Halte à la croissance ?

Halte à la croissance ?

Halte à la croissance ? est le titre français d'un rapport demandé à une équipe du Massachusetts Institute of Technology par le Club de Rome en 1970 et publié sous le titre The Limits To Growth (Les limites à la croissance). C’est la première étude importante soulignant les dangers écologiques de la croissance économique et démographique que connaît alors le monde. En envisageant que la croissance économique puisse un jour avoir une fin, et aussi par la principale proposition que l'on en a tirée, mais qui ne s'y trouve pas explicitement[1] (la croissance zéro), ce rapport a suscité de nombreuses controverses.

Ce rapport a valu à Dennis Meadows le Japan Prize en 2009[2].

Ce rapport est aussi connu sous l'appellation usuelle Rapport Meadows en référence à deux de ses quatre auteurs : Donella Meadows et Dennis Meadows, Jorgen Randers et William Behrens. Publié en 1972 sous le titre The Limits to Growth (Universe Books) et publié en français sous le titre Halte à la croissance ? sous-titré Rapport sur les limites de la croissance (éd. Fayard, 1973 - enrichi d'une Enquête sur le Club de Rome par la traductrice de l'ouvrage Jeanine Delaunay), il a fait l'objet de « mises à jour » à deux reprises par trois de ses auteurs :

  • en 1993 : Donella Meadows, Jorgen Randers, et Dennis Meadows, Beyond the Limits. Confronting Global Collapse, Envisioning a Sustainable Future, Chelsea Green Publishing Company,
  • en 2004 : Donella Meadows, Jorgen Randers, et Dennis Meadows, Limits to Growth. The 30-Year Update, Chelsea Green Publishing[3].

Ces deux ouvrages n'ont pas été traduits en français.

Sommaire

La thèse

La croissance et ses limites

À l’époque du rapport, la croissance démographique ne cessait d’augmenter année après année. Au XVIIe siècle, la population mondiale était de 500 millions d’âmes et croissait de 0,3 % par an, soit un doublement tous les 250 ans. Mais au début des années 1970, elle avait atteint 3,6 milliards d’habitants, doublant tous les 32 ans. Par une prolongation tendancielle, on pouvait donc s’attendre à une population de plus de 12 milliards d’individus au milieu du XXIe siècle.

Mais la croissance économique mondiale est encore plus rapide que la croissance démographique. La production industrielle a crû d’environ 7 % par an au cours des années 1960, ce qui correspondait à un doublement tous les 10 ans[4]. Cette croissance est par ailleurs très inéquitablement répartie et se concentre dans les pays développés, accroissant ainsi les disparités de développement : « les riches s’enrichissent et les pauvres font des enfants ».

Mais cette croissance n’est pas sans risque. Au plan démographique, les ressources alimentaires ne sont pas illimitées. Si la loi des rendements décroissants s'applique, la mise en culture de nouvelles terres sera non seulement plus coûteuse mais aussi moins profitable au fur et à mesure de l'augmentation des besoins alimentaires. L’accroissement des rendements agricoles ne fera que retarder la disette qui s’annonce, à laquelle risquent de s’ajouter les problèmes d’approvisionnement en eau potable[5].

Au plan économique, les ressources énergétiques telles que le pétrole ou le gaz ne seraient pas suffisantes pour assurer la pérennité d’une croissance exponentielle au-delà du XXIe siècle. Ici encore, les progrès scientifiques ne sont susceptibles que de retarder l’échéance de la pénurie. On peut à l’avance prévoir que la croissance sera dans le siècle à venir handicapée par le prix croissant des ressources naturelles[6]. De plus la croissance est à l'origine d’une très forte pollution[7], qui avec elle connaît une croissance exponentielle ; or il est évident que la planète ne peut absorber une quantité illimitée de pollution.

Le « système mondial » serait menacé

On peut d’abord décrire le monde comme un ensemble global dont les parties sont interdépendantes. La croissance économique est stimulée par la croissance démographique mais elle peut par exemple provoquer en même temps la pollution[8], qui elle-même sera cause de recul démographique. Par le jeu de ces interactions, une consommation excessive des ressources naturelles peut entraîner une crise économique durable. Ainsi la croissance économique s’arrêtera faute de matières premières, la population diminuera faute de nourriture.

Cela conduisait les auteurs à prévoir pour l’avenir plusieurs scénarios : pénurie de matières premières et/ou hausse insupportable de la pollution. Chacun de ces deux scénarios provoquerait la fin de la croissance quelque part durant le XXIe siècle. Le progrès technique ne ferait que différer l’effondrement inéluctable de l’écosystème mondial, incapable de supporter cette croissance exponentielle.

Tous les scénarios présentés par les auteurs ne mènent pas à un effondrement. Mais ils constatent que les seuls scénarios sans effondrement sont ceux qui abandonnent la recherche d'une croissance exponentielle sans limite de la production.

Substituer l’équilibre à la croissance

Selon cette thèse, du moins telle qu'elle est interprétée — plus ou moins fidèlement — à partir du rapport Meadows, il faudrait mettre fin à la croissance si l'on veut sauver le système mondial d’un effondrement prochain[9] et stabiliser à la fois l’activité économique et la croissance démographique. Plus on retardera la prise de cette décision, plus elle deviendra difficile à mettre en place.

Au plan démographique, il faudrait prendre des mesures draconiennes telle que la limitation de deux enfants par couple. Au plan économique, il faudrait taxer l’industrie afin d’en stopper la croissance et réorienter les ressources ainsi prélevées vers l’agriculture, les services et surtout la lutte contre la pollution.

Pour que cette économie sans croissance puisse être acceptée il faudrait répartir les richesses[10] afin de garantir la satisfaction des besoins humains principaux. L’objectif est donc « un affranchissement de la faim et du dénuement qui reste, aujourd’hui encore, le privilège de si peu d’hommes sur la terre ».

Critiques

Le « Rapport Meadows » a été critiqué par plusieurs économistes, qui ont reproché à ses auteurs d'avoir négligé les bases de la théorie économique. Parmi les examens les plus sévères figure In Defence of Economic Growth de Wilfred Beckerman (1974). Dans Economic Growth and Stability (1974), Gottfried Haberler recense des critiques plus anciennes faites par des experts, et décrit l'effet de ces critiques comme « dévastatrices ».

Le Prix Nobel d'économie Friedrich Hayek, représentant de l'école autrichienne d'économie à tendance libérale, a commenté ce rapport à l'occasion de son discours de réception du prix le 11 décembre 1974 : « l'immense publicité donnée récemment par les médias à un rapport qui se prononçait au nom de la science sur les limites de la croissance, et le silence de ces mêmes médias sur la critique dévastatrice que ce rapport a reçu de la part des experts compétents, doivent forcément inspirer une certaine appréhension quant à l’exploitation dont le prestige de la science peut être l’objet. »[11]

En 2008, Graham Turner, chercheur au CSIRO, a publié un article[12] où il reprenait les 3 scénarios les plus caractéristiques du rapport Meadows de 1972 (scénarios « business as usual », « monde super-technologique » et « monde stabilisé »), qu'il confrontait à des données mondiales pour la période 1970–2000 : population, natalité/mortalité, production de nourriture, production industrielle, pollution et consommation de ressources non renouvelables. Il constatait que, sur la période 1970–2000, ces données numériques étaient étonnamment proches des valeurs que le rapport Meadows présentait pour le scénario « business as usual », et que, par contre, les scénarios « monde super-technologique » et « monde stabilisé » du rapport Meadows ne correspondaient pas à l'évolution que le monde avait connue à la fin du XXe siècle. Il terminait son analyse en disant que « la comparaison de données présentée ici vient corroborer la conclusion de Halte à la croissance ? selon laquelle le système mondial suit une trajectoire qui n’est pas durable, sauf s’il se met à réduire, rapidement et de manière substantielle, son comportement consomptif tout en accélérant ses progrès technologiques. »

Notes et références

  1. Dans l'édition révisée de 2004, les auteurs répondent explicitement à cette proposition qui a été tirée de leur livre : « La durabilité ne signifie pas la « croissance zéro ». Une société obsédée par la croissance a tendance à fuir toute mise en doute du principe de croissance. Mais mettre en doute la croissance ne signifie pas la rejeter et la renier. Ainsi qu’Aurelio Peccei, fondateur du Club de Rome, le montrait du doigt, faire une telle confusion revient à remplacer une simplification excessive par une autre. »
  2. http://www.japanprize.jp/en/prize_past_2009_prize01.html
  3. Cf. un compte-rendu de lecture de l'ouvrage dans la revue Développement durable et territoires et un résumé en français des différentes options analysées dans l'ouvrage
  4. En 1970, lorsque est demandé ce rapport au MIT, la croissance économique est entrée dans de nombreux esprits comme un fait durable n’ayant apparemment que peu d’obstacles devant elle. Ce point sera contredit par la crise économique qui touchera les pays industrialisés dès 1973, bien que n'ayant peu à voir avec les problèmes écologiques.
  5. On trouve ici une analyse semblable à la célèbre étude du pasteur Thomas Robert Malthus (Essai sur le principe des populations, 1798) qui avait énoncé la loi selon laquelle la population connaissait une croissance géométrique (2-4-8-16-...) tandis que la production agricole ne pouvait au mieux suivre qu’une croissance arithmétique (1-2-3-4-...) et en avait conclu qu’il fallait absolument empêcher la croissance démographique si on voulait éviter une désastreuse disette. Un autre classique, David Ricardo (Des principes de l'économie politique et de l'impôt, 1817) avait quant à lui expliqué en quoi le rendement décroissant des terres, combiné à l’accroissement de la population, devait amener l’économie vers un état stationnaire et sans croissance.
  6. De fait, un an après la publication de ce rapport, le monde connaissait le premier choc pétrolier.
  7. Ce point suscite de vifs débats chez les économistes. Certains économistes ont avancé que la croissance était dans un premier temps nuisible à l’environnement, puis, passé un certain seuil, devenait bénéfique. Selon eux, ce seuil aurait déjà été franchi par les pays industrialisés.
    Article détaillé : Courbe environnementale de Kuznets.
  8. Ce que les auteurs du rapport Meadows appellent «pollution» n'est pas ce qu'on entend habituellement par ce mot. C'est un phénomène planétaire et non local, qui, au-delà d'un certain seuil, a des effets négatifs sur la santé humaine et la productivité agricole de plus en plus grands lorsqu'elle augmente.
  9. Cette thèse de la croissance zéro a eu de nombreux héritiers, en particulier la revendication par certains altermondialistes d’une « décroissance soutenable ».
  10. Cette mesure en faveur des plus pauvres est cette fois-ci en totale rupture avec les analyses de Malthus, pour qui la meilleure façon de prévenir la hausse de la population consiste à ne lui porter aucune assistance. Selon Malthus, une telle mesure économique serait contradictoire avec la recherche de l’équilibre démographique.
  11. Friedrich Hayek, The Pretence of Knowledge, Conférence à la mémoire d'Alfred Nobel, le 11 décembre 1974
  12. Graham Turner, Confronter Halte à la croissance ? à 30 ans de réalité, Global Environmental Change, août 2008.

Voir aussi

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