Espace (Sciences Sociales)

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Espace (sciences sociales)

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L'espace est, géographiquement parlant, une dimension sociétale qui correspond aux relations établies par la distance entre différentes réalités sociétales.

Sommaire

L'évolution du concept d'espace en sciences sociales

Si les sciences dures (physique, mathématiques) ont construit des définitions claires de la notion d'« espace », une définition précise de l'espace étudié tel qu'il est étudié par les sciences sociales, notamment la géographie a mis du temps à être formulée.

La réflexion épistémologique sur le concept despace en sciences sociales commence dans les années 1960 et 1970, bien qu'elle ne parvienne pas, à l'époque, à maturité. En effet, les écoles géographiques réfléchissant sur le sens de la notion despace nétaient parvenues à voir l'espace que sous la forme d'un substrat, secondaire, soutenant dautres processus : réalités sociologiques, économiques, historiques, représentationsCétait dire que les processus économiques, sociologiques et historiques prenaient forme dans lespace et que l'espace était un « lieu » absolu se réalisait la société. La réflexion prenait donc la forme d'une tautologie, puisque la définition de l'espace était celle d'un espace se développait la réalité sociale. Un espace, qu'il soit celui des échanges économiques ou celui de la lutte des classes, est bien un espace . Rien de neuf n'était dit à propos de l'espace lui-même et l'espace demeurait impensé.

Quatre manières de penser l'espace en géographie peuvent être dégagées :

  1. la géographie physiciste voit lespace comme une réalité absolue : les conditions géo-climatiques sont vues comme stables (il existe un espace climatique intertropical qui ne peut pas changer), les régions existent en tant que telle (l'Amérique est l'Amérique et restera l'Amérique) ;
  2. la géographie culturaliste voit le positionnement spatial des cultures comme des réalités absolues : il y a par exemple un espace défini de la civilisation occidentale et un espace défini de la civilisation musulmane ;
  3. une géographie relativiste voit la réalité spatiale comme le fruit dun jeu de forces dans le cadre dun système, faisant que chaque élément du système se situe spatialement en fonction des autres éléments. Par exemple, il est possible d'étudier la localisation des offres d'emplois par rapport aux demandeurs d'emplois ; mais chaque élément est vu une réalité atomique absolue : on néglige la diversité des choix des acteurs humains ;
  4. la géographie du début du XXIe siècle garde la conception du système mais en voit les éléments comme réalités fluctuantes et libres (« acteurs géographiques »), faisant que les rapports entre éléments ne sont jamais réellement prédéterminés.

De la psychologie à lanthropologie en passant par la géographie et lurbanisme, la notion despace émerge de plus en plus au sein des sciences humaines et sociales. Nous pouvons dabord parler despaces dans les sciences politiques de la ville et dans tout ce qui rejoint lurbanisme contemporain. Il existe dabord le concept fonctionnaliste développé par Le Corbusier en France dans les années 1970, qui propose de créer des quartiers qui seraient de véritables machines à habiter. Tout serait conçu pour habiter confortablement, proche de la nature, sans voiture. Mais il manque à ce concept un point crucial : des réseaux de communication capable de créer et dassurer un minimum de lien social qui pourrait pérenniser ces espaces. Cest sur ce point que les penseurs de lespace, des anthropologues ou psychosociologues, mobilisent des idées sur les rapports entre lespace en tant que support matériel, comme cadre, et en tant que volume dactivité humaines.


Espace et interactionnisme

Les concepts despace, de lieux et de proxémie nous viennent dune tendance à sintéresser aux sciences humaines et sociales à partir de lindividu et des interactions quil a avec les autres individus. G. Simmel en fut lun des principaux instigateurs. Pour lui lespace est vu comme une médiation avec un caractère exclusif. Cest le lieu des actions réciproques des individus régis par des règles et des normes. La tradition voyait lespace comme support matériel, comme contenant non déterminé par le contenu. Mais une autre tradition apparue qui voit lespace dépendant du contenu : « Lespace cest lordre des coexistants ». Simmel reprendra cette tradition qui nous vient du philosophe Leibniz pour voir dans lespace une troisième voix : le relativisme et linteractionnisme. Lespace est un système de positions et de relation de positions. Ce qui montre en quoi lespace à un lien avec les interactions des individus, les relations réciproques.

Cette troisième voix, E. Goffman y amène sa pierre à lédifice. En effet, proche des théories Simmeliennes, Goffman montre en quoi il est important en sciences sociales de sintéresser aux interactions individuelles. Il montre que les actions individuelles dans un espace donné ne sont quune métaphore théâtrale. Chaque individu serait un comédien qui joue un rôle précis conforme à lespace dans lequel il se trouve et conforme aux attentes des autres personnes en présence. Ce jeu permet de ne pas perdre la face et de ne pas la faire perdre aux autres. Cela permet déviter les malaises et les conflits.

Quand on se retrouve seul dans un lieu privé, on ne joue plus de rôle pour rentrer dans les coulisses lon se détend. Selon Goffman, on peut jouer plusieurs rôles différents en fonction des personnes et des espaces fréquentés. Il ny aurait donc pas un « moi » mais plusieurs « moi » pour chaque individu. Lespace serait donc non seulement un cadre matériel mais également porteur de significations pour les individus qui y sont en interaction.

I. Joseph, essaye de comprendre la ville par rapport aux interactions des individus et par le processus dappropriation de lespace public. Pour lui lespace public est accessible quand plusieurs mondes le partagent. On y agit seul ou ensemble par le biais de rencontres individuelles, de lexpérience de chacun et de la relation entre eux. Lindividu est pour lui déterminé par la structure de la ville et il sy adapte par la sociabilité et la visibilité. Comme Goffman, il explique que chaque individu fait un travail de figuration. En outre, il montre quil existe des rituels à chaque espace. Dans les espaces publics il existe un langage commun dans lexposition aux autres, pour et par les autres. Il met aussi en relation lintimité et lespace public, avec les autres. Il montre que lun de ces rituels, celui de lévitement est fréquent afin de ne pas violer lintimité dautrui : espace public et intimité ne sont donc pas incompatible.


Une psychosociologie de lespace

Pour Kevin Lynch qui sintéresse à lurbanisme par lespace et lidentité, la difficulté d'une définition positive de l'identité urbaine provient principalement du fait que le concept d'identité est issu du champ de la psychologie et s'est appliqué en premier lieu à l'individu. L'idée de "l'identité urbaine" devient opérationnelle à partir du moment l'on considère une collectivité urbaine comme un acteur social. Ainsi, l'identité urbaine peut se définir comme le processus d'agencement et de structuration de l'ensemble des représentations que les différents groupes sociaux internes et externes d'une ville se font d'elle, de son passé, de son présent et de son avenir, et ceci à un moment donné de l'histoire. Il conçoit donc lespace à travers lidentité, les structures et les significations.

Jean Remy veut donner à lespace un statut théorique en lui donnant un statut explicatif isolé mais en liaison avec dautres déterminants sociaux. Pour lui lespace peut influencer la formation de réseaux dinteraction mais également la représentation de soi et de son rapport aux autres. Il parlera alors de lanalyse des champs de contraintes et de possibles que lespace contribue à constituer.

G.N. Fisher dans « psychosociologie de lespace » rappelle le rapport entre espace et activité humaine en précisant que nos comportements sont influencés selon « lenvironnement matériel donné », quils sont formés par lespace mais quils forment eux-mêmes lespace. Pour Fisher le rapport entre lHomme et lespace est un médiateur de la communication, « Homme-environnement-Homme ». Fisher précise que lespace est considéré comme une entité extérieure à lindividu mais qui élabore des significations que chacun interprète selon sa culture, son éducation etc. Les techniques employées dappropriation de lespace seront alors différentes selon ces facteurs ; les significations que ce même espace nous renverra en seront remodelées. G.N. Fisher veut montrer ensuite le rapport entre lespace et les différents types de libertés : principale, marginale et interstitielle, élaborés par A. Moles. Elles sont dépendantes de lespace dans lequel nous nous trouvons. Certains espaces ont plus de contraintes et enferment la liberté de lHomme dans un champ délimitéles limites matérielles de lespace dans lequel lHomme se trouve peuvent symboliser cette délimitation de liberté. Dautres espaces permettent détendre les limites comme un élastique, sans les casser. Enfin les derniers espaces permettent de passer dans les fissures naturelles quont ces limites.

Comme A. Moles, Fisher pense lespace en tant que représentation et signifiant pour lHomme : « Lespace nexiste que par ce qui le remplit ». Tout dabord il nous montre la différence entre lespace et le lieu : un lieu se différencie de lespace en cela quil possède une identité, une appropriation humaine par des représentations. Le lieu est alors un espace qui à une signification particulière pour lHomme. Selon A.S. Bailly chaque individu à sa propre représentation de lespace dans lequel il est. Cet auteur qui a une approche plus cognitive, précise que nos représentations sont fondées sur lapparence de lobjet et non sur lobjet lui-même. Nous ne pouvons voir la réalité matérielle dun lieu, que depuis le point de vue d lon se trouve, daprès nos expériences personnelles, notre identité et notre culture. Lappropriation dun espace ne peut se faire quen prenant en compte cette notion de représentation de celui-ci.

Fisher et Moles parlent également des micro milieux qui sont à « la base des structures du comportement » : «  ce qui est proche pour moi (ici, maintenant) est plus important que ce qui est lointain (autrefois, ailleurs) ». Ils veulent ainsi montrer la dialectique entre lenvironnement sociale et géographique de lHomme et lactivité humaine, ses représentations, ses cultures et ses valeurs.


Espace et anthropologie

A. Moles a pourtant une approche plus anthropologique. Quand il parle de proxémie, il se rapproche des concepts anthropologiques de E.T. Hall. Ce dernier explique que chaque espace a un caractère à la fois sociofuge et sociopète : il favorise le contact tout en sachant limiter les distances entre individus. Grâce à une démonstration qui part de léthologie, il montre dans « La dimension cachée » quil existe quatre types de distances spatiales existantes dans chaque culture : la distance intime, la distance personnelle, la distance sociale et la distance public. Chacune varie selon les personnes, les sociétés et les lieux dans lesquels nous nous trouvons. La proxémie explique alors comment lespace et organisé dans les sociétés humaines selon les facteurs culturels. Elle nous permet de comprendre comment nous nous approprions lespace, et comment celui-ci nous incite à sorganiser de telle ou telle manière selon les représentations que lon en a et selon les normes et règles en vigueur. E.T.Hall nous montre que la distancela bulle- qui nous sépare des autres est différente selon les cultures. Des conflits peuvent être généré à cause de ces malentendus. Cette différence de sphère personnelle qui nous entoure et qui nous protège des autres, influence notre manière dorganiser lespace et de le pratiquer. E.T. Hall donne en exemple le Japon, lEurope et les États-Unis dAmérique : le style daménagement urbain et domestique des habitat de chacun de ces lieux géographique est différend selon leurs manière de pratiquer lespace.

En comprenant les pratiques de lespace et en laissant de côté une vison géographique et fonctionnaliste de lespace, les penseurs de la proxémie ouvrirent de nouvelles voies dans les recherches sur lespace et le lien social urbain.

L'approche actuelle du concept d'espace en sciences sociales

Cette nouvelle approche philosophique de lespace, relationnelle (puisqu'elle considère que les points trouvent leur réalité en fonction de leurs relations) et relativiste (puisqu'elle ne considère pas l'espace comme une réalité en soi), rend possible une approche « dimensionnelle » : lespace est l'une des dimensions de la réalité. Ainsi, si une société peut être étudiée en fonction de ses relations économiques, de ses relations sociales, de son histoire, "elle peut être étudiée selon la dimension de son espace" (Jacques Lévy, 1993).

  • Lespace est réel : il a des conséquences sur tous les objets, autant que l'économie, l'histoire ou la sociologie.
  • Lespace est relationnel : les positions des objets nexistent pas en soi, mais dépendent de la distance entre les éléments.
  • Lespace n'est pas étudiable en soi : l'espace est une dimension d'appréhension et non un objet étudiable. De la même manière que l'histoire est l'étude du temps dans les relations économiques, les relations sociales, les représentation ou les individus, et qu'étudier le temps, en lui-même, n'a pas de sens en sciences sociales, il est impossible d'étudier l'espace en lui-même. Cette position est le spatialisme, partagé par certains géographes, qui étudient l'espace comme une chose en soi et le sens commun, qui la plupart du temps ne considère pas l'espace comme une dimension fonctionnelle de la réalité humaine.

Trois conséquences épistémologiques de la nouvelle approche de l'espace

  1. L'opposition entre un lieu (ponctuel) et une aire (étendue spatialement) nest plus de mise. Le lieu devient une des formes de l'espace, conçue de façon ponctuelle et dont le lien avec ce qui l'entoure évolue entre enclavement (distance infinie) et ubiquité (distance nulle). Les techniques de réduction des distances sont : la co-présence, la mobilité, la télécommunication.
  2. La société forme un tout systémique, sujet de recherche la science sociale. Le tout nest pas délimité en parties juxtaposées (société, économie, espace, temps…) dont certaines seraient plus puissantes que dautres (comme le veut limpérialisme épistémologique des historicistes, des économistes ou des sociologues). Le tout comporte diverses dimensions : économie, sociologie, histoire, spatial, politique, individualité,… et lespace est lune des dimensions de la société : tous les éléments sociaux se caractérisent par une certaine distance par rapport aux autres et toutes les stratégies, politiques, actes, idéologies, technologies, savoirs des acteurs sociaux prennent nécessairement en compte (même inconsciemment) la dimension de la distance. Toute la société est à dimension spatiale et tout lespace est à dimension sociale. Mais la société nest pas que spatiale. Toute étude de la société, dun point de vue spatial, doit prendre en compte lensemble des caractéristiques économiques, historiques et sociologiques. Ainsi, le concept de « socio-spatial » est-il un pléonasme, puisque le chercheur doit toujours prendre en compte lensemble des dimensions sociétale dans son approche scientifique.
  3. Lespace peut être étudié à la fois dans sa composante matérielle (distance entre les éléments), dans sa composante idéelle (conceptions que les éléments se font de la distance), et dans sa composante immatérielle (utilisation des télécommunications pour réduire la distance, sans la réduire « matériellement »).

Un espace

Objet social défini par sa dimension spatiale.

Un espace se caractérise par trois attributs fondamentaux : échelle (taille de lespace), métrique (manière de mesurer lespace), substance (dimension non spatiale des objets spatiaux).

Un espace minimal est un chorotype. Une composition de chorotype est un géotype. Les trois types de relations entre espaces sont : interface, cospatialité, emboîtement.

Notes et références


Voir aussi

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Articles connexes

Bibliographie

  • Henri Lefebvre, La Production de l'espace
  • Guy Di Méo, L'Espace social : Lecture géographique des sociétés, Broché, 2005
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