- Discours sur le colonialisme
-
Le Discours sur le colonialisme est un pamphlet anticolonialiste d'Aimé Césaire publié dans Réclame, maison d'édition liée au Parti communiste français, le 7 juin 1950, avec une préface de Jacques Duclos. Aimé Césaire, dans l'édition originale, choisit comme citation en exergue, cette phrase du dirigeant communiste : "le colonialisme, cette honte du XXe siècle".
L'auteur dénonce avec force ce qu'il voit comme la barbarie interne à la civilisation occidentale, qui trouva un exutoire en dehors de l'Europe, avec l'implantation coloniale. À des territoires européens de droits et de libertés, Césaire oppose des territoires extra-européens colonisés, soumis à l'oppression et à la haine, au racisme et au fascisme. À des pratiques démocratiques et policées en Europe, il oppose des actions violentes et criminelles commises dans les colonies. Ainsi, moins d'un an après le début de la guerre d'Algérie, il s'élève contre la torture infligée par l'armée française aux Algériens.
Césaire critique violemment la position de la classe bourgeoise qu'il qualifie de décadente, car ne connaissant plus de limites dans le mal qu'elle commet au travers du système économique capitaliste.Œuvre d'un grand écrivain, marqué de l'habitude occidentale de l'autocritique, le Discours reste toujours d'actualité un demi-siècle après sa rédaction
Sommaire
Extrait
«
Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.
Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.
....
L’Europe est indéfendable.
Il paraît que c’est la constatation que se confient tout bas les stratèges américains.
En soi cela n’est pas grave.
Le grave est que « l’Europe » est moralement, spirituellement indéfendable.
Et aujourd’hui il se trouve que ce ne sont pas seulement les masses européennes qui incriminent, mais que l’acte d’accusation est proféré sur le plan mondial par des dizaines et des dizaines de millions d’hommes qui, du fond de l’esclavage, s’érigent en juges.
On peut tuer en Indochine, torturer à Madagascar, emprisonner en Afrique, sévir aux Antilles. Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent.
Donc que leurs maîtres sont faibles.
.........
Colonisation et civilisation ?
La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte.
......
Cela réglé, j’admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu’une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole ; que l’échange est ici l’oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir été un carrefour, et que, d’avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d’énergie.Mais alors je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’« établir contact », était-elle la meilleure ?
Je réponds non.
Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir à extirper une seule valeur humaine.
Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viet Nam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent[1]. [...] »Notes et références
- Aimé Césaire, Discours sur le Colonialisme (1950), Présence africaine, 1989 (ISBN 2-7087-0531-8), p. 11-12
Liens externes
- « Sarkozy, l'anti-Césaire », une lecture du Discours sur le colonialisme par Gilles D'Elia.
- « À propos du Discours sur le colonialisme de Césaire » par Alain Ruscio (historien spécialiste du colonialisme).
Notes et références
- Portail du monde colonial
- Portail des années 1950
Catégories :- Colonialisme
- Culture de la Martinique
- Essai de langue française
- Pamphlet
- Œuvre ayant pour thème le racisme
Wikimedia Foundation. 2010.