Shéhérazade (Ravel)

Shéhérazade (Ravel)
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Shéhérazade est le titre de trois poèmes pour voix et orchestre de Maurice Ravel sur des vers de Tristan Klingsor.

Dans son autobiographie, Ravel mentionna son attrait au charme profond que l’Orient exerçait sur lui depuis son enfance. Il avait déjà composé en 1898 une ouverture qu’il avait intitulée Shéhérazade : ouverture de féerie[1], destinée à introduire un opéra oriental et féerique. Elle n’eut pourtant pas de succès. En 1903, il choisit trois textes du poète Tristan Klingsor (pseudonyme de Léon Leclère) à mettre en musique pour voix et orchestre. Il réutilisa une partie du matériau musical ainsi que le titre de son ouverture de 1898, à laquelle il ne devait plus attacher d’importance.

L’influence spirituelle de Claude Debussy se fait sentir dès les premières mesures — moins dans le coloris orchestral raffiné que dans la déclamation libre et discrète des vers à la rythmique ouverte, selon l’exemple de Pelléas et Mélisande.

Ces trois poèmes sont Asie, La Flûte enchantée et L’Indifférent. Ravel avait choisi ces textes car il les considérait moins aptes à être mis en musique. Il voulait des vers difficiles à chanter. L’œuvre fut créée en 1904 par la mezzo-soprano Jeanne Hatto et fut habituellement chantée par une voix de femme par la suite. On trouve néanmoins des interprétations par des voix d’hommes, qui apportent une couleur homoérotique aux deuxième et troisième poèmes.

La première mélodie est de loin la plus longue, mais d'une qualité qui touche à la perfection méticuleuse ; comme toujours chez Ravel, l'orchestration est magistrale. La dimension exotique et onirique de l'œuvre se déploie particulièrement dans Asie.

Sommaire

Asie

à Jeanne Hatto

« Asie, Asie, Asie,
Vieux pays merveilleux des contes de nourrice,
Où dort la fantaisie
Comme une impératrice
En sa forêt tout emplie de mystères,
Asie,
Je voudrais m'en aller avec ma goélette
Qui se berce ce soir dans le port,
Mystérieuse et solitaire,
Et qui déploie enfin ses voiles violettes
Comme un immense oiseau de nuit dans le ciel d'or.


Je voudrais m'en aller vers les îles de fleurs
En écoutant chanter les mer perverse
Sur un vieux rythme ensorceleur ;
Je voudrais voir Damas et les villes de Perse
Avec les minarets légers dans l'air ;
Je voudrais voir de beaux turbans de soie
Sur des visages noirs aux dents claires ;
Je voudrais voir des yeux sombres d'amour
Et des prunelles brillantes de joie
En des peaux jaunes comme des oranges ;
Je voudrais voir des vêtements de velours
Et des habits à longue franges ;
Je voudrais voir des calumets entre des bouches
Tout entourées de barbes blanches ;
Je voudrais voir d'âpres marchands aux regards louches,
Et des cadis et des vizirs
Qui du seul mouvement de leur doigt qui se penche
Accordent vie et mort au gré de leur désir.


Je voudrais voir la Perse et l'Inde et puis la Chine,
Les mandarins ventrus sous les ombrelles,
Et les princesses aux mains fines
et les lettrés qui se querellent
sur la poésie et sur la beauté ;


Je voudrais m'attarder au palais enchanté
Et comme un voyageur étranger
Contempler à loisir des paysages peints
Sur des étoffes en des cadres de sapin
Avec un personnage au milieu d'un verger ;


Je voudrais voir des assassins souriants
Du bourreau qui coupe un cou d'innocent
Avec un grand sabre courbé d'Orient ;
Je voudrais voir des pauvres et des reines ;
Je voudrais voir des roses et du sang ;
Je voudrais voir mourir d'amour ou bien de haine,
Et puis, m'en revenir plus tard
Narrer mon aventure aux curieux de rêves,
En conservant comme Sindbad Ma vieille pipe arabe
De temps en temps entre mes lèvres
Pour interrompre le conte avec l'art... »

La Flûte enchantée

à Mme René de Saint-Marceaux

« L'ombre est douce et mon maître dort,
Coiffé d'un bonnet conique de soie
Et son long nez jaune en sa barbe blanche.
Mais moi, je suis éveillée encore.
Et j'écoute au dehors
Une chanson de flûte où s'épanche,
Tour à tour la tristesse ou la joie,
Un aire tour à tour langoureux ou frivole,
Que mon amoureux chéri joue,
Et quand je m'approche de la croisée,
Il me semble que chaque note s'envole
De la flûte vers ma joue
Comme un mystérieux baiser. »

L'Indifférent

à Mme Sigismond Bardac

«  Tes yeux sont doux comme ceux d'une fille
Jeune étranger,
Et la courbe fine
De ton beau visage de duvet ombragé
Est plus séduisante encore de ligne.

Ta lèvre chante
Sur le pas de ma porte
Une langue inconnue et charmante
Comme une musique fausse ;
Entre ! et que mon vin te réconforte...

Mais non, tu passes
Et de mon seuil je te vois t'éloigner
Me faisant un dernier geste avec grâce
Et la hanche légèrement ployée
Par ta démarche féminine et lasse. »

Notes et références


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