- Eternel retour (Nietzsche)
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Éternel retour (Nietzsche)
Pour les articles homonymes, voir Éternel retour.L'Éternel Retour dans la pensée Nietzschéene est fort éloigné de l'idée de résurrection présente dans certaines religions. Le philosophe ne tient pas pour véritable la possibilité de revivre à l'infini sa propre vie, mais fait de cette supposition une sorte d'impératif, de question ultime et essentielle. On pourrait réduire grossièrement ce concept en quelques mots : " Mène ta vie comme si tu pouvais souhaiter qu'elle se répète éternellement." Ainsi pour de nombreux penseurs de la fin du XIX ème siècle en Allemagne, époque phare du pessimisme, la réponse que la plupart des hommes apporteraient à cette question suffit à prouver l'absurdité de l'existence. Si en effet la mort venait vous voir ce jour même en vous annoncant que votre heure est venue mais que vous pouvez decider, au lieu de sombrer dans le néant, de revivre à l'infini et dans ses moindres détails toute la vie que vous avez menée jusqu'ici, il y a fort à parier que l'on préfèrerait retourner au néant. Aussi faut-il tâcher de vivre de telle sorte que l'on puisse souhaiter que chaque instant se reproduise éternellement.
Sommaire
Historique
Dans Humain, trop humain (1878-1879), II, on trouve déjà cette phrase : "La vanité de l'homme, autant que je la connais, ne demande pas non plus, comme j'ai fait deux fois déjà, si elle peut parler : elle parle toujours."
Nietzsche découvre l'idée de l'éternel retour du même en août 1881, à Sils-Maria, dans la Haute-Engaldine, en Suisse.
- "Je veux raconter maintenant l'histoire de Zarathoustra. La conception fondamentale de l'oeuvre, l'idée de l'Éternel Retour, cette formule suprême de l'affirmation, la plus haute qui se puisse concevoir, date du mois d'août de 1881. Elle est jetée sur une feuille de papier avec cette inscription : A 6000 pieds par-delà l'homme et le temps. Je parcourais ce jour-là la forêt, le long du lac de Silvaplana ; près d'un formidable bloc de rocher qui se dressait en pyramide, non loin de Surlei, je fis halte. C'est là que cette idée m'est venue" (Ecce homo).
Selon Heidegger (Essais et conférences, p. 139), on trouve dans Ainsi parlait Zarathoustra, III (écrit en janv. 1884), "De la vision et de l'énigme", le premier exposé de l'Éternel Retour :
- "Il dit : 'Comment ? était-ce là la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois !'"
Justifications ontologiques
Nietzsche n'a pas seulement affirmé l'Eternel Retour comme Volonté de puissance la plus haute, il a tenté d'en donner une justification ontologique.
L'Éternel retour peut être déduit du concept de volonté de puissance, en admettant certains axiomes :
- l'être n'existe pas, ie. l'Univers n'atteint jamais un état final, il n'a pas de but (ce qui implique aussi le rejet de tout modèle mécanique) ;
- en conséquence, l'Univers n'est ni devenu ni à devenir – il n'a jamais commencé à devenir (c'est entre autres le rejet du créationnisme) ;
- l'Univers est fini (reconnaissance que l'idée d'une force infinie est absurde et reconduirait à la religion) ;
- la volonté de puissance est une quantité de force ; or, selon les points précédents, l'Univers est composé d'un nombre fini de forces et le temps est un infini ;
- ... toutes les combinaisons possibles doivent donc pouvoir revenir un nombre infini de fois.
L'Éternel retour nietzschéen se distingue de toutes les anciennes conceptions cycliques (par exemple la perspective du cycle des réincarnations tel qu'il est exposé dans les textes hindous) : si la loi du karma lie l'existence future d'un être à son existence passée, et proclame une relation de débiteur à créancier de l'homme à lui-même (l'existence sert à payer les erreurs d'une existence passée), Nietzsche, pour sa part, nie toute dette et toute faute, et conçoit le devenir cyclique par delà bien et mal. Le devenir est ainsi justifié, ou, ce qui revient au même, on ne peut l'évaluer d'un point de vue moral.
Le nihilisme (ie. il n'y a pas d'être), dans cette pensée, est un état normal, et non seulement un symptôme de faiblesse face à l'absurdité de l'existence. Le but de ce concept est ainsi de proposer une pensée sélectrice par ce nihilisme extrême, idée qui rendrait nécessaire la transformation des évaluations traditionnelles de la morale et de la religion. Penser l'éternel retour serait alors l'état maximal de la puissance humaine ; c'est par cette pensée assumée jusqu'en ses ultimes conséquences qu'advient le surhomme. En ce sens, la volonté de puissance découle de la pensée de l'Éternel Retour.
L'éternel retour est ainsi tout autant une hypothèse cosmologique qu'une réalité éthique : « Si le devenir est un vaste cycle, tout est également précieux, éternel, nécessaire. »
Il n'est pas certain que Nietzsche ait réellement cru à cette idée, au sens classique de tenir pour vrai, puisqu'il lui suffisait de la considérer comme une représentation susceptible de favoriser le développement de la puissance en tant que vie (une réalité éthique).
Bibliographie
→ Éternel Retour, bibliographie des archives Goethe-Schiller
- Paolo D'Iorio, "Cosmologie de l’éternel retour", Nietzsche-Studien, 24 (1995), pp. 62-123.
- Paolo D'Iorio, "Nietzsche et l’éternel retour. Genèse et interprétation", Nietzsche. Cahiers de l’Herne, Paris, l’Herne, 2000, pp. 361-389.
- Crépon, Marc, L'éternel retour et la pensée de la mort, in « Les études philosophiques »
- Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, Paris, 1970, p. 189-222.
- Karl Löwith, Nietzsche : philosophie de l'éternel retour du même, Paris, 1991.
- Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, §341
- Nietzsche, Friedrich, Fragments posthumes sur l'eternel retour : [1880-1888], edition établie et traduite par Lionel Duvoy. Postface de Matthieu Serreau et Lionel Duvoy. Paris, Éditions Allia, 2003.
Voir aussi
Liens externes
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Catégorie : Concept nietzschéen
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