Pierre de touche

Pierre de touche

Touchau

Le touchau est un type d'épreuve destinée à tester les métaux précieux en orfèvrerie ou monnayage.

Histoire

Lantiquité ne connaît guère que la méthode dite des densités et procède par comparaison entre le poids spécifique de lobjet et son volume, mesuré dans leau. Vitruve explique comment elle permit à Archimède de confondre un orfèvre malhonnête.

Lopérateur immerge lobjet dor ou dargent dans un récipient rempli à ras bord. Une fois leau excédentaire écoulée, il retire lobjet et remplit à nouveau le récipient, en mesurant le plus exactement possible la quantité deau rajoutée. Il connaît ainsi le volume de lobjet. Reste à le peser précisément, afin de pouvoir évaluer son titre par proportionnalité avec celui dun échantillon du même métal aux caractéristiques connues et répertoriées.

Pline l'Ancien se référant au touchau dans son Histoire naturelle, cette technique est attestée dès le Ier siècle. En fait, nous savons qu'elle est déjà pratiquée au IIe siècle av. J.-C.. Elle va rester en vigueur pendant plus de deux mille ans, un projet de réforme de l'orfèvrerie austro-hongroise se référant encore explicitement au touchau et à la coupelle en 1860, sans pour autant ignorer la nouvelle méthode de la voie humide, découverte par Gay-Lussac en 1829.

Le touchau fut certainement le procédé de contrôle le plus employé jusqu'au XIXe siècle. À Venise il est pratiqué de façon systématique sur tous les objets pesant moins de deux onces (une once = 29.812 g) mais surtout sur les bijoux, parce qu'il s'agit d'un contrôle non-destructif qui est particulièrement utile lorsqu'il est difficile, ou impossible, de soustraire un échantillon de métal à l'ouvrage.

Aspects juridiques et techniques

Lencadrement juridique de lessai est fort précoce. Le premier statut des orfèvres de Vicence porte en mention marginale la relation d'une affaire de 1437, à l'occasion de laquelle divers vendeurs à la sauvette (« mercatores, stazonerii, rivendiculi ») s'étaient fait prendre en flagrant délit de vente d'objets frauduleux, c'est-à-dire provenant de l'étranger ou fabriqués à un titre inférieur à celui qui était en vigueur sur place. Ils furent conduits devant le Podestat (le représentant du gouvernement de Venise, Vicence sétant donnée à la Dominante au printemps 1404), qui ordonna un essai au touchau (« cum parangono et tocha ») pour les objets, et un autre à la coupellation (« per zineratium sive copellam ») pour les soudures.

La première méthode comporte l'emploi de trois accessoires : une pierre de touche (pietra di paragone), variété de jaspe noir dite cornéenne lydienne, inattaquable à l'acide nitrique, un touchau, instrument présentant plusieurs échantillons d'or à divers titres, fixés soit au bout de tiges articulées autour d'un pivot (aghi di confronto), soit à l'extrémité des branches d'une étoile (stella di paragone), et pour finir une dilution dacide nitrique et dacide chlorhydrique.

Lessayeur strie légèrement la surface de la pierre avec l'objet soumis à l'essai et réitère l'opération avec les échantillonnages du touchau, de façon à laisser des traces de 2 à 3 millimètres de large sur 4 à 5 millimètres de long, appelées touches (tocchi). Sur toutes ces empreintes, il verse et étale, à la plume doie, la solution d'acide nitrique qui, dûment dosée, attaque tout ce qui nest pas or. Il la laisse agir 7 à 8 secondes. En comparant, sur la pierre, des réactions qui varient selon le titre des échantillons utilisés, il ne reste plus qu'à évaluer la pureté de l'or contenu dans l'objet à tester. Si la trace demeure dun jaune brillant, lalliage est au bon titre; si la coloration passe au rouge-brun, si du métal disparaît en essuyant la pierre, lalliage est en délicatesse avec laloi. Pour l'argent, le procédé est le même ; il faut alors utiliser un échantillonnage d'argent à divers titres et « mouiller les empreintes » d'abord avec une solution de sulfate d'argent, puis avec de l'acide chromique.

Ce procédé demeure tout à fait approximatif, car il ne repose en fait que sur la similitude, appréciée visuellement, des effets d'une même expérience effectuée conjointement sur un "échantillon réel" et sur des "échantillons type" aux titres bien répertoriés. Comprenons quil y faut une grande expérience et un coup dœil infaillible. Or le touchau a été souvent décrit comme une méthode autorisant, si elle était bien conduite, une précision de lordre de quelques millièmes. Qu'en est-il exactement ?

Sur le touchau en étoile pris comme exemple, les titres référencés sont au nombre de cinq, allant de 8 à 18 carats, donc de 333,33/1000(es) à 750/1000(es). Pour estimer tout titre intermédiaire, il appartenait à lessayeur dapprécier visuellement la réaction, et dengager sa responsabilité en délivrant son verdict. Tout permet de supposer que grâce à un tel instrument, il était aisé didentifier un titre médian, voire, jolie performance, dapprécier une décimale ; au-delà, au gré du talent de lessayeur, il pouvait sagir dune intime conviction oudun simple pari. Les textes, nous le verrons, paraissent aller dans ce sens.

Au demeurant, Louis-Nicolas Vauquelin qui, à la fin du XVIIIe siècle, est essayeur du bureau de garantie de la Seine et qui deviendra un jour membre de lInstitut impérial de France, confirme amplement le caractère aléatoire de lépreuve :

« Lexpérience ayant démontré que ce genre dessai ne pouvait donner que des preuves incertaines et équivoques du titre de lor au dessus du terme de 750/1000 dor fin, la loi a ordonné que tous les ouvrages qui ne peuvent être essayés quà la pierre de touche soient marqués du poinçon du troisième titre, qui exprime 750/1000 de fin. »

En ce qui nous concerne le problème est précisément quà Venise les titres autorisés, à une exception près, sont supérieurs à 750/1000. Pourquoi, dès lors, prétendre quune précision de lordre de quelques millièmes était possible ? Certes, sur lor à 18 carats, Vauquelin se dit capable de parvenir à une précision de 15 à 20/1000, mais il sagit dun spécialiste confirmé, qui, fréquemment, emploie le mot « artiste » pour désigner les essayeurs dans son traité. Manifestement, cela nempêche pas beaucoup dentre eux de manquer de connaissances, dignorer les pratiques les plus élémentaires, voire de manquer des outils indispensables :

« Lopération du touchau est celle qui exige le plus dhabitude de comparaison pour saisir le titre, et dordre dans la conservation du rapport qui doit exister entre les touches et les objets touchés. En effet, si lessayeur ne conservait pas avec le plus grand soin le même arrangement entre les pièces touchées que celui qui existe entre les touches quil a faites sur sa pierre, il courrait le risque de briser de bonnes pièces et den passer de mauvaises ; inconvénient de la plus haute importance. »

Cest que les conditions physiques de lexpérience varient sensiblement dune série dépreuves à la suivante ; entre autres la solution acide, préparée par lessayeur en personne, nest jamais rigoureusement la même. Si, au surplus, celui-ci œuvre dans la confusion, la fiabilité de lessai s'en trouve fortement compromise. Durant la série dépreuves, il lui est donc recommandé de partager soigneusement sa pierre en zones bien répertoriées à laide de lignes de démarcations ; mais peut-être préfère-t-il tout simplement la nettoyer à l'aide d'un tampon de cuir, trempé dans une huile chargée de poudre de pierre ponce. Il faut enfin considérer, en amont, la façon bien à eux dont les Vénitiens identifient les alliages. Sil existe effectivement un carat de titre (graduation qualitative allant de 0 à 24, définie par les Arabes avant lan 1000 et encore en usage aujourdhui), il existe également un carat de poids, dont les Vénitiens sont les promoteurs, sinon les inventeurs. Or les titres sont calculés en établissant le rapport entre un carat de 0,207 g et un marc de 238,499 g. Ce rapport porte le nom de peggio littéralement : -le pire-

« ...c'est pourquoi, pour les pièces importantes, demeure en vigueur le « peggio » de 206 carats par marc, afin de pouvoir les exécuter avec la même finesse qu'à l'étranger. »

L'emploi de ces chiffres à trois décimales implique une capacité à assurer une précision de lordre du millième. Ils expliquent quon ait pu imaginer quil était possible de couramment identifier un tel titre.

La réalité des opérations nous paraît avoir été relativement éloignée de cet idéal. A partir de métaux raffinés, il était, certes, assez aisé de créer un objet à lalliage souhaité, en totale conformité avec la loi ; cétait une simple question de proportions et de précision dans la pesée, le creuset soccupant du reste. Quant à identifier le titre 206 dans un ouvrage donné, ce devait être une tout autre histoire

À Venise les contrôles ne sont pas gratuits. En 1757 l'orfèvre verse 4 sous à la Zecca pour chaque once d'or soumise au touchau et 5 sous sur l'argent pour chaque marc contrôlé. Ce n'est pas très onéreux. Cela équivaut à payer 4 sous sur les 3312 que coûte une once d'or à l'alliage 108, ou sur les 2820 sous d'une once à l'alliage 270 ; au total 0,12% du prix du métal dans le premier cas et 0,14% dans le second. Pour l'argent à l'alliage 128, le plus commun, le coût de l'opération se monte à 0,29% (5 sous sur 1728, prix d'un marc). Un artisan cherchant à se soustraire aux contrôles gouvernementaux ne pouvait en aucun cas se justifier en arguant de leurs coûts prohibitifs

Voir aussi

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