Pierre-Marie Perier de la Bizardière

Pierre-Marie Perier de la Bizardière

Pierre-Marie Perier de la Bizardière (né à Laval - 10 septembre 1747), navigateur français. Il effectue au XVIIIe siècle un voyage aux Antilles.

Sommaire

Origine

Fils d'une ancienne famille lavalloise, il a l'intention de passer aux Isles pour y faire fortune dans le commerce. Ses parents s'adressèrent à Nantes à M. Duchemin-Favardière, Lavallois lui-même, pour obtenir les renseignements utiles. Dans sa réponse celui-ci indique en détail les conditions dans lesquelles une entreprise pareille pouvait s'exécuter avec fruit[1],[2].

Le 24 janvier 1746, le père du jeune voyageur recevait de Paris une lettre d'un ami et concitoyen, nommé Anceny des Touches, établi à Saint-Domingue, qui lui donnait sur la vie aux colonies de nouveaux renseignements[3]. Les renseignements qui venaient à la famille, de tous côtés, sur les dangers de l'entreprise, n'étaient pas encourageants. Une parente, la dame Hubaudière du Tertre, de Vitré, écrivait elle aussi sur le sujet[4].

Le départ

Le jeune Pierre-Marie Perier ne partit pour Nantes qu'en 1747 et il n'y arriva, dans les premiers jours de janvier, qu'avec de grandes difficultés, les chemins étant en mauvais état et les eaux débordées, et après avoir été rançonné par les maîtres de poste, qui prétendaient que la messagerie seule avait droit de porter des malles.

Pierre-Marie Perier et le jeune du Boulay, son compagnon de voyage, étaient revenus à Laval après leur arrivée à Nantes dans les premiers jours de janvier. M. Duchemin-Favardière, de Nantes, écrit le 27 janvier qu'ils peuvent venir vers le 6 février ; que le convoi partira dès que la frégate du Roi sera arrivée ; que M. Pinard, armateur, avait bien voulu se relâcher de 50 livres sur le prix de la pension. Le 28 janvier, le jeune voyageur, agissant sous l'autorité de Pierre-Charles Perier, sieur de la Courteille, son oncle et son curateur, lui donne une procuration générale pour le temps de son absence. Il était arrivé à Nantes dans les premiers jours de février 1746 et était reçu favorablement par M. Pinard, l'armateur, qui promettait de le recommander chaleureusement. A la fin d'une lettre qu'il écrit à la famille Perier, le 12 février, M. Pinard rend ainsi compte d'une avarie considérable subie par sa flottille[5].

Pierre-Marie Perier, qui avait peut-être eu quelques torts à se reprocher, ne semble pas avoir été bien vu dans sa famille. A peine ose-t-il écrire à ses parents. Son frère, à qui il demande des nouvelles des siens par toutes les postes, ne lui répond même pas. Toutefois, le 3 mars, sur le point de quitter la terre de France, il se hasarde à écrire respectueusement à son oncle, chanoine de Saint Tugal de Laval, pour se recommander à ses bontés et à ses charitables prières. M. Duchemin-Favardière, à qui le jeune émigrant avait fait une impression favorable, paraissant « déterminé à s'avancer, » lui avait donné quatre lettres de recommandations et lui en avait procuré trois autres pour M. Rodrigues, procureur spécial de l'habitation. Il l'avait spécialement adressé à M. Leroux, qui, en effet, le reçut chez lui.

Le voyage à Saint-Domingue

Le 23 avril la flotte était encore à la Rochelle, mais devait partir le lendemain, lundi. Les pronostics n'étaient pas favorables[6] Il se loue grandement du P. Courcier, cordelier, qu'il avait rencontré à la Rochelle et qui lui avait procuré quelque avance d'argent. Le 30 août 1746, Pierre Perier put enfin écrire, de Saint-Domingue, à sa famille[7]. Le jeune homme ajoute dans une lettre à l'un de ses oncles que le commandant de la flotte se nommait de Conflant, que dans le combat il fut démâté de son mât d'artimon. « C'est un homme digne de convoyer une flotte, dit-il. Un des vaisseaux françois qui alloit à son secours tira sur lui une bordée, le prenant pour un Anglois. »

La vie à Saint-Domingue

M. Barbeu du Boulay fut obligé de repasser en France, ne pouvant se faire à un pays où il n'avait cessé d'être malade depuis son arrivée. Du reste, le plus grand nombre des émigrants éprouvait les mêmes difficultés et souvent des accidents plus graves[8] La lettre écrite, dans le même temps, par le jeune homme à son oncle le chanoine, contient l'expression des mêmes sentiments et des mêmes désirs. Un duplicata de la lettre à son père avait été confié à la flotte commandée par M. Dubois de la Motte, qui se composait de deux cents vaisseaux marchands escortés de quatre navires du roi.

Le père vint à mourir au cours de l'année 1747. Le chanoine de Saint-Thugal parvint à procurer à son neveu, par l'entremise de M. Duchemin, de Nantes, une pacotille trop modique de 300 livres, qui fut confiée au navire le Guillaume, capitaine Hyacinthe Normand. Mais elle arriva trop tard, le destinataire était mort au Cap, le 10 septembre 1747, laissant quelques dettes. M. Barbeu du Boulay, qui retournait à Saint-Domingue, s'occupa de la liquidation de la pacotille et des dettes. L'un des frères du défunt avait dessein de partir, lui aussi ; mais M. Duchemin conseille d'attendre la paix, ou une flotte bien escortée, car tous les navires partis seuls depuis deux mois avaient été pris. Il recommande encore de ne pas se risquer sans une bonne pacotille.

Notes et références

  1. Il fallait pour les frais de passage à la table du capitaine et des officiers, 300 livres. Un matelas et une couverture, 18 livres. Un coffre pour les hardes, 10 livres. Argent de poche, pour vivre à Nantes et à l'île d'Aix, 150 livres. Vestes, culottes, bonnets de toile ou bazin, beaucoup de chemises et tours de col. Vêtements de laine, le passage se faisant en hiver. Un habit d'été suffit, parce qu'on est presque toujours en veste. Avec 1000 livres on peut faire 3000 livres de vente. La pacotille doit comprendre : Des souliers et surtout des escarpins bien faits. Des toiles blanches en grandes pièces de 80 à 100 aunes, de 24 à 25 sols l'aune. Quelques pièces de toile grise en moindre quantité, de 22 à 23 sols l'aune. Des chemises garnies, bien travaillées, avec de belle batiste. Voilà les bons articles en tous temps.
  2. M. Duchemin ajoute les conseils suivants : « L'occupation de M. de la Bizardière, fils, en arrivant aux Isles, sera de chercher une pension médiocre, et de chercher à vendre sa pacotille et à se placer le plus tost qu'il pourra chez quelque négociant, quand même il n'y gagneroit que sa nourriture, car les pensions sont de 1200 livres au moins. S'il estoit un peu entendu, il pourroit acheter en gros et revendre en détail et peu à peu se faire connoistre et grossir son commerce. Il ne peut passer aux Isles sans pacotille, attendu qu'il luy faut de quoy vivre en arrivant et se faire soigner en cas de maladie. Je ne sais quand le convoi partira, ce ne sera, suivant les apparences, que vers le mois de février » (1746).
  3. « Vous choisissez, lui dit-il, un temps très critique par rapport à la guerre qui rend la vie dure dans cet endroit, étonnamment et de toutes manières, tant par la cherté des vivres que pour le service du roy que les habitants sont obligés de faire pour la sûreté du pays, pour ne pas se laisser surprendre par quelques descentes des ennemis, qui croisent de toutes parts nos mers et nos costes de St-Domingue, et la mer est couverte de vaisseaux britanniques en ce pays, ce qui oblige les habitans à estre jour et nuit sous les armes, ayant voulu éprouver de faire plusieurs descentes en différents endroits de l'isle, où ils ont toujours esté repoussés, Dieu merci ; sans quoy il nous seroit arrivé la mesme chose qu'au Cap-Breton, qu'ils ont pris faute de précautions. « La qualité de bon concitoyen m'ouvre toujours les moyens d'avoir le plaisir de vous offrir mes services pour M. vostre fils, dans les quartiers où je suis étably à St-Domingue … Mais trouvez bon, Monsieur, que je vous fasse observer que, lorsque nous prenons le party d'éloigner nos enfans de nous pour les envoyer en pays étranger, pour y faire fortune, il faut leur connoistre du talent convenable pour le pays où on les destine ; autrement il est bien difficile qu'ils fassent quelque chose de bien satisfaisant pour un père qui aime tendrement ses enfants. « Premièrement, il faut qu'ils sachent écrire très proprement, et tenir les livres de commerce en partie double, et les changes étrangers. Avec cela, il faut une pacotille pour l'ayder à subvenir à ses besoins au cas de maladie, car on en éprouve de grandes dans les commencements qu'on arrive sous les pluyes (?). Il y a un tribut à payer qu'on nepeut guère éviter, où les deux tiers y succombent souvent. Il est bien difficile de commencer et pouvoir faire un peu de commerce avec rien, et avec un peu d'aide on établit sa petite fortune, qui s'augmente tous les jours quand on a du talent. « D'autres ont le talent du barreau pour se faire avocat ou procureur. C'est encore un état, quand on est habile et savant, à faire fortune, une fois qu'on s'est fait connoistre, par quelques bons ouvrages qu'on a suivy. Plusieurs ont le talent des mécaniques ou des arts, ce qui est encore fort propre au pays, et quand on sçait un peu de toutes ces choses on fait souvent sa fortune avec fort peu de choses, moyennant cependant un petit commencement. Sans cela, qui va aux Indes avec rien court risque de s'en revenir de mesme ou d'y crever de misère et de chagrin de ne pouvoir réussir… »
  4. « Une demoiselle (qui fait souvent des envois de bas de Vitré pour les colonies) m'a dit qu'elle se surprenoit que vous voulussiez risquer d'envoyer un jeune homme dans un temps aussi fâcheux que celui-cy, où les plus expérimentés perdent une bonne partie de ce qu'ils ont gagné et d'autres sont pris, qui perdent tout à la fois. Mon neveu a été à l'Amérique d'où il est revenu gueux. Son voyage m'a bien coûté cent pistoles. Il m'a dit que les toiles, les bas, les fichus de bas prix, et des toiles de coton à carreaux en pièces dont ils font, là, des chemises, des couteaux, étoient de bonnes pacotilles. Si vous vous déterminez de l'envoyer, malgré les dangers, et que vous veuilliez des bas, vous aurez la bonté de le marquer de bonne heure, afin que l'on puisse mieux faire. Si vous n'avez aucune connoissance dans ces pays-là à qui recommander votre fils, il sera à plaindre ; mon neveu y avoit un cousin à Leoganne, qui l'avoit demandé, il passa avec un monsieur et une dame d'icy qui y avoient passé plusieurs années, et, malgré tout cela, il n'a rien fait. Ce cousin, qui étoit un monsieur Seré, y a, à la fin, tout perdu et a été pris en s'en revenant et est mort en Grande-Bretagne. Ainsi faites bien vos réflexions. »
  5. « J'avais commencé la présente lorsqu'on vint me dire le malheur arrivé à tous les navires par un coup de vent très violent. Je fus obligé de cesser ma lettre pour aller voir à y remédier. Je réparerai ce mal en peu, et je serai prêt pour le convoy. Quoique des moins maltraités, cette avarie me coûtera un couple de mille livres. »
  6. « Je vous dirai, écrit à son oncle le jeune Perier, que le Sorbec, frégatte du roi qui étoit commandée pour nous convoyer et étoit venue mouiller à l'Ile de Rhé, à trois lieues de la Rochelle, a été prise par un corsaire anglois de vingt-quatre pièces de canons. Il faut espérer que le voyage sera plus heureux. L'on dit icy qu'il y a beaucoup de vaisseaux anglois à nous attendre, mais, Dieu mercy, nous sommes bien escortés. Je vous prie, mon cher oncle, de vouloir bien engager quelque négociant de Laval à m'envoyer quelque marchandise dans la suite par le premier convoi. Je leur en tiendrai compte le mieux qu'il me sera possible. Je vous donnerai de mes nouvelles aussitôt que je serai arrivé à Saint-Domingue. Je suis dans un bon chemin et j'ai bonne envie de travailler et de satisfaire toute la famille. »
  7. Voici sa lettre à son père : « Monsieur et très cher père, « Puisque je ne puis recevoir de plus grande consolation que d'apprendre de vos chères nouvelles, permettez moy donc de profiter de toutes les occasions qui peuvent se rencontrer pour vous prier de vouloir bien m'en accorder, et continuer vos bontés pour un fils qui ne cherche qu'à vous satisfaire, et à travailler pour vous procurer quelque consolation et se mettre en état de pouvoir vous rejoindre et faire honneur à sa famille. Je n'épargnerai rien pour ce sujet ; j'entreprends tout ce qui peut m'avancer, et j'espère qu'avec le secours de Dieu il ne me sera pas difficile. Mais l'on a beaucoup de peine quand l'on n'a pas de marchandises de France. J'ai écrit à M. Ducoudray sur ce sujet. Je pense, mon très cher père, que vous voudrez bien m'en envoyer. Toutes les toiles se vendent bien icy. Je vous envoyé un petit mémoire des marchandises qui se vendent bien ici. « Je suis placé chez un habitant nommé M. Leroux. « J'espère prendre un magasin en peu, mais il faut des marchandises de France. Si quelques messieurs veulent m'en envoyer, j'aurois l'honneur de leur remettre tout aussitôt. « Mon jeune frère m'avoit paru avoir envie, quand j'ai parti, de venir à Saint-Domingue. Je ne lui conseille pas de partir sitôt et de bien s'informer ce que c’est que le pays. Car je pense qu'il s'imagine qu'il ne s'agit que de venir dans le pays pour faire sa fortune. Il se trompe beaucoup. Je pouvois bien penser de même que luy quand j'ay party, mais j'ay bien veu par la suitte qu'il falloit travailler et être sage pour vivre dans le pays. Il ne faut faire aucune débauche et ne se donner à aucun plaisir. Cela ne doit cependant pas l'empêcher de persister dans ses sentiments ; mais il faut qu'il attende quelque temps que la paix soit faite et que je sois un peu avancé pour luy procurer un asile favorable. Car l'on est bien à plaindre lorsqu'on y va sans connoissance. Pour ce qui est de moy, je ferai tout mon possible pour l'avancer, mais il faut qu'il s'applique à bien écrire et à l'arithmétique pendant un couple d'années. « Je vous diray, mon très cher père, que notre voyage a été plus long que nous l'espérions. Nous n'avons eu que les cinq premiers jours de mauvais temps, où il a péri tant que relâché plusieurs vaisseaux. Nous avons été à la Martinique convoyer les vaisseaux qui y étoient destinés, et puis nous avons continué notre route, où nous avons appris par un corsaire espagnol qu'il y avoit devant le Cap vingt vaisseaux de guerre anglois et trente-cinq corsaires qui étoient à nous espérer. Nous avons été obligés de relâcher à Saint-Louis, où nous avons appris qu'ils étoient retirés, ce qui a fait que nous avons achevé notre route. Mais lorsque nous avons été près d'arriver au Cap, nous avons trouvé six vaisseaux de guerre anglois. Notre commandant les ayant aperçu il est allé dessus, seul, et s'est battu contre cinq qu'il a forcé de prendre la fuite. Nos trois autres vaisseaux de guerre sont allés pour le secourir. L'on prétend que s'il n'avoit pas fait nuit, ils auroient pris les vaisseaux de guerre anglois. Ils nous ont cependant pris trois vaisseaux marchands qui s'étoient écartés de notre flotte. « Je vous prie, mon très cher père, en finissant, de m’accorder votre sainte bénédiction et d'être persuadé que je suis et seray toujours avec tout le respect et la soumission possible, « Monsieur et très cher père, « Votre très humble et obéissant serviteur et fils, « P. Perier-Bizardière. « P.S. Permettez-moy, s'il vous plaît, mon très cher père, de présenter mes respects à mes oncles et tante. J'embrasse mes frères et sœurs. »
  8. Perier dans une lettre qu'il adresse à sa famille par l'occasion du retour de son compagnon : « de plus de quatre cents passagers que nous étions, il en est mort plus de deux cents. Le fils de madame Lasnier de la Lintudrière, qui était chirurgien, est mort au Cap. « Je n'ai reçu, ajoute-t-il, qu'une lettre de France depuis que je suis ici, qui est de mon cher oncle Bizardière, qui m'apprend que vous êtes en bonne santé, ce qui m'a fait un grand plaisir. J'adresse tous les jours mes voeux au ciel pour prier Dieu qu'il vous y maintienne… « Je vous dirai que je suis au Cap-François, où je me trafique du mieux qu'il m'est possible. Lorsque l'on a des marchandises de France, l'on fait beaucoup pourveu que l'on soit sage et que l'on se porte bien. Si je pouvois me flatter de recevoir quelques marchandises de ce qui peut m'être resté, je ferois ma fortune bien vite. « Je vous prie, mon très cher père, de vouloir bien y donner votre consentement, si vous le jugez à propos, je suis persuadé que ma famille n'ira pas contre. C'est un fils qui veut travailler et se tirer de misère pour pouvoir un jour vous donner toute la consolation possible… « Si je ne reçois pas de marchandises par la première flotte, je serai obligé de m'en retourner en France. »

Source

  • Abbé Angot, Notes sur le commerce de Laval aux colonies, dans La Province du Maine, t. VI (1898), p. 15-24 [1]

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