- Voleurs d'yeux
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Voleurs d'yeux (40 min) est la version courte d'un documentaire nommé Voleur d'organes (52 min). Réalisé par la journaliste française Marie-Monique Robin, il traite de la question du trafic d'organes en Amérique et en Europe.
Sommaire
Présentation
En 1993 et 1994, Marie-Monique Robin réalise un documentaire et publie un livre avec les éléments réunis lors de son enquête sur le trafic d'organes (production CAPA). Pour son film, la journaliste enquête en Argentine, au Mexique, en Colombie, aux États-Unis et en Europe et met en relation la pénurie d'organes notamment en Europe et les cas de trafic d'organes en Amérique Latine attestés par la presse[1]. Le film obtient six prix dont le Prix Albert Londres et il est projeté aux Nations Unies. Il reçoit alors un accueil unanime de la presse (Life, Le Monde, etc.)[2].
Controverse
Dans le documentaire, la journaliste présente entre autres le cas d'un enfant colombien à qui les yeux auraient été soustraits. Suite à la remise du prix, la Clinique Barraquer de Bogota qui n'était pourtant pas mise en cause par le reportage[3], dément le fait d'avoir procédé à l'ablation de cornées d'enfants des rues, et fait examiner l'enfant colombien à des spécialistes français dont le professeur Gilles Renard. Ces spécialistes affirment que l'enfant présenté comme victime d'un vol d'yeux était en réalité victime d'une grave infection ophtalmologique et que ses cornées n'avaient pas été dérobées[4]. L'expertise menée par les professeurs Gilles Renard (service d’ophtalmologie de l’Hôtel-Dieu de Paris), Marc Gentilini (maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière) et Alain Fischer (immunopédiatrie à l’hôpital Necker-Enfants malades) concluait : « Il n’y a pas eu de vol des yeux de cet enfant », l’enfant a toujours ses globes oculaires et est atteint d’une kératite bilatérale sévère avec ulcération profonde de la cornée, consécutive à une affection diarrhéique ». Ces conclusions seront cependant remises en question par un autre groupe de 8 experts (dont le DR Pham Chau, chirurgien expert auprès des tribunaux et Dr Pierre Gastaud, directeur du service ophtalmologiste du CHR de Nice) : « Le rapport du professeur Renard est critiquable dans la forme et dans le fond. Douze ans après les événements, il est hasardeux d’avancer une conclusion définitive et tranchée lors même que différentes hypothèses restent recevables[réf. nécessaire]. »
Le professeur Barraquer attribue la facilité à se procurer des cornées non pas à la mutilation d'enfants des rues mais à la loi colombienne qui ordonne le prélèvement de principe des cornées sur les décédés de mort violente, dans un pays où celles-ci sont nombreuses[5]. La polémique enfle en Colombie, où la presse et les autorités dénoncent le documentaire, allant jusqu'à affirmer que la mère de l'enfant a été soudoyée par la réalisatrice[5]. Marie-Monique Robin expliquera dans son livre que ses détracteurs ont mené une campagne de diffamation relayée par l'United States Information Agency, Todd Leventhal de l'USIA ayant dénigré le reportage auprès de différents organismes. Elle affirme alors que Todd Leventhal s'est rendu en Europe pour rencontrer différentes personnalités dans le but de nier l'existence d'un trafic d'organes et de discréditer le reportage. La journaliste affirme ainsi dans son livre "Voleurs d'organes" que Todd Leventhal a rencontré Henri Amouroux, président du prix Albert Londres, William Bourdon et Antoine Bernard (FIDH), Jean Claude Alt (Amnesty International) et d'autres personnalités pour tenter de les convaincre qu'elle avait payé les témoins du film plusieurs milliers de dollars. Plusieurs rapports de l'USIA dont un déposé à l'ONU au moment de la polémique ont par ailleurs déclaré qu'il n'y a pas de trafic d'organes et qu'il s'agit d'une rumeur. Dans son livre, la journaliste raconte aussi que l'United States Information Agency a demandé expressément à Patrick de Carolis (Zone interdite, M6) de ne pas diffuser le film[6].
Le Prix Albert Londres est dans un premier temps suspendu par le jury et une partie de la presse – dont le journal Le Monde – semble finalement douter du bien fondé du documentaire. Après plusieurs mois de réflexion et de nombreuses auditions le prix sera finalement confirmé[7] : « la commission a œuvré du 2 octobre 1995 au 18 mars 1996, a tenu treize réunions et entendu plus de 20 personnalités. Au terme de ce travail, la commission n’a décelé aucune intention frauduleuse chez la réalisatrice, même si ce reportage n’apporte pas les preuves irréfutables de ce qu’elle avance dans le cas précis de l’enfant Jaison Cruz Vargas ». Le jury mettait en garde à l'avenir le « recours parfois forcé à l'émotion et des commentaires parfois excessifs[8] ».
Le 17 janvier 1996, le Tribunal de Grande Instance de Paris[9] déboute Barraquer de son action en diffamation qu’il avait par ailleurs assortie d'une demande de dommages-intérêts de huit millions de francs. Dans ses attendus, le tribunal indique que « le trafic d'organes est une réalité reconnue par les instances internationales et le milieu médical français [...] Mme Robin disposait d'éléments sérieux pour suspecter la régularité des pratiques en Colombie [...] en refusant de recevoir les reporters, les responsables de la clinique ont favorisé des soupçons qu'ils auraient pu lever en faisant connaître leurs activités[10] »
« L’affaire Jaison » – qui concernait trois minutes emblématiques du reportage – eut un certain retentissement dans la presse nationale et internationale. Dans la dernière page de son livre Voleurs d'organes, Marie-Monique Robin concluait en citant le rapport rédigé par Eric Sottas, président de l'Organisation mondiale contre la torture (qui dispose d'un statut consultatif permanent à l'ONU) : « Le film de MMR qui a été présenté dans l'enceinte des Nations Unies (...) a permis aux délégués souhaitant se faire une opinion équilibrée de la question, de disposer d'informations solides démontrant que les inquiétudes des rapporteurs prennent leurs sources dans une série d'événements identifiables et non pas de simples rumeurs, et que les enquêtes et mécanismes de contrôle, qui permettent d'exclure tout trafic en ce domaine, sont des plus fragiles, et sont controversés par des témoignages vérifiables. (...) En conclusion, le film doit être considéré comme un élément important dans la recherche de la vérité et sa diffusion, non seulement comme opportune, mais nécessaire pour éviter que ne soit classé un dossier difficile et très grave, d'une importance fondamentale dans le domaine de la défense des droits de l'homme[11]. »
Notes et références
- « Les gardiens de la faculté assommaient les mendiants à coup de batte de baseball. Les victimes plongées dans le coma, n'étaient achevées qu'après extraction de leurs organes les plus rentables lesquels étaient écoulés sur le marché noir », article du journal Semana (Bogota) du 10 et 17 mars 1992, voir aussi l'article de Claude Pereira dans Libération, 4 mars 1992, et Le Monde Diplomatique, août 1992.
- Life, octobre 1993
- Tribunal de Grande Instance de Paris, 17 janvier 1996
- Le Monde, 17 août 1995, « Le rapport établit que le garçon a perdu ses yeux à la suite de maladies infectieuses. »
- « Un document violemment critiqué à Bogota » Le Monde, 17 août 1995,
- Voleurs d'organe, enquête sur un trafic, P 307
- Le Monde, 22 mars 1996, Le prix Albert-Londres est confirmé pour le reportage « Voleurs d'yeux »
- blog de l'auteur Libération, 21 mars 1996, « Marie-Monique Robin garde son prix Albert Londres », Le Républicain Lorrain, 9 juin 1996, « Voleurs d’organe enquête au-dessus de tout soupçon », Panorama du Médecin, 30 mai 1996, « Les Cicatrices de Marie-Monique Robin »,
- Suite aux accusations mettant en cause son éthique professionnelle, Marie-Monique Robin avait par ailleurs intenté et gagné deux procès en diffamation notamment contre l'ambassade de Colombie, ibid
- « Nouveau procès gagné par MMR », Le courrier de l’ouest, 18 janvier 1996.
- Le rapport date de février 1996, ibid, p 340
Liens internes
Catégories :- Film documentaire français
- Film sorti en 1993
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