Denis Protéor

Denis Protéor

Denis Protéor est un artiste contemporain apparu sur la scène publique en 2000, suite d'une première exposition à la Heartgalerie de Paris. L'historien de la photographie Noël Bourcier parla d'une épiphanie. En effet personne ne savait rien de Protéor. Chacun le découvrait à travers des triptyques photographiques avec des réactions souvent outrées. Que représentaient ces images ? On y voyait des fleurs mélangées à des animaux nocturnes, des cadavres avec des usines, des femmes nues très échevelées avec des animaux soignés dans une clinique vétérinaire, des forêts suprêmes... Rapidement Noël Bourcier (alors directeur artistique institutionnel), passé par hasard à cette exposition, donna rendez-vous à Protéor au Patrimoine photographique pour en voir plus. Il constitua un dossier qu'il soumit aux éditions Marval. Yves-Marie Marchand, directeur de Marval, décida aussitôt de publier « un gros livre ». Un an après parut Parts pour l'âme-chaudron (postfacé par Noël Bourcier). On raconte que sa sortie fut retardée car les imprimeurs eurent peur du manuscrit et avertirent Marchand que ce livre était dangereux. Marchand tint bon et l'imposa même aux frilosités des libraires de la FNAC (qui le mirent en vente enveloppé d'un film plastique, présenté dans les étagères du haut, ne dirait-on pas plus tard que Parts pour l'âme-chaudron brûle l'oxygène de l'air...).

Lorsqu'on est face aux 500 photographies couleurs pleine page de « Parts pour l'âme-chaudron », on est confronté à une expérience douloureuse et stimulante. « J'ai respecté la proportionnalité de la biomasse » dit Protéor « ainsi dans ces parts se rejoignent plus de champignons -ni végétaux ni animaux-, de cieux immenses, de corps défaits, de transitions, que d'êtres humains imposés par leur figure. »

La première interview publique eut lieu à la Maison européenne de la photographie, à l'occasion de la sortie du livre. Soirée au cours de laquelle fut projeté une vidéo de Protéor qui fut interdite aux moins de 18 ans (rarissime à la MEP). Critiques, journalistes, curieux étaient venus rencontrer un personnage étrange. Ils avaient devant eux un homme d'environ 30 ans, au visage agréable, de taille moyenne, vêtu sobrement, s'exprimant aisément d'une voix un peu émue car d'un anonymat volontaire il se trouvait d'un seul coup devant à une audience et une attention accrues. A tel point que la Société française de photographie veut publier une monographie sous la direction de Michel Clément. Où est-il né ? Dans un avion, répond-t-il. Comment a-t-il eu accès à des morgues, des cliniques vétérinaires, des sites de traitement du déchet ? Qualité d'enquêteur. Puis Protéor lut un de ses textes. Michel Poivert, historien de la photographie, conclut "Une oeuvre est à l'oeuvre".

Dans le numéro 311 (avril 2005) du magazine Artpress, Richard Leydier écrit : « Plus qu'un photographe, Denis Protéor se définit comme un investigateur. Depuis plus de vingt ans il explore des domaines très précis -la forêt,la morgue, les femmes, les handicapés, les oiseaux,...- à l'aide de la photographie, du texte, du dessin, de la vidéo pour produire une sorte d'archives du Vivant. Une oeuvre singulière et mystérieuse à découvrir au Centre de la photographie de Genève du 15 avril au 28 mai 2005. » Puis l'article relate l'exposition de Protéor à l'Institut néerlandais (Novembre 2004). « … il régne une ambiance sépulcrale. Le public nombreux demeure pétrifié devant un accrochage serré. On peut lire la même expression sidéré sur tous les visages. Pas un mot n'est échangé comme si l'expérience était trop dure à communiquer. » A propos de la caractéristique "archiviste" de l'œuvre de Protéor, il faut écouter ce qu'il en dit : "Voulant partir d'un point zéro, ou disons non-pollué par la paresse des références et l'obligation autoritaire de modèles, voulant donc mettre au point mes propres outils et déclarer aussi ma logique interne, je dois enquêter dans des domaines névralgiques en entrant totalement dans les dits domaines pour des périodes de différentes longueurs (les morgues pendant 7 ans, les cliniques vétérinaires et les fermes d'élevages pendant 4 ans, les sites de traitement du déchet 3 ans, la forêt 15 ans, les enfants 10 ans, etc). La première conséquence de mon comportement reste évidemment vivre. Et vivre en indépendance, en singleton, en étrangeté, ferme et endurant et surtout incandescent. L'autre conséquence est devenue la production : un million de photographies (argentiques), des milliers de dessins et peintures, des centaines d'enregistrements, de vidéos, de manuscrits, de journaux de bord, constituant ma propre aire, mes matériaux d'expert (voulu) en transfiguration et sublimation, en constructeur de ponts et de failles." Dans le numéro 11/12 de NY Arts, Protéor déclare : "My behavior is the heart of my affair. I am strange. I come from Vertigo. and you must not see me coming. I have more senses than feelings. Here for one part of my secret intention. This is part of my secret intention. As one says about chance : chance is a secret and I keep my secrets.” ."

Donnons la parole à Denis Protéor en reproduisant (avec l'aimable permission de l'auteur, à travers le directeur de la Heartgalerie qui le représente, Jean-Philippe Aka) un texte qu'il a écrit pour l'exposition de ses dessins et peintures à ArtParis 2009 et ArtBasel 2009. Ce texte porte le titre « Devenir un enchanteur » :

« Qu'est-ce que la trahison ? Dans le grand parc celui qui dessine un arbre dans l'extase de la concentration fait reculer la trahison. Il dessine pour son intimité à laquelle reste lié le grand Dehors. Et qu'est-ce que le grand Dehors sinon l'aller-retour permanent Hollywood-Rwanda ? Le seul prix à payer est celui d'une existence qui évite le mensonge. Pendant que ce même prix à payer a rémunéré l'architecte des prisons. Et celui qui dessine sait que le dessin lui fournit l'illimité et non pas une évasion car une chose devient une œuvre d'art quand en son sein, au bout d'un moment, inexorablement elle stoppe la fiction. Donc celui qui dessine n'a pas besoin de s'évader. Il interprête, ne parle pas beaucoup, avare en parole par respect pour l'or de la parole. Il se défie, constatant qu'il ya des juges d'un côté, et des juges intègres de l'autre. Deux espèces. Mais taisons-nous. Voici que surgit dans le grand parc le justicier. Celui qui chasse l'insolence des assassins. Cela n'échappe pas à l'attention de celui qui dessine, qui d'ailleurs sait aussi dessiner les justiciers héroïques dont les spectateurs sont tant avides. Dessiner c'est une surface qui est marqué par une main, c'est la naissance du dialogue adorable entre l'être et la féerie. Le justicier, fier guerrier calme, gentil homme souriant, connait bien la féerie. En effet la féerie, cette présence qui demeure antérieure à tout, silencieuse, puissante, irrésistible. En fait, pourquoi lui résister ! Elle est le seul aliment de l'être auquel aucune structure externe à sa constitution opaque ne convient encore ; je veux dire ni la crainte de la souffrance, ni le bon vouloir de l'avoir public, ni les morts fous de signalisation et de signification, ni la cruauté endémique des édifications. Evidemment celui qui dessine a l'air d'un enfant ! Oui, mais d'un enfant retrouvé ou résistant qui demande des comptes sur les évenements spoliateurs de sa part de féerie. C'est donc l'enfant devenu le premier homme et lorsqu'il dessine un arbre, il recommence le dit arbre. Pareillement pour le dessin d'un monstre, d'une bataille, d'une royauté.

Je dessine depuis toujours. Et dans ma prime image natale, le monde m'est apparu. Des souvenirs de ma petite enfance, j'entends des échos : « Il est en train de dessiner ». L'un de mes fondements, comme ma préférence à me déplacer à pied sur la terre et sous le ciel. Je dessine tel que je marche. Et cela ne signifie guère pas à pas. J'utilise le saut et le raccourci. Je me concentre sur des actions essentielles. Mon autodiscipline me pousse vers l'essence. Et je n'ai jamais compté mes traits ou mes pas. D'une ligne je peux donner une saturation de signes développant son propre organisme jusqu'à l'indiscutable, par conséquent jusqu'à la féerie.

On connait mes photographies et on n'hésite pas à me dire qu'avec mes dessins on découvre quelqu'un d'autre. C'est mal voir. L'extérieur est gouverné par la superficialité et le spectacle fait la loi. En vrai ce qui reste appuyé dans mes photographies doit supprimer la distanciation entre celui qui photographie et ce qu'il photographie. Autrement cet écart commun trahirait la voie du guerrier que suit l'homme étrange, le guerrier n'aspirant qu'à devenir le poète. Dans mes trois directions principales et visuelles (à savoir : les arbres sont plus importants que les hommes, la désinvolture envers la mort -surtout la mienne- qui n'est toujours pas elle-même, et se moquer du plaisir qui s'habille de paix sociale et de morale industrielle alors que la recherche de l'extase enrichit les modifications nombreuses de l'héroïsme artistique), je demeure le même en photographiant et en dessinant. Comment ? Premièrement, rendre justice en m'opposant à la loi du spectacle édictée par les marchands ; deuxièmement en suivant le chemin « inscription-message-secret » je dois poursuivre ma distinction entre technique et écriture (gouache, encre, pastel, collage, papier, etc. n'ont d'importance que par rapport à la vie de mon esprit) ; troisièmement je continue à dénombrer les parties de l'enchantement , j'explique que la transfiguration, les jardins de la configuration et les trésors de la récapitulation de la conscience constituent des organes inestimables cependant que le renouvellement de la mythologie donne au nouveau mythographe la validité de la logique de son corpus bien qu'une activité mystérieuse n'a pas vraiment d'image."

ANNEXE I : Denis Protéor et la '''muséographie'''

Autant qu'il a été possible de le constater Denis Protéor a collaboré à au moins deux musées français. Le premier était situé à Fontaine de Vaucluse, dans le sud de la France, à côté du Musée de la Résistance et du Musée du Papier, et en face du Musée Pétrarque.

Le Musée de la Justice et des châtiments (rebaptisé un moment "Musée permanent de la justice et de l'injustice" par Protéor) fut fondé sur des fonds privés par Fernand Meyssonnier en 1990. Monsieur Meyssonnier (décédé en 2007) n'était autre que le dernier Exécuteur des sentences criminelles français. A son actif en Algérie sous les ordres des Tribunaux militaires "200 têtes mais pas un seul innocent", comme il aimait à le répeter.

Denis Protéor rencontra (ou comme il le dirait lui-même "devait rencontrer") Fernand Meyssonnier en août 1993 "par hasard". Le musée était pratiquement achevé. Après une conversation les deux hommes devinrent amis. Pour en savoir plus sur l'extraordinaire personnalité de Monsieur Meyssonnier, il faut lire son autobiographie parue un an avant sa mort.

Denis Protéor écrivit pour ce musée un sens de la visite, fit imprimer des portraits de Saint-Louis, Michel Foucault, Sardanapale, Jean Genet et d'autres pour les fixer à l'entrée et réorganisa les vitrines en appuyant sur l'aspect didactique.

Le deuxième musée auquel Protéor collabora fut le drôlatique Musée de l'Erotisme de Paris. Une fois encore "par hasard", il rencontra Michel Plumey, le directeur du lieu qui l'invita par un droit d'entrée d'une durée indéfinie à filmer ce qu'il voulait dans tous les étages. Et Protéor y conduisit des dizaines de complicités féminines de 2002 à 2004 qu'il filma en train de regarder les collections et d'agir selon leur inspiration. Ces films n'ont pas été encore montrés à l'instant où j'écris ces lignes.

Aujourd'hui Protéor travaille sur un ensemble qu'il nomme "Muséographie" dont il dit : "Le point de départ est un manuscrit composé sur plusieurs années qui regroupe mes vues sur la construction volontaire de la personnalité. Dès lors avec la constitution de mes archives personnelles, je me suis lancé dans un triptyque ainsi constitué : MUSEE DE LA JUSTICE (vidéos décrivant la pugnacité des artistes sérieux et mon intense activité selon les trois pôles que sont l'Espace, la Chair, le Sort), MUSEE DE L'ANONYMAT (publication sous la forme de livres de photographies d'anonymes issues des archives d'Olivier Antoine qui les collecte par le biais d'albums de famille, d'héritages encombrants ; sont attachés à ces livres des CD donnant des enregistrements de conversations téléphoniques d'anonymes que j'ai efféctués entre 1988 et 1996) et MUSEE DE LA CAGE (manuscrit qui répercute mes enquêtes sur les rapports entre la chair et Internet, les formes de l'anxiété dans l'entreprise narcissique)."


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Denis Protéor de Wikipédia en français (auteurs)

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