Paradoxe de Condorcet

Paradoxe de Condorcet
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Page de titre de l’Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix

Le paradoxe de Condorcet dit qu'il est possible, lors d'un vote où l'on demande aux votants de classer trois propositions (A, B et C) par ordre de préférence, qu'une majorité de votants préfère A à B, qu'une autre préfère B à C et qu'une autre préfère C à A. Les décisions prises à une majorité populaire par ce mode de scrutin ne seraient donc pas cohérentes avec celles que prendrait un individu rationnel.

Le nom « paradoxe de Condorcet » vient de Nicolas de Condorcet, qui l'a énoncé en 1785 dans son ouvrage Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, le résumant à l’intransitivité possible de la majorité.

Sommaire

Exemples

Les préférences : une relation non transitive

Exemple 1 : pierre-feuille-ciseaux

Considérons un système de préférence majoritaire à 3 critères x, y, z. Des objets sont jugés sur 3 critères et l'on préfère un objet à un autre dès lors que 2 critères sont meilleurs.

Considérons les 3 objets suivants dans un système de préférence croissant (la plus haute note est la meilleure) :

A (x=1, y=3, z=2)
B (x=2, y=1, z=3)
C (x=3, y=2, z=1)

Finalement :

  • B est préféré à A car meilleur sur les critères x et z (B > A).
  • C est préféré à B car meilleur sur les critères x et y (C > B).
  • Mais A est préféré à C car meilleur sur les critères y et z (A > C).

B est donc préféré à A qui est lui-même préféré à C qui est lui-même préféré à B : B > A > C mais C > B

La non-transitivité de la relation de préférence entraîne le paradoxe de Condorcet, mais ne devrait pas être considérée en elle-même comme paradoxale. Elle n'est en effet pas plus paradoxale que le jeu Pierre-feuille-ciseaux

la feuille l'emporte sur la pierre,
la pierre l'emporte sur les ciseaux,
les ciseaux l'emportent sur la feuille,

Ce qui peut se noter F>P, P>C, mais C>F.

L'usage du symbole > pour exprimer certaines relations non-transitives contribue à la confusion.

Exemple 2 : le vote

Considérons par exemple une assemblée de 60 votants ayant le choix entre trois propositions A, B et C. Les préférences se répartissent ainsi (en notant A > B, le fait que A est préféré à B) :

23 votants préfèrent : A > B > C
17 votants préfèrent : B > C > A
2 votants préfèrent : B > A > C
10 votants préfèrent : C > A > B
8 votants préfèrent : C > B > A

Dans les comparaisons majoritaires par paires, on obtient :

33 préfèrent A > B contre 27 pour B > A
42 préfèrent B > C contre 18 pour C > B
35 préfèrent C > A contre 25 pour A > C

Ce qui conduit à la contradiction interne A > B > C > A .

Dans un cas comme celui-ci, Condorcet propose d'éliminer le vainqueur le moins performant (ici A car A l'emporte sur B avec la plus faible différence entre les scores) et de faire un duel entre B et C qui sera remporté par B. Le scrutin majoritaire à un tour aurait donné A gagnant. Mais d'autres solutions sont possibles (voir Méthode Condorcet, Résolution des conflits).

L'élection présidentielle française de 1974 est parfois citée comme exemple du paradoxe de Condorcet :[citation nécessaire] François Mitterrand, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chaban-Delmas avaient obtenu respectivement au premier tour 43,2 %, 32,6 % et 15,1 % des suffrages. Au second tour, c'est Giscard d'Estaing, pourtant arrivé en deuxième position lors du premier tour, qui est élu avec 50,81 % des voix. Il faut néanmoins préciser que, plus que l'illustration d'un paradoxe, cette situation illustre la logique du scrutin uninominal majoritaire à deux tours qui favorise les systèmes d'alliances entre partis et l'appel au report des voix, la logique étant la poursuite d'une majorité absolue et non la prise en compte d'une majorité relative comme dans le système anglo-saxon du scrutin majoritaire à un tour.

Importance pratique du paradoxe de Condorcet

On peut se demander si l'on rencontre souvent des cas de paradoxes de Condorcet. Prenons l’exemple 1 ci-dessus :

A (x=1, y=3, z=2)
B (x=2, y=1, z=3)
C (x=3, y=2, z=1)

En remplaçant les trois critères par trois individus (X, Y et Z), les préférences sont :

  • Individu X : C > B > A
  • Individu Y : A > C > B
  • Individu Z : B > A > C

Supposons que :

  • A (ou le projet A en discussion dans un comité de trois membres) est le statu quo,
  • B un changement important
  • C un changement modéré.

L'individu X préfère un changement modéré mais ne veut pas rester au statu quo. L'individu Y préfère le statu quo mais peut se contenter d'un changement modéré. L'individu Z veut un changement important ou alors il préfère rester au statu quo. Dans ce cas, un comité de 3 membres est confronté au paradoxe de Condorcet.

Si X propose d'opposer tout d'abord les objets A et B et ensuite le gagnant (B: grâce aux voix de X et Z) à l’objet restant (C), il obtient le résultat qu’il préfère (l’objet C est choisi).

Si Y propose d’opposer les objets B et C et ensuite le gagnant à A, son objet préféré (A) est choisi.

Si Z propose d’opposer les objets A et C et ensuite le gagnant à B, son objet préféré (B) sera choisi par le comité.

Cette stratégie dans le choix de l’ordre d’objets à soumettre au vote est un argument en faveur de l’élection du président d’une assemblée législative à tour de rôle parmi tous les principaux groupes.

Il suffit de changer les préférences pour supprimer le paradoxe de Condorcet. Par exemple, si les préférences de Y sont A > B > C, l’objet choisi est toujours B, peu importe l’ordre des objets soumis en votation.

Supposons que toutes les préférences soient également probables et le nombre d’individus est très grand. La probabilité de rencontrer le paradoxe de Condorcet augmente avec le nombre d’objets en discussion. Elle est de 8,77 % avec trois objets (le minimum pour trouver le paradoxe) et de 48,87 % avec déjà 10 objets.

Le paradoxe de Condorcet ne peut pas se produire si les préférences sont unimodales (à un seul sommet, avec l’intensité des préférences en ordonnée). Par exemple, dans le cas ci-dessus avec les préférences A > B > C pour Y, les préférences des 3 individus ont toutes un seul sommet lorsqu’on trace le profil dans l’ordre A-B-C en abscisse. Par contre dans le cas de l’Exemple 1, il n’y a aucun ordre des objets où toutes les préférences sont à un seul sommet. Dans l’ordre A-B-C c’est Y qui a deux sommets (premier sommet avec A, on descend tout en bas avec B et on remonte à mi-hauteur pour le deuxième sommet avec C) car l’objet A a une préférence forte, B une préférence faible et C une préférence moyenne (A > C > B).

Polémiques

Contrairement à une opinion répandue (entre autres par Élisabeth et Robert Badinter dans leur biographie de Condorcet), ce paradoxe ne met en cause que la cohérence de certains systèmes de vote et non celle de la démocratie elle-même.

Il faut attendre le théorème d'impossibilité d'Arrow au XXe siècle pour la démonstration que le problème n’est pas limité au vote majoritaire mais lié aux difficultés de l’agrégation des préférences. Il n’existe aucune procédure de décision collective qui puisse satisfaire quatre conditions assez raisonnables. Certains auteurs y voient un problème inhérent à la démocratie.

Dans son essai, Condorcet expose également la méthode de Condorcet, une méthode conçue pour simuler des élections par paires de candidats. Il indique toutefois que des questions de temps pratique du dépouillement rendent la méthode qu’il envisage difficile à réaliser, en tout cas à son époque. Il eut de nombreuses discussions avec Jean-Charles de Borda, lors desquelles ils comparaient leurs méthodes respectives. Cette méthode Condorcet est utilisée de nos jours en data mining.

Nicolas de Condorcet indique qu'il n'a pas trouvé de système simple permettant de respecter ces critères[réf. nécessaire] ; or rien ne nous oblige à adopter un système simple dans les deux cas suivants :

  • Quand la population votante est de petite taille
  • Quand elle est de grande taille et que des moyens informatiques permettent de gérer cette complexité. Attention: il faudra dans ce dernier cas trouver impérativement un moyen de permettre une vérification par l'électeur que le programme informatique fait bien ce qu'on attend de lui, ce qui est du ressort de la sémantique dénotationnelle (voir Christopher Strachey) et encore expérimental pour le moment, et suppose que le code du système soit auditable (par exemple en utilisant un système sous licence logicielle libre ou open-source).

Voir aussi

Bibliographie

  • Arrow K. J, Social Choice and Individual Values, London, 1951
  • Granger G.G., La mathématique sociale du Marquis de Condorcet, Paris, 1956
  • Sen A. K., Collective Choice and Social Welfare, London, 1970

Articles connexes

Liens externes


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