Paulhan a défendu à plusieurs reprise le travail de Fautrier contre laccusation desthétiser l'horreur notamment dans un texte appelé Fautrier lenragé paru en 1949. Lorsquil parle de Têtes dOtages, il précise que la matière est « opulente » et « magnifique ». Paulhan explique comment le paradoxe de la beauté plastique et de lhorreur du sujet se détachent « Nous venons de connaître un temps les hommes se sont trouvés soudain plus convulsés que des hommes. Un temps lhomme vaincu se trouvait très exactement en proie à des ogres et des géants haineuxqui ne se contentaient pas de le torturer, qui le souillaient encore. Le corps disloqué, le sexe tordu, le coup de couteau dans les fesses, cétait à la fois la pire insulte, la plus immondeet tout de même la plus nôtre : celle qui pouvait le moins se nier ; celle que tout en nous (dès linstant que nous avions choisi davoir un corps) appelait. Ce nétait plus seulement la flétrissure et la décrépitude en quelque sorte normalecétait la décrépitude provoquée, précipitée. Enfin cest quil fallait particulièrement à chacun de nous se défendre, tenir le coup, transformer tant dimmondices et dhorreurs. » [3]

Fautrier utiliserait la peinture, la matière avant tout afin de mieux communiquer son désarroi, sa douleur. Même sil sagit datrocité, ce sont des hommes qui ont commis cela et sans doute est-ce cela qui affecte le plus lartiste. Nous pouvons également nous demander si lhorreur peut prendre un beau visage. La peinture comme matière serait la beauté extérieure tandis que le sujet serait en quelque sorte cette horreur cachée sous le beau.

Il ne sagit donc pas vraiment dune esthétisation de lhorreur mais davantage dun travail de mémoire, dans tous les sens du terme. Dans un premier temps on sait quil a peint avec le souvenir de la détonation. Deuxièmement, on trouve ici un témoignage, un devoir de mémoire historique. La destruction du corps et la souffrance des visages font écho à la négation de lhumain à laquelle la Gestapo et les nazis sessayent. A travers son œuvre des Otages en général, il témoigne de ce traumatisme quil a connu par la Gestapo pendant la guerre. Il retranscrit son émotion profonde face à la barbarie par cette matière épaisse quil écrase, retourne, mais aussi par le travail des couleurs. Le plus intéressant, cest sans doute cet arrière plan mêlé d peuvent émerger des éléments de corps informes, et ici une tête tragique. La matière, les couleurs et le dessin participent à une défiguration. Il transforme ces visages humains en ceux de monstres, de décomposition.

Comparaison

En 1954, Fautrier continue cette exploration de la matière avec dautres séries de tableaux dont Têtes de partisans réalisée en 1956 après linvasion de la Hongrie par les troupes soviétiques. Lutilisation de la peinture est toujours aussi vive et matérialisation des pulsations et le sujet est également introduit dans lœuvre.

http://golden-photography.forumpro.fr/

  1. Citation extraite d'un catalogue publié sous la direction de Daniel Marchesseau par la Fondation Gianadda (Martigny, Suisse), à loccasion d'une exposition en 2005
  2. Citation de Jean Fautrier dans "A chacun sa réalité" (1957) in Écrits publics, Paris, L'Échoppe, 1995
  3. Fautrier l'enragé, Jean Paulhan, Oeuvres complètes, tome V, Gallimard, 1962.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Tête d'otage 1945 de Wikipédia en français (auteurs)

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