De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins

De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » est un adage popularisé par la Critique du programme de Gotha de Karl Marx (écrit en 1875, publié en 1891). La légende veut que le communisme part de cet adage.

Sommaire

Ces origines

On observe des formes primitives de l'adage dans le Nouveau Testament, dans les Actes des Apôtres, sur la vie en communauté et le partage des biens notamment et entre autres dans l'Acte 2 44-45 et l'Acte 4 32-35[1].

Le « philosophe oublié » Étienne-Gabriel Morelly développe cette idée dans le Code de la Nature en 1755.

« De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » a été utilisé comme telle pour la première fois par Louis Blanc dans son Organisation du travail de 1839 comme une révision de la citation d'Henri de Saint-Simon « À chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres ». Elle a été mise en avant lors de la révolution de 1848.

Elle a été reprise dans La critique du programme socialiste allemand de Gotha de 1875, par Karl Marx selon les vœux des ouvriers allemands « encore plongés dans la brume des aspirations et des formules démocratiques sentimentales qui caractérisaient le mouvement de 1848 aussi que ses levers et baissers de rideau »[2].

Des groupes politiques (Anarcho-communisme...) ou encore certains syndicats comme la CGT l'ont ensuite inclut dans la Charte d'Amiens depuis 1912.

La formule traduite du programme est « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !  »[3] entre guillemets[4]. D'après cette critique, elle doit être portée ou pourrait être portée « dans une phase supérieure de la société communiste[5]. » une fois le communisme achevé. Et, selon Lénine, dans L'État et la Révolution de 1917, « L'État pourra s'éteindre complètement quand la société aura réalisé le principe »[6].

Cependant, Lénine pose le problème de « Par quelles étapes, par quelles mesures pratiques l'humanité s'acheminera-t-elle vers ce but suprême, nous ne le savons ni ne pouvons le savoir. »[7]

En, 1936, Léon Trotsky va s'en servir comme levier contre la constitution soviétique et plus particulièrement contre le premier titre, «  dit De la structure sociale en URSS, qui se termine par ces mots : "Le principe du socialisme : De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail, est appliqué en URSS" »[8]. En cette période de parfum de guerre, Staline aurait, donc, trouvé une solution à la réalisation concrète de l'adage par « De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ». Pour Trotsky, ce système mise en place est La Révolution trahie et « À tous ces égards, l'État soviétique est bien plus près du capitalisme arriéré que du communisme. »[8].

Critiques communistes

Jules Guesde

L'expression « de chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins » est pour Jules Guesde un « vieux cliché prétendu communiste »[9],[10].

Dans cet article de L'Égalité de 1882[11], son journal, il y écrit que cet adage a été détourné « en vain » par « un de ses pères »: Louis Blanc. C'est de Louis Blanc que cet adage associatif a été repris à leur compte par certains socialistes du Parti ouvrier français l'opposant à la formule collectiviste : « De chacun selon les nécessités de la production, à chacun selon son temps de travail. »[9].

Ainsi, « ce ne sont donc pas les intentions qu'il incrimine. Il n'en prend, comme toujours, qu'à la conclusion, qui n'est pas seulement fausse, mais pleine de péril. »[9]. Et « Quant à la société communiste, qui ne deviendra une réalité vivante ... et qui sortira de l'ordre collectiviste avec des producteurs ou des hommes transformés par les conditions nouvelles du travail, elle n'aura pas d'autre devise que celle inscrite par Rabelais à la porte de son abbaye de Thélème : fais ce que vouldras. »[9]

Alors, « Ni la production de chacun ne sera déterminée par ses forces, ni sa consommation par ses besoins. », et, « De chacun et à chacun selon sa volonté, telle sera l'unique règle sociale – si règle on peut appeler cette absence de toute réglementation. »[9]

Enfin, « cette liberté dans la production et dans la consommation sera possible, je le répète, parce que la nourriture. le vêtement, etc., existeront alors pour tous dans la même proportion que l'air ou que la lumière aujourd'hui et parce que le travail considérablement restreint, harmonisé avec les goûts et accompli en commun ou en famille – la grande famille humaine réconciliée – sera devenu un attrait, un besoin auquel nul ne sera assez ennemi de lui-même pour vouloir se soustraire. »[9]

Alexandre Zinoviev

D'après Alexandre Zinoviev[12] dans Les Confessions d'un homme en trop, cet adage ou une partie de celui-ci, « à chacun selon ses besoins » est souvent discuté dans les écoles de Moscou des années 1930. Mais les problèmes du milieu soviétique ne doivent pas être mis en évidence puisque le communisme réel en URSS est supposé achevé, parfait. Dès lors, toute critique scientifique est rejetée par la société, « le pouvoir et l'administration ». Ainsi, ce communisme réel va à l'encontre du communisme idéal[13]. Zinoviev, remarque que, « dans le collectivisme soviétique réel, le principe "à chacun selon son travail" était violé plus souvent qu'il n'était observé »[14]

Cependant, cela n'est pas la conséquence d'actes d'obscurs individus mais des lois objectives de la société. Ainsi, aux chapitres du Communisme comme réalité (Julliard/L'Age d'homme, 1981) :

   * Chapitre "La situation sociale" p114;
   * Chapitre "De chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail" p117;
   * Chapitre "selon ses besoins" p124.

Zinoviev montre que cet adage aboutit en réalité à « à chacun sa situation sociale » ou « à chacun sa position sociale ». On rappelle que le statut, la hiérarchie, la situation, la position sociale du communisme soviétique ou réel n'est pas liée à l'argent, à la richesse comme dans les pays occidentaux, mais à des privilèges matériels ou sociaux selon la débrouillardise, le carriérisme, etc. des individus.

Donc dans la pratique :

   * « De chacun selon ses moyens/ses capacités » devient « à chacun sa situation sociale »
   * « De chacun selon son travail » devient « à chacun sa situation sociale »
   * « à chacun selon ses besoins » devient « à chacun sa position sociale »

Conclusion à l'adage communiste

L'expression dont l'histoire est clairement définie, fut au cours du XIX, une revendication - ou un vœux - cher à la masse prolétarienne encore dans les brumes révolutionnaires.

Or, dans le milieu capitaliste du XIX où "le pouvoir et l'administration" bien que restreint dans cette société imposant ainsi les conditions sociales de la masse globale, l'adage ne peut avoir de réalité ou d'existence proche. Par ailleurs, selon Jules Guesde, elle est détournée dans sa forme, sa signification et son application par les pensées libérales contre la vision utopique du socialisme, c'est-à-dire contre la vision majoritaire du prolétariat et des idéalistes.

De même, dans le communisme réel où "le pouvoir et l'administration" est étendu de façon globale à la société, bien que la masse soit des plus éduquée, le sens utopique de l'adage prend forme dans la réalité selon les lois objectives de la nature humaine, c'est-à-dire selon le rapport naturel de commandement et de subordination, selon la situation sociale des individus dans la société.

Cependant pour Trotsky, « Marx usait, pour définir la société communiste, de la formule célèbre: "De chacun selon ses forces[15], à chacun selon ses besoins." Les deux propositions sont indissolublement liées. "De chacun selon ses forces", cela signifie, dans l'interprétation communiste et non capitaliste, que le travail a cessé d'être une corvée, pour devenir un besoin de l'individu ; que la société n'a plus à recourir à la contrainte; que les malades et les anormaux peuvent seuls se dérober au travail. Travaillant selon leurs forces, c'est-à-dire selon leurs moyens physiques et psychiques, sans se faire violence, les membres de la communauté, bénéficiant d'une haute technique, rempliront suffisamment les magasins de la société pour que chacun puisse y puiser largement "selon ses besoins" sans contrôle humiliant. La formule du communisme, bipartite mais indivisible, suppose donc l'abondance, l'égalité, l'épanouissement de la personnalité et une discipline très élevée.  »[8]

Notes

  1. http://biblio.domuni.org/articlesbible/egliseactes/egliseactes-03.htm#TopOfPage
  2. in Souvenir sur Marx, partie Wilhelm Liebknecht, Souvenirs sur Marx (extrait) , éd du Sandre, p.34, 1896
  3. Karl Marx, les Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier, 1875
  4. formule peut-être pas de Marx mais un vœu du peuple )).
  5. Karl Marx, la Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier, 1875
  6. Lénine, L'État et la Révolution (1917), éd. de Pékin, 1978, Chapitre V. Les bases économiques de l'extinction de l'État, p. 120.
  7. Lénine L'état et la révolution, 1917
  8. a, b et c Léon Trotsky, La Révolution trahie, 1936
  9. a, b, c, d, e et f Jules Guesde, Une formule prétendue communiste, L'Égalité, 14 mai 1882
  10. cf aussi, Jules Guesde, En Garde !, éd. Rouff, p106-111, 1911
  11. cf aussi article dans La Petite République du 10 mars 1894 in En Garde !, Instruisez-Vous Mr R. Poincaré, p447 à 454
  12. L'originalité de Alexandre Zinoviev est en effet « d'avoir observé la réalité soviétique, d'avoir perçu comment le communiste idéaliste était vaincu par le communisme réel et d'en avoir conclu que la société soviétique excluait tout possibilité de créer le communisme idéal » (in Les Confessions d'un homme en trop)
  13. Alexandre Zinoviev, Les Confessions d'un homme en trop, Folio actuel, 1991, 695p.
  14. Alexandre Zinoviev, Les Confessions d'un homme en trop, folio actuel, 1991, p. 55.
  15. "de ses capacités" dans l'adage de 1875

Références



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins de Wikipédia en français (auteurs)

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