- Schedula diversum artium
-
Schedula diversum artium [Traité des divers arts] est le titre d'un ouvrage du premier quart du XIIe siècle[1], consacré aux techniques de l'art et composé par un prêtre du nom de Theophilus Presbyter (Théophile le moine). Selon certains historiens il ne ferait qu'un avec Rugerus (ou Roger) un orfèvre, moine bénédictin du monastère de Helmershausen en Saxe, car la partie des arts du métal est très développée[2]. Cependant cette confusion des personnes est encore discutée. L'ouvrage est parfois nommé De diversis artibus.
Sommaire
Composition
Le Schedula diversum artium[3] est le premier du genre à traiter des arts visuels, mais il ne les traite pas tous (il manque la sculpture). S'il est le plus méthodique, il est trop incomplet pour être utilisé pour l'enseignement : il semble être destiné à l'usage des clercs et n'est pas l'œuvre d'un pictor doctus, mais d'un clerc « intéressé par un large éventail de connaissances »[4]. Il révèle surtout de très bonnes connaissances pratiques manifestement puisées dans expérience personnelle de Théophile ; pour la première partie par exemple, dans les ateliers d'enluminure de l'Allemagne du nord-ouest. Les sources sont néanmoins diverses et la part de compilation provient de l'Antiquité par les écrits de Pline, jusqu'aux civilisations artistiques byzantine et musulmane.
L'ouvrage est composé de trois livres. Il commence par des conseils sur l'art de fabriquer les couleurs pour la miniature et la peinture murale et contient les premières mentions de la peinture à l'huile, dont on se servait peu encore, n'ayant pas trouvé le moyen de faire sécher rapidement la composition. Le deuxième est consacré à l'art du vitrail. Le dernier, de loin le plus important, est consacré au travail des métaux, des pierres précieuses, de l'émail et de l'ivoire, avec un chapitre introduisant à la facture de l'orgue.
« Ô toi qui liras ce livre, qui que tu sois, ô mon fils, je ne te cacherai rien de ce qui m'a été possible d'apprendre. Je t'enseignerai ce que savent les Grecs dans l'art de choisir et de mélanger les couleurs ; les Italiens dans la fabrication de l'argenterie, le travail de l'ivoire, l'emploi des pierres fines ; la Toscane, particulièrement, dans le vermeil et la fonte des nielli[5] ; l'Arabie dans la damasquinerie ; l'Allemagne dans le travail de l'or, le cuivre, du fer, du bois ; la France dans la construction de ses brillants et précieux vitraux. »
— Schedula diversum artium, préface.
En ce qui concerne son plan, le Schedula diversum artium recouvre exactement celui d'un traité anonyme portant sur des méthodes d'alchimie de l'antiquité tardive, le Mappæ clavicula auquel le XIIe siècle a ajouté quelques recettes techniques issues de France et d'Angleterre[6]. Il est à l'origine d'échange de recettes durant tout le Moyen Âge tardif, il n'est donc pas étonnant qu'il serve de modèle à Théophile.
L'esprit du diversis artibus est typique de la pensée médiévale. L'artiste y est considéré non comme un auteur, mais comme le moyen de l'accomplissement d'une œuvre. L'art qui remontant au péché originel, ne trouve sa justification que dans la glorification de l'Église et dans un but de contemplation mystique. L'œuvre d'art est un devoir envers Dieu[7]. Les introductions de chaque livre reflètent l'attitude de l'artisan devant la scientia Dei, le but ultime.
Suivant l'innovation introduite par Hugues de Saint-Victor dans le Didascalicon, Théophile poursuit l'introduction des arts mécaniques au sein de l'étude médiévale et sa justification théologique. Mais il ne présente que trois des métiers, parmi les sept arts mécaniques d'Hugues (Didascalion, partie II ch. 22, consacré à la vaste discipline intitulé Armatura).
L'art de la peinture
De temperamentis colorum, 38 chapitres.
Théophile traite directement du travail et non de la préparation des couleurs ou des matériaux ce qui ne vient qu'ensuite. Sans prétendre être exhaustif, il consacre treize chapitre en tout au traitement des chairs et spécialement du visage, puis un seul aux vêtements, etc. L'auteur l'affirme clairement : la peinture doit commencer par la créature humaine (humana creatura) à l'instar de la création elle-même. Référence à Genèse I, 28. Et spécialement le visage qui en est la partie la plus importante. L'homme est créé ad imaginem et similitudinem Dei c'est-à-dire à l'image et ressemblance de Dieu[8].
Le chapitre XXIV traite de la manière de poser l'or et l'argent. C'est à partir du VIe siècle que l'influence byzantine apporte les couleurs et l'or dans les enluminures[9]. Mais les rehauts d'or ou d'argent n'apparaissent qu'au XIe siècle. L'or était parfois substitué à l'étain coloré au safran (Ch. XXVI). La poudre (ou la feuille d'or), de ces précieux métaux était posée sur le parchemin, après avoir recouvert la place d'un mélange de vermillon, de cinabre et de blanc d'œuf (clarea) pour le fixer et lui donner de l'éclat, c'est l'assiette.
« Prenez du clair d'œuf battu sans eau ; enduisez-en avec un pinceau la place que doit occuper l'or ou l'argent. Humectant à votre bouche la queue du même pinceau, vous en toucherez un coin de la feuille coupée : l'enlevant alors avec une extrême rapidité, vous la poserez sur la place préparée et l'étendez avec un pinceau sec et non mouillé. À ce moment, il faut se protéger de l'air, il faut retenir votre respiration. »
Le chapitre XXX explique comment moudre l'or pour les livres et faire le moulin. Le chapitre XXXIII dévoile les techniques flamandes de moulage de l'or avec du mercure. Le chapitre XXXVIII est consacré aux colles utilisées pour ces métaux.
À noter que certaines informations manquent pour réussir les préparations indiquées. Par exemple la préparation d'un liant à partir du blanc d'œuf[10]
L'art du verre peint
De arte vitriaria, 31 chapitres.
Comme dans le chapitre précédent, les techniques ne sont décrites est conditionnée par leur emploi pour la production d'un objet. Le verre était originellement vert ou opaque. Pour le colorer, les maîtres verriers ajoutaient de l'oxyde de fer ou de cuivre. Le cobalt d'où était extrait les oxydes, n'était à l'époque que produit qu'en Bohême ou justement en Saxe.
Le schéma du vitrail est tracé sur une table enduite de craie.
L'art du métal
De arte fusili, 96 chapitres.
Traite des instruments liturgiques, calices et patènes, outre pailles liturgiques, passoires, burettes et encensoirs ; puis sommairement les reliquaires, les crosses et les couvertures de missels ainsi qu'à la fin, orgues et cloches. Allant du plus important théologiquement, au plus accessoire.
Dans le chapitre consacré à la fonte des cloches, Théophile décrit en détail le procédé de moulage dit à cire perdue. La technique consiste en un moule d'argile à la forme de la cloche où est éventuellement gravée une inscription, et une chape extérieure toujours en argile mais renforcée de bandes de fer. La cire s'écoulait à la base du moule. Après les avoir bouchés avec de l'argile, on coulait le bronze (78 % de cuivre et 22 d'étain environ).
Publication
Redécouvert vers 1774 par Lessing alors qu'il travaillait à la bibliothèque de Wolfenbüttel, sa première partie fut publiée à Londres en 1781 par Rudolf Erich Raspe dans son A critical essay on oil painting, et intégralement par Lessing la même année à Brunswick (fondée sur les manuscrits de Wolfenbüttel et Leipzig). En France il fut traduit et publié par de l'Escalopier en 1843 avec une introduction de Joseph Marie Guichard, et en 1851 par Migne au sein de la Nouvelle encyclopédie théologique (vol. 12), avec des notes de Jean Jacques Bourassé. Une nouvelle traduction est parue chez Émile Paul en 1924.
Manuscrits
- Complets
- Wolfenbüttel, Herzog-August-Bibliothek, Codex Guelf 69 (f° 86-114v - première moitié du XIIe siècle). Associé à un texte de Vitruve
- Dresde, Sächsische Landesbibliothek, Ms. J 43 (Provient d'Altzelle, env. 1200). Gravement endommagé en 1945.
- Vienne, Bibliothèque nationale, Codex 2527 & Codex 51 (première moitié du XIIe siècle). Le codex 2527 présente seul le texte de Théophile, contrairement à tous les autres manuscrits.
- Leipzig, Universitätsbibliothek der Universität, Ms. 1157 (olim 1144) fin du XIIIe ou début du XIVe siècle. Écrit pour la Maison Dominicaine de Leipzig. Il est accompagné de texte de travaux médicaux d'Alchindus, Aegidius et Galien, le De mineralibus d'Albert le Grand, ainsi que quelques commentaires d’Albert sur Aristote.
- Amiens, Bibliothèque municipale Ms. Lescalopier 46.
- Partiels
- Paris, Bibliothèque nationale, Ms. lat. 6741.
- Londres, British Library, Ms. Harley 3915 (origine allemande, début XIIIe siècle). Accompagné d'extraits de Vitruve et un petit traité de médecine.
- Londres, British Library, Ms. Egerton 840A (première moitié du XIIIe siècle). Accompagné d'un texte sur l'astrologie, sur la construction des astrolabes, et document technologique, Héraclius.
- Oxford, Magdalen College Library, Ms. Coll. 173.
- Florence, Biblioteca Nazionale, Ms. Palat. 951.
- Montpelliers, Bibliothèque de médecine, Ms. 277 (f° 81v-100v - compilation partielle qui contient presque tout le premier livre[11])
- Cambridge, University Library (Trinity College), Ms. Ee. 6. 39 (XIIIe siècle). Associé à deux traités sur l'agriculture et la médecine, Palladius et Macer.
- Venise
Éditions
- Théophile, prêtre et moine, Essai sur divers arts, en trois livres, corrigé, annoté et complété d'après le texte latin du XIIe siècle (traduction Bourassé), éd. André Blanc, Picard, Paris 1980, 206 p.
- Moine Théophile, Traité des divers arts, Éditions du Cosmogone, 1998 (ISBN 978-2-909781-67-9)
- Théophile, Schedula diversarum artium, Émile Paul Frères, Paris 1924.
- Théophile, Schedula diversarum artium, traduit et publié par de l'Escalopier, Firmin Didot Frères, Paris 1843[12].
- Jacopo Morelli, Codices manuscripti Latini bibliothecae Nanianae, Venise 1776, p. 33-42 (pub. partielle).
- (en) Robert Hendrie, Theophili, qui et Rugerus, presbyteri et monachi libri III de diversis artibus seu diversarum artium schedula, Londres 1847.
- (en) Charles Reginald Dodwell & Cyril Stanley Smith, Theophilius. De diversis artibus. Translated from the Latin with Introduction and Notes, University of Chicago Press, Chicago 1963, 216 p. 1963 ; rééd. Dover Publications, Inc. New York-Londres 1979.
- (it) A. Caffaro, Le varie arti. De diversis artibus. Manuale di tecnica artistica medievale, Salerne, Palladio Editrice 2000.
- (pl) Teofil Prezbiter, Diversum Artium Schedula. Średniowieczny zbiór przepisów o sztukach rozmaitych, Kracovie, 1998.
Bibliographie
- Doris Oltrogge, "Cum sesto et rigula" : l'organisation du savoir technologique dans le Liber diversarum artium de Montpellier et dans le De diversis artibus de Théophile, Discours et savoirs : encyclopédies médiévales, éd. Bernard Baillaud, Jérôme de Gramont et Denis Hüe, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Cahiers Diderot, 10), 1998, p. 67-99[13].
- Virginia C. Raguin, The Reception of Theophilus's De Diversis Artibus, in Le vitrail et les traités du Moyen Âge à nos jours Actes du XXIIIe colloque international du Corpus Vitrearum, Tours 3-7 juillet 2006. ISBN 978-3-03911-579-2.
- (en) Hugh McCague, Le don des métiers : les rencontres avec la théologie dans le « De diversis artibus » du prêtre Théophile, Discours et savoirs : encyclopédies médiévales, éd. Bernard Baillaud, Jérôme de Gramont et Denis Hüe, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Cahiers Diderot, 10) 1998, p. 45-66.
- (de) Wilhelm Theobald, Technik des Kunsthandwerks im 10. Jahrhundert. Des Theophilus Presbyter diversum artium schedula, Düsseldorf 1984 (première édition 1933).
- (de) Erhard Brehpohl, Theophilus Presbyter und das mittelalterliche Kunsthandwerk, 2 vol. Cologne 1999. ISBN 3-412-08598-7
- (de) G. E. Lessing, Vom Alter der Ölmalerey aus dem Theophilus Presbyter, Berlin 1774
- (en) Rozelle Parcker Johnson, The manuscripts of the Schedula of Theophilus Presbyter, in Speculum 13, 1938, p. 86-103.
- (en) Lynn White Jr., Theophilus redivivus, Technology and culture 5, 1964, p. 224-233.
Liens
- Doris Oltrogge au Congrès d'Études médiévales de Kalamazoo, en 1998 Le plus complet.
- Quelques chapitres du Schedula diversum artium (en latin)
- Texte et traduction anglaise (1847) avec une reproduction du manuscrit.
Notes et références
- Il est donc contemporain des plus anciens vitraux connus dans le monde, ceux de la cathédrale d'Augsbourg, exécutés vers 1100...
- Roger de Helmershausen est réputé pour un autel portatif (vers 1100) conservé dans le trésor de la Cathédrale de Paderborn.
- « Theophilus, humilis presbyter, servum servorum Dei, indignus nomine et professione monachi, omnibus mentis desidiam animique vagationem utili manuum occupatione, et delectabili novitatum meditatione declinare et calcare volentibus, retributionem coelestis praemii ! » En voici l'incipit :
- Doris Oltrogge, op. cit. p. 34 (cf. liens).
- Les nilles sont des pitons carrés de fer destinés à fixer les panneaux des vitraux.
- Éd. Thomas Phillipps, Mappae Clavicula, a Treatise on the Preparation of Pigments During the Middle Ages, in Archaeologia 32, 1847, p. 183-244.
- Pour les implications théologiques et les arguments qu'utilise Théophile, voyez John van Engen, Theophilus Presbyter and Rupert of Deutz : the manual arts and benedictine theology in the early 12th century, Viator 1980 et Bruno Reudenbach, Ornatus materialis domus Dei. Die theologische Legitimation handwerklicher Künste bei Theophilus, In Studien zur Geschichte der Skulptur im 12. und 13. Jh. éd. H. Beck, K. Hengevoss-Dürkop. Frankfurt 1995.
- John van Engen, Theophilus Presbyter and Rupert of Deutz : the manual arts and benedictine theology in the early 12th century, Viator 1980, p. 147-163.
- André Béguin, Dictionnaire technique de la peinture, 2001, t. 1, p. 441. Voir aussi l'article Dorure, p. 387.
- Qui se trouve dans un ouvrage anonyme connu à l'époque, le De Clarea.
- Congrès d'Études médiévales de Kalamazoo, en 1998 Voyez
- Lisible en ligne y compris l'introduction de Guichard
- Voyez aussi, Doris Oltrogge : l'organisation du savoir technologique dans le Liber diversarum artium de Montpellier et dans le De diversis artibus de Théophile
Catégories :- Œuvre didactique et pédagogique médiévale
- Technique picturale
Wikimedia Foundation. 2010.