- Maurice Séguin
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Maurice Séguin (7 décembre 1918 - 28 août 1984) était un historien et un professeur québécois.
Sommaire
Biographie de Maurice Séguin[1]
Maurice Séguin est né le 7 décembre 1918 à Horse Creek en Saskatchewan où ses parents - agriculteurs et québécois d'origine - étaient venus s'établir un an auparavant. Ceux-ci avaient répondu à l'appel de Sir Wilfrid Laurier invitant les Canadiens français à venir fonder une communauté au Sud de la Saskatchewan. Dès 1922, déçus de leur expérience, et voyant que Maurice, leur aîné, ne pourrait recevoir une instruction française et catholique, puisque seules les écoles anglo-protestantes y sont autorisées, ils décident de revenir au Québec où ils abandonneront l'agriculture en s'établissant dans l'Est de Montréal dans la paroisse ouvrière de Saint-Vincent-de-Paul.
Jugeant sa santé trop fragile, ses parents ne l’inscriront à l’école Champlain qu’à 8 ans. Chose assez rare pour l’époque, cette école primaire était, depuis sa fondation en 1870, sous direction laïque.
Il entreprend ses études classiques chez les Jésuites en 1934 : d'abord au collège Saint-Ignace (1934-1940)[2] puis au collège Jean-de-Brébeuf (1940-1942), où il est reçu Bachelier ès arts.
Il poursuit ensuite des études à l'École des hautes études commerciales. Cette dernière ne rencontrant pas ses attentes, il décide de se réorienter vers la Faculté des lettres de l'Université de Montréal, selon le conseil de François Hertel. En 1944, il en sort licencié ès lettres et enseigne l'histoire et la géographie au collège Sainte-Marie au cours de l'année 1944-1945 et s'intéresse beaucoup au scoutisme.
C’est à ce moment qu’il mûrit le projet de poursuivre une recherche doctorale en histoire du Canada. Il s’en ouvre à Lionel Groulx qui deviendra son directeur de thèse.
À ce moment, il n'a pas encore arrêté son sujet. Mais, bientôt, une conférence prononcée par Lionel Groulx en 1931[3] lui fournit son objet de recherche : La "nation canadienne" et l'agriculture (1760-1850). Séguin y travaillera nuit et jour pendant trois ans[4], et soutiendra sa thèse le 14 novembre 1947. Elle ne sera publiée qu'en 1970.
Lors de la création de l’Institut d’histoire de la Faculté des lettres de l'Université de Montréal, il en devient le secrétaire-trésorier et, à l’invitation de Guy Frégault, chargé de cours en 1948. Il occupe ensuite le poste de Lionel Groulx lors de son départ de l’université en 1949. Il deviendra professeur agrégé en 1950 puis professeur titulaire de la chaire Lionel-Groulx en 1959. Il insiste beaucoup sur les effets dévastateurs de la conquête britannique et les conflits subséquents survenus entre le Canada français et le Canada anglais. Il est au cœur de l'orientation néo-nationaliste de l'école historique de Montréal dont il fait partie avec Guy Frégault et Michel Brunet.
Sa carrière universitaire ne correspond pas au profil habituel. Il a peu publié, préférant se consacrer surtout à l'enseignement. Mais sa pensée connaîtra un retentissement étonnant qui s’inscrira au cœur des débats de son époque. Maurice Séguin est décédé le 28 août 1984.
Évolution de la pensée de Maurice Séguin
L'œuvre de Maurice Séguin, quoique peu abondante, demeure un modèle d'unité et de cohérence. En ce sens, et étant donné l'influence qu’il va exercer sur ses deux collègues, Guy Frégault et Michel Brunet, sa thèse de doctorat peut être considérée comme l'ouvrage médiateur qui devait être à l'origine de l'École de Montréal.
Au moment où Séguin décide de rédiger cette thèse de doctorat portant sur « La nation canadienne et l'agriculture (1760-1850) », l’historiographie québécoise se confinait, pour l’essentiel, dans l’histoire politique et nationale. L’histoire économique était un champ de recherche à peu près inexistant, mis à part l'Essai sur 'industrie au Canada sous le régime français (1927) de Joseph-Noël Fauteux, les travaux d'Errol Bouchette et d'Esdras Minville.
Séguin opte pour un tel angle de recherche parce qu’à cette époque, on véhiculait l’idée que l’histoire nationale avait été écrite et, avec Lionel Groulx qui poursuivait en quelque sorte le schéma de François-Xavier Garneau, semblait définitive. De plus, il s’intéresse depuis longtemps aux questions économiques et il cherche plus particulièrement à comprendre les causes de l’infériorité économique des Canadiens français. Il faut dire qu’il ne se satisfait pas de l’explication voulant que cette infériorité soit le résultat d'une carence de formation dans le domaine des affaires.
De plus, il ne faudrait pas perdre de vue que la croyance en la vocation essentiellement agricole des Canadiens français est toujours une représentation dominante au cours des années 1930 et 1940. Pour plusieurs, c'est parce que nos élites n'ont pas su répondre aux besoins suscités par notre vocation paysanne que les Canadiens français connaissent un problème d'infériorité économique. La décision de s’attaquer au problème de « La nation canadienne et l'agriculture », fait en sorte que Séguin a plongé au cœur d’un des plus grands lieux communs de l'époque.
Dans sa thèse, plutôt que de porter son attention, comme l’historiographie traditionnelle avait coutume de le faire, aux individus – c'est-à-dire aux politiciens, à l'accapareur de terre et aux mauvais seigneurs – Maurice Séguin, va plutôt orienter son analyse vers les phénomènes de structure. C’est pourquoi l’interprétation de l’histoire du Canada qu’il met en jeu dans sa thèse apparaît comme un déplacement général des référents habituellement utilisés par l'historiographie canadienne-française. Pour ce faire, il s’est inspiré des traités d’histoire économique les plus récents qui sont le fruit de la spécialisation croissante des sciences sociales, aux États-Unis et en Angleterre surtout, (de leur institutionnalisation universitaire) et des tendances nouvelles qui émergent de l’historiographie canadienne-anglaise, d'Harold Innis et de Donald Grant Creighton en particulier.
Des économistes qu’il a lus, Séguin en retient que les difficultés de l’agriculture au Québec ne relèvent pas, comme on le croyait à l’époque, de la pénurie de terres agricoles ou d’un manque de vision des dirigeants politiques. Elles sont liées aux conséquences même de la croissance économique qui résulte de la diversification des modes d’activités économiques qu’entraîne le passage d’une société du stade agricole à celui de société industrielle. Les revenus de la population se mettent alors à augmenter à un rythme plus rapide que le prix des denrées agricoles, entraînant un écart croissant entre le revenu des agriculteurs et celui de la population en général. L’exode rural devient une loi du marché : une résultante de la croissance économique.
Les nouvelles tendances issues de l’historiographie canadienne-anglaise des années 1930 proposaient, pour leur part, un renversement des perspectives par rapport à la tradition reçue de leurs aînés qui se confinait, à l’instar de l’historiographie canadienne-française du moment, à l’histoire politique. Plutôt que de concevoir l’émergence du Canada comme étant le résultat d’une évolution politique graduelle, qui l’a fait passer du statut de colonie à celui de nation autonome, cette nouvelle génération d’historiens fait ressortir que ce sont les réalités géographiques et économiques qui constituent les vrais fondements du Canada, la réalité politique étant à la remorque de ces déterminants.
«L’orientation Est-Ouest du fleuve et du système des Grands Lacs avait favorisé une colonisation successive du territoire basée sur l’exploitation commerciale de certains produits de base pour lesquels existaient une demande métropolitaine. Au commerce de la morue a succédé celui de la fourrure puis du bois. La construction du chemin de fer à la fin du XIXe siècle n’a fait que prolonger cette orientation Est-Ouest qui a donné naissance au Canada comme nation autonome. Pour ces historiens canadiens-anglais, le Canada n’était pas une société paysanne mais un «empire commercial» qui s’est édifié de manière continue[5].»
Publications
1946
- «La Conquête et la vie économique des Canadiens», L'Action nationale, 28, 4 (décembre 1946), p. 308-326. (Ce texte a été revu par l'auteur et réédité dans Robert Comeau, dir., Économie québécoise, Montréal, Les Presses de l'Université du Québec, 1969, p. 345-361. Cette dernière version a aussi été reproduite dans R. Durocher et P.-A. Linteau, éd., Le retard du Québec et l'infériorité économique des Canadiens français, Trois-Rivières, Boréal Express, 1971, p. 93-111. On la retrouve aussi dans Rodrigue Tremblay, éd., L'économie québécoise, Montréal, Les Presses de l'Université du Québec, 1976, p. 13-27. La première version de ce texte a été traduite en anglais et a paru dans Dale Miquelon, éd., Society and Conquest - The Debate on the Bourgeoisie and Social Change in French Canada, 1700-1850, Toronto, Copp Clark Publishing, 1977, p. 67-80.)
1948
- «Le Régime seigneurial au pays du Québec, 1760-1864», Revue d'histoire de l'Amérique française, 1, 3 (décembre 1947), p. 382-402; 1, 4 (mars 1948), p. 519-532.
- Compte rendu du livre d'Edgar McInnis, Canada, A Political and Social History, (1947); Revue d'histoire de l'Amérique française, 2, 2 (septembre 1948), p. 296-299.
1949
- Compte rendu du livre de Léon Gérin, Le Type économique et social des Canadiens, (1948); Revue d'histoire de l'Amérique française, 3, 1 (juin 1949), p. 127-129.
1953
- « Notre civilisation (I) - La défaite de 1760 a empêché le Canada français de devenir une nation se suffisant à elle-même », Le Devoir, 22 septembre 1953, p. 8.
- « Notre civilisation (II) - La lutte était inévitable entre les gouverneurs et les marchands anglais, au Canada, après 1760 », Le Devoir, 29 septembre 1953, p. 5.
1956
- « La notion d'indépendance dans l'histoire du Canada », La Société historique du Canada, Rapport de l'Assemblée annuelle / Canadian Historical Association Report, Ottawa, 1956, p. 83-85. (Résumé de communication). (Il a aussi paru, avec de légères modifications dans Maurice Séguin, historien du pays québécois vu par ses contemporains, p. 213-215).
1957
- En coll. avec Guy Frégault et Michel Brunet), « Lettre au Devoir - Les historiens ne prennent pas au sérieux la croisade anti-gauchiste », Le Devoir, 17 janvier 1957, p. 4.
1962
- « Genèse et historique de l'idée séparatiste au Canada français », Laurentie, 119, (juin 1962), p. 964-996. (Texte retranscrit par Raymond Barbeau à partir d'une série de trois conférences télévisées présentées à Radio-Canada les 18, 25 mars et 1er avril 1962. Ce texte a été réédité sous le titre L'idée d'indépendance au Québec - Genèse et historique, Boréal Express, 1968, 1977, 66 p., avec des notes critiques établies par André Lefebvre et contrôlées par Maurice Séguin. Ce texte a aussi été reproduit en partie dans J.-P. Bernard, éd., Les rébellions de 1837-1838, (1983), p. 173-189. Un court extrait a aussi paru dans Laurier L. LaPierre, dir., Québec: hier et aujour-d'hui, (1967), p. 226-229. Un autre court extrait a été traduit en anglais et a paru dans Elizabeth Nish, dir., Racism or Responsible Government: The French Canadian Dilemma of the 1840s, (1967), p. 178-184. Cet extrait a été reproduit dans R. Douglas Francis and Donald B. Smith, éd., Readings in Canadian History - Pre-Confederation, 1982, p. 334-341).
- Documents sur le British North America 1846-1848, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1962, 1973, 92 p.
1965
- Les Normes, notes polycopiées pour le cours Histoire du Canada 480, 1965-1966, 58 p. (Ce texte a paru dans Robert Comeau, éd., Maurice Séguin, historien du pays québécois vu par ses contemporains, (1987), p. 81-197).
- L'explication historique: Synthèse de l'évolution politique (et économique) des deux Canadas, deuxième partie des <<Normes>>, notes polycopiées pour le cours Histoire du Canada 480, 1965-196?, ? p. (Ce texte a paru dans Robert Comeau, éd., Maurice Séguin, historien du pays québécois vu par ses contemporains, (1987), p. 199-212).
1967
- Le Rapport Durham, traduction des principaux passages du rapport, avec le texte original en regard, document polycopié, de 1967 à 1970.
1968
- L'idée d'indépendance au Québec, genèse et historique. Les éditions Boréal Express, Trois-Rivières, collection 17/60, 68 pages. Avant-propos de Denis Vaugeois.
1970
- La Nation <<canadienne>> et l'agriculture (1760-1850), Trois-Rivières, Boréal Express, 1970, 284 p. (Ce livre constitue une version remaniée de sa thèse de Ph.D. (Université de Montréal, 1947.)
- En coll.), <<Les origines et le sens de 1837>>, Revue d'histoire de l'Amérique française, 24, 1 (juin 1970), p. 81-84.
1973
- «Le Québec», Québec-Canada, Paris, Éd. du Burin, Coll. «L'Humanité en marche», 1973, p. 41-165.
Autres
- (Sans titre), série de 17 cours télévisés (dactylographiés et manuscrits), produite en 1964 et portant sur le Régime anglais, 1760-1960. Fonds Maurice-Séguin, P221, boîte 2455.
- « Histoire du Canada », cours donné par Séguin aux élèves de syntaxe du Collège Sainte-Marie au cours de l'année 1944-1945. 28 p. manuscrites. Fonds Maurice-Séguin, P221 boîte 2453.
Notes et références
- Jean Lamarre. Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet 1944-1969, Sillery : Éditions du Septentrion, 1993, 561 p.
- François Hertel)». Le Provincial aurait répliqué: «Nous en avons déjà un de trop; il vous faudra l'oublier.» Maurice Séguin a abandonné ensuite tout projet de vie religieuse. Voir à ce sujet : Charles A. Lussier. « Le collégien imperturbable », Robert Comeau, éd., Maurice Séguin, historien du pays québécois vu par ses contemporains, Montréal et Québec, VLB éditeur, 1987. À cette époque, Maurice Séguin avait le projet de devenir Jésuite. Lorsqu’il se présenta au Père Provincial, il lui aurait demandé quel était son idéal de Jésuite ? Il répondit : «Le Père Rodolphe Dubé (
- « Quelques autres causes de nos insuffisances ». Cette conférence de Lionel Groulx a paru en brochure sous le titre de « La déchéance incessante de notre classe moyenne », Montréal, L'imprimerie Populaire Ltée, 1931, puis elle a été rééditée sous le titre de « La Déchéance de notre Classe paysanne », dans Orientations, Montréal, Éditions du Zodiaque, 1935, p. 56-92.
- Michel Brunet, « Feu Maurice Séguin - Les étapes de l'historien et du maître à penser », Le Devoir, 8 septembre 1984, p. 11; 14.
- Jean Lamarre, «La conquête et l’école de Montréal», Cap-aux-Diamants, 2009, No 99, p. 45.
Sources bibliographiques
- Jean Lamarre. Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégault et Michel Brunet 1944-1969, Sillery : Éditions du Septentrion, 1993, 561 p.
- Jean Lamarre, « À la jointure de la conscience et de la culture – L’École historique de Montréal au tournant des années 1950 », Simon Langlois et Yves Martin, dir., L’horizon de la culture – Hommage à Fernand Dumont, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture – Les presses de l’Université Laval, 1995, p. 281-298.
Réactions des contemporains
- ANGERS, François-Albert, « Ah! c'est ça l'histoire objective! », L'Action nationale, 50, 9 (mai 1961), p. 912-916.
- ANONYME, « Brunet: les anglophones du Québec doivent apprendre à devenir une minorité », Le Devoir, 25 février 1966, p. 6.
- ANONYME, « Le "canadianisme", une chimère, une réalité ou une grave équivoque? », La Presse, 9 juin 1956, p. 41; 68.
- ANONYME, « L'impossible indépendance », La Presse, 9 juin 1956, p. 43.
- ARAMIS, « Coups de marteau sur le visage des ancêtres », Le Devoir, 7 janvier 1958, p. 4.
- BARBEAU, Victor, « Mesure de l'homme », L'Action, 15 mai 1963.
Entrevue de Maurice Séguin
- ANONYME, « Trois étapes dans la pensée politique de l'historien », La Presse, 27 mai 1967, p. 5.
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