Institutionnalisme americain

Institutionnalisme americain

Institutionnalisme américain

L'institutionnalisme est un courant de pensée économique qui a émergé aux États-Unis au début du XXe siècle, sous l'impulsion principalement des écrits de Thorstein Veblen, John Rogers Commons et Wesley Clark Mitchell. Il se concentre sur la compréhension du rôle des institutions établies par les hommes pour modeler le comportement économique des États-Unis. Ce courant a connu son apogée dans les années 1920 et 1930, influençant notamment notablement les mesures prises lors du New Deal. On considère parfois que les thèses institutionnalistes sont proches du substantivisme, qui est l'approche développée par Karl Polanyi.

Sommaire

Influences et histoire

Il est généralement admis que l'institutionnalisme américain s'est constitué à partir de trois sources d'influence majeures : l'historicisme allemand, le darwinisme et la philosophie pragmatiste.

L'influence de l'historicisme

Une grande part de l'épistémologie institutionnaliste est dérivée de l'historicisme allemand, tel qu'il a été notamment développé par Gustav von Schmoller et Werner Sombart. Cela se traduit par un souci constant de la part des institutionnalistes de produire des analyses qui partent de l'observation des faits réels. Il en résulte une théorisation qui est nécessairement relative au contexte auquel elle se rapporte. Dans cette optique, à l'encontre de la théorie économique standard qui mobilise essentiellement l'inférence déductive, les institutionnalistes recourent de façon privilégiée à l'induction. Il ne s'agit pas toutefois d'une induction « naïve » (voir section sur le pragmatisme) et il faut remarquer que les auteurs institutionnalistes, à commencer par Veblen et Commons, ont été assez critiques sur le manque de théorisation de l'historicisme.

Théorie de l'évolution

L'institutionnalisme s'intéresse principalement aux facteurs influençant l'évolution de la société et de l'économie. À ce titre, les analyses proposées par ce courant sont de types évolutionnaires, en ce qu'elles tentent de reconstituer le processus par lequel sont apparues les institutions sociales. Dans cette optique, les auteurs institutionnalistes et notamment Veblen, se sont largement appuyés sur les enseignements de la révolution darwinienne. Veblen applique ainsi la métaphore de la sélection naturelle aux institutions économiques et sociales. Il faut remarquer par ailleurs que l'institutionnalisme rejette catégoriquement les thèses du darwinisme social.

La philosophie pragmatiste

Courant philosophique américain apparu à la fin du XIXe siècle, le pragmatisme a largement influencé les analyses institutionnalistes sur deux points majeurs : la méthodologie et la conception du comportement humain. Sur le plan méthodologique, les institutionnalistes reprennent l'inférence dite de l'« abduction », élaborée par le philosophe pragmatiste C.S. Peirce. L'abduction peut se définir comme un raisonnement partant de l'observation visant à formuler une hypothèse sur ce qui pourrait expliquer le phénomène observé ou s'y apparentant. Contrairement à l'induction, qui va du particulier au général, l'abduction vise à partir de la cause pour remonter aux effets. L'une des formes privilégiés de l'abduction (que l'on appelle parfois « rétroduction » ou « induction à rebours » [backward induction]) est la métaphore (par exemple la métaphore de la sélection naturelle) et elle se combine avec la déduction, par laquelle on infère logiquement les conséquences des hypothèses produites par l'abduction, et avec l'induction qui dans ce cas est dite non-démonstrative car servant uniquement à vérifier les résultats produits.
Par ailleurs, les institutionnalistes ont retenu du pragmatisme une conception de l'individu dans laquelle le comportement est fonction des croyances et des habitudes, ainsi que dans certains cas des instincts (voir, outre Peirce, les écrits de William James et de John Dewey).

Genèse du courant

On peut considérer que l'acte de naissance de l'institutionnalisme est constitué par un article de Veblen, Why is Economics Not an Evolutionary Science, publié en 1898, et dans lequel on retrouve un certain nombre d'éléments clés caractérisant les analyses institutionnalistes.
Hormis Veblen, qui reste l'auteur institutionnaliste majeur et le plus original (bien que totalement négligé par l'analyse économique moderne), d'autres auteurs importants vont prendre sa suite et perpétuer la pensée institutionnaliste, parfois en la dénaturant. Dans une perspective différente de Veblen, John Roger Commons va s'atteler à retracer l'émergence de la société capitaliste américaine. Son cadre théorique, élaboré tardivement dans sa carrière, se propose d'articuler l'économie, le droit et l'éthique, ce qui fait de Commons l'un des fondateurs de l'économie du droit. À peu près à la même époque, Wesley Clark Mitchell introduit pour la première fois dans l'analyse économique la systématisation de l'analyse statistique. S'inspirant au début de sa carrière fortement de Veblen, Mitchell va ensuite se porter vers l'analyse quantitative et être, de ce fait, l'un des instigateurs de la macroéconomie. Il est par ailleurs le fondateur du National Bureau of Economic Research (NBER) qui est aujourd'hui l'un des instituts majeurs de statistiques aux États-Unis.
À partir des années 40, l'audience de l'institutionnalisme va commencer à décroître, jusqu'à devenir quasiment inaudible à la fin des années 1960 (avant de renaître dans les années 80, voir conclusion). Néanmoins certains auteurs majeurs vont produire des analyses profondes du système économique, notamment concernant le rôle joué par la technologie dans le progrès économique. C'est notamment le cas de Clarence Edwin Ayres qui, s'inspirant des travaux de Veblen, va systématiser la « dichotomie véblenienne » qui caractérise l'opposition entre les comportements cérémonials (produit par les institutions) et les comportements industriels (produit par la technologie) ces derniers étant facteurs de progrès.

L'institutionnalisme comme théorie économique

Le véritable degré d'unité du courant institutionnaliste est l'objet de débat récurrent qu'il n'est pas question d'évoquer ici. Si l'on ne peut contester le fait que l'institutionnalisme se caractérise, jusqu'à un certain point, par une relative hétérogénéité de son contenu théorique, plusieurs éléments fédérateurs peuvent être repérés.

Un rejet de la notion d'équilibre

Tous les auteurs institutionnalistes s'accordent pour nier toute pertinence au concept d'équilibre, qu'affectionne tant l'économie standard. L'économie doit s'analyser comme un processus, c’est-à-dire comme un système en transformation permanente et objet de tensions perpétuelles entre plusieurs logiques. Ce sont ces logiques et les transformations qui en résultent qui doivent être analysées.

Une analyse qui part du comportement humain

C'est là un thème majeur de l'œuvre de Veblen. Même si cela est ignoré aujourd'hui, on peut considérer que se trouve disséminé dans ses écrits une véritable théorie évolutionnaire du comportement économique. On retrouve chez Veblen, ainsi que chez Commons, l'idée que les processus économiques doivent s'expliquer à partir des comportements et des motivations humaines. L'institutionnalisme ne défend pas pour autant l'individualisme méthodologique, car les comportements trouvent leur explication dans les configurations institutionnelles existantes. L'objet de l'économie est d'étudier les interrelations entre l'action individuelle et les structures collectives, sans réduire l'analyse à l'un ou l'autre de ces deux pôles. On peut parler d'« institutionnalisme méthodologique ».

Les institutions comme unité d'analyse

Corollaire du point précédent, l'analyse doit essentiellement se concentrer sur la genèse et l'évolution des institutions sociales (définies par Veblen comme des habitudes mentales stables qui se sont imposées à l'ensemble de la société. Commons définit lui l'institution comme le contrôle de l'action individuelle de l'action collective). Plus que l'activité économique en elle-même, ce sont les règles sociales qui la déterminent qui doivent être scrutées.

Une analyse pluridisciplinaire

La grande partie des analyses institutionnalistes se caractérise par une mobilisation constante des apports des autres sciences que l'économie. Outre les considérations philosophiques omniprésentes chez Veblen, Commons et Ayres, l'institutionnalisme mobilise également les apports de la sociologie, de l'histoire, de la psychologie, de l'anthropologie, des sciences juridiques, et même de la biologie.

Thèmes majeurs

La place de la technologie dans le progrès économique et social

Les rapports entre les sphères économiques et juridiques

Les cycles des affaires

Le rôle de l'institution monétaire

Conclusion : l'institutionnalisme aujourd'hui

Après une éclipse de près de 30 ans, l'institutionnalisme semble aujourd'hui renaître, profitant notamment d'un regain d'intérêt pour la question des institutions apparue dans les années 1970. La pensée institutionnaliste a été perpétuée dans le milieu du XXe siècle par des auteurs plus ou moins proches d'elle, sans pour autant s'en réclamer explicitement. On pensera notamment aux économistes John Kenneth Galbraith, Gunnar Myrdal et Alfred D. Chandler, Jr. ou à l'école de la régulation française. Aujourd'hui, les travaux de Veblen et Commons font l'objet d'un regain d'intérêt incontestable, et ce n'est que récemment que les véritables apports de ces auteurs ont été mis en valeur. L'un des intérêts majeurs de l'institutionnalisme aujourd'hui semble être sa capacité à pouvoir mener et combiner une réflexion purement technique avec un questionnement d'ordre éthique sur le capitalisme contemporain et sur ses transformations.

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