- Stephen Wright
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- Cet article parle du critique d'art canadien. Pour le footballeur écossais, voir Stephen Wright.
Stephen Wright, né à Vancouver, Canada, en 1963, est un critique et théoricien de l'art contemporain canadien, enseignant, traducteur et commissaire d'exposition vivant à Paris. Il écrit et produit des expositions sur les pratiques artistiques à faible coefficient de visibilité artistique ou « para-artistiques », soulevant la question d’un « art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur ».
Sommaire
Biographie
Stephen Wright est diplômé de littérature comparée de l’université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle. Il a étudié également à Berlin et à Ottawa. Il a enseigné à l'Ecole des Beaux-Arts de Brest. Il a été directeur éditorial[réf. nécessaire] de la XVe Biennale de Paris. Par ailleurs, il a été pensionnaire à l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA)[réf. nécessaire], membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art, Directeur de programme au Collège International de Philosophie. Il est membre du comité de rédaction de la revue Mouvements et de Third Text. De 1997 à 2005, il fut le correspondant de la revue Parachute en Europe. Il est également commissaire d'exposition et traducteur de romans, essais, scénarios et poésie[1].
Théorie de l’art
Les recherches de Stephen Wright portent sur les pratiques à faible coefficient de visibilité artistique, sur les conditions des possibilités d'un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur, sur le régime sémiotique dominant et sur les pratiques artistiques dénormées.
La crise de l’art
L’art traverse aujourd’hui une crise axiologique, épistémologique et ontologique dont la profondeur ne peut se comparer qu’à celle de la Renaissance. C’est d’ailleurs de la Renaissance que nous avons hérité les conventions encore en usage et les institutions conceptuelles encore solidement en place.
L’œuvre, l’auteur, le spectateur
Les trois présupposés qui régissent l’apparaître de l’art, du moins selon les conventions aujourd’hui en vigueur : l’art a lieu dans une œuvre, c’est-à-dire que l’art se manifeste dans le monde nécessairement et presque naturellement sous forme d’œuvre ; l’art a lieu par l’intermédiaire de l’auteur, sa présence corporelle et son autorité créative – exprimées par la signature – garantissant l’authenticité artistique de la proposition ; l’art a lieu devant ces agrégats homogénéisés de spectateurs qu’on range sous la catégorie désormais plurielle de publics. Envisager un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur a une conséquence immédiate : l’art perd sa visibilité en tant que tel. Pour des pratiques qui se situent dans la lignée des arts visuels, et surtout pour les institutions normatives qui le gèrent, le problème n’est pas négligeable, car s’il n’est pas visible, il échappe à tout contrôle, à toute prescription, à toute réglementation, en somme à toute police.
Le faible coefficient de visibilité artistique
Le faible coefficient de visibilité artistique caractérise des pratiques dont la visibilité artistique est délibérément affaiblie, relevant de l’art tout en ayant une valeur propre à un autre champ d’activité humaine. Pour le monde de l’art institutionnel, il passe pour axiomatique que l’art – cet ensemble amorphe d’activités et de configurations symboliques qu’on range sous cette catégorie – doit être visible. Non seulement il doit être visible, mais il doit bénéficier de la plus grande visibilité possible. Typiquement, les artistes – cet ensemble amorphe de professionnels de l’expression qu’on range sous cette catégorie – se démènent pour atteindre la côte de visibilité la plus élevée dans l’économie réputationnelle de l’art. Ce faisant, ils obéissent – à leur insu, peut-être, mais rarement à leur corps défendant – à la logique dominante de notre société, selon laquelle la valeur ne se mesure qu’en termes chiffrables, où la valeur d’échange se substitue à toute autre valeur. Ils agissent tout à fait comme les militants politiques qui cherchent à conférer une visibilité maximale à leur cause – qui celle des sans-abri, qui celle des étrangers en situation irrégulière, etc – dans l’espoir qu’elle soit prise en charge par la société comme si celle-ci ne s’était jusqu’alors pas aperçue de leur existence. Or, il se peut qu’ils fassent l’exact contraire de ce qu’il faudrait faire. Au lieu de se rendre visibles, ils fuient la visibilité et tournent à leur avantage l’anonymat qu’ils vivent non pas comme un stigmate mais comme une chance. Leur apparition artistique est repoussée jusqu’au moment opportun, car ils savent d’expérience et d’observation qu’une fois entrés dans la visibilité, leur temps est compté, leur capacité à nuire amoindrie. Les pratiques sont lisibles sans être visibles.
Par cette attention soutenue au devenir du projet, un art à faible coefficient de visibilité artistique s’inscrit davantage dans le temps, que dans l’espace, interrogeant implicitement la notion du temps public plus que celle, souvent rabâchée dans le milieu de l’art, d’espace public. Or ce fait pose un problème bien réel pour les gestionnaires des musées, comme pour les marchands de l’art, qui doivent respectivement montrer et vendre quelque chose : car que pourrait-on bien exposer dans nos musées et galeries dès lors qu’on admet que les éléments matériaux des dispositifs ne sont que des produits dérivés, de fades ersatz d’une activation qui a eu lieu ailleurs ?
Les institutions conceptuelles
Par institutions conceptuelles, Stephen Wright entend le système de dispositifs qui régit les modalités d’apparition de l’art dans le monde ; l’ensemble hétérogène de discours, de lieux et de présupposés qui dictent les conditions de possibilité de l’art à un moment donné ou autrement dit, de gouverner comment nous pensons l’art. Ces institutions normatives qui s’incarnent dans l’architecture physique et sociale des lieux de diffusion, de production et d’évaluation de l’art (galeries, musées, revues...) sont d’autant plus déterminantes qu’elles passent généralement inaperçues : puisqu’elles se sont naturalisées avec le temps, elles semblent aller de soi au lieu de sauter aux yeux comme les inventions historiquement déterminées qu’elles sont. Mettre en question la colonne vertébrale de ces institutions conceptuelle - l’œuvre d’art, l’auteur et le spectateur - ou même mettre en évidence leur caractère contingent, c’est déjà envisager d’autres modes ontologiques de l’art, d’autres modes et fonctions constitutifs de l’art.
La notion d’œuvre
Toujours pensée comme porteuse de valeur ou comme valeur incarnée, la notion d’œuvre se révèle aujourd’hui moins descriptive que normative, et en tant que telle, singulièrement inadaptée pour penser une production artistique tournée vers des processus ouverts. Par œuvre, on désigne toujours implicitement une proposition achevée. La notion d’œuvre implique, en effet, une causalité et une hiérarchie entre processus et finalité, une différence entre deux étapes, dont la première est subordonnée à la seconde.
La spectatorialité
Sans l’adhésion du public au caractère artistique de la proposition, validant ainsi sa prétention à la reconnaissance (« ceci est de l’art ») par une suspension volontaire de l’incrédulité, l’art ne peut avoir lieu du tout. D’où vient-elle, dans l’histoire des idées, la notion selon laquelle la spectatorialité serait constitutive de l’art lui-même ? Le Moyen Âge ne connaissait pas de spectateur qui n'émerge qu'à la Renaissance. C'est Emmanuel Kant qui, en envisageant l'art – qu’il définit comme l’unique phénomène esthétique susceptible de nous procurer un « plaisir désintéressé » – du seul point de vue du spectateur, introduit celui-ci comme une quasi évidence au cœur même de notre conception de l'art.
L’idée selon laquelle l’art se destine à un spectateur passe donc désormais pour une évidence incontestée. À un tel point d’ailleurs que le seul débat concerne les moyens les plus appropriés qui permettent la diversification et l’augmentation du public. Le spectateur fut un élément propre à un régime de visibilité qui est aujourd'hui en pleine récomposition. À un certain moment de l’histoire de l’art, il fut même un acteur ou agent historique, avant d'être réduit à son état de témoin plus ou moins passif d’aujourd’hui. Au spectateur doit logiquement se substituer d'autres types, d'autres rôles, moins liés au régime de visibilité dominant et donc moins susceptibles de reconnaître la légitimité de ses cadres légitimants.
D’autre part, l’art lui-même, par les conventions déterminant comment il apparaît dans le monde, engendre ses spectateurs, comme le souverain engendre ses sujets : le spectateur subit l’art sans participer à la constitution de ses conventions. Tant que l’art dépendra de l’assentiment des spectateurs tout en déterminant le rôle passif qui leur est dévolu (pire encore aujourd’hui est la démagogie autour de la prétendue participation, parfaitement tronquée, du spectateur), il restera fondamentalement anti-démocratique.
L’art déceptuel
Par « art déceptuel » Stephen Wright défini l'art dominant, exposé dans les lieux réservés à cet effet. Ici l’expérience est à la fois conceptuelle et décevante : elle est déceptuelle.
Citations
- « L'œuvre d'art fait écran à l'activité artistique. »
- « L'art peut s'affranchir de tout sauf de son histoire. »
- « L’art n’est pas fonction du spectateur, mais le spectateur est fonction de l’art. »
- « L'objet d'art est la solidification de l'expérience artistique. »
Interventions
- Spectatorship
23e Amicale de la Biennale de Paris, chez Ghislain Mollet-Viéville (Paris, décembre 2007)
- Les enjeux et les réseaux de l’art à l’époque post-contemporaine
Ecole Nationale d’Architecture de Rabat (Rabat, octobre 2007)
- Présentation du catalogue de la XV Biennale de Paris 2006
Institut National d’Histoire de l’Art / INHA (Paris, mai 2007)
- Trahir : fuir et nuire
14e Amicale de la Biennale de Paris, Le Bougnat (Paris, avril 2007)
- L'extradisciplinaire
12° Amicale de la Biennale de Paris, Le Bougnat (Paris, janvier 2007)
- L'art est l'entreprise
Biennale de Paris / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Paris, octobre 2006)
- Pour un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur
Biennale de Paris / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Salle Michel Journiac / CERAP (Paris, octobre 2006)
- Conférence de Presse de la XVe Biennale de Paris
Centre d'Accueil de la Presse Etrangère en France - Maison de Radio France (Paris, septembre 2006)
- Vers un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur
Articule (Montréal, avril 2006)
- Participation, interactivité
Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, février 2006)
- Pour un nouveau statut de l'art
Rencontres Place Publique, Musée Guggenheim (Bilbao) (Bilbao, novembre 2005)
- Le document à l’œuvre
La Ferme du Buisson - Scène Nationale de Marne-la-Vallée (Marne-la-Vallée, novembre 2004)
- Qu’est-ce que l’art domestique ?
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Paris, mars 2004)
- Est-il nécessaire de parler de l'art pour répondre aux interrogations qui l'animent ?
Forum International de l'Essai sur l'Art, Palais de Tokyo (Paris, mai 2002)
Expositions[2]
- 2004 : « L'avenir du ready-made réciproque » (Apexart, New York)
- 2005 : « In Absentia » (Passerelle, Brest)
- 2006 : « Rumeur comme média » (Aksanat, Istanbul)
- 2006 : « Dataesthetics » (WHW, Zagreb)
Annexes
Liens externes
- Un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur, in catalogue de la XV Biennale de Paris.
- Un vrai artiste est un artiste de trop!: la XVe Biennale de Paris in Etapes, août 2007 et dans Moskow Art Magazine # 67.
- Arracher l'art à lui-même: l'art de l'essai in l'art même #15.
Bibliographie[3]
- « Vers un art sans œuvre, sans auteur et sans spectateur », in XVe Biennale de Paris, 2007.
- « Digging in the Epistemic Commons », in OPEN, Amsterdam, 2007.
- « L’avenir du ready-made réciproque : valeur d’usage et pratiques para-artistiques », in Parachute, n°. 117, 2004.
- « In Absentia », catalogue d’exposition, Centre d’art Passerelle, Brest, 2005.
- « La délicate essence de la collaboration artistique », in Plastik, n°. 4, 2004.
- « Arracher l’art à lui-même : l’art de l’essai », in l'Art même (revue sur Internet), n°. 15.
- « Moyens d'art : créativité domestique et créativité artistique. Repenser les usages sociaux des outils de production symbolique aujourd'hui. », in Qu’est-ce que l’art domestique ? Sous la direction de Richard Conte, éd. Publications de la Sorbonne, Coll. Arts et monde contemporain, Paris, 2006.
- Temps de pause. Quatre artistes maliens contemporains, éd. Musée de Picardie. Amiens Métropole, 2002. Réalisé en collaboration avec Sylvie Couderc.
Notes et références
Catégorie :- Critique d'art contemporain
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