- Historiographie de mai 68
-
L'historiographie de mai 68 en France recouvre les diverses interprétations des évènements, par les historiens et les chercheurs en sciences sociales, mais aussi, puisque ces évènements sont récents, de la part des acteurs de ceux-ci.
Sommaire
Temps long ou temps court
Les récits des évènements ont tendance à donner beaucoup de poids et d'influence à ceux-ci. Mai 1968 est dès lors classiquement considéré comme la date de la rupture entre la France "traditionnelle" - hiérarchique, catholique, paternaliste, conservatrice, puritaine, etc. - et la France "moderne" - libération des mœurs, simplicité dans les rapports sociaux ou familiaux, remise en cause des hiérarchies, etc.
Les interprétations plus récentes remettent les évènements dans la perspective d'un temps plus long. Pour Alain Geismar, l'un des leaders étudiants de mai 1968 : "Ce que j'appelle 68 ou plutôt la période dont 68 est l'acmé, commence avec lors de la grande grève des mineurs de 1963 et se termine avec la grève de Lip à Besançon en 1973 (..)."[1].
Certains universitaires incluent mai 1968 dans la période 1962-1981 (« 68, une histoire collective 1962-81 », Éditions La Découverte, 2008, écrit par un collectif de 60 chercheurs autour de Michelle Zancarini et Philippe Artières). D'autres choisissent une période plus longue 1945-1975 (« Mai-juin 1968 », Les Editions de l’atelier, écrit par un collectif de 30 chercheurs autour de Dominique Damamme et Boris Gobille).
Pour ces chercheurs, selon le journaliste Eric Conan en 2008, « Mai fut moins cause de bouleversements que conséquence de changements profonds déjà opérés au milieu des années 60, comme l’avait pressenti le grand sociologique Henri Mendras qui avait déjà situé en 1965 la date charnière des grands changements de la société française (La Seconde Révolution française, 1965-1985, Gallimard). Ces travaux ruinent l’imagerie d’une société archaïque et cadenassées, soudainement libérée par la secousse de Mai : les hiérarchies traditionnelles, dans la famille, à l’école, avaient bien déjà bougé auparavant. Notamment en matière de liberté culturelle ou de mœurs : le facteur essentiel de la libération sexuelle – l’âge du premier rapport des femmes – avait chuté dès le début des années 60 et n’a guère bougé ensuite, ce qu’avalisé le Parlement en votant en 1967 la loi Neuwirth autorisant la contraception libre. »[2].
Pour Jean-Pierre Le Goff (ancien soixante-huitard, sociologue au CNRS, auteur d’ouvrages sur Mai 68) : « Contrairement à ce qui est affirmé partout comme une évidence, Mai 68 n’est pas aussi modernisateur qu’il n’y paraît. La France des années 60 n’était pas bloquée, mais au contraire travaillée par la modernité tout en étant encore imprégnée d’un héritage. C’est précisément dans cette contradiction qu’il faut chercher l’une des racines de l’évènement. Mai 68 représente un moment de pause, de catharsis dans une société qui a été soumise à des changements des plus rapides depuis la fin de la guerre. Elle remet en scène de façon largement fantasmatique tout un héritage révolutionnaire, s’interroge de façon critique et confuse sur les effets de cette modernisation. En pleine période d’expansion, le pays s’offrait le luxe d’une interrogation existentielle sur cette nouvelle étape de la modernité : « Voyons, sommes-nous heureux ? » »[3].
Importance de l'évènement
Certains considèrent mai 1968 comme un véritable mouvement révolutionnaire, qui aurait pu réussir car il a emporté l'adhésion de la majorité des Français et a fait vaciller le pouvoir (le voyage de de Gaulle à Baden Baden en serait un exemple).
À l'opposé, d'autres minimisent l'évènement. Le philosophe Alexandre Kojève aurait estimé qu'une révolution sans mort n'était pas une révolution[4].
De même, le philosophe libéral Raymond Aron estimait qu'il s'agit d'un évènement carnavalesque qui ont "singé la grande histoire"[5],[6].
Sociologie de l'évènement
Hervé Hamon et Patrick Rotman (dans l'ouvrage Génération) considèrent qu'il s'agissait d'un mouvement générationnel (les baby-boomer) du Quartier latin. Ce à quoi Alain Geismar a répondu en 2008 que, "durant ces dix ans (1963-1973), ce sont toutes les couches de la population qui participent aux actions[7] Pour l'historien israélien Yair Auron, les leaders de mai 68 sont liés en grand nombre à la communauté juive[8],[9]. Pour le journaliste et essayiste Christophe Nick, les principaux cadres du mouvement trotskyste impliqués dans les évênements de mai 68 appartiennent à la communauté juive ashkénaze[10]. Le journal Le Monde, à l'occasion du vingtième anniversaire de mai 68, en 1988, a publié un article intitulé : “Le mouvement de mai 68 fut-il une ‘révolution juive’? en affirmant que la proportion de Juifs dans le mouvement de 1968 était importante[11]. Selon Daniel Cohn-Bendit dans son autobiographie, « les juifs représenteraient une majorité non négligeable, si n’est la grande majorité des militants »[12].
Notes et références
- Alain Geismar, cité dans Le Figaro, 25 mars 2008, page 18.
- Henri Mendras cité par Eric Conan, « Commémoration, piège à cons », in Marianne, 26 avril 2008, page 70
- Jean-Pierre Le Goff (sociologue) (CNRS), cité par Eric Conan, « Commémoration, piège à cons », in Marianne, 26 avril 2008, page 81
- Alexandre Kojève cité par Nicolas Baverez in Le Figaro, 25 mars 2008.
- Eric Conan, « Commémoration, piège à cons », in Marianne, 26 avril 2008, page 68
- Raymond Aron, Mémoires, Julliard.
- Alain Geismar, in Le Figaro, 25 mars 2008.
- Yair Auron, Les juifs d’extrême gauche en Mai 68, Éditions Albin Michel, Paris, 1998
- Yair Auron, We are all German Jews: Jewish Radicals in France During the Sixties and Seventies, Am Oved (with Tel-Aviv University and Ben-Gurion University), Tel-Aviv, 1999.
- Christophe Nick, Les Trotskistes, Fayard, Paris, 2002
- Le Monde, Le mouvement de mai 68 fut-il une "révolution juive"?, 12 juillet 1988
- Daniel Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, Éditions Belfond, 1975 (ISBN 2714430104).
Articles connexes
Catégories :- Événements de mai 1968
- Histoire de l'anarchisme
- Histoire du socialisme
Wikimedia Foundation. 2010.