Immigration indienne en Guadeloupe

Immigration indienne en Guadeloupe

L'immigration indienne en Guadeloupe eut lieu dans la deuxième moitié du XIX siècle.

Historique

Au lendemain de l’abolition de l’esclavage, le Conseil Général de Guadeloupe, sous la pression de la plantocratie cannière en manque de bras, fonde beaucoup d’espoir sur l’immigration indienne. Mais nous ne pouvons passer sous silence d’autres tentatives migratoires comme les Nègres libres venus des îles anglaises, des européens venus du Sud-Ouest de la France et d’Allemagne, des Madèriens, Cap-Verdiens et autres Chinois, Viet-Namiens (déportés politiques) et Annamites. En 1862, on essaya même de tenter de faire venir des Noirs libres des USA. Mais tout cela restait dérisoire par rapport à la demande et face aux difficultés d’adaptation climatiques et socio-culturelles. Parallèlement, l’introduction d’une « immigration Congo » se heurtait à ce que l’Angleterre appelait une nouvelle traite déguisée, et le colonisateur de l’Inde ne voulut accepter que la France puise dans l’immense vivier constitué par le sous-continent que si la France arrêtait l’immigration africaine. (Les maigres comptoirs français ne pouvant subvenir aux besoins importants de travailleurs, la France devait courtiser l’Angleterre.) La promesse en est faite par Napoléon III, qui peut signer alors la Convention sur l’immigration indienne le 1er juillet 1861. Notons que 6109 Congos arrivèrent en Guadeloupe entre 1858 et 1861 contre 5800 indiens dans la même période. C’est dire l’importance de cette immigration Congo contractualisée, trop souvent oubliée, dans le développement de notre pays.

Les agents de recrutement en Inde faisaient miroiter l’espoir d’un Eldorado où la facilité de la vie et l’espoir de construire ou reconstruire une vie étaient basés sur le climat, l’argent, la liberté et l’anonymat pour certains. Ils leur cachaient la difficulté des tâches qui les attendaient, l’extrême longueur du voyage et les réelles difficultés d’adaptation dues aux coutumes et aux langues, et même leur destination précise. Traverser les « eaux noires » et rester si longtemps loin de la Mère Inde en auraient dissuadé un trop grand nombre. Avant de rejoindre les dépôts (de Calcutta par exemple), ils remplissaient sans lire, et trop naïvement, un formulaire en bengali et anglais. Ces recruteurs étaient payés deux roupies pour un homme, six pour un couple, la moitié pour les enfants de 10 à 16 ans et le quart en-dessous de dix ans. Il leur fallait faire du chiffre, mais n’étaient payés qu’au moment de l’embarquement. Au chef recruteur s’ajoutaient les sous-recruteurs de rue et de village (arkati) un clerc, un responsable de la nourriture et un commis chargé d’accompagner jusqu’au dépôt. Qu’ils furent originaires du sud-est du pays tamoul (« malabars »), de l’Uttar Pradesh ou du Bihar (« calcattas »), ils étaient essentiellement des agriculteurs.

Le prix payé au chef recruteur variait suivant les « agences ». Ainsi si les agences de Trinidad et de Guyane anglaise lui payait 26 roupies pour une recrue féminine du Bihar avec un bonus de 50 roupies pour chaque contingent de 250 âmes, les petites agences, comme celles des colonies françaises ou du Surinam étaient plus généreuses, afin de pouvoir réaliser leurs quotas promis aux grands propriétaires de la place, qui attendaient impatiemment leur commande. Les candidats étaient essentiellement des pauvres, mais toutes les castes furent présentes dans des proportions diverses dans ce flux. Le «Bombay Gazette » du 15 juin 1858 décrivait ces êtres confinés dans les dépôts comme des pauvres ignorants illettrés pour l’essentiel, « nés dans la liberté prêts à être déportés dans des colonies où l’esclavage a été aboli mais où ils deviendront esclaves. Les fuyards et les morts n’étaient pas payés au recruteur tandis que ceux qui étaient prêts pour le grand saut avaient emmené avec eux ce qu’ils avaient de plus précieux : épices et graines, bijoux, tenues, instruments de musique rudimentaires et livres de prières pour certains, hindouistes, musulmans, jaïnistes et même brahmanes se retrouvant dans un modus vivendi inhabituel…Après un séjour qui pouvait durer jusqu’à trois mois au dépôt, suivant l’avancement des négociations entre le transporteur maritime, le Ministère des colonies et de l’immigration sans compter le bon vouloir de l’autorité britannique, ils étaient conduits des dépôts au port d’embarquement pour un long voyage…

Installés inconfortablement dans des bateaux de commerce aménagés sommairement pour l’acheminement vers la Guadeloupe jusqu’en 1870, puis dans des bateaux spécifiques permettant la navette entre l’Inde et les colonies sucrières, ces voyageurs intercontinentaux d’un genre particulier étaient regroupés en trois catégories : hommes, femmes et couples mariés.

Les bateaux –ou coolie ships- sont des voiliers, sauf le dernier convoi, fin 1888 qui fut un steamer (bateau à vapeur). Les passagers sont logés dans l’entrepont et séparés totalement des installations réservées à l’équipage. Les installations collectives, hôpital, cuisines, toilettes, sont sur la partie centrale du pont, où ces aventuriers doivent demeurer pendant la journée. Manque d’espace et promiscuité érodaient déjà les différences culturelles, religieuses, sociales et de castes et facilitaient un grand brassage humain. Leurs instruments de musiques rudimentaires (trois ou quatre différents), leurs chants et leur foi entretenaient toutefois l’espoir d’atteindre un horizon meilleur au fil des jours, qui s’égrenaient au rythme des repas, des danses, des contes des grandes épopées indiennes, mais aussi des tempêtes, des maladies et des décès à bord sans compter la nostalgie qui s’emparaient d’eux par crises. D’autres craignaient la malédiction promise à ceux qui oseraient braver l’interdiction de franchir les océans (le Kalapani des hindouistes).

Ce commerce humain était devenu une affaire lucrative pour la Compagnie Générale Maritime qui avait signé un contrat juteux avec le Ministère de la Marine. Mais en 1866 la concurrence s’établit avec les bateaux anglais, plus efficaces et plus nombreux en Inde. Entre 1866 et 1885, soixante des soixante-quatre convois arrivés en Guadeloupe étaient des voiliers britanniques.

Les conditions météorologiques déterminaient les dates de départ. En effet ces voiliers devaient à la fois profiter de la mousson d’hiver de la mi-octobre à la mi-avril pour pousser tranquillement les navires vers le Cap de Bonne-Espérance qu’ils devaient contourner, et en même temps éviter la période de mai à septembre où vents et courants sont redoutables. La convention franco-britannique de 1861 (voir notre précédent article) prévoit les départs vers les Antilles du 1er août au 15 mars, mais suite au naufrage du « Souvenance » en 1871( parti trop tard en raison des conséquences de la guerre franco-allemande et fracassé sur les côtes sud-africaines le 15 mai faisant 376 victimes), la période fut ramenée du 15 juillet au 1er mars. D’après la quarantaine de rapports de voyages vers la Guadeloupe que nous avons consultés, le voyage durait en moyenne trois mois, mais en cas de vents défavorables, il pouvait s’étaler jusqu’à quatre mois. Une escale était prévu, parfois à l’île Maurice ou la Réunion, mais le plus souvent à Sainte-Hélène, d’où la Guadeloupe pouvait être prévenue par télégraphe de l’arrivée du convoi d’ici le mois suivant.

À bord, l’espace est chichement dédié, puisque par « dérogation » régulière l’administration autorisait jusqu’à 15% d’immigrants supplémentaires, dans un souci de rendement toujours plus grand, au vu des demandes pressantes des propriétaires d’habitations de Guadeloupe. Seule la vigilance de l'Angleterre sur les agissements de la France ont vu éviter encore plus d'entassement, et les rappels à l'ordre britanniques furent nombreux. La nourriture à bord est relativement abondante quantitativement mais d'une extrême médiocrité qualitative, les armateurs rognant au maximum sur ce chapitre des dépenses. Bas morceaux de viande, « riz-coolie », et absence de vivres frais une fois épuisés ceux embarqués au départ. Les deux repas quotidiens étaient toujours à base de curry, accompagné d'une ration réglementaire de 4,5 litres d'eau par personne et par jour pour tous les usages. C’est vers 1862 que les appareils distillatoires dessalant l'eau de mer ont pu régler le problème de l'eau potable à bord. Notons que les passagers se nourrissaient en fonction de leurs convictions religieuses aussi. Ils eurent la précaution également de partir avec quelques plantes aromatiques, légumineuses et médicinales dont ils prenaient soin de garder les semences...

Chaque convoi est accompagné d'un médecin à bord . Au début ce sont des médecins civils mais à partir de 1867 le ministère envoie de France des médecins de la Marine, connaissant les maladies tropicales pour accompagner et tenir ces livres de bord que nous avons pu consulter et dans lesquels figuraient parfois quelques noms...

Hygiène approximative, pharmacopée limitée, impossibilité du moindre secours extérieur pour ces 4 à 5 centaines de personnes, infirmier-interprète pas toujours fiable, le travail du médecin à bord n'était pas facile, mêlant à la fois dévouement et désintérêt pour ces indigents, leur culture et leur cas social. Pour 77 convois à destination de la Guadeloupe, la mortalité n'a été que de 2,69%, très faible donc.

Tout est fait à bord pour limiter les relations entre l'équipage constitué d'officiers européens et de matelots indiens avec les passagers, pour préserver la quiétude du voyage. Toutefois, sur trois navires au moins, des émigrés ont été l'objet de violences graves, la promiscuité nourrissant parfois les tentatives de viol et les rixes. Sinon l'ennui bercé par les chants et les réminiscences dominait à bord, dans une routine que les conditions météorologiques cassait quelques fois, jusqu'à l'arrivée des alizés, et le terminus au dépôt de l'immigration de Fouillole, là-bas, à « La Pointe-à-Pitre »...

La question pourrait se poser quand on étudie les documents disponibles et quelques récits de rares «bibliothèques vivantes» racontant les souvenirs de leurs propres grands-parents. À leur arrivée au dépôt de l’immigration de Fouillole, les immigrants indiens sont placés en observation pendant quelques jours, les malades à l’hôpital de la colonie et les autres rejoignent les engagistes selon l’ordre d’inscription sur la liste des attributaires et suivant l’importance de l’habitation, en général entre 4 et 30 travailleurs par arrivage. L’arrivée de ces bateaux de coolies est une attraction majeure pour la population locale, de par son côté « exotique ». Certaines injures raciales commencent là. La découverte de l’habitation, après le trajet en charrette au milieu d’un paysage nouveau, la langue française, le créole, qui devint par la suite un élément de soudure dans la population, sont autant d’éléments rompant avec leur vécu. Mais leurs conditions de vie misérables deviennent vite dramatiques, et est qualifiée de « New system of slavery » par le gouvernement britannique, qui, conscient des sévices commis sur ces sujets aux Antilles françaises signe le 1er novembre 1888 l’arrêt de ce mouvement migratoire. Comme le souligne l’éminent chercheur guadeloupéen Francis Ponaman (France-Antilles du 21 juin 1986), si le Conseil Général de Guadeloupe a voté effectivement l’arrêt de cette immigration en 1885, il a dû sous la pression des propriétaires terriens, revoter l’importation de l’immigration indienne en juillet 1888. Un nouveau et ultime bateau, le « Nantes-Bordeaux » arrive d’ailleurs le 31 janvier 1889 en Guadeloupe, préparé conjointement par les deux agences de Pondicherry et de Calcutta. Le statut juridique des Indiens est flou. Le décret de 1852 prolonge à leur égard l’ancienne « organisation du travail » de triste mémoire, à laquelle ils doivent se soumettre. Attachés à leur habitation, ils demeurent sous la dépendance absolue de leur engagiste. Leur condition matérielle est minable, mais leur force de travail grande. Beaucoup de propriétaires s’affranchissent de leur obligation de nourrir leurs travailleurs en leur concédant une portion de terre et un jour par semaine pour la cultiver, et leur refuse le riz prévu dans le contrat. Au niveau sanitaire, anémies, bronchites, paludisme font des ravages vu l’environnement. La brutalité et la violence sont permanentes sur les habitations, de l’humiliation aux meurtres, en passant par les mauvais traitements. La justice donnait toujours raison au propriétaire et les représentants britanniques ne pouvaient accéder librement aux habitations, devant passer par l’administration française qui cautionnait la situation. Les planteurs étaient tout-puissants, avec un système qui fermait les yeux sur les coups de coutelas donnés aux contrats d’engagement. La conséquence est infaillible : une énorme surmortalité, soit 61,4 pour mille entre 1855 et 1885. Victor Schoelcher déclare que « l’immigration consomme presqu’autant de créatures humaines que l’esclavage ». Le rapatriement au terme du contrat est rare au début. De 1854 à 1906, date de départ du dernier convoi de rapatriement, 42900 Indiens sont arrivés en Guadeloupe et environ 10500 y sont nés, alors que 9700 ont été rapatriés et qu’il en restait 13300 sur l’île. La différence, soit plus de 30000 personnes correspond malheureusement à autant de décès. Le contrat prévoit pendant les 5 ans d’engagement 26 jours de travail par mois à raison de 9h30 par jour suivant la convention de 1861, et 4 jours de congé pour la fête du Pongal. Mais cela n’est pas respecté et l’Indien n’est pas entendu dans ses recours. Les salaires prévus de 12,50F par mois pour les hommes, 10F pour les femmes et 5F en-dessous de 14 ans sont payés irrégulièrement, grevés d’amendes et de retenues artificielles de toutes sortes. Toutefois certains arrivent à envoyer de très modestes sommes à leurs familles en Inde et à ramener, pour les rares rapatriés, un petit pécule. Cette souffrance morale et physique a conduit plusieurs désespérés à brûler des champs de cannes afin d’aller en prison ou au bagne, afin d’avoir selon leur déclaration « une existence meilleure ». D’autres se sont suicidés. Au fil d’un dur labeur, quelques uns ont pu acquérir, avec des planteurs moins indignes, des lopins de terre à bon prix et permettre à leurs enfants d’accéder à un autre niveau social. Avec la fin de l’immigration, les espoirs de retour au pays natal se sont estompés, car il fallait fixer ces travailleurs sur le sol guadeloupéen, le gouvernement britannique ayant fermé le robinet humain en raison des mauvais rapports qu’il recevait concernant les sévices infligés à ses ressortissants. Nous avons pu lire une lettre adressée à la Reine d’Angleterre, implorant une délivrance, ainsi que l’histoire de ce député de Guadeloupe qui, moyennant finances promettait de faire venir un bateau pour des rapatriements qui sont restés imaginaires…D’autres luttes commençaient vers et pour l’intégration… Le développement économique de la Guadeloupe a pu compter sur ces travailleurs, dans une épopée dantesque, qui aujourd’hui permet de présenter à la face du monde une Guadeloupe multi-ethnique dont la culture globale s’est enrichie d’une composante indienne que l’on retrouvera, au-delà de la cuisine, des vêtements, de la musique et des rites, dans l’inconscient collectif d’un nouveau peuple.


Bibliographie

  • Christian Schnakenbourg. Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe (L’Harmattan)
  • Basil Lubbock, Coolie-ships and oil sailers (Brown, Son & Ferguson)
  • Singaravélou, Les Indiens de Guadeloupe (thèse de Doctorat de troisième cycle, Université Bordeaux III, février 1974)
  • Dr Panchanan Saha, Emigration of Indian Labour 1834-1900 (People Publishing House, Dehli)

Références

Sources : ANOM 29 chemin du Moulin de Testa 13090 Aix-en-Provence http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/caom/fr/


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