Yvan Salmon

Yvan Salmon

Victor Noir

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Visage du gisant de Victor Noir par Aimé-Jules Dalou (1891), Cimetière du Père-Lachaise.

Victor Noir (de son vrai nom Yvan Salmon), né le 27 juillet 1848 à Attigny (Vosges) et mort à Paris[1] le 10  janvier  1870, est un journaliste dont la mort à 22 ans suscita une forte indignation populaire et renforça l’hostilité envers le Second Empire.

Sommaire

Le drame d'Auteuil

Le 10 janvier 1870, il se présente avec son confrère Ulrich de Fonveille au 9 rue d'Auteuil, domicile de Pierre Bonaparte, cousin impulsif de Napoléon III, afin d'organiser en qualité de témoin un duel pour Paschal Grousset, son rédacteur en chef au sein du journal anti-bonapartiste La Marseillaise. Celui-ci s'estimait diffamé par un article de journal signé du prince. Du fait de la présence du patron de la Marseillaise, Henri Rochefort, qui vient lui aussi avec des témoins demander réparation à Bonaparte, la rencontre tourne mal. Un coup de pistolet est tiré par le prince et Victor Noir s'écroule mortellement blessé.

Le prince Napoléon

Le prince Pierre-Napoléon Bonaparte est le fils de Lucien, frère du premier empereur et, par conséquent, un parent de Napoléon III régnant. Ardent libéral et député corse d’extrême gauche en 1848, il s'éloigne de la vie politique après le coup d’état du 2 décembre de son cousin. Au début de l’année 1870, il sort pourtant de sa réserve pour répondre par un article virulent, paru dans le journal « L’avenir de la Corse », à l'attaque anti-bonapartiste du journal bastiais « La Revanche », et y désignant les républicains de l’île pas moins comme « des traîtres et des mendiants », propres à être massacrés, leur mettre « le stenine per le porette », autrement dit : les tripes au soleil. La polémique enfle entre les journaux insulaires. Le journal « La Marseillaise », d'Henri Rochefort, opposant systématique au régime, mène alors une campagne contre l'Empire : « Voilà dix-huit ans que la France est entre les mains ensanglantées de ces coupe-jarrets, qui, non content de mitrailler les républicains dans les rues, les attirent dans des pièges immondes pour les égorger à domicile. », «  Peuple français, est-ce que décidément tu ne trouves pas qu'en voilà assez ? »

La Marseillaise

L’erreur de « La Marseillaise » est de s’immiscer dans une « affaire corse ». Pierre Bonaparte est un parent de Napoléon III, avec lequel pourtant il était en froid depuis 20 ans. Le prince n’admet pas l'insulte personnelle contre sa famille de la part d’un obscur « manœuvre de Rochefort ». Le célèbre et bouillant publiciste reçut donc du prince un « cartel » provocateur. Rochefort, d’un tempérament vif, est de longue date un familier des duels. Il s’est jadis frotté au prince Murat lui-même, et envoie au prince Bonaparte deux témoins employés au journal : Jean-Baptiste Millière et Arnould, lesquels arrivèrent trop tard au lieu de rencontre.

Entre-temps, Paschal Grousset, de Neuilly, ardent patriote corse et correspondant parisien de « La Revanche », ressent lui aussi l'injure. Grousset a auparavant travaillé au journal dynastique « L’Époque » comme collaborateur scientifique et au journal « Le Rappel ». Il dépêche deux témoins amis afin d’obtenir du prince Bonaparte la rétractation de son article injurieux ou à défaut la réparation par les armes. Ulrich de Fonvielle et Victor Noir arrivent les premiers au domicile du 59, rue d’Auteuil. Le prince qui attendait les personnes de Rochefort fut surpris et contrarié. Les témoins durent se déclarer sur le coup « solidaires de tous leurs amis ».

Le drame qui s’ensuivit n’a été raconté publiquement que par un seul témoin, Fonvielle, une des victimes. Il parla d’un soufflet reçu d'abord par son compagnon. Le prince a simplement déclaré par écrit après l'événement qu’il s’était senti menacé après avoir été frappé au visage par le « grand » (Victor Noir). Selon une autre version, les deux envoyés auraient chargé en route un troisième larron nommé Sauton, commandité par un tiers inconnu. Fonvielle a un revolver dans sa poche et tente de s’en servir, selon Bonaparte, mais il ne parvint pas à l'armer dans sa précipitation. Bonaparte sur les cinq coups de son revolver avait tiré une balle fatale. Noir qui, blessé à la poitrine, avait pu s'enfuir dans les escaliers, expira sur le trottoir.

L'arrestation

Émile Ollivier, le chef de gouvernement fait arrêter Pierre Bonaparte et, prudent, fait organiser les funérailles à Neuilly-sur-Seine, suivant le vœu de la famille, permettant ainsi de limiter les débordements, loin des quartiers populaires. Malgré cela, plus de cent mille personnes se déplacent et commencent une agitation anti-napoléonienne qui sera une répétition à la chute du Second Empire. On croise dans cette foule Eugène Varlin, Louise Michel (qui prendra le deuil après les funérailles), Jean-Baptiste Millière… Pour certains comme Gustave Flourens, les funérailles auraient pu déclencher le renversement de l'Empire, ils réclament de transporter le corps dans Paris de façon à appeler la foule à l'insurrection. Les partisans de l'Internationale pensent que la Révolution est inéluctable et qu'il serait imprudent de la compromettre par trop de précipitation. Charles Delescluze, rédacteur du Réveil, appelle au calme et Rochefort, Vallès et Grousset proposent de se rendre à l'Assemblée où ils ne sont même pas reçus.

Le jugement

Ce fait divers, en raison de l'implication d’un illustre personnage, fit grand bruit. Napoléon III déjà politiquement malmené devint livide et resta fort chagriné quand il apprit la nouvelle. Pierre Bonaparte fut arrêté le soir même. Il est bien vite acquitté, mais condamné à des dommages-intérêts par la Haute Cour de justice, tandis que Rochefort, Fonvielle et Grousset sont condamnés. L’obscur employé de rédaction devint dans l’heure un héros national. L’Empire qui vacillait déjà, s’attira une vindicte populaire sans précédent, enflée par les catilinaires de Rochefort, « J'ai eu la faiblesse de croire qu'un Bonaparte pouvait être autre chose qu'un assassin… ». Toute cette agitation fut vaine puisque le Second Empire ne devait, après Sedan, guère survivre à Victor Noir. Les obsèques furent grandioses et frénétiques. Des gens du peuple coupèrent les traits des chevaux pour tirer le char funèbre à leur place.

Le gisant

Le gisant de Victor Noir par Aimé-Jules Dalou (1891), Cimetière du Père-Lachaise.
Le gisant de Victor Noir par Jules Dalou. Aspect en 2007.

En 1891, la dépouille, devenue un symbole républicain, est transférée au Père-Lachaise. Jules Dalou réalise son gisant en bronze, où Noir apparaît dans l’état où il aurait été trouvé après le coup de feu. L'œuvre a été conçue dans un réalisme dénué de tout ornement. La bouche est ouverte et les mains gantées sont inertes, le chapeau a roulé, les vêtements sont dégrafés. Suivant la technique courante à l'époque, Dalou modelait d'abord la figure nue avant de l'habiller[2], dotant en l'occurence son œuvre d'une virilité évidente. Ce réalisme anatomique entraîne certaines personnes superstitieuses à toucher le gisant depuis des années, d'où une oxydation disparue de la patine et une érosion du bronze sur le relief du visage, l'impact de balle, la partie virile et les chaussures, que présente la statue de nos jours. Un folklore veut en effet que les femmes en mal d'enfants touchent le gisant afin d'être rendues fertiles. C'est surtout par cette tradition, toujours en vogue, que la sépulture de Victor Noir est connue.

Le modèle en plâtre a été exposé en 1890 au salon de la Société nationale des beaux-arts (no 1255), et le gisant a été inauguré au Père-Lachaise le 15 juillet 1891.

Notes

  1. La commune d’Auteuil était déjà rattachée depuis dix ans au XVIe arrondissement parisien mais on avait à l’époque conservé l’habitude de désigner ce quartier par Auteuil.
  2. Maurice Dreyfous, Dalou inconnu dans la revue L'Art et les Artistes, 1ére année, n°9, décembre 1905, p.78.

Bibliographie

  • Michel Mourre : Dictionnaire d’Histoire universelle, 1968
  • Charles Simond : Les Échos de Paris, in « La Vie parisienne », tome II, recueil de mémoires du temps de 1800 à 1870.


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