- Pierre Noire
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Lapis Niger
Le Lapis niger (pierre noire, en latin) est une stèle en tuf trouvée à Rome, au forum romain, en janvier 1899[1], devant le Comitium. Elle porte des lettres archaïques gravées qui en font une des plus anciennes inscriptions latines, datable des environs du -Ve siècle (selon les auteurs, du deuxième quart du -VIe siècle[1], ou d'environ -510[2], ou bien « non postérieure au -Ve siècle »[3], ou encore du début du -IVe siècle[4]).
Sommaire
Historique
Cette pierre fait partie d'un sanctuaire du même nom, situé entre le forum et le Comitium. Les vestiges de ce sanctuaire, perdus par suite du développement des constructions sous l'Empire romain et au chaos dû à sa chute, ont été remis au jour au tout début du XXe siècle par l'archéologue italien Giacomo Boni. Ils sont accessibles par un escalier creusé dans le sol, aménagé juste devant la Curie.
L'inscription fait allusion à un roi (rex), et peut donc évoquer des événements datant la Royauté, ou peut-être s'agit-il d'un Rex sacrorum, haute autorité religieuse du début de la République romaine. À un moment donné, les Romains ont oublié la signification originale de l'édifice, ce qui les a conduits à plusieurs légendes contradictoires que l'on rapportait à propos du sanctuaire : certains croyaient que le Lapis Niger marquait la tombe de Romulus, premier roi de Rome ; d'autres en faisaient la tombe d'Hostus Hostilius, père du roi Tullus Hostilius ; d'autres enfin y voyaient l'endroit où Faustulus, qui avait recueilli Romulus, était tombé devant l'ennemi.
Description
Le Lapis niger a connu deux consécrations successives : il y eut d'abord un sanctuaire de style traditionnel, qui fut rasé et enterré sous des dalles de marbre noir au cours du -Ier siècle, livrant ainsi le site à sa seconde consécration.
Le sanctuaire d'origine
À l'origine, ce lieu sacré était composé d'une stèle de tuf (la pierre éponyme, lettre D sur le plan) comportant une inscription difficilement déchiffrable en latin archaïque qui menaçait des plus graves malédictions quiconque oserait en troubler le lieu, d'une base de colonne (lettre C) et d'un autel (lettre A), dont il ne subsiste que la base attenante à une structure non identifiée (lettre E). Devant l'autel sont encore deux bases de pierre : l'antiquaire Verrius Flaccus, contemporain d'Auguste, dont les travaux sont conservés dans l'épitomè de Sextus Pompeius Festus, a décrit la statue d'un lion au repos placé sur chacune des bases, « tout comme ceux qu'on peut voir aujourd'hui gardant des tombeaux ».
Les fouilles archéologiques ont révélé divers éléments dédicatoires de fragments de vases, de statues et de figures de sacrifices d'animaux, trouvés autour d'une couche de gravier délibérément disposée à cet endroit. Tous ces objets datent de la Rome très ancienne, entre le -VIIe et le -Ve siècle.
Le second sanctuaire
La seconde version du sanctuaire, mise en place lorsque la première a été démolie, au cours du -Ier siècle, pour faire place à la poursuite de la construction du forum, est beaucoup plus simple : un revêtement de marbre noir a été posé sur le site d'origine et a été entouré d'un muret de couleur blanche. Le nouveau sanctuaire se trouvait juste à côté des Rostres, la tribune des orateurs du Sénat.
L'inscription
L'inscription, répartie sur les quatre faces et une des arêtes chanfreinée de la stèle[5], présente, de tous les lettrages latins connus, le plus proche des lettres grecques , plus proche encore de l'alphabet grec original que celui emprunté par les peuples de colonies grecques de l'Italie, telles que Cumes.
L'inscription est écrite en boustrophédon : elle est écrite en alternance de droite à gauche, puis de gauche à droite, comme le sont beaucoup des plus anciennes inscriptions latines. La ligne rem hai ou rem hab présente même la particularité d'avoir ses caractères inversés de haut en bas, ce qui est une variante connue par ailleurs du boustrophédon (« boustrophédon inverse »), qui consiste à retourner le support après chaque ligne pour écrire la suivante.
Éléments de déchiffrement de l'inscription du Lapis niger
Lapis niger éléments de latin classique interprétation quoi hoi (ou hon[1])...
...sakros es
ed sorm (ou sord[1],[6]) ...... ia . ias (ou oka fhas[1])
regei ic... (ou io[1], ou lo...[6])
...evam
quos ri... (ou re...[1],[6])...m kalato-
rem hai (ou hab[1])...
...o iod (ou tod[1]) iouxmen-
ta kapia dotav (ou kapiad otav[1])...m ite ria... (ou rit...[6], ou iter p...[1])
...m (ou ...n[1]) quoi ha-
velod nequ...
...odiovestod... (ou iod iovestod[1])
QUI HVNC [locum violaverit]
SACER ESTO (SIT)
......
REGI
...
...CALATOREM
...
IVMENTA
CAPIAT
IVSTO
Qui violera ce lieu
sera maudit
......
au roi
...
...le héraut
...
le bétail
prenne
juste
L'inscription a une importance fondamentale pour l'étude de l'évolution de la langue latine : les philologues (parmi eux Luigi Ceci, qui a amplement commenté cette découverte) ont catalogué l'inscription du Lapis niger comme CIL I, 1, c'est-à-dire en tête du Corpus Inscriptionum Latinarum, qui est le répertoire monumental de toutes les inscriptions latines de l'époque romaine, classées chronologiquement par lieu de leur découverte.
Interprétation
On admet généralement, à la lecture des premières lignes, qu'il s'agit de l'habituelle malédiction adressée à quiconque violera le sanctuaire ; on reconnaît aussi, sans trop de difficulté, quelques mots latins : rex ("roi"), calator ("héraut"), iumentum ("bête de somme"), capiat ("prenne"). Mais il n'est pas possible de donner un sens certain à une inscription aussi fragmentaire.
Georges Dumézil émit en 1951 une hypothèse que Pierre Grimal qualifie de « brillante » : il s'agirait d'un ordre absolu de dételer les animaux de trait devant le Comitium, lieu sacré. Le rejet d'excréments par les animaux attelés était en effet considéré comme un présage funeste : selon Georges Dumézil, havelod pourrait désigner les excréments (aluus en latin classique)[7].
Sources
- ↑ a , b , c , d , e , f , g , h , i , j , k , l , m et n Coarelli, Guide archéologique de Rome, p. 45-47
- ↑ Bibliotheca Augustana
- ↑ Christian Hülsen, The Roman Forum, Its History and Its Monuments, 1906
- ↑ Alfred Ernout, Textes archaïques... p.5 , cité par Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, p. 98.
- ↑ Photos des quatre faces du Lapis niger, Bibliotheca Augustana, Université d'Augsbourg
- ↑ a , b , c , d et e Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, p. 98.
- ↑ Georges Dumézil, cité par Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, p. 99-100.
- Cet article contient des éléments traduits des articles de Wikipédia en anglais et en italien sur le Lapis niger, largement issus des notes de Christian Hülsen, dans The Roman Forum — Its History and Its Monuments, Ermanno Loescher, 1906, citées par Lacus Curtius.
Voir aussi
Bibliographie
- Pierre Grimal, À la recherche de l'Italie antique, Hachette, 1961, pp. 94-100.
- Filippo Coarelli, Guide archéologique de Rome, Hachette, 1998 (ISBN 2012354289), p. 45-47
Liens externes
- Lapis Niger, Bibliotheca Augustana, Université d'Augsbourg
- (en) Forum romain : Rostres, Curie, base des Decennalia et Lapis Niger
- LacusCurtius : Lapis Niger et tombeau de Romulus (Christian Hülsen, The Roman Forum — Its History and Its Monuments, Ermanno Loescher, 1906)
- Digital Roman Forum: Lapis Niger, restitution 3D de la seconde version du Lapis Niger
- The Roman Law Library, Recueil des sources du droit romain par Yves Lassard, de l'Université Grenoble-II, et Alexandr Koptev : Lapis niger
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