Saint Grégoire Palamas

Saint Grégoire Palamas

Grégoire Palamas

Grégoire Palamas

Grégoire Palamas (1296 - 1359), saint pour l'Église orthodoxe, a développé dans sa pensée cet adage des Pères, selon lequel Dieu s'est fait homme, pour que l'homme devienne Dieu. Il résume une longue tradition à ce sujet, à laquelle il se veut fidèle et qui touche à la question la plus fondamentale du christianisme, celle du salut ou de la déification de l'homme. Voici un aperçu de sa vie, de son œuvre et de sa pensée. La bibliographie permettra au lecteur d'aller plus loin.

Sommaire

La vie et lœuvre

La vie de Grégoire nous est connue par ses écrits, mais aussi par lÉloge de Palamas composé peu de temps après sa mort par son disciple et ami Philothée Kokkinos, qui fut patriarche de Constantinople.

Son enfance et le début de sa vocation

Grégoire est à Constantinople en 1296. Ses parents étaient des nobles dAsie Mineure qui, en raison de linvasion des Turcs, se réfugièrent à Constantinople. Son père, Constantin Palamas, était sénateur et faisait partie de lentourage de lempereur Andronic II Paléologue. Il mourut peu de temps après la naissance de Grégoire. Cest alors lempereur qui prit en charge son éducation et ses études classiques à luniversité impériale jusquà lâge de vingt ans environ. Grégoire choisit, probablement avant le terme du cycle de ses études qui le destinait au service de lÉtat, de devenir moine et de renoncer alors aux sciences helléniques. Le jeune homme avait été préparé à sa vocation monastique par la piété familiale. Ses parents connaissaient la prière du cœur, ils fréquentaient les moines athonites et leur avaient confiés léducation spirituelle de leurs enfants. Cest ainsi que Grégoire bénéficia de la paternité spirituelle dun maître réputé de la prière du cœur, Théolepte de Philadelphie.

Son départ au Mont Athos

Cest peut-être sous son conseil que Palamas se retira, vers 1316, au Mont Athos. Il y fut suivi par ses deux frères. Quant à sa mère et ses deux sœurs, elles menèrent aussi une vie monastique, mais à Constantinople. Au Mont Athos, Grégoire devint durant trois ans le disciple de Nicodème, un moine hésychaste qui linitia à la vie dermite. Suite au décès de ce dernier, Palamas décida de rejoindre la communauté de la Grande Lavra, fondée par saint Athanase de l'Athos. Il y demeura en tant que chantre pendant trois ans, puis il opta à nouveau pour la vie solitaire. Il prit Grégoire le Sinaïte pour père spirituel et alla séjourner parmi les hésychastes de lermitage de Glossia. Vers 1325, il fut obligé de fuir, en raison dincursions de pirates turcs. Cest alors à Thessalonique quil résida durant quelques mois en compagnie des disciples de Grégoire le Sinaïte, parmi lesquels se trouvaient deux futurs patriarches de Constantinople, Isidore (Boukharis) et Calliste. À Thessalonique, il fut ordonné prêtre en 1326. Ensuite, Grégoire partit, accompagné de dix moines, fonder un ermitage à Berrhée, il suivit le style de vie adopté par les hésychastes, en consacrant cinq jours de la semaine à la prière pure dans la solitude et le samedi et le dimanche aux services liturgiques avec les autres moines de lermitage. Vers 1331, il dut une nouvelle fois fuir à cause dincursions, de Serbes cette fois. Grégoire retourna à la Sainte Montagne, à lermitage de Saint-Sabbas. Cest quil commença à écrire ses premiers ouvrages. Un peu plus tard, il accepta la charge dhigoumène ou de supérieur au Monastère d'Esphigmenou.

La querelle du filioque

Vers 1335, de retour à l'ermitage Saint-Sabbas, Grégoire écrivit, à loccasion de pourparlers dunion des Églises, ses Traités apodictiques sur la procession du Saint-Esprit, un ouvrage sur la Trinité destiné à repousser toute tentative de compromis doctrinal avec les Latins sur le thème de la procession de lEsprit. Ce faisant, Grégoire ne refusait pas vraiment lunion des Églises, il désirait surtout éviter une union doctrinale factice, dont lenjeu véritable nétait pas théologique, mais politique. En effet, certains de ses contemporains étaient prêts à sacrifier la foi orthodoxe pour sunir à lOccident latin et bénéficier ainsi de son soutien militaire pour repousser linvasion des Turcs.

La controverse théologique avec Barlaam

Vers 1336-1337, il entra en conflit avec les idées dun moine et philosophe italien, nommé Barlaam le Calabrais. Ce dernier était professeur à luniversité impériale et un spécialiste du Pseudo-Denys. Sa renommée était grande à Constantinople et beaucoup le consultaient en différents domaines du savoir. Palamas rédigea, entre 1336-1337 et 1341, quelques Lettres, les Triades pour la défense des saints hésychastes, et un Tome hagioritique, œuvres qui témoignent de la controverse avec Barlaam.

Le conflit portait sur la question de la connaissance de Dieu : peut-on connaître Dieu autrement que par une démonstration, autrement que par le seul raisonnement à partir de ce que Dieu a créé et qui conserve son empreinte ? Pour Barlaam, il nexistait pas de meilleure approche que celle- pour connaître Dieu, qui en lui-même est absolument inconnaissable, comme le disait Denys. Létude des Écritures était à ses yeux de moindre importance. Il se mit à critiquer violemment les pratiques des moines hésychastes, pratiques sur lesquelles il sétait renseigné et qui supposaient une autre forme de connaissance de Dieu, une connaissance plus intime et personnelle, par lintervention dune grâce incréée de lEsprit. Pour Barlaam, ces pratiques témoignaient dune ignorance de la part des hésychastes et il le fit savoir autour de lui non sans ironie. Les moines demandèrent alors à Palamas dêtre leur porte-parole dans ce conflit leur spiritualité était réduite à néant. Grégoire connaissait bien Barlaam, il entretenait une correspondance avec lui. Il mit au point, à partir dune lecture attentive des Pères grecs, une distinction en Dieu entre son essence imparticipable et les énergies participables, distinction soulignant que Dieu est effectivement inconnaissable en lui-même, en son essence, comme le rappelle Barlaam, mais que lhomme nest pas contraint pour autant à lignorance, parce que Dieu dans sa bonté se révèle à lui tel quil est, dans son énergie, il est totalement présent et agissant. Barlaam naccepta pas cette distinction. Il tenta de la réfuter avec toute lintelligence dont il était capable. La question fut finalement débattue publiquement le 10 juin 1341, lors dun concile présidé conjointement par lempereur, Andronic III, et le patriarche de Constantinople, Jean Calécas. Le concile condamna Barlaam, lequel quitta Byzance pour retourner en Italie. Cependant, le document conciliaire ne fut pas signé par lempereur, en raison de son décès, survenu cinq jours après le concile.

Lopposition à la théologie de Palamas nétait pas terminée. Le relais fut pris par Grégoire Akindynos, qui fut peut-être le disciple de Palamas, en tout cas son ami et un médiateur dans les premiers temps de la controverse avec Barlaam. Pour sa part, il acceptait la spiritualité hésychaste tout en refusant radicalement la distinction en Dieu entre lessence et les énergies. Le nouveau régent Jean Cantacuzène, qui fut au service du défunt empereur Andronic III, réunit alors un deuxième concile traitant de la même question en août 1341. Akindynos y fut condamné à son tour. Le Tome synodal fut officiellement publié, mais le patriarche Jean Calécas, qui contestait farouchement lautorité politique de Jean Cantacuzène, accepta de signer le document tout en empêchant le nouveau régent, mais également le fils mineur de lempereur, à savoir Jean V, den faire autant. Ce document ne tranchait donc pas encore définitivement la question.

Le conflit avec Grégoire Akindynos

Ce conflit à propos de la régence entraîna tout Constantinople dans une guerre civile de 1341 à 1347, qui opposa Jean Cantacuzène à un gouvernement nominalement présidé par Anne de Savoie, la veuve de lempereur Andronic III. Durant cette période, le patriarche Jean Calécas persécuta Palamas en raison de sa sympathie politique pour Jean Cantacuzène, et accorda son soutien à Grégoire Akindynos, lequel sempressa de réfuter la théologie palamite dans ses Antirrhétiques. Palamas fut mis en prison pour ses positions politiques en 1342 et excommunié pour ses idées religieuses en 1344. En captivité, il écrivit différentes Lettres et ses Sept Antirrhétiques contre Akindynos. Grégoire Akindynos, quant à lui, fut, malgré sa condamnation en 1341 et lopposition de limpératrice Anne de Savoie et de la cour impériale, ordonné prêtre par le patriarche Jean Calécas, dont lambition était de le nommer évêque, et ce afin daffermir son autorité face aux partisans palamites de Jean Cantacuzène.

Cette période de crise politico-religieuse se dénoua en 1347. En effet, le 2 février de cette année, limpératrice, consciente du fait que le patriarche Jean Calécas utilisait Grégoire Akindynos à des fins purement politiques, convoqua un concile réunissant les représentants des deux partis en conflit. Le patriarche Jean Calécas y fut condamné et déposé, et le Tome synodal de 1341 y fut confirmé. En conséquence, Jean Cantacuzène devint co-empereur avec le jeune Jean V, et ce, jusquà la majorité de ce dernier, et les moines hésychastes reçurent à nouveau le soutien de lÉglise. Un autre concile, présidé par Jean Cantacuzène et limpératrice, condamna une nouvelle fois le patriarche déchu Jean Calécas, excommunia Grégoire Akindynos et fit publier un autre Tome, qui confirmait celui de 1341. Ces deux Tomes furent encore une fois confirmés par un troisième concile tenu à Sainte-Sophie quelques semaines plus tard.

Grégoire Palamas, Métropolite de Thessalonique

Cest Isidore Boukharis, un ami de Palamas, qui devint patriarche de Constantinople. Grégoire fut alors consacré métropolite de Thessalonique en mai 1347. Il ne put toutefois pas se rendre dans sa ville épiscopale avant 1350, en raison de son occupation par des zélotes qui refusaient lautorité impériale de Jean Cantacuzène. Cest probablement à cette époque quil rédigea ses 150 chapitres physiques, théologiques, éthiques et pratiques qui constituent, avec les Triades de défense des saints hésychastes, son œuvre majeure. À peine installé à Thessalonique, Grégoire fut à nouveau confronté à une controverse avec Nicéphore Grégoras, toujours sur les mêmes questions. Un nouveau concile, convoqué en juin 1351 par Cantacuzène et le patriarche Calliste, qui succédait depuis peu au défunt Isidore, approuva une nouvelle fois la théologie de Palamas et la distinction entre lessence et les énergies divines. Un second concile fit de même quelques jours plus tard. Le Tome synodal publié le 15 août 1351 entérina ces décisions et excommunia désormais tous ceux qui nacceptaient pas la doctrine défendue par Grégoire Palamas.

Ce dernier put se consacrer à sa tâche dévêque tout en restant disponible à lempereur pour des missions de médiation. En 1354, alors quil naviguait vers Constantinople en vue daccomplir lune de ces missions, il fut fait prisonnier par les Turcs et dut rester une année en Asie Mineure occupée. Il y eut loccasion de visiter différentes communautés chrétiennes, mais aussi de mener divers débats avec des musulmans et des juifs convertis à lIslam.

Sa rançon ayant été payée aux Turcs, il revint en 1355 à Constantinople il rencontra le légat du pape Innocent VI, Paul de Smyrne, qui, venu à loccasion de pourparlers dunion des Églises, sétait montré particulièrement réticent à légard de la théologie palamite. Il y eut alors, en présence de lempereur Jean V et du légat du pape, un nouveau débat public entre Grégoire Palamas et Nicéphore Grégoras. Au cours de ce débat, les autorités byzantines cherchèrent à montrer que la doctrine palamite, conforme à celle des Pères, ne constituait pas un obstacle à lunion des Églises. Après ce débat, Grégoire retourna à Thessalonique. Il sy adonna surtout à la prédication, mais il rédigea également entre 1356 et 1358 ses Quatre traités contre Grégoras.

Atteint dune maladie depuis 1352, Grégoire mourut le 14 novembre 1359 et fut, suite à une vénération populaire constante, canonisé en 1368. Le culte des reliques du saint de lÉglise byzantine sest perpétué jusquà aujourdhui à Thessalonique. Et dans lOrthodoxie, une liturgie fait mémoire de lui le deuxième dimanche de Carême.

La théologie mystique

Grégoire ne recherchait pas en tant quécrivain religieux la beauté du style, mais lexpression des vérités auxquelles il croyait fermement (Triades 3, 1, 2). Généralement, lorsquil aborde des idées religieuses pour les défendre, il le fait exhaustivement, il y revient à plusieurs reprises en différents endroits de son œuvre, en fonction des arguments contraires de ses adversaires et des sources bibliques et patristiques qui viennent confirmer ses opinions. Cette façon de faire enrichit considérablement son écriture, mais est déroutante pour le lecteur moderne, qui risque sans cesse de perdre le fil conducteur de la pensée de Palamas dans la profusion des raisonnements opposés et des références.

Selon Palamas lui-même, le point de départ de sa doctrine, ou plus exactement de lapprofondissement dune doctrine quil a lui-même reçue, est le fait quil y a des personnes, comme Barlaam, qui, en raison de leur inexpérience de la grâce et de leur incrédulité à légard de ceux qui témoignent dune telle expérience, les saints de la Bible, les Pères, ainsi que les hésychastes, rejettent le caractère incréé des énergies communiquées par lEsprit Saint (Tome hagioritique). Autrement dit, si une personne comme Barlaam rejette la possibilité davoir une connaissance surnaturelle de Dieu grâce à la communication de son énergie incréée, cest parce quil nen a pas lui-même fait lexpérience (Triades 3, 3, 3) et quil ne se fie pas davantage à ceux qui lont faite. Or, pour Palamas, cette expérience de la grâce est la meilleure preuve de lexistence de Dieu et des intuitions théologiques quil défend (Triades 2, 3, 38).

La grâce est une expérience

Grégoire insiste sur cet aspect expérimental de la grâce. Sa théologie vise à défendre ceux qui vivent dès à présent des énergies divines, énergies que les paroles ne démontrent pas, mais qui restent néanmoins perceptibles dans les œuvres, celles du Christ, mais aussi celles des saints à sa suite (Tome hagioritique). Palamas nous explique que, malgré la nécessité de la polémique, il a du mal à écrire sur le thème de la déification de lhomme, précisément parce quil sagit avant tout dune expérience vécue et intime avec Dieu, dune expérience qui dépasse donc tout ce que lintelligence peut comprendre et faire comprendre à travers les seules paroles ou les seuls raisonnements (Triades 3, 1, 32).

La participation de l'homme à la divinité

L'approche spirituelle de Palamas est inscrite dans lhistoire de la révélation judéo-chrétienne. Il montre, en effet, que Dieu s'est révélé et se révèle encore d'une façon progessive à lhumanité. En effet, Palamas compare le cheminement de lAncien Testament vers le Nouveau Testament au cheminement actuel qui part du Nouveau Testament vers son accomplissement dans la vie future. Il dit : de même quauparavant seuls les prophètes, et ceux qui les écoutaient, avaient vu dans lEsprit les mystères de la loi de Moïse, la préexistence du Verbe et de lEsprit de Dieu, avant quils ne soient manifestés dans la révélation de la Trinité, tandis que les autres se bouchaient les oreilles ; de même, à présent, seuls les saints et ceux qui les écoutent voient dans lEsprit les mystères de lÉvangile avant quils ne deviennent pleinement évidents dans la vie future, tandis que certains chrétiens ne veulent pas en entendre parler.

Mais quels sont ces mystères évangéliques vus par les saints et tous ceux qui les entourent ? Les mystères sont ceux dont parlent les Pères, comme le Pseudo-Denys, Maxime le Confesseur et le Pseudo-Macaire, des auteurs que Grégoire apprécie fortement et cite constamment. Ils nous expliquent que Dieu transcende, surpasse, est au-dessus du don déifiant quil fait à lhomme, de la divinité quil communique à ceux qui en sont dignes. Il dépasse ce don déifiant, parce quil en est lorigine, la source, la cause éternelle. Cette grâce déifiante est, tout comme Dieu, incréée et éternelle. Contrairement aux êtres vivants et au monde, aux créatures et à la création, cette grâce na pas de commencement dans le temps. Elle existe depuis toujours en Dieu. Par les Pères, nous apprenons que cette grâce déifiante est une lumière, celle qui rayonne autour de Dieu, des anges, mais également des saints. Elle se manifeste aux hommes qui en sont dignes, hommes qui se sont le plus souvent longuement préparés à la recevoir, mais ils la reçoivent sans que lon puisse dire que cette prédisposition, aussi méritoire soit-elle, est en quelque sorte la cause de leur illumination. Lêtre humain ne dispose daucun moyen automatique pour obtenir et laisser transparaître en lui cette lumière émanant de Dieu. Cest pourquoi elle est toujours une grâce, une faveur que Dieu fait à lhomme, sans que ce dernier ne connaisse le moment de sa manifestation. Les Pères nous enseignent encore que cette lumière répand la joie en lhomme, une joie spirituelle, profonde, ineffable, qui est lun des signes les plus manifestes de la présence de Dieu en lhomme (Triades 3, 1, 36). En outre, cette lumière constitue la beauté du siècle à venir, du Royaume de Dieu, de la vie éternelle. Nous rejoignons ici laccomplissement des mystères de lÉvangile dont parlait Grégoire, à savoir la manifestation finale et plénière de la gloire incréée, de la lumière éternelle. Cest le signe de la présence de Dieu en tous les êtres auxquels il a donné la vie. Cest la transfiguration de toute la création. Le saint dans cette perspective eschatologique est celui qui dans lEsprit appréhende déjà, ici et maintenant, mais pas encore complètement, cette réalité future. Et tous ceux qui se mettent à son écoute et suivent ses conseils en sont également les bénéficiaires (Tome hagioritique).

Dieu inaccessible en son essence mais manifesté

Nous avons ici les bases de cette distinction en Dieu qui posa tant de problèmes à Grégoire ou plutôt à ses contradicteurs : Dieu sest révélé comme Trinité, Père, Fils et Esprit, mais aussi, et cest paradoxal, comme un Dieu inaccessible en lui-même et pourtant partout et toujours accessible dans le don quil nous fait de lui-même, de sa propre vie. Ce paradoxe est le fondement de la théologie de Palamas, la distinction en Dieu entre son essence imparticipable et son énergie participable, entre ce que Dieu est en lui-même, dès lorigine, sans les êtres créés par lui, et ce que Dieu est pour la création et les créatures, pour lunivers et les êtres vivants, les hommes en particulier, avec lesquels il veut depuis toujours entrer en relation.

Il faut nous arrêter quelques instants sur cette théologie, qui est une des plus belles réflexions de lesprit humain pour justifier la déification de lhomme. Pour Palamas, il y a en réalité une triple distinction en Dieu : la Trinité, lessence et les énergies (Chapitres 75), mais ces distinctions naffectent en rien son unité, car il ny a quun seul Dieu trinitaire, vivant et agissant en son essence comme dans son énergie. Cette triple distinction sexplique par le fait que lessence de Dieu ne sidentifie ni aux trois hypostases ou personnes divines, Père, Fils et Esprit, qui la partagent tout en gardant une primauté existentielle par rapport à elle (Triades 3, 2, 12), ni à lénergie, parce quelle en est la cause transcendante. Lessence de Dieu, en tant que cause transcendante de lénergie, possède, résume et unifie en elle-même une multitude dénergies, elle est capable de se multiplier sans se diviser en autant de réalités participables quil y a de participants (Triades 3, 2, 24-25), que ce soit pour créer le monde dans toute sa diversité (Triades 3, 2, 26) ou pour déifier les hommes prédisposer à la réception de la grâce (Triades 3, 2, 13). Lénergie incréée, comme activité de Dieu en dehors de lui-même, est absolument inséparable de lessence, elle en procède et na pas dexistence autonome par rapport à elle (Triades 3, 1, 24). Puisque Dieu est indivisible, il est totalement présent dans chacune de ses énergies. Le moindre atome dénergie nous donne donc accès à la totalité de Dieu et nous permet de le connaître et de le nommer (Triades 3, 2, 10-11). Comme lessence divine, dont elle provient et quelle nous manifeste, lénergie est omniprésente (Triades 3, 1, 34), il ny a pas par conséquent un seul endroit dans tout lunivers lon ne puisse la trouver et par elle Dieu lui-même. Enfin, cette énergie ne sera pleinement visible quà la fin des temps, comme rayonnement de Dieu en toutes choses. Lénergie divine, cest au fond la communication que Dieu fait de lui-même, afin que dautres êtres, les êtres créés, les êtres humains en particulier, puissent exister et bénéficier de sa vie en abondance. En ce sens, lénergie incréée est un effet éternel de la bonté de Dieu à notre égard (Triades 3, 2, 24).

La synergie entre la volonté de Dieu et de l'homme dans le salut

Ce développement appelle une question, celle de savoir comment, selon les mots de Palamas, être dignes dune telle grâce. Ou formulée autrement : quels sont les moyens qui peuvent nous prédisposer à la réception consciente de lénergie déifiante ? Il existe différents moyens qui vont ensemble et qui sont constitutifs de la vie chrétienne. Mais avant de les énumérer, il faut insister sur le fait que ce ne sont jamais que des moyens mis en œuvre par lactivité humaine. Or, lhomme, par lui-même, est incapable de se déifier. Il a besoin de lactivité de Dieu, de son intervention répétée dans lhistoire comme en témoigne lÉcriture, de lincarnation du Fils et de la communication de lénergie de lEsprit. En sens contraire, lactivité salutaire de Dieu ne suffit pas non plus, car lhomme a été créé libre et Dieu se refuse à le contraindre même au salut, cest tout à fait librement quil doit y consentir. Mais, si ni lactivité humaine ni lactivité divine ne suffisent au salut, comment sortir de l'impasse ? Par une activité commune de lhomme et de Dieu : il faut que lhomme veuille être sauvé et que Dieu veuille le sauver, il faut en lhomme une synergie de son activité et de celle de Dieu par le biais du don permanent de la grâce, de lénergie, de lEsprit répandu en lui. Cest uniquement par cette collaboration humaine et divine que les différents moyens deviennent salutaires pour lhomme.

L'altération de l'image de Dieu en l'homme

Parmi ces moyens, il y a dabord et avant tous les mystères ou sacrements de lÉglise, principalement le baptême et leucharistie, dont Grégoire dit que notre salut tout entier en dépend (Homélie 62). Pour comprendre cette affirmation, il faut faire un détour par la doctrine de la corruption de la nature humaine par le péché et de sa rénovation par lincarnation du Verbe de Dieu. Cette doctrine repose sur le récit de la Genèse et sur lœuvre du Christ daprès le Nouveau Testament. Le péché dAdam, comme figure biblique et originelle de lêtre humain, est la première manifestation de la désobéissance à Dieu. Il est pour Palamas la cause dune corruption de lhumanité, dans les deux sens du terme : psychique et physique. Par son irruption, le péché occasionne une mort de lâme avant même celle du corps, un désordre psychique et une déchéance du corps. En effet, Palamas envisage le péché comme une altération de limage de Dieu en lhomme, altération par laquelle lhomme devient incapable dêtre à la ressemblance de son Créateur, de participer à la vie même de Dieu (Chapitres 39). Or, cette altération de limage divine en lhomme est en réalité une dénaturation de son intelligence, comprise comme étant la faculté spirituelle la plus haute de lâme, faculté qui permet à lhomme de connaître, de faire librement des choix et dorienter toute sa vie en conséquence. Cette dénaturation à pour effet de priver lhomme dune faculté qui était la sienne à lorigine, celle de voir Dieu (Triades 1, 1, 3) et donc de sunir à lui. Si par le péché lhomme perd cette ressemblance, la vie divine, et cette capacité visuelle de lintelligence qui lunissait à Dieu, il nest par pour autant abandonné à son sort. Il y a bien sûr toutes les interventions divines dans lhistoire biblique, mais il y a aussi et surtout la venue annoncée de Jésus-Christ. Pour Palamas, cest précisément pour offrir la possibilité à lhomme de retrouver son état originel et plus encore par la déification que le Verbe de Dieu sest fait chair (Triades 1, 1, 22). En effet, par lunion hypostatique ou personnelle du Fils de Dieu à la nature humaine, celle-ci participe de nouveau et totalement à la vie divine (Triades 2, 3, 21). En sincarnant, en devenant un homme à part entière, le Fils a pu unir notre humanité déchue à sa Personne divine et la restaurer en lui-même par la communication de sa propre divinité. Ce qui est préfiguré dans la Transfiguration et accompli dans la Résurrection. Nous retrouvons en la Personne même du Christ cette collaboration humaine et divine pour le salut. Selon limage de saint Paul, le Christ est le nouvel Adam, cest-à-dire le nouvel homme, celui qui transmet non plus le péché et la mort, mais la vie même de Dieu, parce quil est Dieu lui-même. Comment fait-il cela ? Précisément par les mystères ou sacrements de l'Église, principalement le baptême et leucharistie, qui permettent une incorporation et une communion réelle au Corps déifié et déifiant du Christ, Corps qui contient la plénitude de la divinité et qui, selon Palamas, est la source de la lumière incréée, qui jaillit dans le cœur du croyant (Triades 1, 3, 38) et illumine à nouveau son intelligence, ouvre à nouveau les yeux de lâme (Triades 1, 3, 33) pour contempler Dieu, si lhomme a foi en lui (Triades 2, 3, 40). Par les mystères ou sacrements, lénergie de lEsprit opère en nous, si nous le croyons et le voulons, ce que le Fils a accompli une fois pour toutes en lui-même, en sa propre chair pour nous. Dans cette perspective, lÉglise, Corps du Christ, nest donc rien de moins quune communauté dhommes animée par la foi en Jésus-Christ et en voie de déification par la grâce ou lénergie de lEsprit.

Le rétablissement de la maîtrise de l'intelligence sur les passions

Les mystères ou sacrements ne sont pas les seuls moyens de déification, même sils demeurent fondamentaux et incontournables pour le chrétien. La doctrine de la corruption de limage divine en lhomme, lintelligence, et de la possibilité offerte à lhomme de retrouver la ressemblance à Dieu par la grâce débouche également sur une perspective éthique. Le péché est perçu par Palamas comme un bouleversement du fonctionnement originel et naturel des puissances de lâme, bouleversement par lequel ce nest plus la partie raisonnable de lâme (les facultés de connaissance, de jugement et de raisonnement) qui gouverne la partie passionnée (le désir et lemportement), mais linverse. De cette façon, lhomme se détourne du bien, Dieu lui-même, et se laisse conduire par ses passions, comme la cupidité, lambition et la vanité, etc. Pour remédier à ce désordre psychique et corporel, le moine hésychaste recherche limpassibilité, qui ne signifie nullement ici linsensibilité ou une mise à mort de la partie passionnée de lâme, qui en soi est bonne, mais le rétablissement des forces psychiques dans leurs fonctions premières, celles davant la chute occasionnée par le péché dans lâme.

Ce retournement sopère sous la direction de lintelligence en synergie avec la grâce et permet à lhomme dembrasser les vertus et les passions bienheureuses, dacquérir de nouvelles et meilleures dispositions. Par l'attention de l'intelligence maintenue au-dedans du corps (selon la méthode hésychaste, décrite ci-dessous), "nous donnons à chaque puissance de l'âme sa loi et à chacun des membres du corps ce qui lui convient:

- la tempérance comme régulation des sens (nous leur "donnons ce qu'ils doivent percevoir et dans quelle mesure")

- lamour est suscité comme l'état le meilleur de la partie passionnée de l'âme

- la vigilance et la sobriété (nepsis) pour "renvoyer tout ce qui empêche la pensée (dianoia) de s'élever à Dieu".

"Celui qui par la tempérance (enkratéia) a purifié son corps, qui par l'amour divin a fait de l'ardeur et du désir une oaccasion de vertu, qui par la prière a mené devant Dieu une intelligence dépouillée, acquiert et voit en lui-même la grâce promise aux coeurs purs."

Ce retournement offre la possibilité à lhomme daccomplir progressivement les commandements évangéliques dans lamour du prochain et de Dieu. Lorsque lhomme parvient à cet amour, il parvient selon Grégoire à un état proprement divin (Triades 2, 2, 19 et 1, 2, 2).

L'oraison hésychaste : faire l'expérience de Dieu

Si la grâce reçue par les mystères ou sacrements de lÉglise ouvre la vie chrétienne sur une perspective éthique qui culmine dans la capacité daimer comme Dieu aime, elle offre encore une autre possibilité en cette vie, celle de voir Dieu.

Il ne saurait s'agir d'une connaissance extérieure. Il nest pas question ici, par exemple, de la contemplation naturelle, par laquelle lintelligence humaine parvient à déceler la marque de Dieu dans ce monde, c'est-à-dire à appréhender la raison des êtres créés par Dieu, la trace intelligible laissée par Dieu en chaque chose et qui permet de le reconnaître comme créateur de lunivers. Cette contemplation naturelle est certes une forme de connaissance de Dieu qui n'est pas sans valeur, mais ce nest pas encore une connaissance véritable de Dieu. Il en va de même de tout ce que lon peut apprendre sur Dieu par les Écritures, les dogmes ou les confessions de foi (Triades 1, 3, 48 et 2, 3, 18 et 40). Toutes ces connaissances sont bonnes, mais elles restent extérieures à Celui dont elles parlent. La théologie, au sens étymologique de discours sur Dieu, nest pas encore la vision de Dieu. Dire quelque chose sur Dieu, ce nest pas encore faire lexpérience intime et personnelle de Dieu (Triades 1, 3, 42), expérience à laquelle lhomme peut se prédisposer par la prière pure ou méthode doraison hésychaste.

Le mot « hésychia », qui est à lorigine du terme « hésychasme », signifie tranquillité, calme, repos, et qualifie tout à la fois un état de vie du moine hésychaste, la réclusion dans la solitude dune cellule, et un état correspondant de lâme, le silence obtenu lorsque lactivité des sens, de limagination et de lintelligence sapaise pour faire place à lactivité de lEsprit Saint.

Description de la méthode

La méthode doraison hésychaste suppose pour sa mise en pratique un lieu tranquille, solitaire, à lécart de toute agitation, la position assise et les yeux fermés. Mais on peut aussi garder les yeux ouverts et fixer son regard sur la poitrine ou sur le nombril comme sur un point dappui. Elle implique en outre un apprentissage à la maîtrise du souffle. Il sagit en fait de recueillir et dapaiser lintelligence au rythme de linspiration et de lexpiration. Dans un premier temps, lintelligence doit suivre le mouvement de linspiration qui descend jusquau cœur et y être retenue en même temps que le souffle. Si lon a les yeux ouverts, la fixation du regard sur la poitrine est une aide supplémentaire pour faire descendre lintelligence dans le cœur. Quant à la fixation du regard sur le nombril, elle vise plutôt la lutte contre les passions de lâme (Triades 1, 2, 7-8). Dans un second moment, lexpiration permet un certain relâchement de lattention jusquà la reprise du souffle. Cet exercice respiratoire saccompagne dune invocation, de la récitation mentale et continue dune formule, telle que « Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi » ou sous une forme brève « Seigneur, aie pitié ». Il faut un certain temps pour que cette invocation devienne tout à fait spontanée.

Le but de cette oraison

Quel est le but de cette méthode assez simple dans sa description ? Il sagit pour le moine hésychaste de purifier lintelligence, de lui faire trouver le repos, lhésychie, en la détournant de toutes sensations, images ou conceptions mentales (Triades 2, 2, 15), ce qui la prédispose à la participation aux énergies divines (Triades 2, 1, 30). Pourquoi faire descendre lintelligence dans le cœur en suivant le mouvement du souffle inspiré ? Parce que le cœur, déjà dans la Bible, est le siège, le lieu propre, de lintelligence (Triades 1, 2, 3), le lieu la grâce du Christ se manifeste (Triades 1, 3, 38) et elle peut à son contact se surpasser elle-même dans lextase, lunion à Dieu (Triades 1, 2, 5). Pourquoi enfin invoquer continuellement Jésus-Christ en le suppliant davoir pitié ? Dune certaine façon, cest toute lhistoire judéo-chrétienne de la rédemption qui se trouve récapitulée dans cette formule dont se souvient continuellement lhésychaste en présence du Christ. Son intelligence acquiert dans un effort soutenu une prise de conscience ininterrompue à la fois de limperfection de sa nature et de la miséricorde divine, de la promesse de la grâce communiquée par le Fils dans lEsprit. Tout ce qui vient le détourner de cette réalité salvifique est écarté par le souvenir de cette réalité qui sans cesse revient à la conscience jusquà ce que lénergie de lEsprit fasse une irruption soudaine dans le cœur et accomplisse effectivement ce quil avait en mémoire. Il sagit dune démarche de foi, lintelligence, convaincue de sa faiblesse se rassemble et se tourne vers le Christ, en attendant de lui le salut comme accomplissement dune promesse faite à lhumanité. Ce faisant, lintelligence ne le contraint pas à agir, mais se détourne consciemment de tout ce qui pourrait lempêcher dagir. Libre alors à lEsprit dintervenir dans ce cœur purifié, préparé à sa venue, cest-à-dire digne de lui.

Lorsque Dieu répond à cet appel, lorsque lénergie divine apparaît dans le cœur, lintelligence purifiée devient à son contact spirituelle et lumineuse, les facultés créées se transforment et la grâce est transmise de lâme au corps, qui lui aussi participe au salut. Les hommes déifiés parviennent alors à voir avec les sens et lintelligence ce qui les dépasse (Triades 3, 3, 10). Il se produit paradoxalement une sensation dépassant les sens et une intellection dépassant lintellection (Triades 3, 1, 35-36). Cest pour le saint la vision ou contemplation de Dieu. Lintelligence retrouve cette capacité originelle de voir son Créateur.

Le corps comme demeure de l'Esprit

Il y a, dans cette méthode, par son attention portée au corps, une rupture radicale avec l'hellenisme néo-platonicien qui enseignait que l'intelligence devait s'échapper du corps. Cette conception du corps comme une entrave de l'esprit, Palamas dit que c'est la plus grave erreur des philosophes Grecs.

Palamas insiste, dans son traité Sur les saints hésychastes, sur le fait que l'on ne doit pas chercher à faire sortir notre intelligence du corps, mais au contraire s'efforcer de maintenir, avec vigilance, notre intelligence dans notre corps. Le corps n'est pas mauvais : ce sont "les hérétiques qui disent que le corps est mauvais et qu'il est l'ouvrage du malin". Il faut faire sortir la loi du péché du corps, et y faire "demeurer l'attention de l'intelligence". Il cite à ce propos la parole de Saint Paul (I Cor 6, 19: "Nos corps sont le temple de l'Esprit Saint qui est en nous". Notre corps est donc appelé à devenir "naturellement la demeure de Dieu".

Grégoire Palamas fonde la spitualité hésychaste dans l'Incarnation du Verbe, dont le but était de permettre la déification de l'homme :

"Car si l'homme n'est pas capable de contenir l'incorporel au-dedans du corps, comment pourra-t-il porter en lui-même Celui qui s'est uni au corps, et qui avance, comme une forme naturelle, à travers toute la matière organisée, dont l'extériorité et la division ne saurait correspondre à l'essence de l'intelligence (noûs), si à la fin cette matière ne se mettait à vivre après avoir suscité en elle une forme de vie accordée à l'union."[1]

Nous pourrions dire que "le Verbe s'est fait chair"[2] pour que l'homme entier - corps et âme - soit déifié :

"...portant toujours avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle." (Saint Paul, Epître aux Corinthiens, II, 4, 10-11.)

L'union de l'homme à Dieu

Le don déifiant accordé par lEsprit constitue pour le voyant à la fois lorgane et lobjet de sa vision lumineuse (Triades 3, 2, 14). Il est ce qui permet de voir et ce qui est vu, la lumière incréée de Dieu. Palamas dira que le voyant contemple ce qui est semblable à son mode de contemplation (Triades 2, 3, 31), quil connaît Dieu en Dieu (Triades 2, 3, 68) ou, en sens inverse, que cest Dieu lui-même qui se contemple à travers lâme et le corps transformés (Triades 1, 3, 37). Ce quil veut dire à chaque fois, cest que seule la lumière, lénergie ou la grâce, parce quelle vient de Dieu et quelle est Dieu lui-même, peut nous faire connaître Dieu. Cette vision de la lumière par la lumière réalise lunion de lhomme à Dieu (Triades 2, 3, 36) et lui permet de retrouver la ressemblance qui existait entre eux à lorigine. La progression dans cette contemplation de Dieu est infinie, même dans la vie future, non seulement parce que le désir de lhomme est sans limites à son égard, mais aussi parce que Dieu qui se laisse contempler est lui-même infini (Triades 2, 2, 11). Cest une façon dexpliquer que lhomme est mis en présence dune plénitude. Tout ce que lhomme recherche de meilleur en cette vie ou est à jamais capable de désirer dans lautre vie sy trouve en abondance.

Il faut savoir toutefois que, pour Palamas, si lénergie de lEsprit est effectivement une plénitude qui nous est offerte dès à présent, personne en dehors du Christ nest en mesure de la contenir totalement. La participation à cette énergie omniprésente par une intelligence purifiée, semblable à un combustible pour le feu divin, est toujours partielle et variée (Triades 3, 1, 34). Cette énergie de lEsprit se manifeste indivisiblement en autant déclats quil y a dhommes dignes de la recevoir et se laisse participer en fonction de la capacité réceptive de chacun dentre eux. La même et unique énergie de lEsprit est communiquée à des hommes différents, qui ne sont pas en mesure den bénéficier entièrement, mais bien en fonction à la fois de leur personnalité et de leur activité propres. Ce qui signifie que lénergie divine ne supprime pas ce qui fait la singularité dun homme, lorsquelle le déifie, elle sy adapte sous la forme notamment des charismes de lEsprit dont parle saint Paul(1 Co 12, 4-11 ; Triades 3, 2, 13).

Dieu vient tout entier habiter dans l'homme tout entier

Si lhomme ne peut participer à la totalité de lénergie de lEsprit, il nen reste pas moins vrai quil sagit dun don par lequel Dieu tout entier vient demeurer en lhomme tout entier (Triades 3, 1, 27). Comment comprendre cette inhabitation de Dieu en lhomme ? Pour lexpliquer, Palamas se sert dun terme emprunté à la christologie. Ce terme est lenhypostasie, qui désigne le fait dinclure dans lhypostase, dintégrer en sa personne même. En sincarnant, le Verbe de Dieu a assumé la nature humaine en sa Personne divine, il la enhypostasiée. En sens inverse et grâce à cette incarnation de Dieu, la personne humaine peut assumer non pas la nature de Dieu qui est imparticipable, mais son énergie. La déification est une enhypostasie de lénergie de lEsprit, énergie qui est envoyée dans lhypostase de lhomme pour y être contemplée (Triades 3, 1, 9) en permanence (Triades 3, 1, 18). Par ce don déifiant permanent, la sagesse et la vie éternelle sont en lhomme sans être séparées de Dieu (Triades 3, 1, 35-36 et 38). Le saint acquiert par grâce un nouveau mode dexistence, par lequel sa personne est désormais composée dun nouvel élément permanent qui vient sajouter à lâme et au corps et qui est lénergie incréée de lEsprit (Triades 1, 3, 43). Si bien quon peut dire de lui, en raison de la présence de lEsprit, quil est incréé par la grâce (Triades 3, 1, 31), quil est sans commencement ni fin (Triades 3, 3, 8). Lintégration de ce nouvel élément, devenu constitutif de la personne humaine dans la déification, na pas pour effet la suppression de notre humanité. En devenant Dieu, nous ne cessons pas dêtre homme, psychique et corporel. Au contraire, pour Palamas, en devenant Dieu, nous devenons pleinement homme. Par la grâce divine, notre nature humaine est menée progressivement à sa perfection : lâme peut dès à présent voir Dieu, être animée par sa sagesse et sa bonté, et le corps reçoit le gage de son incorruptibilité future, un avant-goût de la Résurrection.

Au terme de ce parcours, le saint hésychaste acquiert donc un nouveau mode de vie caractérisé par la présence permanente de lénergie de lEsprit en lui. Cette expérience est pour lui une initiation aux mystères évangéliques. Mais cette initiation nest pas donnée pour lui seul. Le saint hésychaste sera respecté, il recevra la confiance et laffection dautres hommes, tous ceux qui viendront à lui pour être initiés à leur tour à ces mystères, jusquà ce que lexpérience de ces mystères eux-mêmes constitue pour eux linitiation (Tome hagioritique). La paternité spirituelle, par laquelle un saint est capable de transmettre ce quil a lui-même reçu, y compris la grâce (Chapitres 121), à dautres hommes qui suivent ses conseils et son enseignement, est primordiale dans ce contexte. Cest par elle que Palamas fut, dans cette chaîne de transmission spirituelle, le fils spirituel des maîtres de lhésychasme byzantin, comme celui avant eux des Pères et de tous les saints de la littérature biblique.

Quelques citations

Sur lessence imparticipable et lénergie participable

« Dès lors quil y a trois caractères de Dieu, lessence, lénergie, les hypostases divines de la Trinité, ceux qui ont été rendus dignes dêtre unis à Dieu jusquà être avec lui un seul Esprit, comme la dit le grand Paul : « Celui qui sattache au Seigneur est avec lui un seul Esprit » (1 Co 6, 17), car il a été montré plus haut que ceux qui en sont dignes ne sunissent pas à Dieu dans son essence, et tous les théologiens, attestent que Dieu nest pas participable dans son essence. Lunion selon lhypostase se trouve être le fait du seul Verbe, le Dieu-Homme. Ceux qui ont été rendus dignes de sunir à Dieu sunissent donc par lénergie. Et lEsprit suivant lequel celui qui sattache à Dieu est un avec Dieu, est et est appelé énergie incréée de lEsprit, mais non essence de Dieu, même si cela déplaît à ceux qui pensent le contraire. Car Dieu la prédit par le Prophète : ce nest pas mon Esprit, mais « de mon Esprit, que je répandrai sur ceux qui croient » (Jl 3, 1) (trad. J. Touraille, Chapitres 75).

Sur l'Incarnation, la communion eucharistique et l'illumination du cœur

« Puisque le Fils de Dieu, dans son incomparable amour pour les hommes, ne sest pas borné à unir son Hypostase divine à notre nature, en endossant un corps animé et une âme douée dintelligence, pour apparaître sur terre et vivre avec les hommes, mais puisquil sunit, ô miracle dune incomparable surabondance, aux hypostases humaines elles-mêmes, en se confondant lui-même avec chacun des fidèles par la communion à son saint Corps, puisquil devient un seul corps avec nous et fait de nous un temple de la Divinité tout entière, car dans le Corps même du Christ habite corporellement toute la plénitude de la Divinité, comment nilluminerait-il pas ceux qui communient dignement au rayon divin de son Corps qui est en nous, en éclairant leur âme comme il illumina les corps mêmes des disciples sur le Thabor ? Car alors ce corps, source de la lumière de la grâce, nétait pas encore uni à nos corps : il illuminait du dehors ceux qui en approchaient dignement et envoyaient lillumination à lâme par lintermédiaire des yeux sensibles ; mais aujourdhui, puisquil est confondu avec nous et existe en nous, il illumine lâme justement de lintérieur » (trad. J. Meyendorff, Triades 1, 3, 38).

Sur la vision de la lumière incréée et l'union à Dieu

« La contemplation de cette lumière est une union, bien quelle ne dure pas chez les imparfaits. Mais lunion avec la lumière est-elle autre chose quune vision ? Et puisquelle saccomplit avec larrêt de lactivité intellectuelle, comment saccomplirait-elle, sinon par lEsprit ? Car cest dans la lumière quapparaît la lumière et cest dans une lumière semblable que se trouve la faculté visuelle ; puisque cette faculté na dautre moyen dagir, ayant quitté tous les autres êtres, cest quelle devient elle-même tout entière lumière et sassimile à ce quelle voit ; elle sy unit sans mélange, étant lumière. Si elle se regarde elle-même, elle voit la lumière ; si elle regarde lobjet de sa vision, cest aussi de la lumière ; et si elle regarde le moyen quelle emploie pour voir, cest encore de la lumière ; cest cela lunion : que tout cela soit un, de sorte que celui qui voit nen puisse distinguer ni le moyen, ni le but, ni lessence, mais quil ait seulement conscience dêtre lumière et de voir une lumière distincte de toute créature » (trad. J. Meyendorff, Triades 2, 3, 36).

Sur la vision de Dieu comme preuve réelle de son existence et finalité de la prière pure

« Cette contemplation dépassant les activités intellectuelles est le seul moyen, le moyen le plus clair, le moyen par excellence pour montrer lexistence réelle de Dieu et le fait quil transcende les êtres. Comment, en effet, lessence de Dieu nexisterait-elle pas, puisque la gloire de cette nature divine se fait voir aux hommes qui ont surpassés par la prière pure tout ce qui, dans la lumière même, est sensible et intelligible ? » (trad. J. Meyendorff, Triades 2, 3, 38).

Références

  1. Sur les saints hésychastes, in Philocalie des Pères Neptiques, tome B3, p.475
  2. Jean I, 14 : λόγος σὰρξ ἐγένετο

Bibliographie sélective

Quelques œuvres traduites en français

  • Grégoire Palamas, Défense des saints hésychastes, introduction, texte critique, traduction et notes par J. Meyendorff, coll. “Spicilegium sacrum Lovaniense: études et documents”, volumes 30-31, Louvain, 1973 (sans doute l'œuvre la plus importante, sur laquelle repose en grande partie le développement qui précède).
  • Grégoire Palamas, De la déification de l'être humain, traduit par M.-J. Monsaingeon et J. Paramelle, coll. "Sophia", L'Age d'Homme-Lausanne, 1990, p. 13-41 (contenu : De la divine et déifiante participation ou de la divine et surnaturelle simplicité).
  • Grégoire Palamas, Douze homélies pour les fêtes, introduction et traduction de Jérôme Cler, coll. "L'échelle de Jacob", Paris, O.E.I.L./YMCA-PRESS, 1987.
  • Grégoire Palamas, Traité apodictiques sur la procession du Saint-Esprit, introduction par Jean-Claude Larchet, traduction et notes par Emmanuel Ponsoye, coll. "L'Arbre de Jessé", Les Éditions de l'Ancre, Paris-Suresnes, 1995.
  • Joie de la Transfiguration d'après les Pères d'Orient, coll. "Spiritualité Orientale" 39, Abbaye de BelleFontaine, 1985, p. 237-256 (contenu : Deux homélies sur la Transfiguration du Seigneur).
  • Philocalie des Pères neptiques. À l'école mystique de la prière intérieure, tome B, volume 3 : De Grégoire Palamas à Calliste et Ignace Xanthopouloi, notices et traduction par Jacques Touraille, Abbaye de Bellefontaine, 2005, p. 435-541 (contenu : Lettre à la moniale Xénée, Décalogue, Sur les saints hésychastes, Sur la prière et la pureté du cœur, 150 chapitres physiques, théologiques, éthiques et pratiques, Tome hagioritique sur les saints hésychastes).

Quelques études importantes

  • Larchet, J.-Cl., "Introduction", dans Saint Grégoire Palamas, Traités apodictiques sur la procession du Saint-Esprit, coll. “LArbre de Jessé”, Paris-Suresnes, Éditions de lAncre, 1995, p. 9-104 (la question du Filioque étudiée de près).
  • Lison, J., LEsprit répandu. La pneumatologie de Grégoire Palamas, préface de J. M. R. Tillard, coll. “Patrimoines: orthodoxie”, Paris, Éditions du Cerf, 1994 (une étude d'ensemble fouillée de la pensée de Palamas, sous l'angle de la pneumatologie).
  • Mantzaridis, G. I., “La doctrine de saint Grégoire Palamas sur la déification de lêtre humain”, traduction par M.-J. Monsaingeon, dans Saint Grégoire Palamas. De la déification de lêtre humain, coll. “Sophia”, LAge dhomme-Lausanne, 1990, p. 43-160 (Bon développement sur un thème central chez Palamas).
  • Meyendorff, J., Introduction à létude de Grégoire Palamas, coll. “Patristica sorbonensia3, Paris, Éditions du Seuil, 1959 (une présentation déjà ancienne, mais détaillée de la vie et des principaux thèmes de la théologie de Palamas)
  • Meyendorff, J., “Palamas (Grégoire)”, Dictionnaire de Spiritualité 12, Paris, Beauchesne, 1984, col. 81-107.
  • Meyendorff, J., Saint Grégoire Palamas et la mystique orthodoxe, coll. “Points Sagesses168, Paris, Éditions du Seuil, 2002 (une présentation plus simple de Palamas et de la tradition spirituelle dans laquelle il s'inscrit. Bien pour commencer).
  • Staniloae, D., "La vie et la doctrine de Saint Grégoire Palamas", Sibiu 1938. Le premier ouvrage moderne sur la théologie palamite. La monographie que Meyendorff dedie à Grégoire viendra 20 ans plus tard.
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