- Théorie de la médiation
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La théorie de la médiation ou Anthropologie Clinique est un modèle d'analyse en sciences humaines.
Initiée à Rennes par Jean Gagnepain et ses élèves[1] au cours des années 1960 et 1970, la TDM a connu ses premières ramifications en France par les professeurs Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut, archéologues à Paris IV-Sorbonne dans l'UFR d'Histoire de l'Art et d'Archéologie, et en Belgique où elle a été introduite par Jacques Schotte[2].
Aujourd'hui, elle est représentée à Rennes en Sociologie et en Sciences du Langage, dont Jean-Yves Dartiguenave, Armel Huet ou encore Jean-Claude Quentel, qui a récemment dirigé un ouvrage intitulé Histoire du sujet et théorie de la personne où la Théorie de la Médiation rencontre la pensée de Marcel Gauchet. Un numéro de la revue Le Débat lui a été consacré en 2006.
Sommaire
Présentation générale
La TDM s'est construite sur la confrontation d' apport linguistique de Ferdinand de Saussure avec les pathologies du langage, en particulier les aphasies étudiées en collaboration avec Olivier Sabouraud, professeur de neurologie. Si l'héritage de Gagnepain est marqué par la phénoménologie allemande et le structuralisme saussurien, Freud et Marx y ont également un rôle décisif. En effet, pour la TDM abstraction (Saussure), implicite (Freud) et dialectique (Marx) sont des caractéristiques essentielles de la raison humaine.
Langage
Le langage n'est pas la seule spécificité humaine, même si, ayant fait l'objet des recherches les plus abouties scientifiquement, il est un lieu d'observation efficace pour analyser analogiquement les quatre plans de la rationalité[3] modélisés par la TDM.
Quatre plans
Car si le langage est bien une manifestation proprement humaine, l'homme fait preuve d'autres capacités spécifiques qui ont conduit la TDM, contrainte par l'analyse des pathologies, à décomposer la rationalité en quatre plans :
- La rationalité logique, qui spécifie la capacité de signe (le savoir, le langage, la logique...), objet de la glossologie.;
- La rationalité technique, qui spécifie la capacité d'outil (le faire, la technique, le rapport médiatisé à l'objet matériel, à l'habitat etc.,...), objet de l'ergologie.;
- La rationalité ethnique, qui spécifie la capacité de personne (l'être, la société, le rapport à l'autre...), objet de la sociologie.;
- La rationalité éthique, qui spécifie la capacité de norme (le vouloir, la morale ou l'éthique, la maîtrise du désir...), objet de l'axiologie.
Il est essentiel de comprendre que les concepts de signe, outil, personne et norme ne renvoient pas à des réalités positives, mais à des processus implicites (on reconnaît sous cet implicite l'inconscient freudien, mais qui n'est plus limité au champ du langage).
Analogie
Ce découpage permet de construire un modèle où chaque plan peut être établi par analogie[4] avec les trois autres : ainsi la fameuse distinction saussurienne des faces du signe (repensée par la TDM) ---- (signifiant/signifié) ---- trouve son équivalent analogique au plan de l'outil ---- (fabriquant/fabriqué) ----, au plan de la personne ---- (instituant/institué) ---- et au plan de la norme ---- (réglementant/réglementé). Ainsi également la biaxialité (taxinomie/générativité) attestée par l'étude des 2 principaux types d'Aphasie se retrouve-t-elle analogiquement dans les quatre plans.
Cette rationalité diffractée suppose d'accepter de penser que l'homme soit déterminé par des capacités "culturelles" proprement humaines qui sont corticalement conditionnées (Jean Gagnepain y insiste tout en argumentant fortement son hostilité au réductionnisme, à l'évolutionnisme et au positivisme). Capacités "culturelles" donc, spécifiques de l'humain, mais nous partageons avec l'animal sur les quatre plans un fond "naturel" et la TDM rend compte avec une grande rigueur de cette séparation nature/culture. Elle le fait à travers les concepts de formalisation incorporée (praxis), d'abstraction et surtout de dialectique. Pour Gagnepain à la suite de Marx, la dialectique est un fait culturel réellement constitutif de l'humain, et non pas seulement une méthode de pensée.
Chacun des quatre déterminismes de l'humain doit être analysé dans sa cohérence interne. Cependant, chacun de ces plans est constamment influencé par les trois autres et exerce une influence sur eux dans le fonctionnement ordinaire de la raison, à tel point que seul le recours à l'étude des pathologies permet d'en attester l'existence autonome. C'est également ce recours à l'étude des pathologies qui donne sa légitimité et sa vigueur heuristique à la construction du modèle par analogie : si "la raison humaine est une dans son principe", tout élément nouveau que l'on peut apporter au modèle dans l'un des quatre plans devrait pouvoir être recherché, vérifié ou invalidé par expérimentation clinique[5] dans chacun des trois autres plans.
Anthropologie clinique
C'est pourquoi la Théorie de la Médiation est également appelée anthropologie clinique, car elle prétend étudier ce qui spécifie l'homme en prenant constamment, comme points de résistance, les apports de la clinique : l'aphasie, l'atechnie, la psychose et la névrose sont les principales pathologies attestant perpétuellement les avancées médiationnistes.
Notes et références
- Jean-Yves Urien, Hubert Guyard, Attie Duval, Jean-Claude Quentel et Jacques Laisis. Son équipe se composait notamment de
- Malgré de profondes divergences théoriques entre Gagnepain et Schotte.
- La rationalité, la raison humaine, terme générique qui désigne pour la Théorie de la Médiation la totalité de ce qui nous fait spécifiquement humains (par rapport à l'animal), raison qui n'est pas réductible au Logos même si toute la tradition philosophique occidentale nous permet difficilement de la penser autrement.
- page 49 ou page 280 . L'utilisation délibérée, parfaitement argumentée épistémologiquement que fait la TDM de l'analogie dans le cadre strict de son modèle ne doit surtout pas être confondue avec l'usage abusif et naïf qui en est fait quelquefois en "sciences humaines" ou ailleurs. Cf. par exemple Jean GAGNEPAIN, Leçons d'introduction à la théorie de la médiation,
- Il s'agit ici d'une "clinique expérimentale" élaborée, qui écarte l'empirisme.
Voir aussi
Revues
La TDM fait l'objet de plusieurs revues universitaires : Tétralogiques (Rennes 2), Anthropo-Logiques (Louvain-la-Neuve) et Ramage (Paris Sorbonne).
Bibliographie
- Gagnepain Jean, Leçons d'introduction à la théorie de la médiation, Louvain, Peeters, 1994. Une édition numérique revue et corrigée est disponible en téléchargement, sous un nouveau titre, sur le site de l'Institut Jean Gagnepain : Huit leçons d’introduction à la théorie de la médiation (Cette édition numérique est désormais l'édition de référence).
- Le Débat 2006/3 (n° 140). publie un dossier de 85 pages sur la Théorie de la Médiation.
- Actes du premier colloque international d'anthropologie clinique, Anthropo-logiques 2 Louvain-La-Neuve, Peeters, 1989.
- Brackelaire Jean-Luc, La personne et la société. Principes et changements de l'identité et de la responsabilité, Bruxelles, De Boeck, 1995.
- Dartiguenave Jean-Yves, Pour une sociologie du travail social, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010. ISBN 978-2-7535-1168-2
- Dartiguenave Jean-Yves et Garnier Jean-François, Un savoir de référence pour le travail social, Toulouse, Érès, 2008. ISBN 978-2-7492-0883-1
- Guyard Hubert, La plainte douloureuse, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009. ISBN 978-2-7535-0969-6
- Le Bot Jean-Michel, Le lien social et la personne. Pour une sociologie clinique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010. ISBN 978-2-7535-1210-8
- Le Gall Didier, Des apraxies aux atechnies, Bruxelles, De Boeck, 1998.
- Meurant Laurence, Le regard en langue des signes – Anaphore en langue des signes française de Belgique (LSFB) : morphologie, syntaxe, énonciation, Presses universitaires de Namur et Presses universitaires de Rennes, 2008. ISBN 978-2-87037-588-4
- Quentel Jean-Claude, Les fondements des sciences humaines, Toulouse, Erès, 2007. ISBN 978-2-7492-0772-8
- Sabouraud Olivier, Le langage et ses maux, Paris, Odile Jacob, 1995.
- Schotte Jean-Claude, La raison éclatée, Bruxelles, De Boeck, 1997.
Liens externes
- Institut Jean Gagnepain
- Présentations de la TDM sur le Site de l'Ecole de Rennes
- Site du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches sur le Langage de Rennes
- Bibliographie sur la théorie de la médiation
- Hommage à Jean Gagnepain par Olivier Sabouraud sur le site de L'Espace des sciences
- Conférence sur L'importance de la clinique en sciences humaines par Attie Duval Gombert et Christine Le Gac sur le site de l'Ecole de Rennes
- La théorie de la médiation a-t-elle sa place dans une revue de sociologie ? par Jean-Michel Le Bot, dans Socio-logos, revue électronique de l'Association Française de Sociologie.
- La théorie de la médiation de Jean Gagnepain par Jean-Luc Lamotte, Introduction à la Théorie de Médiation et Propos sur l'homme.
- ANTHROPOLOGIE DE L'ART
Sources
Wikimedia Foundation. 2010.