Protection juridique de l'espèce humaine

Protection juridique de l'espèce humaine

La protection juridique de l'espèce humaine est une question d'ordre bioéthique qui concerne l'avenir de l'espèce humaine elle-même. Elle consiste à accorder des droits non tellement à la personne physique, c'est-à-dire à l'individu en tant que tels (droits de la personnalité), qu'à l'espèce que chacun représente à sa manière.

Sommaire

En droit international

Lors d'un colloque de l'UNESCO du 20 mars 2006, intitulé « Lespèce humaine peut-elle se domestiquer elle-même ? », le directeur général de lUNESCO, K. Matsuura, avait alors exposé les deux enjeux de cette question : lenjeu scientifique, mais également lenjeu éthique, et exposa ainsi la problématique :

«  Pour la première fois de son histoire, lhumanité va donc devoir prendre des décisions politiques, de nature normative et législative, au sujet de notre espèce et de son avenir. Elle ne pourra le faire sans élaborer les principes dune éthique, qui doit devenir laffaire de tous. Car les sciences et les techniques ne sont pas par elles-mêmes porteuses de solutions aux questions quelles suscitent. Face aux dérives éventuelles dune pseudoscience, nous devons réaffirmer le principe de dignité humaine. Il nous permet de poser lexigence de non-instrumentalisation de lêtre humain. »

Lespèce humaine ainsi appréhendée dans sa vulnérabilité génétique pose la question de son statut juridique : est-elle un sujet de droit ? Est-elle protégée en elle-même ? Comment est-elle protégée ?

Paradoxalement, alors que les conférences insistent de plus en plus sur lespèce humaine et sur son devenir, les textes internationaux ne protègent pas pour le moment lespèce humaine par un dispositif qui lui serait expressément rattaché.

Les quelques rares textes qui font mention de lespèce humaine le font dans leur préambule, au titre de fondement général aux dispositions du corps du texte, qui ne vise donc pas directement à protéger lespèce humaine elle-même ; ainsi peut-on lire dans le préambule de la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux de l'UNESCO (1978), pour fonder la non-hiérarchisation de ses membres :

«  Persuadée que lunité intrinsèque de lespèce humaine et, par conséquent, légalité foncière de tous les êtres humains et de tous les peuples, reconnue par les expressions les plus élevées de la philosophie, de la morale et de la religion, reflète un idéal vers lequel convergent aujourdhui léthique et la science. »

Il ne faut ici pas confondre la protection de lespèce humaine en tant que telle, et linterdiction de la hiérarchisation de ses membres qui est précisément lobjet des dispositions de la Déclaration.

La Convention d'Oviedo de 1997 sur la bioéthique fait également référence à lespèce humaine dans son préambule (al. 10:

«  Convaincus de la nécessité de respecter lêtre humain à la fois comme individu et dans son appartenance à lespèce humaine et reconnaissant limportance dassurer sa dignité. »

Lespèce humaine est de premier abord présentée de nouveau comme attribut dun sujet de droit pour fonder la protection de celui-ci ; toutefois, la problématique du Directeur Général de lUNESCO trouve dans le corps de la convention une résonance au sein de larticle 13 de la convention, intitulé « Interventions sur le génome humain » situé sous le Chapitre IV relatif au « Génome humain ». En effet, cet article énonce qu

« Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle na pas pour but dintroduire une modification dans le génome de la descendance. »

Ce texte se préoccupe explicitement, non pas seulement de la définition génétique de lindividu lui-même, mais également de sa descendance à travers son patrimoine génétique, et, par même, de lespèce. La protection ainsi élaborée nest cependant pas absolue. En effet, le texte ne retient la modification du génome de la descendance comme illicite que dans la mesure cette modification nest pas le but poursuivi ; a contrario, si le génome de la descendance nest pas la motivation directe de la modification du génome, cette modification est licite dans les cas gouvernés par « des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques » relatives à la personne subissant lintervention.

La valeur juridique de ces traités dépend de la compréhension propre à chaque système juridique de ce qui constitue une atteinte à lespèce humaine. La France a adopté récemment une des premières législations spécifiques visant explicitement à protéger lespèce humaine.

En droit français

La loi de bioéthique du 29 juillet 1994, « relative au corps humain », a introduit en droit français le principe d'indisponibilité du corps humain ainsi que la disposition selon laquelle « Nul ne peut porter atteinte à lintégrité de lespèce humaine » (article 16-4 1er alinéa Code civil). Cette disposition figure parmi les principes généraux du droit devant gouverner les recherches scientifiques et les pratiques médicales (articles 16 à 16-9 C.civ.). Dimportants débats existent sur la portée et la signification pratique à donner à cette interdiction : en effet, les alinéas subséquents de larticle 16-4 énoncent les interdictions de leugénisme, du clonage reproductif (cette interdiction a été introduite par la loi bioéthique du 6 août 2004), et de la modification des « caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». Ainsi, le premier alinéa doit-il être interprété indépendamment des autres, ce qui reviendrait à distinguer linterdiction de porter atteinte à lintégrité de lespèce humaine, linterdiction des pratiques eugéniques et linterdiction du clonage, auquel cas le premier alinéa demeure énigmatique ? Ou ce premier alinéa doit-il être interprété à la lumière des alinéas subséquents, auquel cas lintégrité de lespèce humaine serait atteinte par la réalisation dactes deugénisme ou de clonage ?

Une réponse semble pouvoir exceptionnellement être recherchée dans la traduction pénale de ces interdictions : en effet, ce sont les mêmes textes qui figurent dans le Code civil français et dans le Code pénal, textes qui ont été, de surcroît, introduits par les mêmes lois. Protégée pénalement depuis 1994 à larticle 511-1 du Code pénal, dans le livre qui protégeait les animaux des sévices graves (le Livre V du Code pénal), lespèce humaine a reçu par la loi bioéthique du 6 août 2004 une protection renforcée, les dispositions la protégeant ayant été déplacées en partie dans le livre II, lui faisant partager à présent lintitulé du Titre I qui réprimait les crimes contre l'humanité, soit : « Des crimes contre lhumanité et contre lespèce humaine », et lui consacrant le Sous-titre II intitulé « Des crimes contre lespèce humaine » regroupant les articles 214-1 et suivant.

Lenjeu de ces dispositions est de préserver les spécificités biologiques de lespèce humaine que sont toutes ses caractéristiques génétiques :

  • par la répression des « pratiques eugéniques tendant à lorganisation de la sélection des personnes » (article 214-1 Code Pénal). De plus le Conseil dÉtat, dans son rapport du 25 novembre 1999 Lois bioéthiques : cinq ans après, précisa quil fallait entendre dans cette définition le caractère systématique de la sélection afin de ne pas assimiler les pratiques de procréation médicalement assistée aux pratiques eugéniques : leur caractère non systématique est apprécié par lexigence de « choix propres [, par nature contingent,] à des couples confrontés à lannonce dune maladie dune particulière gravité ». La pertinence de ce critère est critiquée par la doctrine qui propose comme autre critère de distinction : le cadre thérapeutique ; ou encore, sur la distinction kantienne selon laquelle il faut considérer lhomme non comme un moyen mais comme une fin, distinguer la sélection motivée par le sentiment dempathie envers lêtre à naître atteint dune « maladie dune particulière gravité reconnue comme incurable aux moment du diagnostic » (articles 2131-1, 2131-4, 2131-4-1, 2141-2 Code de la santé publique), de la sélection motivée par un sentiment utilitariste de cet être perçu comme devant permettre l’« amélioration » de lespèce humaine (ce qui, exactement, une telle « amélioration » relève de critères subjectifs et particuliers).


  • par la répression du clonage reproductif (article 214-2 Code pénal), comme portant atteinte au caractère sexué de la reproduction humaine (consistant en la rencontre de gamètes de patrimoine génétique différent), et portant atteinte, à grande échelle, à la diversité biologique de lespèce humaine (qui est un de ses facteurs dadaptation). Le clonage thérapeutique, consistant en la création dun embryon humain à partir de cellules dune personne malade, destiné à fournir des cellules souches prélevées puis cultivées pour fournir un tissu ou un organe génétiquement compatible avec le patient, ou implantées dans le corps de celui-ci pour que son organisme reconstitue des cellules défaillantes, nest pas réprimé au titre de la protection de lespèce humaine, mais au titre de la protection de lembryon dans le Livre V du Code pénal(art. 511-17 et 511-18 Code pénal). Par ailleurs linfraction de clonage thérapeutique est un délit (puni dun maximum de 7 ans demprisonnement et 100 000 € damende), alors que linfraction de clonage reproductif est un crime (puni, tout comme le crime deugénisme, dun maximum de 30 ans de réclusion criminelle et de 7 500 000damende).

Cette différence de traitement est toutefois elle aussi critiquée dans la mesure dun point de vue anthropologique, toujours selon la distinction kantienne, le clonage thérapeutique déclasse la perception de la vie humaine au rang de médicament (à ne pas confondre avec le « bébé-médicament » qui consiste, pour un couple ayant un enfant malade et désirant avoir un deuxième enfant, à saisir lopportunité que peut offrir la compatibilité génétique des cellules du petit frère pour sauver laîné, par le prélèvement de cellules sur le cordon ombilical, le don de sang ou encore de moelle épinière, ce qui nentrave nullement laccès sain à la vie de cet enfant), donc de moyen, ce qui peut apparaître au moins aussi grave que le clonage reproductif (argument anthropologique proposé par Mme Marie-Angèle Hermitte, Directeur détude à lEHESS [réfnécessaire]). Toutefois, dautres auteurs justifient cette différence par le caractère dutilité publique, dintérêt général (pour les personnes nées atteintes aujourdhui et demain dune maladie incurable), que peut revêtir la motivation de procéder à de telles recherches, contre le clonage reproductif motivé par le seul intérêt égoïste des couples davoir un enfant (Mikaël Benillouche, Maître de conférence à la faculté de droit de luniversité de Picardie [réfnécessaire]).

Les crimes contre lespèce humaine peuvent être considérés comme le deuxième ensemble dinfractions les plus graves du système juridique français, après les crimes contre l'humanité, apparaissant en deuxième position (après les crimes précités) dans lénonciation des infractions dans le Code pénal; laction publique se prescrivant, par exception au droit commun (10 ans pour les crimes), par un délai de 30 ans (ce délai ne commençant par ailleurs à courir quà la majorité de lenfant qui serait du clonage), laction publique relative aux crimes contre lhumanité étant, quant à elle, imprescriptible.

Notes et références

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • R. Andorno, “The Oviedo Convention: A European Legal Framework at the Intersection of Human Rights and Health Law", Journal of International Biotechnology Law, 2005, n° 2, p. 133-143.[1]
  • P. Fraisseix, "La protection de la dignité de la personne et de l'espèce humaines dans le domaine de la biomédecine: l'exemple de la Convention d'Oviedo", Revue internationale de droit comparé, vol. 52, I (2000), n° 2, p. 371-413.[2]

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Protection juridique de l'espèce humaine de Wikipédia en français (auteurs)

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