- Révolution des signes
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La révolution des signes ou révolution linguistique (Dil Devrimi) est une réforme mise en œuvre le 1er novembre 1928, par Atatürk dans le but de remplacer l'alphabet arabe en usage sous l'Empire ottoman pour transcrire la langue turque, par un alphabet spécifique dérivé de l'alphabet latin. L'usage de l'alphabet arabe sera finalement interdit le 3 novembre suivant.
Sommaire
Les raisons de la réforme
Pour Atatürk, cette réforme avait pour but de purifier la langue turque. Dans un discours tenu au parlement, Mustafa Kemal explique :
« Il faut donner au peuple turc une clef pour la lecture et l'écriture et s'écarter de la voie aride qui rendait jusqu'ici ses efforts stériles. Cette clef n'est autre que l'alphabet turc dérivé du latin. Il a suffi d'un simple essai pour faire luire comme le soleil cette vérité que les caractères turcs d'origine latine s'adaptent aisément à notre langue et que, grâce à eux, à la ville comme à la campagne, les enfants de ce pays peuvent facilement arriver à lire et à écrire. Nous devons tous nous empresser d'enseigner l'alphabet à tous les illettrés, hommes ou femmes, qu'il nous sera donné de rencontrer dans notre vie publique ou privée. Nous sommes dans l'émotion d'un succès qui ne souffre de comparaison avec les joies procurées par aucune autre victoire. La satisfaction morale éprouvée à faire le simple métier d'instituteur pour sauver nos compatriotes de l'ignorance a envahi tout notre être.[1] »
L'historien français, Benoist Méchin explique :
« L'écriture et l'alphabet dont se servaient les Turcs étaient eux aussi, empruntés à la civilisation arabe. Or, l'écriture arabe, créée pour noter les sons d'une langue où les voyelles n'existent qu'en fonction du sens du mot, ne convenait nullement au turc où les voyelles sont, comme dans les langues européennes, des éléments intrinsèques du mot possédant une existence propre au même titre que les consonnes. Écrire le turc à l'aide de la représentation graphique arabe était aussi absurde que d'écrire le français ou l'anglais avec des caractères hébraïques.[2] »
En effet, le turc est une langue altaïque, nécessitant huit voyelles écrites, contrairement aux langues sémitiques comme l'arabe ou l'hébreu, qui n'exigent généralement que trois voyelles écrites uniquement à indiquer des mots autrement homographes. Or, le système d'écriture arabe, même adapté aux autres langues pose problème pour la transcription de celles ayant une grande variété de phonèmes vocaliques. L'alphabet latin se trouve être particulièrement adapté pour répondre à ce problème, et facilite ainsi grandement l'apprentissage de la lecture du turc.
Seulement dix pour cent de la population turque savait lire et écrire. Le savoir était le plus souvent dans la main du clergé et d'une petite élite intellectuelle. Mustafa Kemal décida donc de supprimer totalement l'alphabet arabe en Turquie pour le remplacer par l'alphabet latin, mieux adapté à la langue turque.
« D'un seul coup, il modifierait le système de communications écrites entre chacun de ses sujets et bouleverserait la littérature nationale ; il révolutionnerait toutes les formes de la pensée, d'un bout à l'autre de la Turquie. Plus encore : il amènerait le peuple à changer de philosophie scientifique, de méthode intellectuelle et finalement de destinée. Aucun des grands révolutionnaires du passé - que ce fût Cromwell, Robespierre ou Lénine - n'avait osé aller aussi loin.[3] »
La mise en place de la réforme
En 1928, Mustafa Kemal mit tout son poids dans la balance et créa une « commission linguistique » constituée de linguistes, dont le mandat fut chargés d'élaborer un alphabet latin, adapté aux exigences turques et de « purifier » le vocabulaire de langue. Ils lui conseillèrent d'appliquer la réforme sur plusieurs années, mais Mustafa Kemal refusa et voulut que celle-ci soit accomplie en quelques semaines. Avant d'affronter le public, il passa lui même plusieurs jours à apprendre le nouvel alphabet.
En juillet de cette année-là, il demande à la commission de tenir une session extraordinaire à Istanbul.Le 1er novembre suivant, l'Assemblée nationale adoptait la loi sur le nouvel alphabet basé sur l'alphabet latin (élaboré par des linguistes autrichiens) en conformité avec les règles de la phonétique allemande, avec l'addition des lettres [ç] (consonne tch), [ğ] (allongement de la voyelle précédente), [ö] (voyelle -eu- comme peu en français), [ş] (ch) et [ü] (voyelle -u- comme flûte en français). L'alphabet turc se composait désormais de 29 lettres : 21 consonnes et 8 voyelles. Les lettres -x et -q n'existent pas en turc.
Mustafa Kemal crée en 1932, la Türk dil kurumu (« Association de la langue Turque »).
Il expliqua ensuite en détail à son public pourquoi il fallait à tout prix changer d'alphabet et pourquoi il fallait le faire vite. Il illustrait sa démonstration à l'aide d'un petit tableau noir, et il n'était pas rare de le voir demander à des analphabètes d'écrire leur nom en turc. Devant le succès de sa conférence, il décide de parcourir lui même le pays pour expliquer aux citoyens turcs les raisons de cette réforme.
« Les paysans furent séduits d'emblée par la réforme de l'écriture. Comme tous les peuples arriérés, les Turcs avaient un désir ardent d'apprendre et de s'instruire. Savoir lire et écrire leur semblait un privilège merveilleux. (...) Pour eux, vaincre l'ignorance, c'était vaincre la misère.[4] »
Le pays entier se remit à l'école.
« Villageois, cultivateurs, bergers, commerçants, notaires, journalistes, hommes politiques, sans distinction d'âge ni de rang social, tous se retrouvèrent au coude à coude sur les bancs des salles de classe. C'était un spectacle étonnant de voir ainsi tout un peuple repartir à zéro.[5] »
Mustafa Kemal organisait des distributions de prix pour récompenser les Turcs les plus méritants. Il prédit un avenir brillant à toute personne sachant manier l'alphabet latin. L'alphabet arabe est finalement interdit le 3 novembre 1928. De plus, il annonce que tout condamné sachant lire et écrire couramment l'alphabet latin avant cette date serait amnistié quel que soit le crime qu'il ait pu commettre. Dans une interview donnée à un journaliste américain, il s'explique :
« Beaucoup de crimes commis dans le passé ont été dus à l'ignorance. L'État promulgue des lois qui doivent être respectées par tous. Mais il ne remplit pas pleinement sa tâche, s'il ne fournit pas en même temps, à chaque citoyen, une instruction suffisante pour lui permettre de les lire. »
Les conséquences de la réforme
Cette réforme de romanisation de l'écriture eut notamment, pour effets, les conséquences suivantes :
- La simplification de l'écriture par l'adoption d'un alphabet romanisé avec les lettres spéciales "ğ Ğ ı ş Ş", permit ainsi une lutte très efficace contre l'analphabétisme qui fut de moins en moins fréquent en Turquie (« L'histoire compte peu d'exemples de ce genre où un gouvernement a entrepris des changements linguistiques d'une aussi grande envergure dans un délai aussi court et, il faut le reconnaître, avec autant de succès.[1] »).
- Le déchiffrage des documents de l'époque ottomane, antérieurs à cette réforme, est du seul ressort de l'élite intellectuelle (chercheurs, universitaires, religieux, etc…).
- De nos jours, la population est incapable de déchiffrer les montagnes d'archives de l'Empire ottoman, plus particulièrement les "sicil" et le "deftéri" (registres divers).
Références
- La révolution linguistique de Mustafa Kemal Atatürk
- Mustapha Kémal ou la mort d'un empire, Benoist-Méchin, p.385
- Mustapha Kémal ou la mort d'un empire, Benoist-Méchin, p.386
- Mustapha Kémal ou la mort d'un empire, Benoist-Méchin, p.388
- Mustapha Kémal ou la mort d'un empire, Benoist-Méchin, p.389
Voir aussi
Catégorie :- Turc de Turquie
- La simplification de l'écriture par l'adoption d'un alphabet romanisé avec les lettres spéciales "ğ Ğ ı ş Ş", permit ainsi une lutte très efficace contre l'analphabétisme qui fut de moins en moins fréquent en Turquie (« L'histoire compte peu d'exemples de ce genre où un gouvernement a entrepris des changements linguistiques d'une aussi grande envergure dans un délai aussi court et, il faut le reconnaître, avec autant de succès.[1] »).
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