Pompe du bouc

Pompe du bouc

La Pompe du Bouc est le nom qu'on donne à une cérémonie d'inspiration antique à laquelle se livrèrent les encore jeunes poètes de la Pléiade et leurs maîtres à Arcueil en février 1553[1], à l'occasion du triomphe de la première tragédie française à l'antique, Cléopâtre captive, et de la première comédie, L'Eugène, représentées au collège de Boncourt devant le roi.

Sommaire

Déroulement

Juste après la représentation des deux pièces d'Étienne Jodelle, une joyeuse équipe composée des jeunes collégiens Rémi Belleau, Jean-Antoine de Baïf, Etienne Jodelle, Ronsard, Denisot, Collet, Jamin, Vergèce, Paschal, de leurs enseignants Marc-Antoine Muret et peut-être Jean Dorat[2] et probablement les comédiens desdites pièces (ce qui inclurait Jacques Grévin et Jean de La Péruse) se rendit sur le site antique d’Arcueil[3] pour y organiser une cérémonie à l'antique d’inspiration dionysiaque en l’honneur de leur héros du jour, Etienne Jodelle. Baïf, Ronsard, Muret et quelques autres y prononcèrent dithyrambes et élégies entrecoupés d’incantations plus ou moins grecques[4], tous vêtus de toges et couronnés de lierre. Enfin, ils firent monter sur l’autel qu’ils avaient construit un bouc « enguirlandé » de lierre, que d’après certains Baïf aurait égorgé aux pieds de Jodelle, probablement en vertu de la célèbre étymologie fautive du terme Tragédie (τράγος / trágos, le bouc, et ᾠδή / ôidế la plainte)[5].

Voici le récit qu'en fait Étienne Pasquier dans ses Recherches de la France :

« Assez ont ouy parler du voyage d’Hercueil, et comme une infinité de jeunesse (addonnée à faire la cour aux Muses) se mit en desbauche honneste […] Ils firent là banquet par ordre, où l’eslite des beaux esprits d’alors estoit […] et principalement à fin de contribuer à l’esjouïssance qu’ils avaient de ce que Jodelle avoit gagné l’honneur et le prix de la Tragédie […] où pour mieux follastrer ils enjoliverent de barbeaux, de coquelicos, de coquelourdes, un Bouc rencontré dans le village par hasard, lequel, les uns, au desçeu des autres, menerent de force par la corne, et le presenterent dans la sale, riant à gorge ouverte, puis on le chassa…  »

Répercussions

Cet événement festif et sans doute bon enfant attira sur ce groupe de jeunes poètes (que Ronsard appelle encore la « Brigade ») les foudres des du diocèse de Gentilly et surtout des protestants, voyant dans cette cérémonie la preuve que les humanistes étaient des impies et des païens se livrant à des rituels hérétiques et idolâtres. Les poètes répondirent en disant qu'ils n'avaient nullement tué le bouc[6] : les érudits sont encore partagés sur cette affaire.

Cet événement constitua cependant un moment fort dans la fédération des poètes qui allaient devenir la Pléiade. Par la suite, Grévin, Belleau et Baïf furent ainsi les premiers continuateurs directs de Jodelle dans les difficile débuts du théâtre "à l'antique", qui ne triomphera que plus d'un demi-siècle plus tard avec Corneille puis Molière et Racine.

Bibliographie

  • Ronsard, Dithyrambe à la pompe du Bouc de E. Jodelle, poëte tragiq. dans Œuvres Complètes, Dir. J. CÉARD, D. MÉNAGER et M. SIMONIN, Paris, Gallimard, NRF “Pléiade”, 1993, p. 560.
  • Baïf, Dithyrambe à la pompe du Bouc d’Estienne Jodelle, dans Œuvres en rimes, ed. C. Marty-Laveaux, Paris, 1881, tome II, p. 209.
  • (it) Enea Balmas, Un Poeta del rinascimento francese : Etienne Jodelle, Florence, 1962
  • Florence Delay, L'Insuccès de la fête, Paris, Gallimard, 1980
  • Richard Cooper, « Dionysos exhumé : les Archéologues français à la Renaissance », dans De Pétrarque à Descartes, dir. Jean-Claude Margolin, n°LXIX : Dionysos : origines et résurgences, dir. Ilana Zinguer, Paris, Vrin, 2001.

Notes et références

  1. Pour plus de précisions quant à l'établissement de cette date, consulter l'article L'Eugène.
  2. qui avait déjà organisé un "voyage scolaire" comparable en 1549, au même endroit et avec presque les mêmes élèves.
  3. Arcueil, qu'ils orthographient "Hercueil", pour prouver une prétendue origine grecque au site, dont ils imaginent qu'il aurait été voué au culte d'Hercule. Ce genre d'invention était courante chez ces poètes, qui ne cessèrent de chercher des allusions héllénistiques dans des noms de villes comme Troyes ou Paris.
  4. Une partie a été éditée par Ronsard sous le titre Dithyrambe à la pompe du Bouc de E. Jodelle, poëte tragiq., et par Baïf dans Dithyrambe à la pompe du Bouc d’Estienne Jodelle.
  5. Grévin, dans son Brief Discours (1561), donne une autre origine au terme tragédie : « anciennement on donnoit aux poëtes Tragiques, pour récompense de leur labeur, un Bouc, ou bien la corne d’un bouc pleine de vin ». L’origine de cette version est obscure, et elle constitue probablement un hapax. Elle a cependant pour mérite de justifier la Pompe du Bouc tout en écartant l’idée du sacrifice.
  6. Baïf semble relayer ces accusations dans sa dénégation vigoureuse, prenant soin de préciser « Sans faire de sacrifice / Ainsi que des pervers scandaleux ennuyeux / Ont mis sus contre nous pour nous rendre odieux » dans son Dithyrambe à la pompe du Bouc d’Estienne Jodelle.

Liens externes

Un article d'Olivier Halévy et Jean Vignes sur la Pompe du bouc pour le colloque Paris, 1553 : Audaces et innovations poétiques, BNF, Paris, 2008.


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