La Porte étroite (œuvre d'André Gide)

La Porte étroite (œuvre d'André Gide)

La Porte étroite

La Porte étroite est une œuvre d'André Gide, publiée en 1909 et considérée par lui non comme un roman, mais comme un récit. Celui-ci est narré par un des principaux protagonistes, Jérôme, « flasque caractère […] impliquant la flasque prose »[1], qui se défend dailleurs, dans lincipit, de faire de la littérature : « D'autres en auraient pu faire un livre ; mais l'histoire que je raconte ici, j'ai mis toute ma force à la vivre et ma vertu s'y est usée. J'écrirai donc très simplement mes souvenirs, et sils sont en lambeaux par endroits, je naurai recours à aucune invention pour les rapiécer ou les joindre ; leffort que japporterais à leur apprêt gênerait le dernier plaisir que jespère trouver à les dire. »

Gide introduit la voix de lautre personnage principal, Alissa, par le biais de lettres et surtout dun journal intime, pièce essentielle de lœuvre, qui commande et justifie, aux yeux de lauteur, lécriture de tout ce qui précède. Car si Jérôme est le narrateur, cest autour dAlissa que gravite le récit. Il sagit dune étude de cas et cest afin de ne pas perturber le développement de son personnage que Gide a volontairement affadi lautre figure du récit : « […] sans un tel héros la tragédie n'eût pas été possible, ou du moins serait-il intervenu, lui, dans l'évolution du caractère de la femmeévolution que je voulais très pure ».[2].

Sommaire

Synopsis

« Sans doute je ne comprenais que bien imparfaitement la cause de la détresse dAlissa, mais je sentais intensément que cette détresse était beaucoup trop forte pour cette petite âme palpitante, pour ce frêle corps tout secoué de sanglots. »

Leur relation sépanouit dans une ferveur religieuse partagée, approfondie par des lectures communes. Année après année, Jérôme sefforce avec Alissa et pour elle à la vertu la plus absolue et na dautre souhait que de lépouser : « Je ferais fi du ciel si je ne devais pas ty retrouver. » Cependant, Alissa découvre que sa sœur Juliette aime, elle aussi, Jérôme. Ajournant leurs fiançailles, elle tente de seffacer au profit de sa cadette. Mais celle-ci, assurée que Jérôme néprouve rien pour elle, rivalise dans le sacrifice en épousant un tiers.

Suit une longue séparation. Juliette, entourée de laffection de son mari, trouve, à défaut du bonheur rêvé, un apaisement. Jérôme et Alissa peuvent à nouveau laisser cours à leur amour. La correspondance quils échangent drape leur sentiment dune telle pureté quils redoutent la confrontation avec la réalité. Si leurs premières retrouvailles sont médiocres, les suivantes sont meilleures. Cependant Alissa rejette encore une fois toute possibilité de bonheur matériel et terrestre :

« – Que peut préférer lâme au bonheur ? mécriai-je impétueusement. Elle murmura :\\ – La sainteté... »

Afin de détourner delle son cousinpour le laisser plus libre daller vers Dieuelle entreprend de senlaidir et daffadir son esprit. Jérôme dérouté ne reconnaît plus celle quil aimait. Ils se séparent. Trois ans plus tard, une nouvelle entrevue entre un Jérôme déçu et une Alissa douloureusement amaigrie précède de peu la mort de la jeune femme. Son journal intime, placé avant lépilogue, révèle une peur du bonheur trop vite atteint, la crainte de tout désir ou incarnation de lamour, son obstination à se considérer comme un obstacle entre Jérôme et la sainteté, son goût immodéré pour le sacrifice, son dialogue conflictuel avec Dieu, ses doutes et sa douleur.

Commentaire

La Porte étroite est le premier succès littéraire de Gide. Si la critique avait déjà apprécié certaines de ses précédentes œuvres, celle-ci lui permet de dépasser le cénacle des gens de lettres et de ne plus publier à perte. Sans faire fi des louanges, Gide doit pourtant constater quune bonne partie dentre elles reposent sur un malentendu. Alors que le livre est conçu comme un pendant à l'Immoraliste, comme lautre versant dun même excès, la critique, qui lavait jadis assimilé à Michel, lassimile désormais à Alissa et le croit revenu dans létroit giron de la vertu. Francis Jammes, qui, comme Claudel, avait en vain tenté de convertir Gide au catholicisme quelques années plus tôt, dresse dAlissa un portrait dithyrambique [3]. Dautres voient dans ce « raffinement de vertu » « une coupable aberration » et reprochent à Gide un livre « morbide et malsain » [4].

Si les avis divergent, nul ne semble percevoir la distance qui sépare Gide de son héroïne et la dimension critique de lœuvre. Il est vrai que les parallèles entre la fiction et la vie de l'auteur sont nombreux et quil est tentant dassimiler lune à lautre. Pourtant La Porte étroite, tout comme l'Immoraliste, nest quun des possibles que Gide explore littérairement tout en cherchant, personnellement, dautres équilibres. « [...] De cette succession d'états, il fait la somme : ce serait bien mal le connaître que de s'attendre à ce qu'il en préfère aucun. Ils cohabitent tous en lui, s'y coudoient, s'y combattent, s'y fortifient », explique Henri Ghéon dans un article davril 1910[5]. Il se charge de répondre à ceux qui voient dans cette œuvre un aboutissement et une amorce de conversion : « La chronologie des ouvrages ne signifie rien dans son cas. [...] Si La Porte étroite est née la dernière, à la plus belle époque, c'est pur hasard, et non parce qu'elle traduit une attitude morale nouvelle. » Et enfin, il rappelle cet élément essentiel : « On trouve à l'origine de La Porte étroite, si étonnant que cela paraisse, une intention de satire : la satire du sacrifice de soi. Pourtant quel don de sincérité, d'affirmation y résonne. Le romancier a été conquis par son héroïne, il a épousé sa folie. »

La Porte étroite nest donc quune pièce du puzzle que constitue lœuvre dAndré Gide et on ne peut véritablement la comprendre quen tenant compte de sa place dans lensemble, en particulier dans sa relation étroite avec l'Immoraliste.[6]

Voir aussi

Notes et références

  1. Cf Gide, 7 novembre 1909, in Journal, 1887-1925,, Pléïade, p. 613.
  2. Lettre à André Ruyters, printemps 1909, œuvres complètes, tome V, p 419
  3. Cf Henri Jammes, in Loccident, n°92, juillet 1909
  4. Cf Marcel Ballot, in Le Figaro, 29 novembre 1909
  5. Henri Ghéon, avril 1910
  6. A ce sujet, voir lexcellente analyse de Peter FAWCETT, « Le portrait de cette âme de femme", Alissa dans La Porte étroite » in dans Lectures d'André Gide. Hommage à Claude Martin, Presses Universitaires de Lyon, 1994, pp. 95-108.
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