Eugene Enriquez

Eugene Enriquez

Eugène Enriquez

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Eugène Enriquez est professeur retraité de l'Université de Paris VII. Il y fut responsable de la formation doctorale de sociologie. Il est actuellement co-rédacteur en chef de la "Nouvelle Revue de Psychosociologie". Il est notamment auteur de : De la horde à l'État (1983) et co-auteur avec André Lévy et d'autres du Vocabulaire de psychosociologie.

Eugène Enriquez a repris comme base les apports de Sigmund Freud et de Max Weber et s'est essentiellement intéressé aux fonctions imaginaires et à l'inconscient social, et en particulier aux aspects mortifères du pouvoir. la première partie rappelle succinctement ses principales idées forces ressortant de ses œuvres, dans les parties suivantes est abordée la vie en organisation et plus particulièrement le sujet (de nouveau) à la mode de la conduite du changement, thème déjà abordé très tôt par Eugène Enriquez (vers 1972 voire très probablement avant).

Sommaire

Idées générales caractéristiques de son œuvre

D'un point de vue des sciences humaines, la psychologie et la psychanalyse dans leur appréhension des phénomènes inconscients ne peuvent suffire à rendre compte de leurs effets dans la réalité sociale : en effet, les concepts issus de ces sciences, bien que pertinents en soi, ne sauraient être "plaqués" sur la réalité sociale; il leur faut pour cela être validés (c'est-à-dire travaillés, expérimentés, épistémologiquement recevables etc.) comme trans-spécifiques d'une science à l'autre. Il faut donc pour rendre compte de cette réalité de manière pertinente, recourir à d'autres sciences telle une psychosociologie correctement définie et appliquée en tant que pratique rigoureuse observant des d'objets vivants concrets et réels relatifs à la vie sociale, et enfin promouvoir l'édification d'une sociologie clinique intégrant ces concepts rendus trans-spécifiques.

La pierre angulaire de son œuvre est la thèse "De la horde à L'État" publiée en 1983. À partir d'une exégèse méticuleuse des ouvrages à portée sociologique de Freud, la nature profonde du développement des civilisations (vie et mort des civilisations) y est analysée, élucidant ainsi le véritable sens du développement historique. La démonstration aboutit ainsi à décrire les différentes figures possibles que peut prendre l'État moderne, dont la forme d'État total dit "État de horde", expression ultime et mortifère de domination se voulant seul et unique principe sacré régissant la société, avec ses conséquences sociales et sociétales tant pour les groupes que les individus (mort et négation des groupes et individus soumis dans un retour dans la reconstitution d'un temps primordial au profit exclusif d'un seul individu et/ou groupe central unilatéral et directement violent), tout autre sacré tels la Religion, l'Argent, le Travail, l'Entreprise y sont alors relégués comme secondaires et contingents voire tout simplement supprimés.

Les différentes formes que peut prendre l'État ne sont ni le fruit du hasard ni fortuites, elles sont à l'image des besoins de réassurance de chacun des individus dans la mesure tous sommes plus ou moins en situation de détresse infantile latente et permanente dans la vie, et exige en compensation et/ou en étai la présence d'une puissance tutélaire surtout en cas de perspective de perte des moyens sociaux d'autonomie.

Dans ses études postérieures, un accent particulier est mis sur la prégnance de l'inconscient. Une notion majeure est mise en évidence : la dichotomie entre imaginaire moteur (sublimation) expression de la pulsion de vie d'une part et imaginaire leurrant (idéalisation) expression de la pulsion de mort d'autre part. Ces deux imaginaires ont des fonctions complémentaires l'une de l'autre : l'imaginaire leurrant vise la conservation des normes et de maintenir une fonction de repère, la capacité à l'imaginaire moteur (créations, arts, imagination, rêverie, sublimation etc.), portée par chacun de nous, permet une ouverture favorisant la régénération des normes et des valeurs.

En outre, concernant la vie des organisations, Eugène Enriquez a mis en évidence la structure fondamentale de l'appareil inconscient de l'organisation (instances mythique, sociale historique, institutionnelle, organisationnelle (au sens strict), groupale, individuelle et pulsionnelle) et dont il caractérise les modalités (1992). Cet ensemble forme un système non stratifié, articulé, dynamique, cohérent avec rétro-actions complexes, et ou chaque instance se renforce mutuellement pour former si possible un système équilibré. Il y est mis en évidence que l'instance motrice traversant les autres instances est l'instance pulsionnelle dans ces deux aspects de vie et de mort s'opposant et/ou s'alliant mutuellement. Cette découverte aboutit à une nouvelle définition de l'organisation considérée comme un système imaginaire, symbolique et culturel et servant de référentiel à la dynamique imaginaire (moteur et leurre) dans l'organisation.

Que cela soit dans la société tout entière ou dans le contexte de l'organisation, la manifestation de cet imaginaire moteur se traduit par l'apparition d'individus "créateurs d'histoire" plus ou moins dissidents (en particulier les artistes, écrivains, philosophes, personnages historiques émergents, penseurs politiques, scientifiques etc. mais aussi des anonymes dans leur quotidien). Les normes et valeurs créées par ces "créateurs d'histoire", constituent la seule véritable transgression efficace et efficiente pour endiguer des formes de pouvoir de par trop devenu oppressant en le faisant apparaître comme contingent et arbitraire, alors que la révolte voire le terrorisme (ce dernier n'étant qu'une forme avancée de désordre et rien d'autre) ne font que renforcer le pouvoir en place en tant que référence.

L'imaginaire moteur a donc pour fonction d'éviter à la société et à sa culture vivante un enfermement dans une entropie d'une part, mais aussi de démonétiser, au point de le renverser, un pouvoir devenu par trop mortifère à un moment donné d'autre part.

Inconscient et vie dans les organisations

Impact de l'inconscient

Limpact de linconscient dans la vie sociale va induire des phénomènes permanents tel que :

  1. Linconscient va désigner les phénomènes de règles intériorisées qui agissent avec force et une intensité non maîtrisable,
  2. Ses effets et les conduites inhérentes persistent même si les causes ont disparues,
  3. Toute attitude unilatérale va obtenir les effets escomptés mais aussi toujours son inverse.

Toutefois linconscient nest ni inconnu ni inexprimable, et en conséquences de quoi ses forces ont une logique propre que lont peut structurer en classes de processus inconscients non réductibles lune à lautre.

Dans une organisation, ces classes de processus forment les instances spécifiques avec leur loi de fonctionnement interne permettant de valider que tout acte dans lorganisation à toujours une motivation inconsciente. Lorganisation visible effective est lactualisation permanente des effets dinstances (ou niveaux danalyse). Ces instances sont au nombre de sept :

  1. linstance mythique,
  2. linstance sociale historique,
  3. linstance institutionnelle,
  4. linstance organisationnelle (au sens stricte),
  5. linstance groupale,
  6. linstance individuelle,
  7. linstance pulsionnelle.

Ces instances rendent compte de lappareil inconscient collectif réel et particulier dune organisation contemporaine. Ces instances fondent un système référentiel, elles donnent à lorganisation contemporaine moderne ses caractéristiques fondamentales réelles et non apparentes, mais dont on voit les effets permanents dans lorganisation effective visible sous forme de déroulement historique de lactivité, des relations et comportements entre les individus et/ou groupes symptômes pathologiques entre individus et entre groupes.

Description des instances rendant compte du système imaginaire, symbolique et culturel qu'est l'organisation

Linstance mythique

Le mythe ou la légende (c'est-à-dire ce qui mérite dêtre perpétuellement narré) sert à fonder tout lien social et à le structurer. Il sagit dun ancrage dans un temps primordial « ancien » racontant les exploits de héros et de dieux et autres chimères plus ou moins symboliques.

Ces représentations symboliques doivent faire entrer tout groupe humain dans une histoire irréversible (évolution) et sert de système de valeurs référentielles fondamentales (les vertus héroïques ou la sagesse et/ou puissance des dieux en sont la manifestation prétendue) et est garant du bon déroulement de lhistoire humaine en cours dans lorganisation, il est évident que les dieux et les héros nexistent pas. Toutefois les fondateurs de lorganisation vont jouer ce rôle tutélaire surtout sils sont morts depuis longtemps. Ils vont être parés de toutes les vertus à limage des héros et de tous les potentiels à limage des dieux. Les fondateurs de lorganisation seront perçus comme des êtres transfigurés dans linconscient des membres de lorganisation.

Le mythe parle de lorigine des choses et de la communauté et il a pour but de souder en permanence par identification aux héros. Il sagit de susciter lidentification à ces êtres vertueux et de fonder ladmiration, lamour, la révérence et la sidération en contrepartie dune reconnaissance élective. Cette reconnaissance au nom des fondateurs ou de leur valeur sera toujours attendue et demandée en permanence par tous les membres de lorganisation afin dêtre élevés au rang des êtres au nom desquels les individus souhaitent parler et agir (adoubement).

La conséquence si lidentification au contenu est trop forte ou trop présente est de conduire à des phénomènes de sur investissement personnel (notion de sacrifice) conduisant les personnes à lobligation constante de montrer sa force et ses capacités performantes et daboutir assez vite au « burn out » et à lusure psychique des individus pris dans ces phantasmes dhéroïsme toujours hyper excessifs et vertigineux.

Linstance sociale historique

En réalité, vivre au rythme des exigences mythiques est intenable pour tout membre de lorganisation et assez vite une autre instance vient réguler linstance mythique : cest linstance sociale historique qui a pour fonction déloigner et de se substituer à(sans la faire disparaître) linstance mythique.

Elle va tenir éloignés les individus des effets de linstance mythique mais va en contrepartie leur imposer des règles idéologiques et des limites. Lidéologie va mettre en sens cohérent lensemble des pratiques sociales qui ont précédés elle a pour but de calmer lanxiété des individus.

Il sagit de mettre en forme des modèles significatifs de comportements suffisamment normalisés (et non pas les déchaînements héroïques et fascinants exigés par linstance mythique). Elle va donc déterminer qui est dominant et qui est dominé, et quels sont les attributs spécifiques induits des classes dindividus (dirigeants, cadres et exécutants subordonnés). Cela vise en particulier à masquer les conflits permanents générés par linstance mythique. Ces règles idéologiques vont être intériorisés. De mise en sens on passe de la mise en ordre indiscutable à un moment donné, il sagit donc dun idéal que linconscient de chaque individus va intégrer donnant lillusion nécessaire de la cohérence.

De comportements héroïques seulement justifiés par les vertus, on va passer à des comportements autorisés. Elle fournit un modèle intangible sur lequel la formation collective (lorganisation) va sétayer. De lidentification aux fondateurs on va passer à un rassemblement c'est-à-dire de sidentifier autant aux dirigeants mais aussi aux pairs de sa classe dappartenance sans être en permanence obligé de se justifier puisque pré codés par linstance sociale historique.

La contrepartie dun excès dadhésion au modèle intériorisé est un trop grand conformisme, une frustration des individus face à un modèle fondamentalement totalitaire certes rassurant mais unilatéral, répressif et intolérant. Cette instance conduit à une homogénéisation mortifère dont les symptômes sont la paranoïa, la perversion et lapathie, si elle devient trop importante. Laliénation au modèle serait la conséquence ultime pour un individu.

Linstance institutionnelle

Dans linstance institutionnelle, ce sont les mécanismes de pouvoir et de justifications de pouvoir qui vont être intériorisés. Elle a pour fonction une fois le modèle social historique établi dy générer et inscrire des normes, lois explicites et implicites.

Linstitution est ce qui donne commencement, forme et établit : on donc voit que cette instance va sarroger en réalité les deux instances précédentes afin de maintenir le système en état de fonctionnement et de donner une orientation à tout moment quitte à modifier les contenus hiératiques des deux autres instances.

Les règles inconscientes de cette instance vont détourner les règles précédentes intangibles en rapport de lutte, dalliance et de compétition. Elle vont pour cela promouvoir un savoir qui a force de loi et qui doit être intériorisé en agissant toujours au nom du mythe. Cette instance va exiger la soumission et la subordination permanente des individus en se donnant les moyens de la répression.

Elle est le lieu exclusif des modèles de pensées politiques. Cette instance va se manifester par :

  1. Un système de savoir et une norme déducation plus ou moins contraignant afin de maintenir lindividu dans la forme voulue.
  2. Un système de pouvoir, cest-à-dire un système de décision autonome avec une force contraignante en faisant peser des degrés dincertitude de la sanction intériorisé par les individus afin dobtenir le comportement voulu.

Linstance institutionnelle autorise lautonomie les autres instances ne demandait quidentification et idéalisation. Elle crée donc des zones de liberté (en particulier pour celui qui dispose de lincertitude sur lautre) afin de permettre la manoeuvrabilité de lorganisation. Toutefois un excès dautonomie aura tendance à démultiplier le phénomènes institutionnels en sous institutions multiples concurrentes et refera surgir les conflits interne à lorganisation ; car chaque sous-institution de lorganisation qui se créerait avec les individus qui y sont acteurs vont désirer être linstitution primordiale et/ou linstitution préférée de linstitution centrale de lorganisation. La conséquence peut donc être léclatement de lorganisation par guerre interne.

Linstance organisationnelle (au sens stricte)

Les modalités de cette instances vont exprimer les institutions et les sous institutions quelle représente. Lorganisation ou sous organisation est donc une modalité spécifique et transitoire de tout un chacune (les institutions) et tente dêtre lincarnation de son institution. Elle va autoriser la transformation dans les faits de ce qui a été institué en des solutions technologiques et opératoires. Les procédures et les mœurs intériorisées qui en découlent on pour but de moduler, stabiliser voire dempêcher les désirs des différents individus et groupes à lœuvre dans ces solutions ne donnant que la seule légitimité du moins apparente à linstitution.

Elle a pour but aussi de culpabiliser les individus sur la notion defficacité, de rendements, dexcellence etc. en imposant des one best ways. Lexcès de linstance conduit à une réification de lindividu et à une limitation de son autonomie, lautonomie réelle ou revendiquée nétant que lapanage du pouvoir et de linstitution. Lindividu dépendant des exigences de linstance ne pourra prétendre quà un degré dautorité conféré mais non pas de pouvoir jalousement réservé à linstitution. Un tel système va inconsciemment générer des phobies :

  1. Lorganisation effective est une mise en forme aussi le non prévu est y est haï,
  2. Les comportements impulsifs et créateurs rejetés,
  3. Linconnu réduit au plus possible pour réduire la charge danxiété surtout face au pouvoir,
  4. Les autres en tant que dangers potentiels doivent être soumis à tout moment en particulier par lintégration dans léquipe et la soumission à l’ « esprit déquipe » sous peine dexclusion,
  5. La parole libre non autorisée est bannie car susceptible de remise en cause ou d’ « aberrations »,
  6. La pensée désintéressée et créativité nont pas leur place.

La conséquence par excès de linstance est une fétichisation, une compulsion de répétition des conduites de ritualisation maniaques finissant par aliéner les individus et aussi par lapparition de conduite perverses entre individus de types sado masochistes comme le harcèlement ou encore coulage sabotage etc., ou bien la communication pour la communication et les postures hystériques quelle induit.

Linstance groupale

Linstance groupale va créer un modèle de spécifique de production conforme à lorganisation au sens stricte mais aussi un regroupement de lutte : aussi cette instance est double, elle est à la fois formelle et informelle. Cette structuration est inévitable car les individus nont pas vocation à être des insectes et vont tenter à la fois de produire conformément aux normes et directives et limiter le possible celles-ci afin de ne pas être dépersonnalisé ni aliéné.

Le groupe est le porteur des projets de lorganisation qui va sinstaurer autour dune illusion, croyance et idéalisation fournies par les précédentes instances et qui va se matérialiser dans lélaboration et la mis en œuvre dun projet commun fournis ou proposés par les groupes. Le groupe va être le lieu dune autonomie propre nécessaire ou bien il nexiste pas :

  1. Il va être le lieu de la réalisation de chacun.
  2. Il va être le lieu du contre pouvoir par des luttes implicites (jeux) et explicites (conflits).

Le groupe va se sentir investi dune mission qui le structure et le défini en propre, sans groupe lorganisation ne peut pas exister. Aussi, le groupe va être le lieu privilégié des conduites pathologiques (individus et chefs). Enfin la caractéristique importante est que le groupe sera le lieu privilégié de lexpression de linconscient, le lieu de la reconnaissance du désir et du désir de reconnaissance. En conséquence, un groupe va être écartelé et fluctuer entre ces deux pôles extrêmes :

  1. A un extrêmedésir de reconnaissance seul : le groupe sera massifié c'est-à-dire cest la notion de groupe qui surplombe totalement lindividu, les symptômes dune intolérance à cette situation va se traduire par des conduites pathologiques comme les conduites émotionnelles, perturbées, délations, violence, méfiance, la paranoïa va sy installer avec émergence de discours passionnels. Si cette position sinstalle trop (si les aspirations des individus y sont trop déniées et forcloses alors cest lexplosion assurée).
  2. A lautre extrêmereconnaissance du désir seule : le groupe est différencié c'est-à-dire surplombé par les individus (à la limite le groupe nexiste pas ou est un prétexte) alors cest la lutte de tous contre tous qui sinstaure dans le but den prendre le contrôle voir de den fonder un ; en un mot de venir le chef, on voit ressurgir le héros et linstance mythique avec lexacerbation des conduites perverses et manipulatrices de linstance organisationnelle. Si cette situation perdure trop le groupe implose par conflit généralisé entre ses membres.

Il est donc nécessaire pour le leader du groupe de veiller à garder un équilibre médian (et non pas une illusion de lharmonie) entre ces deux pôles en donnant la reconnaissance nécessaire à chaque individu et en rappelant la légitimité du groupe en tant quentité (lesprit déquipe mais sans excès).

Linstance individuelle

Cette instance introduit deux aspects :

A La division sujet/individu :

  1. Lindividu est acteur social parlant au nom des autres instances en particulier de son groupe et de sa classe,
  2. Lindividu est sujet c'est-à-dire sujet de son propre inconscient freudien et collectif en dehors de lorganisation.

B Le clivage entre normal/pathologique :

  1. Lindividu normal plutôt dominé et orienté sur la régulation de lactivité,
  2. Lindividu pathologique plus proche des instances donc plutôt « chef » caractérisé par des degrés de paranoïa (la mission qui justifie tout), de perversions (manipulations sans fin et illusion de maîtrise totale), et hystérie (communication à outrance et théâtralisation).

Chaque individu nest ni totalement lun ou lautre de chacun des aspects : il nexiste pas dans une organisation dindividu totalement fou ou totalement normal ni totalement sujet ni totalement « acteur total ». En réalité lindividu va être acteur social dans la répétition relative (conduite normale conditionnée par les instances) et sujet de part une conduite plus ou moins éruptive (se traduisant par absentéisme, conflictualisation, mauvaise volonté ou au contraire par enthousiasme, sublimation, velléité de grandir : signe de son propre inconscient en jeu avec les instances :

  1. Tout individu à tout moment de par son statut de sujet inconscient constitue un écart irréductible par lequel le système entier souvre et se régénère.
  2. Cette instance rend lindividu/sujet apte, consciemment ou non, à transformer la structure dorganisation.

Ceci est donc la condition du changement possible. Cette aptitude est le fait de tous les individus de lorganisation sans exceptions. Le symptôme privilégié dun changement inéluctable à venir se traduira par des conduites de dissidences plus ou moins voyantes dindividus se situant à la marge, quelle que soit sa classe ou son statut. Ce symptôme est caractérisé par un discours lindividu (en général se sentant isolé et incompris) désigne lorganisation et son fonctionnement comme parfaitement contingente et parfaitement arbitraire.

Linstance pulsionnelle

Cest linstance reprenant le « ça » découvert par Freud et portée par lensemble des individus de lorganisation. Cette instance va dynamiser lensemble de la structure inconsciente de lorganisation aussi elle va forcément traverser lensemble des six autres instances. Les instances sont ici le destin des pulsions. Linstance pulsionnelle va représenter les deux sources de pulsions que sont Eros et Thanatos, et dont les buts sont :

  1. Eros : la pulsion de vie, la liaison et la mise en lien de contenu inconscient afin de garantir les besoins et nécessités
  2. Thanatos : la pulsion de mort visant à détruire ou effectuer la liaison.

Cet ensemble pulsionnels vise la satisfaction sans limite des aspirations des individus de lorganisation (fonction du « ça ») et ne peut donc quavoir en permanence un impact sur les autres instances ainsi que les individus.

On oppose Eros et Thanatos, mais dans le cas de lorganisation lune agit de concert avec lautre au travers de lensemble des individus permettant à la fois la création et la régénération des instances (lieu traduisant des règles intériorisées) et la destruction c'est-à-dire, la démonétisation, la désuétude, loubli ou « fossilisation » des règles en voie de vestiges. Le symptôme du travail des pulsions va être :

  1. Lagressivité permanente tournée vers lextérieure ou les individus internes perçus comme déviants et expression de la pulsion de mort.
  2. La permanence didées nouvelles, de discours nouveaux, de formation de groupes, institutions, organisation effective nouvelle etc. c'est-à-dire lexpression de la symbolisation permise par la pulsion de vie et qui finissent tôt ou tard par sinstaurer de gré de force.

Au niveau individuel cela se traduira par :

  1. Lindividu est temporaire c'est-à-dire définitivement précaire dans lorganisation,
  2. La lutte pour la reconnaissance est irrépressible,
  3. La renonciation et la résignation voire apathie (inverse de ci-dessus) comme contrepartie à un moment donné,
  4. Léchec inéluctable obligeant à des deuils comme condition de la réussite ultérieure.

Au niveau collectif, cest la pulsion de mort qui régit le cycle de création destruction, cest une fonction de régulation nécessaire et inéluctable. Cest la pulsion de vie qui permet de combler le vide ainsi créé par la régénération dun système imaginaire, symbolique et culturel, c'est-à-dire exprimant un sens et contenu inconscient nouveau, opérant dans lorganisation et structuré dans les instances.

Lorganisation et l'acteur - L'apport de Michel Crozier

La stratégie de l'acteur

Par rapport au système imaginaire, culturel et symbolique fourni par les instances ; lindividu acteur nest pas régi par une rationalité techniciste mais par les possibilité dextension de marge de manœuvre que lui confère ou non le système : il détient forcément une marge de manœuvre irréductible et se saisit des choix qui tôt ou tard soffre à lui dans la limite de ses contraintes.

On saperçoit que plus des individus ou groupes sont placés dans des situations non favorables dans lorganisation plus ils sont apathiques et non coopératifs et quà linverse plus les groupes ont accès à des positions stratégiques ils tendent à coopérer et finir par prendre des postures décisives dans lorganisation. Entre les apathiques répandus et les stratégiques minoritaires existent une middle class dite erratique qui oscille entre les deux.

Il sagit donc dun problème dopportunité et de capacité dans un système de contraintes rien nest définitivement figé pour aucun des groupes. La démarche stratégique est contingente au possibilité du système et lacteur :

  1. a en fait peu dobjectifs clairs et des projets cohérents à la base il se heurtent à des ambiguïtés, incohérences, contradictionsil ajuste en permanence.
  2. il est actif en permanence, même la passivité est la résultante dun choix,
  3. le comportement a toujours un sens,
  4. le comportement est dual : offensif pour saisir lopportunité et défensif pour garantir sa marge de manœuvre,
  5. derrière les comportements éruptifs il y a toujours une stratégie,
  6. une stratégie est un ensemble de règles impersonnelles conscientes ou non qui déterminent le choix des acteurs face aux situations.

La stratégie va donc prendre forme dans les jeux ou confrontation des règles entre acteur et former un résultat tangible apparent effectif, c'est-à-dire un équilibre stable à un moment donné. Elle dépend du degré de liberté c'est-à-dire du pouvoir de chacun. Lacteur va agir selon une stratégie gagnante dite stratégie « majoritaire dominante ».

Le pouvoir est le fondement de laction organisée

Le pouvoir est une relation dun acteur sur un autre et non un attribut, il ne se met en œuvre que par la relation qui conditionne les objectifs individuels au travers un objectif commun. Cette relation est une relation déchange, de négociation et une relation instrumentale motivant lengagement de ressources et engage ses possibilités dactions.

Cette relation est réciproque et déséquilibrée dans les faits dun acteur à lautre bien que le faible ne soit jamais totalement démuni. Cette relation est un rapport de force limité cependant par le système. Le pouvoir est la marge de manœuvre, le degré de liberté que chaque acteur dispose c'est-à-dire sa possibilité de refuser. Celui qui gagne cest celui qui rend le comportement de lautre parfaitement prévisible et le sien le moins prévisible possible.

Faire linverse volontairement (se rendre prévisible) revient à déplacer lenjeu et la nature du jeu et traduit souvent le déplacement de la zone dincertitude du joueur. Il faut cependant que cette zone nouvelle dincertitude reste signifiante et pertinente au regard des autres acteurs en jeux. Il sagit donc que des intérêts en jeu soient toujours significatifs.

Le pouvoir et lorganisation

Lorganisation structure et conditionne les zones dincertitudes que les groupes et les individus vont tenter dinvestir afin den prendre le contrôle plus la zone dincertitude sera cruciale pour la réussite de la bonne marche de lorganisation plus grand sera le pouvoir de cet individu et/ou groupe (il devient indispensable et incontournable). Lorganisation limite et régularise le déroulement effectif des stratégies et des jeux en fixant les enjeux, c'est-à-dire les risques exacts de gains et de pertes. Il existe quatre sources de pouvoirs pour un individu ou un groupe :

  1. lexpertise et compétences fonctionnelles particulières,
  2. la maîtrise de la relation de lorganisation à son environnement,
  3. la maîtrise de la communication et de linformation,
  4. le contrôle des règles organisationnelles (méta modèles voire le système des instances même).

Le jeu est l'instrument de laction organisée

Le système des instances crée une organisation effective ne contraint jamais totalement un acteur, chaque acteur dispose toujours un degré de pouvoir sur un autre même minime ; aussi :

  1. Le pouvoir absolu nexiste pas,
  2. Laliénation totale nexiste pas non plus.

Lacteur va donc mettre à profit sa marge de manœuvre conférée pour négocier sa participation en :

  1. La vision des acteurs est lensemble des résultats anticipés issus des jeux entre acteurs,
  2. chaque acteur voulant contraindre les autres acteurs pour la complétude de ses objectifs,
  3. chaque voulant maintenir ou élargir sa marge de manœuvre.

Lacteur va fonctionner par stratégie limitée par la structure formelle qui vise la sûreté de fonctionnement (Stratégie = ensemble de règles impersonnelles conscientes ou non qui déterminent le choix des acteurs face aux situations et fondant un jeu à résultat.).

Lorganisation structure et conditionne les zones dincertitudes que les groupes et les individus vont tenter dinvestir afin den prendre le contrôle. Plus la zone dincertitude sera cruciale lorganisation plus grand sera le pouvoir de cet individu et/ou groupe.

En résumé :

  1. Lacteur va agir selon une stratégie gagnante dite stratégie « majoritaire dominante »,
  2. Le pouvoir sera le fondement de laction organisée,
  3. Le jeu en sera linstrument au niveau informel entre acteurs,
  4. Le résultat réel voulu par lorganisation sera le résultat des jeux,
  5. La vision des acteurs est lensemble des résultats anticipés issus des jeux entre acteurs.

Effectuer un changement revient à casser la structure de représentation des jeux et stratégies de lacteur.

La problématique spécifique du changement - L'apport d'Eugène Enriquez

La finalité du changement

La relation de pouvoir comme obstacle et comme finalité du changement

Le problème du changement cest le pouvoir car lui aussi doit être sujet au changement. Or le pouvoir est linstance qui résiste le plus de par sa nature :

  1. le pouvoir nest ni un besoin ni un désir mais une nécessité irréductible en soi à partir duquel il faut raisonner
  2. le pouvoir est réparti de manière informelle en réalité au niveau des zones dincertitudes plus ou moins cruciales, en réalité tout le monde détient une zone plus ou moins grande de pouvoir

Les rapports de jeux de coopération qui en découlent sont fondamentalement conflictuels, ambigus et manipulateur. Lorganisation idéalisée harmonieuse, vertueuse et non conflictuelle est impossible. La difficulté vient que certaines catégorie de personnes accaparent le pouvoir (savoirs cruciaux) résultat normal de jeux dont le but est de réduire la marge de lautre précisément, les détenteurs de pouvoirs accaparés se rendent difficile daccès. Les pouvoirs (tout niveau) devront être impérativement la première cible des politiques de changements.

Finalités vécues et finalités choisies

Cest au niveau des relations concrètes de pouvoirs que se joue le changement parce que relations vécues et non pas seulement au sommet ni selon lorganigramme officiel. Un changement par lorganigramme aboutirait à recréer une nouvelle bureaucratie.

La réponse viendra de la (re)distribution des marges dincertitudes et de reconnaître à chaque détenteur leurs prérogatives réelles en amenant à faire assumer leur responsabilité réelle ni dépossédée ni accaparée.

Il sera alors nécessaire de redéfinir les objectifs de chacun de manières concrètes ainsi quun apprentissage et une découverte de modes de relation nouveaux qui vont progressivement effacer les situations de déséquilibres : ceci est le sens profond et lobjectif réel du changement.

Cependant il est impératif que les participants assument totalement ce choix et daccepter les prérogatives du rôle conféré : il doivent donc être amener en position de choisir et den assumer les contraintes nouvelles.

Le cas particulier de lautogestion : un problème et non une solution

Lautogestion est-elle la solution nécessaire et suffisante à tout problème de changement ? Malheureusement le changement nest pas un problème de choix de valeur idéologique, lautogestion reviendrait à redistribuer le pouvoir au plus grand nombre tout en contraignant selon un modèle donné a priori, cest à la fois contradictoire et illusoire : lautogestion ne se décrète pas. Elle ne peut se réaliser ni par la contrainte ni par ladhésion idéologique.

Le projet autogestionnaire est fondamentalement un problème car derrière la générosité du projet il masque en réalité une perspective à la fois vaine et dangereuse : la suppression de tout pouvoir c'est-à-dire léviction dune composante essentielle de la coopération (fin des jeux). Même si lautogestion est instituée démocratiquement et égalitairement, les manipulations les plus diverses continueront à proliférer pour se cristalliser autour des points clefs du système (direction, orientation, vision etc.).

Ce que révèle le problème de lautogestion cest quil est impossible dimposer un modèle effectif den haut dans la mesure une société vertueuse nexistera jamais. Ce sont les individus concrets réels qui porte la responsabilité du changement et non pas un modèle en soi : il sagit damener chacun à découvrir sa marge de liberté dont il dispose vraiment et ainsi la véritable responsabilité quil souhaite assumer.

La conduite du changement : la dualité agents de changement et analystes

Rappel historique sur la question du changement et de son idéologie

Larrivée de Darwin au XIXe siècle a transformé létude des Êtres en problématique de lévolution et la mutation des espèces. Cette idée a fini par atteindre létude des rapports sociaux toutefois pour cette dernière approche tout semble sêtre arrêté net dans la mesure certaines conclusions étaient désagréable à entendre. Au XXe siècle lidéologie de substitution a été : lévolution cest le progrès.

Or en réalité, cest la question du changement au lieu de lévolution ont il sest agi en réalité ; le changement cest la rupture, la désorganisation, la recherche dun nouvel équilibre et la mutation non finalisée ou perçue comme telle.

Le passage de lidéologie de lévolution (« le progrès ») à une réflexion sur le changement nest pas reçue ni par les groupes sociaux ni par les individus car cette idée débouche sur des questionnements trop anxiogène.

Ces dernières années on assiste à un retour des théories du changement dans le but danticiper et maîtriser les changements à venir, celle-ci induit une idéologie de changement perpétuelle et curieusement les individus se sentent prêts aux changements a priori, on remarque que :

  1. le changement est devenu une valeur en soi,
  2. le changement est surtout le changement des autres.

On assiste à la venue de méthodes agissant sur les structures, les techniques le social etc. mais jamais portant sur lacteur « sujet et objet ». Ceci nest pas le hasard : même en prônant le changement les individus désirent fondamentalement ne pas changer.

Cette posture sexplique : la résistance au changement est explicable dans la mesure on impose le changement sans se demander si les individus sont enclins à changer dans le sens proposé et surtout si on ne leur indique pas pourquoi : pour les individus le mode de comportement en cours na a priori aucune raison dêtre remis en cause.

Typologie du changement

Les deux sous-systèmes concrets réels : organisation et individu

Il nexiste que deux sous-systèmes concrets réels: les individus et les groupes organisés temporaires ou non. Les institutions sont transcrites dans les organisations effectives : lorganisation masque et exprime à la fois ce qui a été réellement institué : le lieu de changement ne peut être que les individus et les organisations pas les institutions directement.

Le changement individuel

En dehors de la psychanalyse qui vise la cure analytique et qui ne sapplique pas ici, il sagira de faire vivre, se faire représenter des situations « imaginaires » en en levant certains interdits et complexes que la personne a structuré dans son rôle dacteur surtout vis-à-vis de lexercice de ses responsabilités bien assumées ou non.

Cependant comme dans la psychanalyse lindividu va se défendre en détournant, en développant une dialectique visant à se déresponsabiliser : ceci est typique de linconscient qui nie en permanence historicité, doute, questionnement, souffrance, le temps etc. Or lanalyse est le lieu privilégié du déploiement de limaginaire et/ou est entretenu un mélange entre imaginaire et réalité. Toutefois la situation danalyse permet de lever les conditionnements institués dans le rôle social de la personne. Lanalyse na pas de puissance absolue le résultat est toujours relatif car résulte dun rapport de force entre répétition/conservation et force de vie, créativité et savoir : cest ce dernier qui est lenjeu réel et doit remplacer la place laissée vide par la répétition/conservation une fois celle-ci révoquée. Il faut donc parvenir à créer un vide.

Lanalyste va travailler sur des composants : des manifestations, des désirs, des symptômes et ne seront jamais totalement circonscritscest pourquoi une démarche qui favorise le questionnement et linterrogation est fondamentale. Il sagit de profiter des mouvements de liaisons (désirs latents) dont on sait quils peuvent ne pas être stoppés malgré les résistances et les orienter sur des nouveaux objets sociaux et ainsi vaincre la conservation/répétition devenue soudainement terne et obsolète par lindividu.

Le changement organisationnel

Les organisations sont à la fois closes et ouvertes : elle fait tout pour se maintenir sa cohérence et sa permanence par la répétition et lautorégulation et se défendre contre linconnu ; et en même temps elle va changer pour sadapter par rapport à son environnement extérieure : subsiste un problème, soit on applique les critères des dirigeants (changement fonctionnel ou fonctionnaliste) soit on prend un posture inverse (changement dysfonctionnel = rupture totale).

Fondamentalement il nexiste que deux types de changement en réalité : le changement fonctionnaliste lagent de changement fera sienne les directives des dirigeants et exige les attitudes « fonctionnels » quil larrange par un changement programmé et normatif et en imposant un modèle de changement, et le changement dysfonctionnel prenant fait et cause pour les dominés allant de la démarche revendicative au renversement révolutionnaire :


A. Le changement fonctionnel : le changement fonctionnaliste lagent de changement fera sienne les directives des dirigeants et exige les attitudes « fonctionnelles » quil larrange par un changement programmé et normatif, en imposant un modèle de changement

B. Le changement dysfonctionnel : le changement dysfonctionnel ou militant qui reprend non pas le point de vue des dominants mais ceux des dominés pour provoquer un changement en créent un maximum de dysfonctionnementscette position est irréaliste –. Il se présente comme un renversement et provoque des crises dures (une des variantes est la restructuration sont prônés les valeurs des conquérants ayant acquis lentreprise).

On constate toutefois quil existe des similitudes entre les deux types de changements : dans les deux cas lagent de changement est militant et est aveuglé par lidée que les individus nont pas de question à se poseril prend les individus pour des individus compacts « non divisés » et linconscient est secondaire voire nexiste pasla communication seule suffirait : cest une erreur. Il faut impérativement adjoindre à lagent de changement un tiers analyste devant faire le travail « opposé » c'est-à-dire quil va être attentifs aux discours naissants et conduites naissantes apparus sous limpulsion de lagent de changement (interrogations, conflits, contradictions mais aussi désirs dinvestissements etc.).

Aussi lanalyste va réinvestir la problématique des jeux, stratégies et nouvelles zones de pouvoir en fonction des nouveaux discours et assister, accompagner, élucider, prolonger les changements spontanés apparaissant dans les groupes et individus dans lapprentissage des nouvelles formes de responsabilité à choisir et à assumer. Il sera le complément indispensable au discours dinduction de lagent de changement.

Enfin, plus tôt sera mis en place le dispositif dencadrement de changement (agent et analyste), plus tôt sera effectif le changement; en effet, un changement durable est assez long et ne peut être artificiellement accéléré sous peine déchec.

Le rôle du psychosociologue

Champ dobservation du psychosociologue

Il ne sagit pas de létude dune réalité sociale ni dune psychothérapie : les gens ne sont pas malades ; il sagit seulement dinterpréter les phénomènes apparents « à la lettre » :

  1. accepter et recueillir ce que les acteurs expriment comme vécu tels quils les formulent,
  2. rétablir la chaîne de signifiants par la lidentification de linfluence des sept instances (quand cest possible) sexprimant par des contradictions et des hésitations etc. et de reconstituer le sens.

Il sagit donc de recueillir « au pied de la lettre » les discours de ressentis et de vécus et ne doit pas ni censurer ni tenter dinfluencer les acteurs interviewés, le vécu des acteurs : il sagit de faire confiance à lexpression consciente des désirs et des volontés. Il faut poser le postulat que les acteurs se livrent à des stratégies, luttes etc. et le savent consciemment ou non. En sexprimant il manifeste leur attachement à certaines significations sociales et/ou psychologiques centrales (signifiantes) pour chacun dentre eux.

La chaîne signifiante exprime la contradiction/congruence c'est-à-dire le décalage entre le discours et le faire effectif expression de limaginaire collectif de lorganisation quil faut cerner avant dagir et de préconiser une action de changements ou de poser un quelconque diagnostic concernant les conduites pathologiques. Le psychosociologue doit dégager le contexte imaginaire effectif réel à lœuvre dans lorganisation.

Le problème des conduites pathologiques des projets et des groupes

La structure particulière du projet

La polarisation spécifique à la structure de projet :

La description restent ici dans la partie sociologie de projet et sociologie de groupe, le projet exprime inconsciemment un volontarisme de tout vouloir maîtriser cela implique :

  1. une philosophie (référentiel) de la volonté et de laction,
  2. une philosophie de la connaissance

Le projet va dans linconscient osciller entre 4 pôles :

  1. Pôle créatif (pulsion de vie)
  2. Pôle normatif (normespulsion de mort)
  3. Pôle existentiel (répétitivitépulsion de mort)
  4. Pôle pragmatique (anticipationpulsion de vie)

Le projet fixe donc un cadre imaginaire qui lui est spécifique auxquels les acteurs vont se référer le projet est un sous-ensemble particulier de linconscient de lorganisation. Aussi les conduites pathologiques seront propres au projet, on notera les plus fréquentes :


A. Le projet divisé ou le déni de projet.

Dun point de vue de son organisation un projet sépare rôle de conception et rôle de réalisation Dans une représentation pathologique le projet devient incantatoire pour mieux masquer une division sourde et masquée dune division du travail (dominant = conception et dominé = réalisation). Cest une illusion de projet pour justifier une exploitation plus ou moins directe.


B. Le technicisme et le « technologisme ».

Le technicisme des procédures et lapologie de la technologie traduisent des conduites perverses manipulatrice de type « maîtrise totale » ou « excellence par la performance ». Cette apologie cache en fait un désordre des dominants qui tend à se retrancher derrière une structure formelle (sûreté de fonctionnement pour la sûreté de fonctionnement) mais vise en fait à limiter les stratégies et jeux normaux (informels des acteurs) pour mieux les soumettreil ne sagit donc pas du projet dont le but est ici détourné.


C. Le totalitarisme de la fonction planificatrice.

Il sagit dune idéalisation négatrice de la réalité : il introduit une fausse continuité temporelle cest-à-dire une redéfinition illusoire du temps pour mieux masquer un trop grand morcellement du projet Il nie les imprévus de la réalité pour mieux imposer un discours idéologique. En réalité cette conception des projets conduit à léchec par improvisation au dernier moment et conduit à leffondrement du projet.


D. Le culte de lauto satisfaction.

Cela vise le narcissisme des individus qui prennent leur travail (c'est-à-dire eux-mêmes) pour leur propre idéal. Cela conduit à une sorte denfermement sur le projet entre narcissisme et idéalisation Cest un fétichisme qui conduit à des aberrations comme des sur dépenses, voyages dagrément, standing, rien nest trop beau etc.…) Cest une conception infantile des projets qui doit être rectifiée sous peine de voir le projet ne jamais finir et de coûter très cher pour un résultat moyen.


E. Le leurre.

Il sagit de laisser entrevoir des perspectives audacieuses mais dont les réalisations seront en réalité médiocres ou inconséquentes (larchitecture peut fournir un bon exemple). Le « texte » produit est abscons et « jargonne » dans une langue de bois. Il faut se réinterroger sur le fondement réel dun tel projet.


F. Lactivisme hypo maniaque.

Il sagit dune conduite concernant les individus ou groupe qui abandonnent un projet à peine ébaucher pour en prendre un autre ; créant une « obsolescence » de sa personne et/ou groupe. Lactiviste vit dans la superficialité et léphémère et traduit des problèmes de représentations du lien social, lindividu ou groupe se prend pour une sorte de héros/dissident qui ne veut rendre de compte à personne ; elle est particulièrement fréquente dans les projets technologiques.

Le cas particulier des groupes

La spécificité du groupe se caractérise comme lieu de réalisation des individus, lieu des projections donc lieu privilégié de la manifestation de l'inconscient ; on notera les formes pathologiques qu'il faudra traiter promptement si elles émergent :


A. Le phantasme du groupe « machine » séducteur et persécuteur (Didier Anzieu).

Les participants ont le sentiment dêtre emporté dans un processus inexorable et usant psychologiquement (burn-out dont le symptôme est labsence didées nouvelles et un début dapathie) Les chefs sont perçus comme des démiurges et on est très proche de linstance mythique (héroïsme et surtout sacrifice: le prix pour le renoncement est toujours hors datteinte ou sans cesse reculé. Ils ont le sentiment dêtre la proie dune force qui les dépasses et les « dévorent » - cest extrêmement anxiogène et même potentiellement dangereux pour les individus (dépression nerveuse voire suicide) - cest une pathologie de groupe très grave : il faut intervenir au plus vite. Le groupe va vite de toute façon seffondrer.


B. La communication pathogène ou linjonction paradoxale et/ou la désillusion - le double lien (Paul Watzlawick).

Il sagit de délivrer un message qui a un double sens : le projet confondu avec le destin du groupe (et réciproquement) devient une obligation pour tous les acteurs c'est-à-dire quils sont mis en demeure soit den avoir un soit dy participer « pour leur bien ». En réalité le message masqué est inverse il vise à asservir et contrôler davantage tout en prônant lidée inverse (épanouissement, prise de responsabilité, reconnaissance etc.). Il masque en réalité lirresponsabilité de lorganisation qui ne sait pas créer les conditions de fonctionnement efficace dun projet et déporte sa responsabilité sur les acteurs du projet qui sen pendront quà eux-mêmes. Cest une figure de la pulsion de mort.


C Le groupe massifiépolarisation sur le désir de reconnaissance (Eugène Enriquez).

A un extrême de linstance groupale : désir de reconnaissance seule domine : le groupe sera massifié c'est-à-dire cest la notion de groupe qui surplombe totalement lindividu, les symptômes dune intolérance à cette situation va se traduire par des conduites pathologiques comme les conduites émotionnelles et perturbées, délations, violence, méfiance, la paranoïa va sy installer avec émergence de discours passionnels. Si cette position sinstalle trop (si les aspirations des individus y sont trop déniées et forcloses - forclusion de système symbolique - alors cest lexplosion assurée).


D. Le groupe différenciépolarisation sur la reconnaissance du désir (Eugène Enriquez).

A un extrême de linstance groupale : reconnaissance du désir seule : le groupe est différencié c'est-à-dire surplombé par les individus (à la limite le groupe nexiste pas ou est un prétexte) alors cest la lutte de tous contre tous qui sinstaure dans le but den prendre le contrôle voir de den fonder un ; en un mot de venir le chef, on voit ressurgir le héros et linstance mythique avec lexacerbation des conduites perverses et manipulatrices de linstance organisationnelle. Si cette situation perdure trop le groupe implose par conflit généralisé entre ses membres.

Les deux leviers fondamentaux du changement : idéalisation et sublimation

A. Lidéalisation.

Lidéalisation est un mécanisme imaginaire qui consiste en :

  1. identification à une instance supérieure comme une religion ou une société
  2. aujourd'hui les "nouveaux sacrés: l'Argent, l'État, l'Entreprise...
  3. ces institutions essaient de se montrer comme sacrées et totalement indiscutables, sorte de puissances absolues au dessus de tous et créatrices d'un lien prétendument incontestable.
  4. idéalisation sociale, réinterprétation des faits (ne parlons même pas des faits cachés).
  5. besoin d'un amour envers le chef, un héros.
  6. idéalisation qui cache quelque chose, défense contre un ennemi potentiel.


La perte de l'idéalisation ou idéalisation floue peut devenir dangereuse pour la société, en effet, lidéalisation à un rôle protecteur en fournissant des repères par rapport au deuil et à la souffrance ; un individu sans idéal serait capable de tout, autant du "bien" que du "mal", ne connaissant pas les limites de la société qu'il habite. Lidéalisation fournit un cadre social à lindividu.


B. La sublimation.

La sublimation est un phénomène imaginaire quon oppose à idéalisation : lopposition idéalisation / sublimation existe mais les deux phénomènes peuvent être aussi complémentaires à linstar des pulsions de mort et de vie quelles sous-tendent. La sublimation correspond au désir du développement de soi, en effet la sublimation est aussi la condition de lexistence sociale : si on en était resté aux pulsions jamais de société n'aurait pu exister.

Sublimer est un processus normal de la société, rien que de parler est un acte de sublimation : cest labstraction des choses pratiques en mots etc. La sublimation donne la possibilité de discuter, de tisser des liens et constitue le levier de la socialisation effective, en conséquence la sublimation n'est pas forcément toujours un contraire de lidéalisation.

La sublimation donne le droit à l'inconscient de s'exprimer pour le bien de la société cest-à-dire à lindividu dutiliser ses pulsions pour atteindre un but socialement valorisé par la culture et donner satisfaction à son narcissisme en même temps.

A priori il y a assez de métiers pour que chacun d'entre nous puisse assouvir ses "pulsions", toutefois les gens sont souvent contraints à faire un travail qui ne leur convient pas. Cet écart amène un certain nombre d'individu (peut-être une majorité) a ne pas pouvoir se sublimer. Aussi, la sublimation doit s'aider de l'idéalisation pour obtenir et maintenir un équilibre acceptable : dans ce cas les deux concepts de ne rejettent pas mais au contraire ont tendance à se compléter.

La sublimation est une intellectualisation : appropriation des concepts, la dérive pathologique consiste phantasme du contrôle absolue, besoin destructif, dérive de tout mettre dans des boîtes de tout classer de penser tout savoir. Dans le cas de la création, expression de la sublimation, mais en même temps charge émotionnelle, aussi elle devient douloureuse et difficile à supporter en permanence. Une forme de sublimation serait justement le partage de cette envie d'investigation que constitue la création.

Sublimation et idéalisation sont unies, ne peuvent exister l'une sans l'autre. Il n'existe pas de société purement individuelle comme purement collective. Les repères des deux côtés sont indispensables, les hommes ont besoin de faire partie d'un groupe autant qu'ils ont besoin d'exister individuellement comme être unique. La question devient vers quoi et vers quelle culture faut-il tourner lindividu et les groupes.

Bibliographie

Eugène Enriquez :

  • L'inadaptation, phénomène social (1964) - ouvrage collectif -
  • La formation psychosociale dans les organisations (1971) - ouvrage collectif -
  • Évolution, transformation, signification du travail et perspective psychosociologique (1978) - publié dans "Que va devenir le travail ?" -
  • De la horde à l'État (1983)
  • Le sexe du pouvoir (1986) - ouvrage collectif -
  • Les trois métiers impossibles (1987) - ouvrage collectif -
  • Les coopératives de production et de consommation (1989) - publié dans les "Cahiers de la FEN" -
  • l'Inconscient et la Science (1991) - co-auteur-
  • L'Institution et les institutions (1991) - ouvrage collectif -
  • O mal estar nas organizaçoes (1991) - publié au Brésil -
  • Les figures du maître : essai (1991)
  • L'organisation en analyse (1992)
  • L'analyse clinique dans les sciences humaines (1993)
  • Analise social e intervençao (1994) - ouvrage collectif publié au Brésil -
  • Mudança e sobrevivencia (1995) - publié au Brésil -
  • Psychanalyse et sexualité (1996) - ouvrage collectif -
  • Les jeux du pouvoir et du désir dans l'entreprise (1997)
  • Le goût de l'altérité (1999) - co-auteur et colloque universitaire consacré à l'auteur -
  • Domaine privé sphère publique (2001) - co-auteur -
  • La face obscure des démocraties modernes (2002) - co-auteur -
  • Violences - De la réflexion à l'intervention (2004) - co-auteur -
  • Vocabulaire de psychosociologie (2006) - co-directeur et co-auteur d'ouvrage collectif -
  • Inventaire en clinique du travail (2006) - co-auteur -
  • Désir de penser, peur de penser (2006) - directeur d'ouvrage collectif -
  • Les pratiques sociales au regard de l'éthique (2007) - co-auteur publié dans "Nouvelle Revue de Psychosociologie" -
  • Clinique du pouvoir - Les figures du maître (2005/2007).


Michel Crozier / Erhard Friedberg :

  • L'acteur et le système (1977/1986).

Paul Watzlawick :

  • La réalité de la réalité (1976).

Sigmund Freud :

  • Métapsychologie (1914)

Didier Anzieu :

  • Le groupe et l'inconscient (1975).

Max Weber :

  • Économie et Société (1921).

Jean-Pierre Boutinet :

  • Psychologie des conduites à projet (1993)

Liens externes

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