Éperon (marine)

Éperon (marine)
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L'éperon du HMS Polyphemus (1881).

L'éperon est une pointe renforcée située sur la proue d'un navire, utilisée comme arme.

Sommaire

Histoire

L'éperon, en tant qu'arme, a principalement été utilisé à deux périodes très éloignées dans le temps. La première dans l'Antiquité méditerranéenne, la seconde, au XIXe siècle par les marines de guerre, européennes principalement.

Antiquité

Trirème romaine

À l'origine, il n'y a guère de différence entre les navires utilisés pour le transport ou pour la guerre. L'apparition de l'éperon, probablement autour des années 900 avant J.-C., modifie complètement la situation. Lourd, pesant, l'éperon exige pour être utilisé, des navires puissants mais aussi rapides et la conséquence de l'apparition de cette nouvelle arme est la construction de galères de guerre, les premiers bâtiments exclusivement créés pour le combat[1].

Description

Les éperons de l'Antiquité sont surtout connus par les représentations picturales qui en ont été faites. Plus rares sont les vestiges retrouvés.

Les représentations montrent des éperons en forme de cône, de hure de sangliers, en lame recourbée vers le haut ou de forme carrée[2]. Mais ces représentations ne permettent pas d'apprécier leur degré de fiabilité, c'est-à-dire les connaissances de l'artiste en la matière.

Les vestiges sont d'authentiques éperons, comme celui remonté au large d'Athlit, ou des sculptures les montrant en trois dimensions.

Utilisation

En théorie

Avant l’invention de la vapeur, le fait d’aborder un navire ne pouvait provoquer de gros dégâts. Le vent ne permettait pas aux navires d’avoir une vitesse suffisante pour infliger des dégâts importants. De plus les bordages étaient suffisamment importants pour parer ces attaques. Toutefois le choc pouvait créer une percée dans la ligne adverse.

En pratique

Nombreuses sont les batailles navales où l'éperonnage fut l'une des armes principales. On se bornera à donner deux exemples.

Au XIXe siècle

Durant la seconde moitié du XIXe siècle, l'apparition de la cuirasse et la relative inefficacité de l'artillerie de l'époque conduit à rechercher d'autres méthodes de combat. Deux reproches sont faits au canon. En premier lieu, sa puissance est insuffisante pour triompher de la cuirasse ; en second lieu, la fumée générée par les tirs empêche de voir ce qui se passe et de prendre les bonnes décisions tactiques. Par ailleurs, la vapeur comme moyen de propulsion des navires accélère leur vitesse et leur permet d'acquérir la puissance nécessaire pour que l'impact de la proue d'un bâtiment contre la coque d'un autre provoque chez ce dernier des dégâts substantiels[3],[4].

La tactique du choc comme moyen tactique de combat est préconisée dès 1828 par le capitaine John Ross dans son ouvrage A Traitrise on Navigation by Steam, quant à l'idée de placer un éperon à l'avant des navires de guerre à vapeur, à l'instar de l'éperon des galères antiques, elle revient au capitaine de vaisseau Labrousse. L'idée est reprise dans le supplément de 1847 donné à la Tactique Navale de 1832 et le choc comme méthode de combat pour couler un navire est officialisé, mais de manière marginale, lorsque les conditions le permettent, dans la tactique navale de 1857. Cependant aucun navire ni de la marine britannique ni de la marine française n'est doté d'éperon et c'est aux États-Unis, pendant la guerre de Sécession qu'apparaissent les premiers navires béliers[5]. Le choc revient alors au premier plan et, pour améliorer son pouvoir destructeur, l'éperon est l'outil désigné.

Description

Utilisation

La mise en pratique de la théorie du combat par le choc ne sera pas fréquente.

  • La guerre de Sécession
Hampton Roads, la bataille des deux cuirassés.
Article détaillé : Combat de Hampton Roads .

La bataille de Hampton Roads est une bataille de la guerre de Sécession. Elle oppose le CSS Virginia, navire cuirassé confédéré à des navires de l'Union.

Le CSS Virginia dispose d'un éperon en bec de perroquet. Il est à fleur d'eau et avance sur l'avant du navire. Il est utilisé contre le Cumberland, frégate en bois, non cuirassée. Il cause une brèche au Cumberland et celui-ci est coulé. L'éperon sera cassé.

Lors du combat contre le USS Monitor, le CSS Virginia n'aura plus d'éperon.

Le combat de Fort Pillow sur le Mississippi où s’opposèrent 8 navires fédéraux dont 7 canonnières cuirassés sans éperons à 8 canonnières confédérées, faiblement cuirassé dont 4 équipés d’éperons. Cette bataille donna lieu à une véritable mêlée à la suite de plusieurs tentatives d’éperonnage.

  • La bataille de Lissa
Le Ré d'Italia, qui fut éperonné et coulé par le Ferdinand Max
Article détaillé : Bataille de Lissa .

Cette bataille, au cours de laquelle, le navire amiral autrichien éperonne et coule un cuirassé italien, sonne le départ de spéculations intenses sur la valeur du combat par le choc, jugé plus décisif que le combat par le feu entre navires cuirassés.

C'est à la suite de cette bataille que toutes les grandes marines vont se lancer dans la construction de navires portant des éperons, et dans des réflexions théoriques sur le meilleur usage de cette arme.

  • Combat d'Iquique.
Article détaillé : Bataille navale d'Iquique .
Combat naval d'Iquique

En 1879, le Pérou et le Chili s'affrontent. Le 21 mai, la frégate cuirassée péruvienne Huascar, construite en 1865 en Grand-Bretagne, et armée d'un éperon, coule la vieille corvette chilienne Esmeralda de trois coups d'éperon. La corvette combat d'abord à l'ancre, dans un duel d'artillerie peu efficace, mais c'est quand elle tente de manœuvrer, malgré une machine à vapeur déficiente, que la frégate ennemie la coule[6].

  • Accidents.

Si les combats où l'éperon fut utilisé sont très peu nombreux, les accidents causés par cette arme furent moins rares. Le plus célèbre survient le 22 juin 1893, en Méditerranée, au cours d'une évolution d'escadre, HMS Camperdown éperonne et envoie par le fond HMS Victoria et son amiral, sir Georges Tryon[7]. Mais les autres marines ne sont pas en reste. Ainsi, le cuirassé Amiral Lazarev et la frégate russe Oleg se coulent mutuellement; en France, c'est l'aviso Forfait qui coule après un coup d'éperon. En Allemagne, c'est le Grosse Kurfürst qui connaît la même fin[8].

La fin d'une mode

La guerre russo-japonaise va sonner le glas du combat par le choc.

Article détaillé : Guerre russo-japonaise.

Ce conflit opposa la Russie et le Japon pour la domination en Asie. La flotte de Port-Arthur, après avoir été défaite, essaya de se replier sur Vladivostok. Elle fut interceptée par la flotte japonaise le 10 août 1904. Lors de ces combats, le navire amiral russe est gravement atteint par plusieurs projectiles. L’amiral russe est aussi tué lors des bombardements. Le capitaine de vaisseau maintient son navire, mais quelques minutes plus tard, un autre obus toucha le navire et celui-ci fut en perdition. Les navires suivants se rendirent compte que le navire amiral n’était plus maitre de sa manœuvre. Ils essayèrent de couvrir le navire amiral. Le Retvizan commençait piquer du nez, il tenta donc un éperonnage. Son capitaine fut blessé au ventre et ordonna de faire demi-tour. Ce fut la seule tentative d’éperonnage de ce conflit.


Les enseignements de cette guerre russo-japonaise montrent que l'éperon n'a pas servi; que les combats ont eu lieu à grande distance; que le canon peut, seul, emporter la décision. L'artillerie a fait suffisamment de progrès pour combattre efficacement la cuirasse.

D'autres armes apparaissent à cette époque. La torpille permet aussi d'attaquer à distance, rendant inutile l'espoir d'utiliser l'éperon.

À partir de 1905, les cuirassés ne reçoivent plus d’éperons. Le Danton est ainsi pour les français le premier cuirassé mit en chantier sans éperon.

Toutefois, pendant les deux guerres mondiales des commandants audacieux ont tenté et, parfois, réussi à éperonner des sous-marins[9] Mais si les navires ne sont plus équipés d'éperon, la tactique survit toujours.

Galerie

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Notes et références

  1. James L.George, History of Warship pages 13 à 15
  2. On pourra se reporter à l'ouvrage de L. Basch, Le musée imaginaire de la marine antique, pour avoir une vision des différents types représentés.
  3. Pierre Iltis, De l'apparition de la vapeur...page 30
  4. James L. George, History of Warships page 77
  5. Pierre Iltis, De l'apparition de la vapeur...page 30
  6. Pierre Razoux, Le Chili en guerre, deux siècles de qsupériorité navale chilienne en Amérique Latine, Economica, 2005, page 31-32.
  7. A Gordon, The rules of the game, pages 246-247.
  8. M Depeyre, Eperon et bélier... in L'évolution de la Pensée Navale VII.
  9. Bien que cette tactique n'ait pas été encouragée. Par exemple, en décembre 1942, dans l'Atlantique, HMS Hesperus, éperonne U-357 mais passera 3 mois en cale sèche pour réparer.

Sources

  • Pierre Iltis, De l'apparition de la vapeur à la première guerre mondiale: le choc comme méthode de combat, magazine Champs de Bataille, numéro 21, avril-mai 2008.
  • Jean Pagès, Recherches sur la guerre navale dans l'antiquité, Economica, 2000, (ISBN 2-7178-4136-9)
  • (en) Robert Gardiner (ed.), The age of the galley, Conway Maritime Press, 1995, (ISBN 0-85177-955-7)
  • Michel Depeyre, Entre vent et eau, un siècle d'hésitations tactiques et stratégiques 1790-1890, Economica, 2003, (ISBN 2-7178-4701-4)
  • (en) James L.George, History of Warship, from Ancient Times to the Twenty-First Century, page 299, Naval Institute Press, Annapolis, 1998, (ISBN 1-55750-312-5)

Pour en savoir plus

Liens

Ouvrages

  • Articles

Pour les discussions théoriques sur la valeur du combat à l'éperon, on pourra avec profit se reporter aux articles parus dans la Revue Maritime et Coloniale (consultable sur Gallica [1]). Par exemple :

  • Des combats à éperons, RMC, 1868, tome 23, pages 628 et s.
  • Du choc dans une bataille navale, RMC, 1884, tome 82, pages 680 et s.
  • Livres
  • J Pagès, Recherches sur la guerre navale dans l'antiquité, Economica, 2000, (ISBN 2-7178-4136-9)
  • (en) R Gardiner (ed.), The age of the galley, Conway, 1995, (ISBN 0-85177-955-7)
  • Michel Depeyre, Entre vent et eau, un siècle d'hésitations tactiques & stratégiques 1790-1890, Economica, Paris 2003, (ISBN 2-7178-4701-4).



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